vendredi, 24 août 2012
Prélude à l'effeuillement
EFFEUILLEMENT nm. (è-feu-lle-man, ll mouillées) : État des arbres dépouillés de leur feuillage ou qui s'en dépouillent.
Dictionnnaire de français Littré. (Voir "Effeuillaison"/ Effeuillure/ Effeuiller/ Effeuillé (ée)/ Effeuilleur (euse)/ Effeuillage/ Effeuliaison...
Les doigts de la demoiselle prolongeant sa vacance goûtaient les plaisirs simples à la campagne sous des gants végétaux si délicatement ouvragés qu'une paire tenait dans une noix. Sa main blanche s'effilait, laissant à l'amant le don de deviner les secrets de son coeur, par un simple baiser déposé sur une ligne, il pouvait lire en elle comme dans un livre. Le Marquis traversa ainsi des continents approchant l'Amazone qui n'était plus très loin. La phyllomancie révélait dans les volubilis une prolifération vouée au sacre d'un noyer vivant sous le soleil. Le Marquis cherchait l'ombre en effeuillant des pétales pour affiner des joies qui n'étaient plus de son âge. La fin de l'été nourrissait un empire érigé en fadaises, la demoiselle musardait sur des feuilles volantes qui seraient balayées dès Septembre. Quand tous rentraient des plages, le Marquis sortait de terre exaltait le vent frais qui porte l'oisiveté avec le goût d'adorer sans dommage la première promeneuse à portée. Cela au moins, offrirait de quoi engranger pour l'hiver. Il faisait le plein d'images bercées par un feu tiède qui feutrait les nouvelles du monde, favorisait l'effacement des faits divers, repoussait au néant le partage des affinités spirituelles, en trois mots, cela le rassurait. Enfin, dans la dispersion volontaire de tous ces sentiments, la peine semblait moins souveraine.
Le marquis apprenait à vivre. Il comprenait tardivement ce qu'il fallait fouler de cailloux pour accepter les réjouissances sans faire peser le poids de ses défuntes amours dans les bras de ces débutantes, puisqu'il faut bien se dire, que rien ne dure toujours, pourquoi se montrer tel que l'on croit se connaître ? De quel droit confier à des intruses des choses si chères de soi qui ne les intéressent pas ? Le Marquis répudia. Il leur disait allez ! allons ! laissez-vous faire !". Sitôt dit, sitôt fait. Ce qu'il devait détruire de chemins pour en préfacer un nouveau, lui donnait le vertige, mais cela n'était pas à l'ordre du jour, il n'y aurait plus assez de temps pour se perdre à rêver sachant qu'un seul amour ne pourrait entièrement contenir le paysage. Le paysage était sans fin, il s'y creusait chaque jour de nouveaux souterrains. Des sortes d'oubliettes, on dit qu'un peuple muet tentait en vain de remonter à la surface, accroché à ces lierres, des milliers de rongeurs, des taupes glissant par des galeries jusqu'aux jardins et ces mines dolentes qui ramenaient leurs plaintes parmi les fleurs mettaient trop bas les coeurs. Les feuilles s'embarbouillaient, c'était la fin de la vacance, la forêt retournait aux légendes, les amants désireux d'en découdre se laissaient emporter par des trains. Ca demanderait un autre tour de main de s'éloigner avec indifférence.
