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vendredi, 17 décembre 2010

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On n'échappe pas au spectacle du bonheur.

MAURICE BLANCHOT : extr. "Le ressassement éternel" éditions de minuit 1983

vitrineG.JPGTout est venu un jour de Décembre, le ciel était blanc, le vent écrasait les visages, la neige avait neutralisé nos ombres on lisait sous la peau des gens. Il suffisait qu'un seul s'immobilise pour que les autres s'y perdent complètement. Des groupes de jeunes riaient de ces passants ces "vieux" qui patinaient maladroits. Nul ne reconnaissait ce qu'il avait connu la veille, sans point d'appui réel, on se croyait déjà glissant vers d'autres mondes. Malgré tout cela "le spectacle continuait", il y avait sur la colline, une ferme des animaux, avec des moutons noirs, des chèvres à houpettes ou à sabots bleus, on rentrait sous des bâches visiter la foire aux produits régionaux, où des apiculteurs déguisés en abeilles avec des ailes en papier crêpon sur le dos, vendaient leur miel, tous les pots dérivés du miel, le "pain d'épice fait maison" et d'éclats d'orangettes, de noisettes. Le prix faisait tourner la tête, à ce qu'en disait la Jeanne Mouton qu'on voyait venir de loin à cause des tas de machins qu'elle portait en bandoulière sur une grosse veste dans les tons de marron tricotée main au point mousse, elle disait :"ce pain d'épice on le trouve à l'hyper-Ryon de Vaise, trois fois moins cher, et pour sûr qu'à ce prix là, ils nous font payer le papier crépon de leur ailes, les picsous !... "Des ailes ! on en avait à l'intérieur dans le dos, qui n'avait pas poussé pas besoin de papier crêpon !". Le vent nous décollait du sol et quand ce n'était pas le vent c'était la neige qui devenait toute noire et nous mettait encore le moral à zéro, c'était ou tout ou rien. On pataugeait là dedans, on se battait à moulin de bras contre la météo, on se battait tout court pour être les premiers au chaud, un peu comme  en été quand on irait à la mer, on voudrait tous prendre la place sur le sable blanc, là bas loin des serviettes-éponge, sans personne pour nous  déranger, on voudrait tous la plus belle place pour étudier la vie des coraux hermatypiques...

Mais ce coup-ci dans la neige, on était trop nombreux, ceux qui s'en sortaient le mieux c'était ceux qui faisaient les affaires, car ils avaient leur stand à eux, et nous le soir on rentrait chez nous fatigués à force d'avoir pataugé dans cette boue, les yeux piqués par les allées venues entre des stands chauffés à quasi 30° et le froid jusqu'à - 8 ° (confirmé par l'Evelyne Dalhia à la télé"). Quand on rentrait, chez soi, chez nous, chez eux, on croisait dans les vitrages de nos entrées d'immeubles, nos visages chiffonnés, des yeux qui n'étaient plus les notres, exorbités rouges virant violacés et nos paupières enflées nous faisaient un piteux regard animal, on avait l'air d'avoir subi "toutes les misères possibles et inimaginables" qu'elle disait mademoiselle Mouton. Tout cela n'était pas si terrible, on était simplement des êtres humains traqués par nos cadeaux. Tout en haut du visage ça se fendillait aussi, ensuite dans la salle de bain, on se prenait en pitié soi même, devant la grande glace, on se requinquait, on se séchait. Un vent tiède juste entre les yeux, on s'ouvrait aux secrets du Calor ; avec les crèmes, les baumes de la Norvège garantis sans parfum et sans paraben, on se retrouvait un peu. On allumait à 20H09, le feuilleton "Le coeur a ses raisons" il fallait passer la publicité, le Fanta la Danette, le trèfle parfumé et puis la bande annonce d'un hommage aux chanteurs morts des années 70 avec son invité-surprise, puis tous les bêtisiers. On feuilletait le télé Z, pour voir l'heure du Louis la brocante, il y aurait les réclames pour la capote anglaise, l'acné juvénile, le mal de gorge et le streptocoque, ça venait toujours au mois Décembre  les macarons suchard, tous les marrons glacés, et puis après la météo, encore qui revenait. La Jeanne Mouton elle avait attendu la journée en frottant un peu ses carreaux, les veines de ses vieilles mains, étaient comme les sentiers de son enfance, une guerre, ses endeuillés, mais loin. Le père qui rentrait de la chasse avec son grand fusil dans le dos, plus tard l'époux qui finit sa vie en charrette, toutes ces vies qui partent en sucette dans la panade, la Jeanne, le Georges, et les gars du chantier avec les chaussures à semelles crantées qui s'essuient pas dans le paillasson, la peur de la glissade, tout un tintamarre dans la tête, les annonces au supermarché des promos sur les bocaux de haricots blancs, les volets fermés de melle Branche, le coup de fil du régisseur qui veut qu'on enlève les plantes vertes de l'allée à cause des gars des internettes qui viennent poser la fibre optique, les cadeaux à penser, Le sapin, les étoiles, la crêche, les escabeaux, les guirlandes dans la boite en carton avec les santons de provence, les courses pour le lendemain il faudrait penser au séjour à Tignes chez les cousins, acheter le billet de train, faire tous les magasins avec la queue être dans la queue, attendre. Les journées seraient longues, "heureusement, qu'elle nous disait, disait la Jeanne Mouton, heureusement que  tous les soirs, pour se reposer on retrouve notre feuilleton". Nous on n'était pas d'accord avec ça, nous, on détestait tout ce qui passait et repassait dans cette télévision mais pour une fois, on ne contrarierait pas la Jeanne Mouton, on s'installerait bien comme il faut sur le canapé en velours, on mettrait sur ses genoux un plateau avec des affaires faciles à manger, on appuierait sur le bouton, on attendrait en s'énervant un peu, que se terminent leurs informations, avec ces politiques "toujours la même chanson" et quand reviendrait le générique de notre feuilleton, comme chaque soir à la même heure, on retrouverait nos héros préférés, un brin magiques qui nous ressemblaient parfois, ils faisaient tous parti de la famillle à présent ; c'était comme la famille, sans les inconvénients. Oui, quand on entendait le générique, on était aux abois, on serrait la télécommande tout contre nos cuisses et on disait à tous ceux qui étaient là : "taisez vous ! ça commence !".

