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dimanche, 10 janvier 2010

L'air du temps et les métamorphoses

"L'organisation terrestre est ainsi construite que l'Atmosphère est la souveraine de toutes choses et que le savant peut dire d'elle ce que le théologien disait de Dieu lui-même : en elle nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Condition suprême des existences terrestres, elle ne constitue pas seulement la force virtuelle de la Terre, mais elle en est encore la parure et le parfum. Comme une caresse éternelle enveloppant notre planète voyageuse dans une affection inaltérable, elle porte doucement la Terre dans les champs glacés du ciel, la réchauffant avec une sollicitude incessante, charmant son voyage solitaire par les doux sourires de la lumière et par les fantaisies des météores"

CAMILLE FLAMMARION (1842-1925) : "L'atmosphère : météorologie populaire". Edition Hachette 1888.

blanc.JPG

Il était difficile d'avoir quelques nouvelles, les phrases arrivaient dans le désordre sur cette moire dont les cristaux nous lacèraient le sang. Quelques uns se sentaient enfermés dans la neige. Les infos se colportaient par coupons aberrants : "Météo France a levé toute sa vigilance [...] (orange, qu'elle est la vigilance !) mais la neige ne s'arrêtera pas de tomber pour autant" (!). Un journaliste sorti des grandes écoles, annonçait pour Grenoble, vingt centimètres de neige un évènement (dixit) "sans précédent" (depuis 2005 !!!). Cette brouillasse d'information humaine fit le tour de la terre presque instantanément. On aurait dit que tout l'hiver, sa couleur et son blanc, venaient aux spectateurs gobés tout crus par les nouvelles, en cette "exceptionnelle saison sans précédent". Chacun encadra les pépites pour en rire jusqu'au printemps. Les vieux d'ici scrutant le ciel, racontaient que "les vrais ploucs finalement étaient ceux de la ville". Et l'on se régalait, empalant la carotte sur la bouille du bonhomme de neige. On se délectait aussi du vieux sens paysan tandis que le Bébert hilare sous sa casquette, rattrapait son basset par le haut des oreilles : "il se sauve tout le temps c'tu foutu tsin ! il l'en veut après La Youquette". Alerté par les aboiements, le maître de La Youkette, sortait de sa cour en remontant sa culotte de velours. Et du chemin, sa grosse gueule violette qui bougeait toujours en parlant de gauche à droite, de droite à gauche hélait le Bébert et regardait La Youkette slalomer entre les barrières puis retomber sur ses pattes avant : "Ah ben vindiou ! toutes ces bestioles, c'est bien plus agile que les gens !". Il récitait par coeur une liste d'accidents lus dans la Renaissance d'hier. Puis tout s'assombrissait en causant de "la Marivette" dont le fils aîné était mourant. Le visage soudain renfrogné du Bébert, énumérait les endroits de tous les accidents qu'il y avait eu depuis la venue des neiges, à la sortie de la route express, et au virage de l'étang de "La prâle", sur la route de La Caillette. Le maître de La Youquette enchaînait : "Tant qu'y aura pas eu un car scolaire et des enfants morts dans l'étang...". Le Bébert écoutait, contemplant ses grandes bottes caca d'oie en caoutchouc collé au blanc, tandis que le basset, (avec ses pattes qui remuaient l'air) me regardait d'un air émouvant. Le Bébert dit que cet après-midi il mettrait dans les arbres des boules de graisse pour les pinsons, que demain il y aurait du brouillard à pas sortir de la maison, que le Philippe Seguin était mort, que la Marthe était dans le coma. Qu'il y avait encore eu un malheur, un grand malheur chez les Cantat". Il attendit en soupirant, la sentence de son gros voisin qui ralluma son bout de Boyard avec une sixaine d'allumettes et lança après avoir longtemps eu l'air de soupeser les évènements : "Ah ben ma foi que voulez vous c'est ben comme on dit à Vendenesse :

"Brouillards en janvier, mortalité de toutes parts"

Et malgré l'antidate au domaine, les lendemains tous pareils, (c'était mis dans le journal comme ça) = "tous fidèles à eux même, des lendemains sans précédents", se suivirent et se ressemblèrent. Des hommes aimés, des excellents se firent la malle. Et les sanglots du rude hiver fûrent absorbés atmosphériquement, tandis que le maître de la Youkette tournait les pages d'un minuscule carnet qu'il avait toujours dans la poche où se trouvaient le nom des Saints, les commissions, et les dictons pour les récoltes.