L'excellent savoir faire du Marquis tournait les esprits de la belle dont la figure s'étonnait de trouver encore des pages vierges à ce chapitre, qui se parerait d'enluminures, au fil du temps, ces petits ornements serviraient à cacher ce qui manque. La profusion des mots ne raconte que cela. Il y avait sans doute un abîme entre une feuille blanche et une page inachevée. Entre deux, des chapitres oubliés avec des personnages tels des accessoires, des potiches ou des plantes... Le Marquis n'en parla jamais. Peu importe, à cette heure la belle n'y songeait pas. Ils acceptaient tous deux cette part de jeu sans avenir. Le Marquis chuchotait quelquefois des poèmes à la belle, il piochait dans l'Arthur disait d'un air modeste : "c'est de moi, je l'ai écrit pour vous". Ca manquait d'envergure. Les cheveux du Marquis et sa peau sentaient le parchemin, une odeur agréable mais qui ne va pas avec l'amour. Elle songea au mucus des lamproies, à leurs dents qui râpent la peau douce, aux hommes en habits verts qui se disent immortels semblent traiter les mots beaucoup mieux que les muses. Pourquoi ces rêveries sont-t-elles si "tue l'amour" quand tout ce qui s'écrit implore le contraire ? On ne sait pas. La migraine eût bon dos, ainsi que l'ambroisie. A part ça, ils aimaient végéter ensemble.
On compterait encore deux cents lignes à écrire. La guimauve infusait dans la tête d'un poète qui passait ses nuits sous les poutres d'une grange, à relire - autre délit de fuite au hameau des Moulins - il recopiait les vers décrivant le vrai deuil d'un faux Marquis croisant une sauterelle à la cuisse légère, il faudrait rendre les deux personnages émouvants. C'était un roman de commande, de l'eau de rose pour les gares, un récit qui donnerait peut-être vingt épisodes d'une saga télévisuelle joués dans des costumes d'époque, avec des vedettes en capelines, vertugadins, des vieux acteurs portant le brocart ou ce serait un conte provincial, un recueil de légendes ânonnées par l'idiot revenu au pays, répéter à voix basse les cris des villageoises qu'il savait parfaitement traduire. Elles aimeraient toujours qu'on leur souffle des histoires dans l'oreille. Il agitait les feuilles comme ces grelots que l'on faisait tinter jadis au bercail sur de grands lits rouleaux. On raconte ces histoires avant de s'endormir avec de l'eau si rose, qu'après les cruches font mieux le ménage. On le dit. On dit aussi que dans leurs rêves, parfois les demoiselles lancent des messages qu'elles enferment dans des bouteilles et jettent au lit de l'Amazone. - De l'Amazone, vraiment ? Parfois, on peine à croire...
A suivre, peut-être...
Nota : Pour agrandir les feuilles, il suffit de les chatouiller gentiment.
Lien : Pour la question élémentaire vous trouverez peut-être la réponse ICI (mais c'est pas sûr).
Photo: Prélude à l'effeuillement au jardin, et en forêt plus ou moins équatoriale.
Là bas © Frb 2012.
Commentaires
Pour agrandir les feuilles, il suffit de les chatouiller gentiment : c'est exactement le genre d'information que je cherchais. Merci.
Une paire tenait dans une noix : quand même pas ! Plus sérieusement, ce sont les anglais qui n'arrêtent pas d'exprimer
des choses dans une coquille de noix ('to put it in a nutshell'). Encore plus sérieusement, votre première phrase est souvent sublime. Vous avez le don de la première phrase comme les Beatles avaient le don de l'introduction musicale ('to put it in a nutshell').
les amants, dans leur petit train argentin, doivent avoir l'air fin !
Le poète a la guimauve qui infuse dans sa tête, la demoiselle a une bouteille vide dans laquelle elle met des messages. Il faudrait trouver un moyen de les faire se rencontrer pour qu'ils fassent des confitures.