Photo: Un petit manège miniature dans la vitrine raffinée d'un marchand de je ne sais plus quoi du côté de la place Saint Nizier photographié à Lyon presqu'île, en December.© Frb 2010.

Commentaires

"On" vous lit avec plaisir, ce " des gars des internettes " m'a fait sourire, toute une atmosphère, dans ce texte...

Écrit par : gballand | mardi, 21 décembre 2010

@gballand : Merci ! je suis ravie de vous retrouver... Il est très mystérieux ce "on" :) , oui, le gars des internettes, mais il existe vous savez, c'est une très très longue histoire... :)

Écrit par : Frasby | mardi, 21 décembre 2010

Il y a plein de pépites dans ce texte. "Etre traqué par des cadeau", c'est fort bien vu aussi, en trois mots, ce désespoir de nos contemporains négieux de décembre qui encombrent les écrans autant qu'ils s'en encombrent. Ce marchié de Léonl est taché (c'est du marchillon crypté) , vous avez raison, je pense tout comme vous et tout comme le petit bouc.
Vu l'autre jour là-haut trois idiotes essayant de photographier deux vraies vaches avec leurs portables (je dis ça pour pas qu'on confonde vraies et fausses vaches, hein), et dans les yeux des vaches en train de déguster de la paille, cet étonnement indifférent et si juste pour l'idiotie humaine...

Écrit par : solko | mardi, 21 décembre 2010

@Solko : Merci pour les pépites, c'est très gentil :) le marchillon crypté a été vasoureusement décrypté, votre commentaire est vraiment très marrant, j'ai beaucoup ri en vous lisant (vous me direz rire seul devant un écran, il n'y a pas de quoi trop se vanter, mais j'assumerai de rire seule devant un Solko surtout depuis que vous m'avez appris ce que signifiait ce mystérieux pseudonyme ou hétéronyme (?)) je les ai vu vos trois idiotes, ou d'autres qu'importe ! le moule est identique, je n'étais pas très fière de moi sur ce coup là à me retrouver là dedans, à suivre bêtement le peautrou pour voir deux véchas brouter de la paille, me surprendre au milieu dans le peautrou comme un chien-chien sous l'espèce de picheauta pour contempler trois pots de miel et 20g de pain d'épice à 70 euros le gramme (j'exagère mais bon, on n'est pas des... Hein ! quand même ! :) je me suis aperçue que comme tout le monde je m'approchais bêtement des véchas, on y mettrait des fermiers ou des fermières en train de manger des croutons avec des bouts de lards qu'on serait béats de la même façon, tant est grand notre besoin d'évasion, d'osextime et tant nous sommes récrébédés fraposi (et moi aussi j'y cours,récrédébrée je ne me situe pas au dessus du monde dans lequel je vis) notre besoin d'authenticité, ça devient presque un symptôme et puis là bas, vous avez vu il y a sous les bâches des vraies fausses auberges où les gens peuvent manger des bonnes grosses platées de vrai faux rata à l'ancienne tout marron bien gras avec du bon vrai faux fromage qui pue la vraie chaussette en vraie laine de mouton à deux pas des odeurs de dreme des véchas et on vous sert de la soupe comme à la guerre ! avec du pain noir trempé dedans à la louche dans de grosses fausses gamelles en grès façon rustique, vous voyez finalement à tout prendre je préfère les néons du flunch de Limonest les carrés de poissons panés servi avec leur sauce barbecue dans des assiettes en plexy avec du coca light dans les gobelets à la limite je trouve ça plus franc, que tout ce cirque qui nous refile de la vraie fausse authenticité venue de la terre de nos régions, vous voyez c'est le mc Do qui est authentique aujourd'hui pas la vécha dans la paille quand toute le businaisse de l'ésavoin est apparu dans le monde vermeilleux du divertissement on pouvait encore échapper, il suffisait de s'orienter plutôt vers les sanchons de Rabraba ou celles de Karen Sheryll= (ceci n'est pas en charmillon :), ça restait assez simple de faire son choix il y avait la ville ou la campagne, les vécha ou les ovitrues, Rabrabras ou Karen Sheryll tout était bien clair dans la tête de nuso les trécins de la retre, mais la daube est ogresse elle en exige, et le problème c'est que depuis, la dreme a investi le domaine"qualité". J'arrête là, parce que, non seulement je ne sais plus où me mettre, mais je ne sais plus du tout où j'en suis mais avec un peu de bonne volonté on arrivera bien à faire benno grifue, n'est ce pas ? (Pauvres de nous les bars à joie :)

