lundi, 27 septembre 2010
September (part I)
Me voilà entré tout vermoulu dans la zone de noirceur, embroché comme le tournant hémisphère, avec toujours ce sourire idiot qu'un exil de fraîcheur imprime en zézayant sur la face fondante.
TRISTAN TZARA (1896-1963)
Pour lire la suite qui est tout à la fois début de la fin et la fin du début, suivez l'homme
Tu marches à côté d'une route, qui s'allonge à mesure que tu l'imagines. Tu auras un peu honte d'abandonner Madame. Tu laisseras un mot sur la table du salon: "Je suis allé faire un tour du côté du petit train, je reviens". Tu regarderas ta maison disparaître comme un pétard dans l'horizon dont les éclats colleront des petites ailes en carton sous tes semelles, tu auras honte de ne pas avoir prévenu Evelyne, et d'avoir promis à Martine, tout autant qu'à Ghislaine, que tu serais prêt à tout quitter pour elles, si on te laissait faire... Quelqu'un te ramassera ivre mort sous une tôle à mille lieues d'une gare, alors que tu tentes d'apprendre par coeur un poème, Tu as des écouteurs sur les oreilles. Tu écoute "Caravan". Tu espérais qu'ici personne ne pourrait jamais te retrouver. Tu voudrais qu'on se fasse à l'idée que tu disparaisses alors que tu ne t'y accoutumes pas toi même, tu feras tout pour te faire remarquer.
Ici c'est presque la même chose, au delà de l'extrême rigueur que je me suis imposée avant celle de l'hiver il y aura le brouhaha des foules et des tas de papiers comme des avis de releveurs de compteurs avec des carrés à cocher, des lettres menaçantes pour la note d'électricité, complètement oubliée dans les enluminures de Cluny cet été, des mains de fer dans des chaussures de velours, l'omnipotence du corps médical qui met son doigt dans tout ce qui bouge, le roi de la rolex au secours de la retraite, et des gosses somptueux à moitié dévêtus, des colonies de poussins dévertébrés dans le satin qui s'embrasseront la nuit, au secret des folles skins party, un supplément de glam, de dandysme et d'extase, il s'en trouvera bien un de ma génération qui dénoncera le mal, oubliant qu'il voulait rester jeune avant tout. Il y aura le beau dégoût, le m'enfoutisme général, le bon droit, le bon sens, les effets de montre, les corps métrométrès, des sciatiques, des lumbagos fournis par la valeur-travail, l'ombre du général, et le particulier tout petit qui se fait raboter les peaux mortes à l'institut de beauté, le cerveau, le formol, les bocaux de fruits pas frais du Franprix de la rue Anatole. Et puis il y a l'automne qui prend la couleur de mes cheveux. L'écureuil aux yeux bleus est venu ce matin fouiller dans mes papiers, envoyé pour l'enquête d'une femme à moitié folle, l'écureuil qui grignote les lettres compromettantes où l'amour me surprit au point de l'oxymore, où la tendre violence vouée à l'espèce rare se couche à mes côtés sans oser aborder au point G le point d'orgue, dévorant lentement mon âme livrée au vent mauvais de la bonne chanson, par la tranche d'un livre ouvert sur la transformation des digues imperturbables en virées surhumaines, comme si l'on découvrait un jour le poème de Rimbaud privé de ses voyelles collées aux éphélides, (ou bronzage en passeoire) de ces roux maléfiques. Par la rousseur des roux et de la flambloyance, je me grise et m'élance au coeur de la saison sur un lit de feuilles mortes. L'écureuil aux yeux verts, en habits "Carabas" roule sur quelques noix, l'abyssin élégant de mon voisin chinois s'ébat entre deux branches avec une siamoise, le lexo, le formol... Ulysse voyage chez Tennyson, un poème papillon rejoint les migrateurs, un oiseau de malheur glisse dans mon sac à dos, toute chose vire à l'orange et les feux passent au rouge.
