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vendredi, 08 juillet 2011

Harlequin pyromane

fleur bleueF1051.JPGUne cascade de roses parfumées et des rosiers grimpants, des lierres, des lianes enchevêtrées des roses et des rosiers grimpants. L'époux ne cesse de faire livrer ces pompons, ces roses parfumées, et parfois ces generosa dont on ne sait plus que faire.

- Je vous préviens Madame, que par les sécheresses de la haie il y aura des pucerons sur la fourche-bêche. 

- C'est le pire, ça devait arriver, si le professeur s'en aperçoit, il pourrait vous chasser...

- Madame, ressentez vous cela ? Ces absences qui vont en douleurs, je connais vos secrets, nous avons le même coeur.

Madame de Genlis porte un châle qui couvre ses épaules. Quand les pucerons se mêleront aux fleurs du professeur, il ne pourra pas l'endurer. Ces roses, non vraiment, ça l'écoeure.

- Vous auriez tort, Madame, de refuser mes agréments, ils égayeront votre existence, j'ai presque peur en vérité...

(Il se tait. Trop parler serait déjà perdre. Et surtout pas de sentiment ! durcir le ton, suivre son plan).

Madame de Genlis n'a plus un denier, elle dépense sans compter. Ca a commencé, au mois de Mai, avec la pyrale du fourrage, le jardinier achetait les pyrales.

- Ce n'est pas raisonnable, Madame, tout cet argent, pour saccager, vous qui devez partout.

Madame de Genlis ôte le châle, le pose sur un valet, elle sait qu'une épaule dénudée a son charme. (Petit calcul invitant l'oeil juste à l'endroit, assez discret).

- Enfin Léon ! Je vous demande d'oeuvrer à mon contentement, pas d'être ma conscience ! accepteriez vous que je vous accorde l'agrément tout de suite ou dans une petite heure ? Vous connaissez l'état de ma trésorerie...

- Votre trésorerie ...

- Allons vite, répondez, je vous prie ! Si je dois supporter votre main dans mes robes vous permettre ce que vous savez, c'est un peu humiliant pour une femme de mon rang, mais puisqu'il faut toujours payer de sa personne...

(Hautaine et insolente. Voilà, qui était parfait).

- Humiliant ? Vos émois sont au dessus des rangs. Pour une pyrale, Madame, il faudra, je le crains, vous humilier beaucoup, vous n'ignorez sans doute pas, quelle force morale il faut à un homme de mon tempérament pour garder un secret, vous payerez à la fois, celui qui soigne vos pyrales et l'homme de main qui veille sur votre trésorerie.

(Il n'osa dire "trésor").

- N'oubliez pas, qu'en plus de cet endettement, vous me devez encore quelques Vespa Crabro, Monsieur le professeur et si peu votre époux, ne serait pas très content d'apprendre de quelle façon vous jetez son argent par les fenêtres, lui qui raconte partout qu'il travaille dur pour vous. Comprendrait-il quels démons vous possèdent à vouloir ainsi saccager ce qu'il aime plus que tout ? Savez vous combien d'heures il s'épuise chaque jour à arranger ses fleurs ?...  (songeur) ...  Si joliment ! ... Et cela pour l'amour de vous !

Le silence est lourd du parfum des fleurs et de ces écoeurants pompons du professeur qui dépassent des fenêtres envahissent les balcons, la véranda, bientôt on ne verra plus les cheneaux. Lourd silence de la vérité qui vient en elle, l'amenuise, (il voit tout), et l'éclaire (il devine). Madame de Genlis est si pâle, il la regarde tourner près du valet, un bout du châle entre ses doigts, une pelote de laine, sur un chat, il s'amusera, (elle est à bout).

- Remettons les Vespa Crabro, à la fin de la semaine, je vous prie d'indulgence. Je vous paierai le triple, s'il le faut.

Il n'en n'est pas question ! il lui tend un papier comme la première fois où Madame de Genlis avait dû dégrafer trois boutons de sa robe, pour payer les pucerons qui amenaient le phylloxera, elle s'en souvient c'était ici et comme les pucerons, encore la première fois, elle tremble. Elle pâlit plus encore découvrant le contrat.

- Je ne peux pas, c'est affreux ! pas ce prix là !  mon Dieu ! c'est monstrueux ! Léon vous êtes un monstre !

Il s'approche, il respire le parfum de cette poudre, et cette nuque... Il défait sans un mot, le lacet, la robe en croisillons, jamais tout, rien de trop, tend une plume, met sa main sur la main de Madame de Genlis, puis doucement, vient guider l'écriture.

iris.JPG

"Je soussignée... (Impératif)  -  Vous écrirez la suite  !",

Madame de Genlis souffre d'une grande culpabilité, mais elle se sent aussi heureuse d'éprouver enfin, après tant d'années quelque chose qui ressemble à de l'exaltation, elle se raisonne :

"Ma foi ! mieux vaut souffrir que rien"

Sous le voile de sa robe, l'odonate s'allonge avec ses gros yeux joints à nourrir d'une faim que jamais rien ne comble. Il y a de la liberté sous les huis, une prison qui s'effondre et le bon Dieu au dessus prend des notes pour la suite. Il y a ce vieux hibou. Le vieux qui dépérit peu à peu pour l'amour de celle qui pleure la nuit dans toute la solitude, soupire dans la cretonne, et déteste ces fleurs, les mêmes jusqu'à la mort. Il y a au dessus d'elle ces têtes rondes sculptées, des chérubins qui biberonnent les rosaces (encore roses !) du plafond de la chambre à coucher. Madame de Genlis et Monsieur ne se rejoignent plus que pour montrer au monde à quel point ils forment à tous les deux, un ensemble harmonieux, couple charmant, parmi ceux de leur genre. Là, ce chapeau pendu sur un pied de sanglier, ici, la coupe en cristal Baccarat, à laquelle on tient plus qu'à tout, là bas, la volière, le mainate, et la phrase du matin :

 - Avez vous bien dormi, ma chérie ?

