lundi, 13 octobre 2008
Comme un lundi
" C'est l'homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l'organisation du travail, et hors de l'usine il garde la même peau et la même tête. Dépersonnalisé au travail, il demeurera dépersonnalisé chez lui."
Christophe DEJOURS : EXTR : "Travail usure mentale"/ Editions Bayard, 1ere ed. 1980, 2000.
Christophe DEJOURS est professeur de psychologie au CNAM, psychanalyste et psychiatre et l'un des principaux spécialistes de la psychopathologie et de la psychodynamique du travail. Dans "Travail usure mentale", il se demande comment la souffrance au travail peut modifier le sujet de l'intérieur et quelles défenses psychiques stratégiques l'être humain est obligé de mettre en place parfois à son détriment face à la souffrance au travail. On constatera que le sujet est de plus en plus d'actualité, puisque sont apparues ces dernières années, de nouvelles pathologies liées à la souffrance psychique engendrées par le travail. Cette souffrance de nature mentale commence quand le rapport Homme-Travail est bloqué c'est-à-dire quand la certitude que le niveau atteint d’insatisfaction ne peut plus diminuer. De plus, contre la peur au travail, comme contre l’insatisfaction, des stratégies défensives sont élaborées par les Hommes de sorte que la souffrance n’est pas immédiatement repérable. La souffrance change avec les différents types d’organisation du travail mais ne disparaît jamais pour autant (...)
Si le sujet est coupé du réel et de la reconnaissance par autrui, il est renvoyé à la solitude de la folie classique connue sous le nom "d’aliénation mentale". Si le sujet entretient par son travail un rapport avec le réel, mais que son travail n’est pas reconnu par autrui, même si ce travail est dans un rapport de vérité avec le réel, il est là aussi condamné à la solitude aliénante. F. Sigaut désigne cette situation "d’aliénation sociale". Le sujet risque de basculer dans une folie qu’on confondra peut-être avec l’aliénation mentale, pour peu qu’il proteste et essaie de réclamer son dû (paranoïa), ou finisse par perdre confiance en lui (dépression) (...)
La peur n’est pas qu’imaginaire, elle correspond effectivement à l’exercice d’une menace parfois délibérée de la part de l’encadrement, selon des méthodes de management plus ou moins sophistiquées. Le problème posé est celui du consentement à participer à des actes d’injustice contre autrui ou de manipulation occasionnant de la souffrance à autrui, actes que pourtant on réprouve. Mais comment parvient-on à obtenir des gens qu’ils apportent le concours à des actes que cependant ils réprouvent ?
Comment un être humain peut élaborer une stratégie de défense qui vise, pour moins souffrir, à neutraliser, voire à paralyser la pensée de ceux qui travaillent et qui souffrent ? Le processus désigné par Christophe DEJOURS semble fonctionner tel un cercle sans fin où chacun harcèle l’autre et harcèle à son tour dans l’entreprise. Or, il arrive un moment où la chaîne se casse...
Sources des notes de lecture : CNAM / LIENS UTILES ICI + ICI
Photo: Villeurbanne, avenue Roger Salengro: usure d'un bâtiment encore debout mais peinant dans le paysage...
06:26 Publié dans A tribute to, Actualité, Certains jours ..., De visu, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
Commentaires
Très bonne idée que de faire un billet sur ce livre.
J'ai quant à moi lu C. Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Seuil, 1998.
Un livre important, qui parlait déjà, entre autres, des suicides sur le lieu de travail.
Ce sont quelques psychiatres et psychologues qui ont dénoncé des processus d'exploitation qu'ont passé sous silence les syndicats, pourtant chargés de défendre les travailleurs.
Ch. Dejours en parle justement, en constatant que déjà autour de mai 68 ces problèmes avaient surgi, mais avaiant été étouffés par les syndicats au profit d'autres revendications plus canalisées.
