mercredi, 06 juin 2012
Pour la suite du monde
Depuis belle enfance, je soupçonne les mots de craindre les voyelles, le forgeron de redouter l'enclume du petit matin, les romanciers de tout faire pour éviter la fin de la messe, l'archéologue d'effacer toute trace de son passage, les sémiologues effarés par le coin des rues, de privilégier les images et de repousser le quotidien dans les poubelles de l'Histoire, car il est confortable et rassurant de vivre dans une forêt de symboles bien rangés sur les rayons de sa bibliothèque où cultiver la poussière du temps qui passe bien à l'abri des intempéries.
PIERRE PERRAULT, extr. de "De la parole aux actes", éditions de l'Hexagone, 1991, Montréal.
Leopold recrute le capitaine Hervey qui connait les fonds et réunit les propriétaires de l'île pour organiser la pêche. Le surintendant de l'aquarium de New York, lui a promis l'achat de quatre marsouins à cinq cent pièces, pièce. Dans le film, on guette à la jumelle l'entrée des marsouins. Un marsouin est pris vivant. Bénédiction de la pêche au mileu du fleuve. C'est le miracle de l'ïle aux Coudres. Les pêcheurs se disputent sur le fait de savoir si la pêche remonte aux sauvages avant les premiers colons où à ceux-ci venus du Nord de la France. Qu'importe dit Grand Louis, l'essentiel est de garder la trace : on fait quelque chose pour la suite du monde. Ca demande du courage. Et comme on peine à croire nous regardons le beau plaisir d'un temps où nous n'étions pas nés, et c'est la suite du monde qui revient jusqu'à nous, c'est peut-être un passé ou le délit flagrant d'un présent qui ne cesse jamais, à la fois drôle, désespérant mais cela tient l'avenir comme on ne l'apprend qu'après tant qu'il reste des traces...
Un autre jour, nous nous retournerons peut-être pour retrouver des traces, après les avoir épuisées, nous aurons besoin à nouveau de les aimer. Il est possible, vues d'ici, qu'elles soient déjà filées et qu'il n'y ait à la place qu'une quantité de jugements et de conclusions désolantes. Il faudrait reculer encore, jusqu'aux lieux d'où nous sommes partis puis arrêter, avant que revienne le souvenir du lieu où nous sommes arrivés, avant de réaliser que nous avons perdu la plus belle part de nous et de nos jeux. On ne joue plus ici mais dans le film sur l'ile aux Coudres, les danses se prolongent, off, sur des images de chevaux sous la neige, des oiseaux envolées. Mésanges...
La suite du monde peut être.
Visionnage :
Photo : Ceci n'est pas la loquace île aux Coudres, mais l'île aux Mangers, d'hommes (et de mouettes, parfois). Un silence à filmer autour de midi et dans l'intervalle, un répit, une vie parallèle , on dirait une passerelle, en dessous des restau-bars du quai St Antoine et du marché aux livres/ Le fragment de cette berge du fleuve Saône, est situé à Lyon-Presqu'île, un contrepoint pour la suite du monde, avant de rejoindre les pêcheurs de l'île Barbe en rafiot, si les marsouins ne nous ne mangent pas...
© Frb 2012
22:08 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
c'est le parcours d'un corps à travers l'espace qui mesure pour nous le temps.
Écrit par : moidessusdessous | dimanche, 10 juin 2012
@moidessusdessous : oui, c'est un vaste sujet, mais oui sûrement, à condition qu'il n'y ait pas trop d'obstacles, (pour le corps dans le parcours), Et si on ne bouge plus ? Si on continue à parcourir l'espace mentalement
que fait le temps ? (question dominicale :)
Écrit par : Frasby | dimanche, 10 juin 2012
Bonne journée de dimanche, et avec un peit bout de papier, essayons de réveiller ce monde.....
Amicalement
Écrit par : patriarch | dimanche, 10 juin 2012
@Patriarch : Merci, bon dimanche à vous, c'est vrai, c'est un dimanche de petits papiers, pour réveiller ce vaste monde, ce petit point dans l'univers, on peut toujours essayer :)
To hope is to live, et réciproquement...
Amitié.
Écrit par : Frasby | dimanche, 10 juin 2012
Quel agréable moment en compagnie de beaux et vrais personnages qui lorsqu'ils parlent ne le font pas pour ne rien dire, c'est balancé brut et sans chichis comme on aime :)
L'épisode des tapes amicales des mains sur le marsouin tout blanc constitue un petit moment de magie qui me touche particulièrement.
Tout cela est sensible et profond. A se demander, à propos de suite, ce qu'est devenu le monde, et nous surtout ?
Merci pour la découverte, Frasby :)
Écrit par : Jean | lundi, 11 juin 2012
J'aime bien quand les mots se mettent à craindre le "e".
Écrit par : la bacchante | mardi, 12 juin 2012
@la bacchante : moi aussi :)
bonus for you :
"Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait. Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir."
Écrit par : Frasby | mercredi, 13 juin 2012
@Jean : vous aimez ces beaux personnages et ces tapes amicale sur le marsouin tout blanc ? ça me fait plaisir, de le lire ici et savoir que vous appréciez cela, je me relie à votre réflexion, partageant à coeur votre double question, mais je ne pourrais pas y répondre, peut-être, nous marchons sur un fil, tant que ... Comme je ne peux commenter chez vous je vous passe ici un message parmi ceux qui ne vous arriveront jamais, disons que je vous lis souvent et vous ne le savez pas, de même qu'il me paraît presque impossible que vous ne le sachiez pas, (restons simples :)) c'est une autre forme de magie, elle file peut-être, entre les lignes, on ne sait pas et se partage encore très bien, ça on sait, et je compte sur vos dons de divination, simplement sur nos intuitions, bien qu'il serait plus simple que je vous l'écrive mais je manque de simplicité et peut être que les gens qui ne manquent pas de simplicité, partagent une bonne pêche aux marsouins, et puis voilà; c'est peut-être cela vivre, qu'auraient ils besoin de l'écrire ?