Écrit par : Fernand Chocapic | vendredi, 31 août 2012
@Fernand Chocapic : pour chatouiller gentiment, je n'aurais pu imaginer une seconde que vous auriez besoin du tutoriel :)
mais si j'ai pu vous aider, alors "je m'en félicite" ! (c'est pas une phrase de John Lennon : "tout pudding à noeud de chèvre" c'est du yaourtier pinque John Peter Waffarine)
La paire de gants tenait dans une noix, j'ai écrit ça ? :)
je ne sais pas si c'est vrai, mais je tiens cette info du très sérieux wikinuts que m'a conseillé Craky l'écureuil, peut-être c'était une noix de coco ? "To put in a coconut" même si on sait que ça ne marche pas, c'est comme la pierre qui roule qui voulait devenir plus grosse qu'un scarabée picnique et voilà ce qui arrive (une grosse leçon, on ne s'en lasse pas) : http://www.musicinbelgium.net/pl/modules.php?name=News&file=print&sid=6076
Sinon, en lisant votre compliment, m'est venue une question qui infuse encore dans ma tête: est-ce que ça ne serait pas mieux d'écrire des textes qu'avec les premières phrases ? Même si je sais que ce projet ambitieux ne vaudra jamais l'introduction de "come together" à ce propos, pour la rencontre c'est d'accord, faudrait organiser un speed dating en appâtant nos candidats avec le jardin (gourmand) de mémère Hérisson, là, je rigole pas, le domaine est charnu mais avant il faut que je vous prouve que les gants peuvent tenir dans la noix : http://youtu.be/GCir6br6JKk
et comme je sais que vous n'aimez pas les textes longs, je vous remercie d'être venu lire tout ça d'ailleurs pour vous récompenser, je vous convie à un premier repérage, on pourrait dire, préliminaires à confitures, (to put in a nutshell :)
http://mamienne.canalblog.com/archives/2009/12/19/16216007.html
Écrit par : frasby | samedi, 01 septembre 2012
Pauvre Marquis dorénav(r)ant incompatible avec l'amour... Il y a dans votre texte une sourde mélancolie qui s'accorde parfaitement avec la grisaille de ce matin.
Un petit vent froid , déjà mordant pour la saison, nous ramène à une réalité dont l'été avait temporairement estompé l'effet.
On n'échappe jamais à rien, surtout au temps qu'il fait sur nos épaules...
Un jour ou l'autre nous serons tous le Marquis, hélas :)
Écrit par : Jean | dimanche, 02 septembre 2012
@Jean : bonjour ! :)
comme votre note est "terrible" à tous les sens du terme, j'aimerais vous rassurer : je préfère, moi aussi dessiner. Autrement dit, ce genre de texte est purement "va poreux",
le vent l'emporte déjà, même si le temps qu'il fait sur nos épaules n'est jamais rassurant, les couleurs de l'automne me semblent encore propices... La fraîcheur du vent est promesse de qui pourrait le... ("nous" ?) réchauffer :) pour le temps qu'il fait,
je me réjouis que l'été s'achève avec son soleil tout puissant, ces exubérances asséchantes... un poète a écrit que le mois de Septembre était "le mois le plus tendre", et il l'a même chanté. Est ce que cela n'est pas encore une réalité
entre mille ?
"le Marquis dorénav(r)ant incompatible avec l'amour"...
j'en doute pardon, Jean, même si la phrase fait un sacré effet. heureusement qu' il existe une petite distance qui peut nous placer hors saison et nos broderies intempestives n'auront rien à perdre à encore imaginer celle qui manque (de saison)
Ce n'est donc pas à vous que je vais l'apprendre, les mots... bon, les mots... c'est que des mots, pas vrai ? :)
et puis, il existe des Marquises doré(es)navrant(es) qui deviendront forcément un jour, incompatibles avec l'amour,
il y'a donc une justice immanente :) mais ce lot, j'en conviens n'aide pas à croquer dans les fruits, (ceux de la fin de l'été, sont pourtant bien exquis par exemple la mûre (houplà ! :) moralité: c'est pas demain la veille (la vieille ? :(
que je vous appelerai "monsieur le Marquis", d'accord ? :)
Écrit par : frasby | dimanche, 02 septembre 2012
J'incluais bien sûr les Marquises, pas de raison, égalité des sexes oblige :)
Nous apprécions toujours l'automne. Il me semble que sur un de vos billets qui date je vous avais fait parvenir un commentaire relatant mon plaisir jamais boudé procuré par cette saison.