"Un mois de janvier sans gelée
N'amène jamais une bonne année."

"Si la Saint-Antoine (1) a la barbe blanche,
Il y aura beaucoup de pommes de terre."

"Garde-toi Du printemps de Janvier."

Ces adages comme des marelles se parcouraient à cloche-pieds. "Tu lances le palet, tu le pousses avec le pied, 1, 2, 3 ... jusqu'à 8 et tu sors !". Si le palet se trouve sur un trait, il faut tout arrêter.

PAYS 1.JPG

Plus loin des employés de la municipalité marchaient un peu à travers champs avec des cabas à carreaux ils s'en allaient jusqu'au hameau dit de "L'enfer" apporter du ravitaillement. Le Bébert parla de la Mado qu'en bavait trop avec son homme, faut dire que le Jeannot il trainait le soir à la Caillette avec des gars qui l'embringuaient, à jouer et à boire des canons. C'était lui qu'arrosait les gars. La Mado ça faisait des années qu'elle tirait le diable par la queue et trimait comme une sacrifiée pour pas que la ferme périclite. Quand l'Jeannot il rentrait, raviné au Clapion on l'entendait brailler jusqu'aux cabanes des pépinières, y'en a même qui disaient qu'il tapait la Mado. "Elle est brave c'tu Mado, et le Jeannot  il la mène" répondait le maître de la Youkette "Ben moi, ma feûne si je lui en foutais sur la gueule, ça se passerait pas comme ça ! et pis  c'est pas au mari à faire des choses pareilles! une feûne moi je dit que ça se respecte Vindieu !". Le Bébert tripota le pompon de sa casquette. La neige recommençait à tomber, bien drue. Les deux hommes se regardèrent longtemps, un vrai face à face de western dans un silence très velouté ponctué de "ma foi". Ils passèrent encore en souvenir tous les mois de l'année dernière, la première douceur de Janvier "qu'on ne connaîtrait ma foi pas c't'année" et les mois rassemblés faisaient encore un almanach : Plus de 300 préceptes pour la vie ordinaire et des dictons pour chaque saison :

"Regarde comme sont menées
Depuis Noël douze journées
Car, en suivant ces douzes jours
Les douze mois feront leur cours."

Les deux hommes se saluèrent et promirent de se revoir comme ils l'avaient prévu, au banquet pour la St Vincent. Les chasseurs de la giboulette, introniseraient leur président dans la petite salle du comité des fêtes, les vieux feraient cuire le sanglier, les biches, les perdrix, les faisans. La Youkette; le basset grelottaient dans la neige. Il était temps de rentrer. Le maître de la Youkette se retourna et lança l'épilogue qui résonnait dans la grande terre : "salut Bébert, et pis ma foi ! revoyure à la St Vincent ! y z'y ont annoncé que normalement après le 20 ça sera le redoux !" Le Bébert agita sa casquette, cria tout au milieu du champ une de ces phrases de bonne patience qui réenchanta le hameau. Dans cette tonalité parfaite, de moelleuses météores nous effacaient lentement. Tous fondus dans le paysage, nous retrouvions le paradis, juste là où il avait été crée. Cette fine allégeance mollissait en nos corps, biffait le cours des volontés, nous errions comme des plantes lourdes dans ce pays perdu. Le basset, La Youkette courant devant, truffaient quelques flocons. Sur le bout de la langue, quelques bribes savantes, déroulaient des oracles. Une vieille boule de cristal roulait sur les saisons. Il en était jeté de toutes les décisions qu'il nous restait à prendre...

"Saint-Vincent (2) clair et beau,
Plus de vin que d'eau." .

(1) = 17 Janvier - (2) = 22 Janvier

Photo : Neige au hameau et sur le chemin de "La grande terre". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

Commentaires

C'est vraiment un billet qu'on entend: les voix, les aboiements, dans le "velouté de la neige", et les voix intérieures aussi," les sanglots du rude hiver", ceux "qui se sont fait la malle".
J'ai très bien écouté et j'ai très bien regardé (oh la deuxième image, si belle).
Je m'attarde un peu pour dire cela Frasby: votre voix est si singulière,unique, pourquoi ne pas la livrer seule, sans la protection de celle des autres, Camille Flammarion ici, oh c'est un avis juste personnel mais voilà: c'est comme s'il fallait toujours un peu pousser vos(toujours magnifiques certes!) gardes du corps pour vous lire, franchir cette barrière...Bref je vous fais un aveu: je vous lis toujours en premier, je "saute" les citations en exergue (quitte à les lire ensuite).Pour moi la citation en gras au début est un contrepoint à vos billets, mais c'est ce que vous écrivez vous qui m'importe.
Hum, voilà le genre de commentaire dont on se dit en l'écrivant que s'il tombe dans le trou noir d'internet au moment où on clique sur "envoyer" c'est peut-être pas grave, parce que de quoi on se mêle là, et on risque de ne pas avoir été claire etc, et dont on se dit en même temps: zut s'il disparait, parce que j'essayais de dire quelque chose de vrai, enfin bon, hop, je vous embrasse, bonne journée!