Il y a aussi le travail de Marie-France Hirigoyen, dont les livres ont tant rencontré les préoccupations de beaucoup de gens, qu'ils sont devenus des best-sellers…
Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral: la violence perverse au quotidien, Syros,1998
http://hirigoyen.free.fr/
La citation de Dejours, en début du billet, fait penser à l'empreinte qu'impose le travail à l'aspect physique : une coupe de cheveux, on ne peut pas en changer le soir quand on rentre chez soi…
Écrit par : kl loth | mardi, 21 octobre 2008
kl-loth : J'aime beaucoup ton intervention sur ce billet car c'est toi qui m'a parlé la première fois de M.F HIRIGOYEN (et d'ailleurs ce lien, devrait normalement passer en haut, si l'on veut être logique car il me semble être un beau complément à Dejours) mais surtout j'aime beaucoup cette idée d'empreinte, cela n'a l'air de rien une empreinte et c'est là avec ton analogie qui évoque la coupe de cheveux ,que l'on s'aperçoit que l'empreinte cela change tout... Quand bien même ayant les cheveux longs on lâcherait l'élastique en rentrant chez soi, cela ne serait qu'un pis aller ou au mieux une illusion ...
Les suicides sur les lieux de travail ont longtemps été tabous (comme les suicides d'adolescents) . Aujourd'hui très difficile à cacher, ça commence à déborder. Merci pour ce commentaire et aussi de nous conseiller "Souffrance en France" qui date je crois de 1988... 20 ans déjà !
Écrit par : frasby | mardi, 21 octobre 2008
Et puisque en suivant le lien que tu donnes dans ton billet, on trouve la notion de karoshi, je me permets de rappeler la petite affiche que j'avais réalisée à l'époque de la campagne présidentielle 2007 :
http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/tag/karoshi
Écrit par : kl loth | mardi, 21 octobre 2008
Il y aussi cette fameuse expérience de psychologie, dite "expérience de Milgram", où a été testé le rapport entre l'obéissance à l'autorité et les cas de conscience face à certaines actions.
Dans cette expérience, les personnes testées ont été conduites à infliger des décharges électriques à d'autres personnes, dans un but "d'apprentissage". Peu ont arrêté l'expérience…
(heureusement les décharges électriques étaient fictives et les douleurs simulées par des acteurs, mais à l'insu des personnes testées).
Écrit par : kl loth | mardi, 21 octobre 2008
Sur l'expérience de Milgram :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram
Écrit par : kl loth | mardi, 21 octobre 2008
L'expérience de Milgram, ça me fait tout-à-coup penser à l'usage de Taser…
Écrit par : kl loth | mardi, 21 octobre 2008
@kl-loth : C'est assez étrange car n'ayant lu que ton premier commentaire, je pensais aussi à l'usage du Taser (qui n'est pas une expérience! mais une réalité)
Merci de nous évoquer cette expérience de Milgram contestée, contestable qui donna une idée de la "maniabilité" de l'être humain et de ses capacités à passer d'un comportement autonome à un comportement systématique... Tu ajoutes à ce billet un élément de réflexion pour cette question toujours irrésolue du consentement des êtres à agir dans un sens qu'au fond d'eux mêmes ils réprouvent. C'est à la fois une question philosophique ,sociologique ,enigmatique...
Écrit par : frasby | mardi, 21 octobre 2008
Petite précision : Marie-France Hirigoyen parle du problème du harcèlement moral au travail, du fait de personnes "perverses narcissiques".
Christophe Dejours s'intéresse quant à lui au fonctionnement global du monde du travail.
Écrit par : kl loth | jeudi, 23 octobre 2008
@kl-loth : Oui tout à fait !!! merci de préciser c'est important de ne pas amalgamer les deux sujets, mais il y a un moment où les 2 travaux ont une correspondance de pensée puisque C.Dejours illustre son livre de chapitres, certes il parle du fonctionnement global du travail, à travers l'histoire beaucoup et jalonne aussi son livre d'exemples où peut très bien se réferencer le travail de M.F. Hirigoyen .
Au niveau d'une pensée sociologique, humaine les deux auteurs semblent avoir une éthique assez proche...
Écrit par : frasby | jeudi, 23 octobre 2008
Merci les belles, Frasby et KL Loth.
Un jour, on se verra.
Écrit par : Nénette | jeudi, 19 mars 2009
@Nenette : J'adore les commentaires à retardement ... ça me destabilise (mais ce n'est pas désagréable du tout)
Peut-être qu'on se verra oui... Je ne promets plus. ours de la jungle,que je suis, mais KL Loth a déjà réussi à me faire sortir de mon igloo, elle a un certain talent pour ça
donc ne désespérons pas ;-)
Écrit par : frasby | jeudi, 19 mars 2009
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