vendredi, 29 octobre 2010
Peindre au travers
Peindre d'après nature, ce n'est pas copier l'objectif, c'est réaliser ses sensations.
Ce climat est le mien. J'avance avec toi, sur la route, pour faire effraction. Je peux voir le ciel qui s'étend nous satisfait à la minute. Je prends le petit jour à coeur, et je suis autrement ton oeuvre. Nous ne pouvons que rester seul à seul. Tous deux serons unis encore autant que séparés, et je me chauffe à toi, nous secouons les grilles pour rentrer dans tous les salons. Je porte les grenades et les épices de la forêt. Nous aimons nous suspendre aux lustres, aux branches ; je porte les baies empoisonnées, tous ces mensonges et nos douleurs. L'eau froide tombe du ciel qui s'étend au loin. Les grilles blessent un peu, ces gens t'ouvrent leur demeure, tu caresses leur vaisselle, tu explores les greniers et la cave où sont cachés des manuscrits à fendre à l'âme.
Il y a trop de monde dans ces salons, on distribue du café noir et des figues à moitié ouvertes sont éparpillées sur la table. On convoite un grand framboisier sur lequel nous déposerons des baisers, nous aurons les mains baladeuses, en toute impunité, nous abuserons de tout sans peine. Nos fruits ont la sauvagerie de ces chats qui se faufilent entre les brumes écorchant le vernis des tableaux, bientôt nous en ferons le deuil ; nous les délaisserons dans un parc entre les feuilles rousses, irisées de l'automne. November ramènera par sacs entiers les feuilles et ces pommes qu'un peintre croqua autrefois chaussé de ses pantoufles, dans le rai de lumière d'un atelier. A quelques pas de là, à peine plus loin, toute la lumière change, et l'on aperçoit dans l'allée d'un jardin, quelque beauté antique organiser les courses :
De mon mieux, j'ai envoyé à mon amant chéri dix pommes d'or cueillies sur l'arbre de la forêt, et en enverrai autant demain
Des corbeilles de fruits pourris avec les étranges pépins, et ces tiges au cul de la pomme, nous aimons celle qui porte un nom de chanteuse de jazz oubliée, la Granny Smith. Son goût acidulé, ses reflets parfois roses. Nous aimons aussi les poires difformes, "Red William" ou "d'Anjou" nous les mangeons sans trop penser à la misère du monde, un rien nous comble. Nous glissons les épluchures dans nos poches et cela nous fait des trésors dégoûtants. Le vent ici est caressant, doucement il s'impose. Et puis il y a des graffitis sur les bancs et des journées qui ne s'étirent plus tout à fait comme avant.
Cent tubes de gouache pressés avec ces couleurs fauves, elles giclent sous le ciel qui s'étend au loin, fardent la part brute d'une toile sur laquelle l'autre peint encore des oiseaux et des serpents plein de noeuds, sur des pentes la blancheur lunaire bat dans l'encadrement, déplace la courbure des formes qui magnifient les fruits et les sens. Ce climat est le tien, il érode les murailles, dévergonde nos cailloux pour s'empaler sur des roches vierges. Ca fait des semaines qu'Eros dort le jour sous les arbres et la nuit il s'amuse comme un écureuil avec des noisettes et des glands.
Du haut en bas, un grain de folie saisonnière roussit la page si lentement, tu peux voir comme l'heure à présent changée nous délave. Ce que je dis, tu le vois les yeux clos et l'approuve. Tout ce qu'on dilapide va par monts et par vaux, même dans le parcours des bécasseaux, leurs cris font en réalité "tchirrip, tchrrii" et nous nous attardons à regarder bouger leurs pattes sur des fils electriques. Tous ces mensonges dans la douceur bordent l'hiver des impatiences, un caprice hors-saison qui vient avec le goût de la reine-Claude, ou de la mirabelle, (bellamira, miragrande), croquée par Virgile au vers 53 des "Bucoliques":
J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l'honneur.
J'ajouterai des grains de génévrier, nous titrerons : "Aiguilles piquantes sur feuillage écaillé", des grosses touffes chaudes comme la laine, ces épis pour les dames seront notre fierté, les messieurs en auront presque le rose aux joues puis après ce sucre onctueux, tout fondu dans nos ombres, adviendra en nous l'abstraction.