Tu es assis hagard, devant ta table de cuisine. Tu bois du vin de Bohème. Tu regardes ta femmes couper le gruyère en lamelles, tu regardes glisser les lamelles sur un plat en gratin. Tu regardes fondre ta femme, puis Ghislaine et Martine dans ta maison pleine des trous du gruyère qui fondent aussi sur ton jardin. Sur ce champ desséché, tu gémis, tu te plains, tu as oublié de téléphoner à Evelyne. Les feuilles de tes arbres préférés tombent un peu plus chaque jour. C'est la fin de l'été. Tu voudrais échapper aux limites communes de l'existence. Tu voudrais tant, tu voudrais plus ... Et tu vis dans les cotillons. Tout ici te retient, dans les cotillons de l'écriture, et dans les cotillons du monde, tu réessayes, en vain. Apprendre par coeur ce poème de Pennequin ce serait mieux que rien.
Il n’y a rien de pire que les choses qui nous tiennent à cœur
C’est comme si on nous amarrait
C’est comme si le corps était notre amarre
Mais qu’on ne pouvait plus se barrer
On ne peut plus que couler dedans « nous »
Pourtant on voudrait bien se barrer, nous
On voudrait bien foutre le camp, nous
Et rejoindre l’autre.
Mais il y a que tout t'en empêche, et que tout ici te retient : ton canapé en cuir, ton couvre-lit à motifs "Arlequin" que t'a tricoté Ghislaine pour que tu n'aies pas froid l'hiver et surtout que tu penses à elle, le soir, quand tu te couches. Tu tiens à ta commode Louis XV, Louis XVI, Louis XVII, à ton salon de jardin, à ces petites babioles cabossées qui te suivent, ces cadeaux de mariages, ces maquettes de trains, ta collection de canards en bois, à ces assiettes en porcelaine où sont illustrées à la main quelques fables de La Fontaine, tu tiens à ton fauteuil Voltaire à ta lampe Diderot, à ton pot de Werther, à ton épluche-Villon, à ton petit poignard que tu tripotes sans cesse qui déforme le jersey de ton pantalon blanc, à ta sorbetière serbe, à ta cravate à pois, à ta rampe d'escalier, à ton sirop d'orgeat, tu tiens à ton Smecta, à ta pipette d'Haldol, et à ton entonnoir, ta compote.Tu tiens à tout oui, oui. Tu tiens à tout, tout, tout. Et même tu te retiens, car si tout ça ne tenait qu'à toi, tu l'as dit à Nicole une copine de Ghislaine, que si tout ça n'était qu'à toi, tu casserais tout, tout, tout et puis tu t'en irais très loin au bout du monde, et plus personne ici n'entendrait parler de toi. Mais voilà, on te tient, tu ne peux pas partir, tu veux, tu ne peux pas. C'est comme ça, tant pis, c'est tout, c'est un point délicat dont tu ne parles pas. Tu y penses tous les jours et tu tiens et tu bous. Tout est là. Rien ne manque, tu es bien installé, tout se tient, à l'endroit, même cet attirail que t'a offert Evelyne pour mettre la pâtée au chameau, l'attirail il va là, à côté de l'escabeau, et ton blazer pied de poule va dans l'armoire à glace, la laisse du kangourou pendue près du bateau, chaque chose à sa place, une place pour chaque chose, à cause de toute cette merde, tu ne peux pas partir au bout du monde, tu l'as dit à Yvonne une copine de Martine, et tes tables gigognes héritées de la tante Berthe se rangent dans le salon à gauche près du bahut. Ces objets de valeur te tiennent et te retiennent et tu vides les poubelles tout dans les cotillons de ta lampe hallogène, de ton écran macro, tu ne tiens plus, tu tiens tout, tu tiens le bout du rouleau. Il y a même des choses auxquelles tu tiens plus qu'à tout.Tout comme à la prunelle de tes yeux un peu morts, tu tiens au grand chêne rouge quand il pleut dans le jardin, au ruisseau magnifique qui coule entre tes mains, à l'affection du chat, et au chant du serin qui chante soir et matin, au milieu de toute cette merde, tout comme à la prunelle...
Photos : Le réel et son double, vus, rue de la République à Lyon un lundi de Septembre à midi. ©Frb 2010.
21:54 Publié dans A tribute to, Actualité, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Ah oui c'est exactement ça Frasby, c'est ce que je disais il y a à peu près dix jours : rien ne tient, mais tenir!