C'est plus simple, plus profond que d'essayer de dire les choses avec des mots, je sens que je ne vais pas
y arriver là... :)
Enfin, la magie, devenue rare doit avoir quelque chose à voir avec la survie d'un ensemble d'humains autant qu'avec le désir de chacun de s'alléger d'un certain savoir, pour accéder à quelque chose de plus "sensible", de plus hasardeux, je l'écris mal, mais bon, heureusement dans ce qui s'écrit il reste quelques îlots rares, (l'île aux rares) et j'ai besoin de vous piquer impunément votre sourire :) qui participe de la cueillette ou en recueillant les silences, en quelques phrases, on peut retrouver les passages (à tous les sens du terme) qu'on croyait disparus s'accorder à un écho plus vaste, que celui de sa courte vue, pour toucher à l'universel, retrouver cette mémoire ou bien ce serait comme une sorte de chant du monde, (l'île aux vivres", "l'île aux lyres"?), et c'est encore pas mal de se demander comment tient ce miracle de la parole et de la transmission, ça devient pure magie puisque ça semble ré-enchanter le sens de notre présence au monde même si c'est pas certain, ça rassure pour le temps où nous vivons, si cette transmission, ou cette écoute, est magique quelque part elle peut sans doute l'être partout, juste une fois, ça suffit, pour qu'elle puisse exister toujours, même en un lieu qu'on ne voit pas, il y aurait une infinité de petites choses qui sont en train de disparaître que des gens dans des coins tâcheraient de faire réapparaître, des passeurs, comme on voit cette barque apparaitre dans vos textes aussi limpides que ces scènes d'humanité claire sans chichis vues dans les films de Perrault, parfois chez J. Eustache, qui se mettaient eux aussi à l'écoute du monde, avec un certain regard, dépouillé de toute volonté de séduction, filmaient simplement la parole, sans rien exiger en retour. Pardon, Jean, je ne sais pas faire court...
Merci infiniment pour votre accueil et vos univers magnifiques...
Écrit par : frasby | mercredi, 13 juin 2012
"C'est plus simple, plus profond que d'essayer de dire les choses avec des mots..."
Je ne saurais mieux dire. Ce dont nous parlons va chercher là où les mots ne peuvent aller, sans doute.
Il m'est arrivé d'assister à des scènes de ce genre pendant lesquelles, pris tout entier par la magie du moment, j'ai perdu la parole. Quelque chose se nouait au plus profond de moi et se dénouait en même temps qui "interdisait" le bavardage. Je me sentais là, pleinement, et tout m'emportait en ce lieu où se font les "retrouvailles", de quelle nature je ne sais. Et c'était d'une perfection toute simple et vaste comme les vibrations d'un chant humain de vrai partage.
Hum... je ne sais pas si je suis très clair, mais voilà c'est dit et sûrement mal. Vous ne m'en voudrez pas, Frasby :)
Écrit par : Jean | mercredi, 13 juin 2012
@Jean : Mais non, quelle question ! Pourquoi vous en voudrais je ? Au contraire, vous apportez un bel éclairage et je retrouve quelque chose que j'ai pu ressentir moi même, en étant troublée que la parole ne me soit plus d'utilité. Votre texte est réconfortant, capter ce genre "d'instants" dépend sans doute de notre façon de regarder le monde, d'une disponibilité, tout cela me semble moins perdu que les mots...
Enfin, nous sommes d'accord, tout cela peut tenir en une phrase :)
Disons qu'ici via les écrans nous n'avons que cela, la parole, pour essayer de décrire, par défaut, une dimension qui en réalité n'a pas besoin d'être énoncée, ça nous met forcément dans un embarras, ça crée un drôle de paradoxe mais en réalité nous savons, je crois, autant vous que moi, que si nous étions en train d'assister réellement à une des scènes de ce genre, nous n'aurions pas besoin d'en parler, ce serait encore naturel que la parole ne nous vienne pas ...
J'aime beaucoup votre phrase :
"Quelque chose se nouait au plus profond de moi et se dénouait en même temps qui "interdisait le bavardage"
Tout est là, si nous tentions de décrypter quoique ce soit, la magie se déroberait puisque dès que nous parlons, veuille ou veuille pas, oserais-je dire, nous cherchons à "saisir" quelque chose, à le garder, or, ce genre de scène me parait le contraire de l'appropriation, même si personnellement nous sommes profondément concernés, nous n'avons sans doute pas besoin de justifier cet abandon qui nous permet de participer, d'être "embarqués", c'est cela qui est impossible à formuler : ce mélange d'abandon total et d'approbation inouïe, tout en même temps très simple, c'est vaste, peut-être brut en apparence et infiniment + délicat que nos + belles formulations, j'ai l'impression que plus on essaiera de le dire au mieux, plus on aura l'impression de le dire mal :), et peut-être que c'est très bien que notre langage n'ait pas totalement réussi à capturer cela. J'espère, Jean, qu'à votre tour vous ne m'en voudrez pas trop d'être bavarde pour n'arriver qu'à un résultat si peu éclairant au final... :)
Merci de partager. A très bientôt...
Écrit par : frasby | jeudi, 14 juin 2012
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