Écrit par : Frasby | mercredi, 22 décembre 2010

C'est toujours aussi bon de venir lire par chez vous Frasby ! j'ai beaucoup aimé aussi les amoureux sur le pont des (gros) soupirs avec tous ces titres en anglais dessinant mine de rien une love story... à bientôt, avec plaisir !

Écrit par : Marlene | mardi, 21 décembre 2010

@Marlene :Quelle bonne surprise de vous trouver ici ! merci , je peux en dire autant pour votre site, très riche en texte ("Rafistoler" me plaît beaucoup, entre autres ... Et j'aime votre chaise de la friche) et plus, il y a tant à lire !
"Les amoureux sur les ponts", ça me fait plaisir que vous aimiez, c'était une expérience marrante qui a pas mal dérouté les lecteurs, ici, j'essaie tout :) enfin tant pis, on fait des tentatives, n'est ce pas ? je vous souhaite le meilleur pour cette fin d'année avec de la belle love story (why not ?) et j'espère à bientôt, le plaisir de vous retrouver, ici ou là :)

Écrit par : Frasby | mercredi, 22 décembre 2010

" ... on rentrait chez nous fatigués... "

Oui, fatigués. Les yeux pleins de larmes de n'avoir vu que "l'immontrable".
Quel monde, alors, pour le regard, pour regarder vraiment s'entend, pas s'écorcher les prunelles ?
Que reste-t-il d'encore visible ici-bas ?

Écrit par : Jean | mercredi, 22 décembre 2010

@Jean : Je pourrais vous renvoyer au dernier très beau billet de Solko, "fabricants d'entropie" il y a en chaque ligne à voir comme de drôles d'images, mais tristes, hélas ! J'aurais tendance à penser que toute cette profusion, (du visible) ne laisse qu'une béance, on me conteste cette réflexion, quand je dis que le tout visible montre justement à l'infini, pour cacher ce qui manque on me dit que tout ce visible est la seule richesse, et en fait je ne sais pas, je m'applique juste à ne pas trop croire sur parole tout ce qu'on me dit :)

Écrit par : Frasby | mercredi, 22 décembre 2010

Ah Jeanne Mouton comme je la vois !!! quelle atmosphère Frasby !! ça n'a rien a voir, mais qu'est devenu notre cher Christophe B?

Écrit par : catherine L | vendredi, 24 décembre 2010

@catherine L : La Jeanne Mouton fait partie d'une cosmogonie particulière. La galaxie Lacroix-Pinturault- je vous expliquerai, un jour, là j'ai les mains un peu glacées par les neiges de Lyon.
Notre cher Christophe B. a quitté les mondes virtuels, il est allé faire un petit tour du côté de la "vivraie", je n'en sais pas plus que ce qu'il nous en a dit. Il avait été odieusement censuré, puis il avait reconstruit un blog comme on aime et finalement il l'a explosé (une mise à mort annoncée à la date D et heure H. pour notre plus grand regret) mais on osait on pourrait lui envoyer un petit mail pour jour de l'an. Christophe, si vous lisez on pense à vous (là y'a 2 filles mais je suis sûre qu'ailleurs aussi- boys and girl- ) c'est vrai que personnellement je regrette beaucoup de ne plus lire ces billets forts en thèmes, courageux (il a payé cher) et parfois d'une inspiration rimbaldienne.

Écrit par : Frasby | vendredi, 24 décembre 2010

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