Écrit par : Sophie | samedi, 16 janvier 2010

Quelques proverbes supposés ardennais :
- "En janvier, c'est la neige qui te lave les pieds".
- "Au théâtre de l'hiver, la bise bisse les flocons tourbillonnants."
- "St-Médard protège tous les tireurs de pétards !"
- "Une gelée vaut mieux que deux tu l'auras..."
- "Inutile de se fier à une girouette pendant un hiversatile."

Écrit par : JEA | samedi, 16 janvier 2010

@Sophie : Ces notes, (toujours dans la musique), vos notes personnelles, très riches, ces échos et vos impressions me reviennent ici à vol d'oiseau, avec bienveillance. J'aime votre oreille fine, et la critique même subjective, est encore une précieuse attention, qui aide à construire la cabane (je n'ose dire, le domaine ;-)) Sincèrement (je ne l'aurais jamais su, mais entre nous, il aurait été bien dommage que votre commentaire tombe dans le grand trou noir des internettes) parce que j'en lis, j'en écoute toutes les notes polyphoniques elles me plaisent particulièrement.Les gardes du corps (bien sûr ! très vrai) (ou Camille le cerbère ? :-O!) je les paye assez cher. Ils sont là depuis l'origine et sans eux aucune porte ni fenêtre n'aurait pu s'ouvrir avec autant de plaisir - pour moi- (les verrous étaient rudes et je n'ai aucune force dans les bras) c'est pour ça ! (rires) vous avez bien vu que l'exposition à la hussarde comme ça, au tout venant, ne m'est guère naturelle, ( et pis vous savez bien, vous même, que la naplète a plus d'un oeil !) Souvent je me demande, "mais on est qui ? exactement ? pour se permettre l'outrecuidance de publier ? le grand méchant doute ! pour franchir la barrière (moi même) j'ai posé des gardes du corps (mais pas seulement pour cette raison, (pardonnez moi, c'est un peu long), je ne vous garantis pas, pour l'heure le licenciement des cerbères mais peut être, vous avez raison, il serait bien, de les mettre un peu souvent en vacance. Les gardes du corps à l'origine (1ere raison) vous y étiez, je crois ? ont très longtemps tiré les ficelles de C.J, il n'y avait, si je me souviens bien, que des gardes du corps au dessus des images. La coutume est restée. Cela dit, sur la route en ces jours pas si certains j'aurais toujours besoin de conseils, et de découvrir comment un lecteur (trice)(auditeur) perçoit, vu que sont toujours les autres qui affinent nos trajets, (il me semble).Je trouve donc en vous une bonne adresse et conseillère, + une façon d'écouter les textes qui pourrait apporter un autres grain aux pages. Et puis imposer des textes, brute de brut comme ça, ça fait blog d'écrivain. Je serais à l'étroit dans cette étiquette. Ca permet au lecteur de choisir. Ou de sauter le "Contrepoint" =très juste ! ou de sauter sur le texte à pieds joints (:-O !) =Ce n'est pas ce que je souhaite, mais je préfère que ça reste possible. Je n'ai pas su faire court, (sorry) mais vous m'avez accordé un joli temps d'écoute attentive et un regard critique très interessant, on appelle ça "du grain à moudre". Je vous en remercie infiniment.

Écrit par : Frasby | samedi, 16 janvier 2010

@JEA : Y'aurait-ti pas par hasard un intrus qui se serait gentiment glissé dans ces précieux proverbes ? (hum, hum ?) par exemple un proverbe, un intrumistère ma-Jeassien ?
Vous pouvez prendre votre Joker
il est dans la glacière (uh ! uh!)

Personnellement j'aime beaucoup la neige qui nous lave les pieds en janvier...
Surtout lorsque l'hiversatile verse le broc !

ps : Dites moi en parlant de pied, votre dernier billet, il serait pas un petit peu trop somptueux par hasard ? ;-))
Est ce que je peux semer des mercis à tous vents, ils remonteront bien le courant jusqu'à votre seuil ardennais en suivant les petites lumières de votre verbe luisant....