Écrit par : Sophie | jeudi, 07 octobre 2010
@Sophie : Oui ! exact !"Rien ne tient, mais tenir"
C'est tout à fait ça, ça tient en une phrase (il y a des jours ça tient mieux d'autres :)
Nous sommes en équilibre...C'est assez admirable, vous ne trouvez pas ? le billet aurait pu s'appelait "Tenir"s'il n'avait pas été en 3 parties.
Je suis désolée pour tous ces liens monstrueux, les prochains textes, je penserai à vous j'allégerai, merci de votre visite
et tenez bon ! (on les aura! ;))
Écrit par : frasby | jeudi, 07 octobre 2010
Trés étouffante atmosphère que la démultiplication des liens ne fait qu'augmenter et puis au bout, une trouée de lumière, une respiration. On reste parce qu'on est incapable de partir et on trouve - le plus souvent - l'excuse d'un autre pour se dédouaner. De toute façon, partir ce n'est jamais que déplacer le problème.
Écrit par : Frédérique M | jeudi, 07 octobre 2010
@Frédérique M : Merci de votre visite et de ce commentaire très riche (en thèmes :) Il y aurait matière en vous lisant à développer encore bien au delà, en tout cas vous percevez tout à fait mes intentions. L'étouffante atmosphère a été souhaitée tant dans la forme que dans le fond, il fallait vraiment que les liens deviennent pesants, encombrants comme parfois dans la vie. L'excuse d'un autre pour se dédouaner, ah oui, c'est très juste, mais "partir ce n'est que déplacer le problème"=, je n'arrive pas à adhérer complètement à l'idée, et c'est très personnel je n'arrive pas à isoler un être de ses affinités aux lieux, comme si nous étions "faits" d'une certaine géographie
il y a dans l'acte de partir l'idée d'un mouvement, qui sur certaines personne fonctionne comme une dynamique, puissante, en se déplaçant, en déplaçant le problème, ils peuvent se donner les moyens sinon de le résoudre, mais de le regarder autrement sous une autre lumière qui apportera quelquefois une résolution (+ ou - évidemment tout dépend la nature et la gravité du problème) enfin, cela peut être un révélateur permettant de modifier du tout au tout une destinée (tout dépend aussi et surtout de l'intention du départ de chacun, de "sa façon" de cheminer, mais je ne suis pas sûre de tout cela, je ne peux absolument pas contester votre phrase juste emettre quelque nuance, incertaine... Je me dis parfois que la question qui nous vient à l'esprit le plus souvent est de savoir qui on est ? Mais qu'on se pose moins directement celle de savoir où on est ? il peut paraitre étrange que la solution soit en dehors de nous et pas en nous, et pourtant cela ne parait pas un déni ni une façon absurde... Disons une autre piste (?) ......... :)
Écrit par : Frasby | jeudi, 07 octobre 2010
Texte magnifique, et vraiment, chère Frasby à la pensée si juste et si vaste.
Merci.
Écrit par : Sophie K. | vendredi, 08 octobre 2010
@Sophie K : Merci Sophika :) Si ce texte vous plaît j'en suis ra-vie ! (chaque fois que je vais chez vous c'est avec grande intimidation, et depuis que vous avez changé la tapisserie c'est "La Grande Intimidation Totale". Vous savez que vous êtes citée dans September II ? (ô gloire! :)
Écrit par : frasby | vendredi, 08 octobre 2010
Ben non, hahahaha ! C'est quoi, September II (je ne suis au courant de RIEN, c'est affreux)...
Moi, je suis intimidée quand je viens chez vous, voyez-vous... Cessons, donc, hop ! :0)))
Écrit par : Sophie K. | vendredi, 08 octobre 2010
Ayé, compris, September II, la suite du I que je viens de lire !!! (Mouhahahahaha (je suis très fatiguée, mille excuses !)(je n'avais pas repéré le I)(rhô...)
Écrit par : Sophie K. | vendredi, 08 octobre 2010
@Sophie k : Vous pas reperé ? C'est normal je vous cite "september II" comme s'il s'agissait de la "Divine comédie"
ou de la bible (:-O!) voire "Terminator II ! alors que ce n'est que "September II" tout simplement ni plus ni moins, pour vous szrvir`
sercir, servir, pardon (décidément, quand ça va mal, ça va mal :))
Écrit par : frasby | vendredi, 08 octobre 2010
(Je suis très honorée, donc...)