Tu peux voir l'improvisation, la folie des grandeurs et la rondeur des jours comme un point qui va de bout en bout répandre sa résine rouge, les déliés du terrain, un fourrage de cailloux, près des plantes cultivées, plates, ou éperonées, qu'on appelle "impatiens hybrides".
Ce climat est le notre uni à l'eau qui dort sous un autre pays gentiment affublé de gri-gris, de poupées pincées d'épingle à linge, ces tissus sèchent à l'écart au nid où pondent les flamants roses, et les chamois toujours les mêmes, tu les décris sur mes carnets et tu es autrement mon oeuvre.
Savais tu qu'autrefois les chamois pondaient des oeufs au mois d'Octobre ronds comme ceux de l'élandin ? Et cela faisait, à ceux qui les regardaient longtemps, des yeux gros comme un poème monstre.
Photo : Zoom juste après l'ondée. Une vue caramélisée de quelques feuilles mortes issues du charmant parc René Dumont qui illustre à merveille, une nouvelle tendances de parcs dans nos villes : pas d'allées à la française, juste la végétation naturelle poussant à la manière sauvage... Photographiée à Villeurbanne aux derniers jours d'October.© Frb 2010.
08:49 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Je me suis amusé cette fois, avant de lire le texte, à ouvrir les liens, les uns et les autres... Et tenté de me faire une idée du billet ! J'ai fait quelques allers-retours entre l'atelier de Cézanne et votre photo des feuilles caramélisées. J'ai les doigts tachés de couleurs.
Écrit par : Marc | mercredi, 10 novembre 2010
@Marc : C'est effectivement l'idée principale, de tenter de couvrir le lecteur de taches de couleurs, même si j'aime infiniment le gris ("inavouable" comme le disait l'ami Solko en parlant des brumes de notre pays anciennes - car Lyon n'est plus si marécageux - et en évoquant aussi le grand écrivain lyonnais, Reverzy). A la veille du mois de Novembre (à l'horloge serponnelle de C.J.) je me suis amusée à aller contre la saison tout en synchronisant un peu fauvisme à cette petite affaire, tout bien désordonné :-), en fait, je m'amuse un peu je fais des petites expériences, mais je vois avec grand plaisir que vous aussi. D' ailleurs quand je croise dans la vraie vie (la vivraie) des gens avec des doigts tâchés de couleurs, ou d'encre, je sais pas pourquoi ça m'attendrit beaucoup
j'aurais même, aujourd'hui, et si vous n'étiez pas si loin, grand plaisir à vous serrer la main (:O!)
(vous n'en serez pas choqué j'espère ? :))
Écrit par : Frasby | mercredi, 10 novembre 2010
Choqué ? J'en serais ravi. Avec vos doigts de couleurs vous pourriez aussi autographier ma veste. CJ est un jeu aussi. Je l'ai longtemps pris (un peu trop) au sérieux. Mais les enfants sont sérieux quand ils apprennent à jouer. Excellente journée, à vous et à vos vrai(e)s ami(e)s dans la vivraie !
Écrit par : Marc | mercredi, 10 novembre 2010
@Marc : Peut être un jour qui sait ? Nous nous autographierons mutuellement nos vestes ? J'en serai également ravie, si nos doigts sont pleins de peinture ou d'encre autant choisir un jour de pluie ou de neige, (joies de la peinture à l'eau:)
CJ non, je ne crois pas que ce soit trés sérieux, ce média ne tient que par un fil, s'il y a des jours plus sérieux que d'autres, dans l'absolu ce n'est pas sérieux, mais cela ne n'empêche pas de faire comme si cela l'était, votre réflexion sur les enfants n'est pas fausse, non plus, j'adhère, j'adhère :-))
Excellente journée à vous et vos proches aussi (de la vivraie) ces proximités de vivraie, sont parfois mangées par la machine... Nous reconnaissons tous plus ou moins nos addictions, mais je voudrais croire (peut être naïvement) que malgré toutes les ingratitudes électroniques les rencontres via la machine ne sont pas si fausses que cela... N'est ce pas ? :))
Écrit par : Frasby | mercredi, 10 novembre 2010
Les commentaires sont fermés.