PS: D'ailleurs ce n'est pas pour me faire mousser (bain d'hiver sans savonnette) mais parce votre art un petit peu trop somptueux, mérite détours et délices, s'il faut passer par ce billet pour découvrir toutes vos belles mo(t) saïques, je veux bien faire à la fois agence de pub ;-O!
et syndicat d'initiative... Desfois qu'y en ait qui passeraient là, sans vous connaître → http://motsaiques.blogspot.com/

Écrit par : Frasby | samedi, 16 janvier 2010

je m'insurge !
lisant cette alliance de mots : "Cette bouillasse d'information"
Je trouve que c'est injurieux pour la bouillasse ! la bouillasse elle est ce qu'elle est , honnêtement , sans détour , carrément, avec même une certaine bonhommie , suffit de mettre des bottes et c'est okay
quant à "l'information" c'est une toute autre histoire , et sale !
et y a pas de bottes à mettre pour éviter qu'elle vous emmerdouvaille des pieds à la tête cette saloperie là !

Écrit par : hozan kebo | dimanche, 17 janvier 2010

je ne sais pas si ce sont les brumes mais autour de moi il y a eu beaucoup d'égarés en janvier, où sont ils donc ? j'attends février avec impatience ...

Écrit par : catherine L | dimanche, 17 janvier 2010

@Hozan Kebo : Je vous réponds, chouïa dans la bataille, la bouillasse est dans ma maison elle est en train de tout y massacrer. (Diable !)
Pour l'instant j'en ai jusqu'aux genoux... j'essaie de sauver le rotinateur, c'est pas gagné !d'ailleurs je vais être obligée de faire amende honorable car vous avez raison, j'ai commis une sottise que je ne me pardonnerai JAMAIS ! en plus la bouillasse exige sa tribune, son droit de réponse, mais là je suis pas bien présentable, honteuse et dans un bas débit (moins classe que le résille) et je crains que tout cela n'arrive que demain. Si la bouillasse ne me mange pas ! Dame serpillière impuissante à régler tout ça

Écrit par : Frasby | dimanche, 17 janvier 2010

@Catherine L : Janvier mois d'égarés, en effet...
Je n'ai pas la réponse pour la destination des égarés.
Car sous mes yeux, beaucoup de plâtre...
Un bémol cependant, que Février se hâte lentement, car comme dit le maître à la Youkette : "c'est toujours ça qu'on gardera d'jeunesse"...
A suivre au fil du mois...

Écrit par : Frasby | dimanche, 17 janvier 2010

@Hozan Kebo : Que diriez vous du mot "BRouillasse" ?

N'est ce pas encore trop injurieux ?
Je me demande si ça ne va pas faire encore de la peine au brouillard ?
Qu'en pensez vous ?
(Vous voyez, je fais bien tout c'que je peux ;-)

Écrit par : Frasby | lundi, 18 janvier 2010

mais , "ça brouillasse" se dit déjà ! pour un temps comme on a eu ce matin "brouillard si pissou & grisou qu'on n'y voit goutte"
(et y aurait fallu une saprée serpillère pour nettoyer tout ça : d'ailleurs le Grand Kelkun doit en avoir une parce que cet après midi "il a fait grand beau" )

Écrit par : hozan kebo | lundi, 18 janvier 2010

@Hozan Kebo : Mais oui ! je sais bien bien que ça se dit déjà ! mais la bRouillasse comme c'est plus pissou-crassou que la bouillasse, je vous faisais la proposition de modifier un peu la phrase ni vu ni connu, pour pas salir trop la bouillasse et vu que la brouillasse c'est sagouin comme tout, eh ben ça contenterait tout le monde... Et pis ça changerait pas trop le rythme de la phrase... Bon, de toute façon, pas question de laisser la bouillasse dans la calomnie , je vais modifier et si ça vous déplaît yorakaraler !!! yep !
Dites, moi, comme vous avez l'air d'accointance avec le grand kinkin, vous pourriez pas lui dire de venir passer la serpillière chez moi ? vous serez bien mignon, je compte sur vous ! Hozan ;-) en échange je vous ferai, mega grosse pub gratos pour le POD 4 !!! (Il est toujours pas sorti ? le POD4 ? ;)) !

Écrit par : Frasby | mardi, 19 janvier 2010

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