Écrit par : Sophie K. | vendredi, 08 octobre 2010
@Sophie k : Emois donc ! ^
Écrit par : frasby | vendredi, 08 octobre 2010
C'est peut-être parce que tout se tient que nous ne pouvons qu'y tenir. Et qu'une fois là - avons-nous le choix d'être réellement ailleurs ?! non, évidemment non ! - nous vient l'idée que nous devrions inventer quelque chose qui serait "dedans là", mais à côté, juste à quelques pas, de manière à y accéder dès que la nécessité s'en ferait sentir. Que peut-on faire d'autre sinon inventer un autre monde, dans celui-ci, qui nous permette d'y respirer largement quand l'étouffement général d'ici devient trop insupportable ? Oui mais alors pourquoi ce monde-là où nous respirons mieux se tient-il dans celui-ci qui nous en empêche ?
Ne serait-ce qu'une histoire de degré de conscience ?
Écrit par : Jean | dimanche, 10 octobre 2010
@Jean : Chaque fois qu'il me semble toucher le fond du désespoir je commence à vous lire, ou bien est ce le hasard, qui peut être fait que vous arrivez à ce moment là ? Alors les choses se tiendraient encore par quelque hasard ? pour amener un peu de lumière entre les mots des questions éclairantes ou éclaireuses. Mille et une questions qui commenceraient toutes par peut être que ... ? :) A votre première question je dirai bien : oui, un peu, quand même, oui A la dernière question je serai devant un gouffre en train de contempler des oiseaux qui voleraient à l'envers au fond de l'océan et je rêverai d'apprendre à m'envoler dans la mer, un truc du genre oui mais comment ? Tous les efforts que je ferai en ce sens me conduiraient chez des maîtres nageurs capables de m'enseigner toutes les nages du monde toutes sauf celles précisément que je désire apprendre, alors je me dirai comme le renard le fait dans la fable avec les raisins trop verts, qu'après tout cela est impossible, le rivage est trop loin ,le gouffre est trop profond ou la falaise trop haute et peut être tout cet impossible serait très excitant dans le fait que l'imagination pourrait en étendre à l'infini toutes les possibiltés, jusqu'à par le pouvoir imaginaire, un peu contagieux , qui sait ? ces mondes soient rendus possibles mais peut être ce monde à l'échappée une fois rendu possible et applicable dans la vie réelle deviendrait il aussi dénué d'originalité aussi monophonique que l'autre ? Après il y aurait les degrés de conscience qui feraient que dans une rue piétonne commerciale on pourrait remarquer un tout petit nombre d'individus , même pas une poignée, reconnaissable à leur allure quelque peu déplacée bien que faisant semblant d'être à leur place, et peut être les remarquerait-on à cette manière qu'ils de ne pas tout à fait adhérer au tapis de sol qui leur donnerait peut être cet air un peu étranger, un peu absent enfin bref qu'on pourrait appeler un air euh... "vaguement d'âmes en peine" ? :-)
Écrit par : frasby | dimanche, 10 octobre 2010
@Jean bis : Désolée . C'est plein de fautes... Je vais corriger. Ca va fait désordre. Mais surtout je ne voulais pas laisser 13 messages. Allez savoir pourquoi ? On ne pourra tout expliquer aujourd'hui je crois ! :))
Merci de votre visite. C'est riche et beau comme j'aime.
Vous avez bien compris sans doute que lorsque je parviens à rentrer chez vous, et y poser un mot (un mot tous les deux mois) c'est comme une sorte de miracle (maudits soient les cerbères !) bisque rage :) ! ça non plus je suppose que ça ne s'explique pas...
Écrit par : frasby | dimanche, 10 octobre 2010
Après il y aurait les degrés de conscience qui feraient que dans une rue piétonne commerciale on pourrait remarquer un tout petit nombre d'individus ,
Écrit par : tiffany & co | lundi, 18 octobre 2010
tiffany § co : Oui bien sûr de l'ordre de l'apparence cela est toujours possible :-)
Écrit par : frasby | lundi, 18 octobre 2010
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