Les mots ne sont que des mots, certes. Ce sont tout de même des mots. Il est vrai qu'ils peuvent aussi tomber comme des feuilles à défaut de s'y coucher :)
Écrit par : Jean | dimanche, 02 septembre 2012
@ Jean : je savoure vos réponses...
bien sûr, je me souviens que vous étiez venu écrire ici quelques lignes à l'honneur de l'automne, mais comme nous sommes multiples et que d'une année à l'autre tout peut-être changé.
Eic peliquex cale.
pour les marquises, pas de blâme, l'égalité des sexes
(oblige :) se devinait entre vos lignes mais je tenais à préciser que ma pensée n'était pas "enchine de greda", même si je préfère passer des journées sous les arbres à regarder les feuilles tomber et les mots aussi, (même sans s'y coucher) plutôt que rester à la maison à faire du repassage, autrement dit, si les dames et les messieurs peuvent oeuvrer de concert (avec délicatesse ?) pour ne pas devenir le marquis la marquise, (d'on ne sait qui), il y a là une gageure dont le charme, pourrait même s'affiner au fil des années (on le dit :) ça restera un sujet passionnant quoiqu'il advienne.
Comme je n'ai aucune malice pour exprimer ces choses là, peut-être le meilleur argument sur ce thème serait de relire les livres et le parcours amoureux de Serge Rezvani.
Il est beau, ses femmes d'hier et d'aujourd'hui aussi, pour casser la grisaille du déclin ordinaire, c'est une piste, il me semble...
assoni du "bolloturni" ebogli ...
sov tisives ston episucrée :)
Écrit par : frasby | lundi, 03 septembre 2012
FELLINI révait de faire un film avec une seule image alors pouquoi pas un livre avec une seule phrase quoique ça me rapelle trop de mauvais souvenirs d'école " Tu me copiera cent fois...."
Pour ce commentaire j'ai décidé de le lire en mettant la chanson en fond sonnore et ma fois c'est un peu comme le sucré-salé ,le grave et l'aigu , j'ai même l'impression de comprendre l'anglais ! les photos coulent délicatement dans les veines ou plutôt suintent sur la peau du joliment beau
Écrit par : alex | lundi, 03 septembre 2012
@ Alex : Je ne savais pas que Fellini avait ce rêve, mais c'est logique, beaucoup d'artistes qui créent avec de la profusion, (et Fellini ne faisait pas dans l'économie) rêvent d'une création minimale, il me semble... la profusion, n' est peut-être qu'un camouflage ? Pour s'égarer + que se trouver, donc forcément on ne peut qu'admirer ceux qui savent aller à l'essentiel avec peu, avec une seule phrase, c'est difficile mais je n'avais pas pensé aux souvenirs d'école, bel exemple, comme recopier cent fois, si on dépasse l'aspect "lavage de cerveau" ça devient fascinant si on oublie la punition, il y a un plaisir graphique hypnotique, ça peut-être l'écriture de l'absence, le contraire même du lavage de cerveau,ta note me fait penser à cette composition musicale de Gavin Bryars où se répète toujours la même phrase : "Jesus blood never failed me yet",
je te joins pour illustrer 6mn d'une des nombreuses versions d'un album composé uniquement de variations sur cette seule phrase, le plus étrange c'est qu' on peut écouter ça une journée entière sans se lasser on entre dans une autre perception, le mieux c'est d'écouter :
http://grooveshark.com/s/Tramp+With+Orchestra+IV+Full/3CNOtk?src=5
Dans l'idée soufflée par Fernand, je pensais non à la répétition d'une même phrase mais essayer de prendre la première phrase de quelques textes ici, pour voir quel autre texte ça donnerait au final :) bon, sans doute pas terrible mais il ne coûte rien de faire des expériences ;-) pour la musique, oui, elle arrive souvent par contraste et j'aime beaucoup l'usage que tu en fais, sucré salé, c'est ça, oui ! à l'exacte jonction des vacances et de la rentrée.
Merci Alex, tu inspires joliment "bien" la fin de l'été... :)
Écrit par : frasby | lundi, 03 septembre 2012
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