Celle de l'après midi

- Préférez vous prendre le thé dans le petit salon ou sur la balancelle au jardin, mon ami ?

Et puis l'autre qui venait avec ses grosses bottes, ses grandes mains carrées, l'autre qui venait pour le trésor, accélerant les goûts capiteux de Madame de Genlis, sa fantasmagorie. Elle est à présent traversée d'idées folles, une furie passe le mal, une vierge le rechasse, il revient, il embrase l'esprit, trace une pente en dos d'âne. Madame se sait un peu gourmande, quand il arrive avec les bêtes volantes, Léon lit dans les yeux de Madame, l'éclat doré des saintes qui s'exaltent et qui luttent. Il sait encore, pertinemment que souffrir la fait revivre un peu .

- Vous daterez et vous signerez ici ! (suave) prenez bien votre, temps, Madame, je ne voudrais pas trop avoir l'air de vous forcer la main...

C'est pareil, comme la première fois, tout ce qu'elle n'a pas vu arrive. C'est écrit noir sur blanc, c'était peut être écrit avant, sans qu'un contrat n'y glisse cette impression dangereuse, le goût de l'interdit qui va sans retenir. Le jardinier, la main sur la main de Madame, touche la plume à quelques centimètres et l'autre main s'en va rebrasser tous les chants et les feuilles des vignes de Monsieur ravagées du philloxera. Un gros nez respire la peau blanche inspirée des coffrets, l'heureux talc du vieux monde cette ivraie et ces lis d'une langueur à chavirer...

- Oh ! Léon ! ce n'est pas du jeu, vous trichez, que faites vous, grands Dieux, c'est un supplice !

Impunément, il triche. La main sur la main, et l'autre main qui trousse, c'est plaisant de voir Madame de Genlis batailler avec sa conscience, et la voilà craintive. Ses dieux ont si bon dos. Impunément il fait sauter les boutons de la robe, un puis deux, il faudra bien qu'elle signe. Il chuchote:

- Thrips ! Nématodes ! Botrytis ! Fusariose !

Madame de Genlis recommence à souffrir un petit peu, il accélère le jeu, la faiblesse aux penchants et prononçant ces mots, juste à l'endroit, assez discret :

- Hypsopygia costalis ! ...

Fait tomber la poutre maitresse. Madame de Genlis frappée d'amnésie vient défaire seule le quatrième bouton, le papillon aux couleurs des tentures du bureau de monsieur, apparaît, juste dans ce pli exactement, elle suit le pyrale qui respire, vingt trois millimètres, enrobé de formol d'une bête plus laide qu'un pou mais dont le froissement de l'aile à peine, lui permet d'oser tout.

La plume crisse. Elle a signé. C'est venu plus fort qu'elle. Le jardinier range le contrat dans une enveloppe qu'il attache par le caoutchouc de sa bretelle.

Il regarde par la transparence du rideau, le professeur, "Monsieur", l'époux, épris, méticuleux, arranger un bouquet de roses pompons, l'idiot, avec ses pauvres cornes et ses fines binocles, monsieur baissant les yeux sur sa montre à gousset 6H00 si impatient déjà, de rejoindre Madame, elle qui depuis des semaines souffre d'un mal mystérieux.

Léon contemple les allées, les massifs, le petit château d'eau et les blanches cariatides supportant un bassin surelevé où l'eau du Mont Gerbier coule sans s'arrêter, un corridor mouillé : "il y aura de quoi faire".

Il songe à la trésorerie de Madame, au domaine de Genlis, à ces larves, ces pyrales qui pondent déjà dans les placards, de la cave au grenier, à la confiance aveugle de Monsieur qu'il vénère qui est si généreux avec le personnel, puis soulevant la mantille aperçoit un verger, fruité de gueule, paré d'une Cigaline, juste à l'endroit, assez discret.

Dans un instant, il aura tout.

DSCF1039.JPG

 

      

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Nota : En cliquant dans les fleurs, ouvrez les chapitres de cette histoire et découvrez vos romans de l'été.

Musique : "Blue Gardenia" par Nat King Cole

Photos : Iris nommé "Prince Indigo". Fleur bleue sophistiquée, alanguie dans les herbes folles photographiée au début de l'été, près d'une allée bordant la grande roseraie, au Parc de la Tête d'Or à Lyon.

 

© Frb 2011.

Commentaires

bonjour Frasby je viens d'apprendre sur rue 89 que votre"crieur" vous a abandonné les lyonnais? et le personnage de Fred Vargas de pars vite et reviens tard c'est lui ?
éclairez moi chère Frasby évidemment rien à voir avec Madame de Genlis et les" vespa crabro "j'ai adoré !!

Écrit par : catherine L | lundi, 11 juillet 2011

@salut à vous ô Catherine L : Comme d'hab' je tombe de la lune, pour le crieur je ne savais pas, du coup je suis allée lire rue 89, ("héros ordinaire", je lis) Il était pas trop ordinaire héros oui, par nos temps de nouille ambiante il était bon d'avoir un crieur sur sa place ; ses arguments (d'abandon) sont assez "purs" ( respect) c'est vrai qu'il est devenu presque folklorique que le lyonnais (et le touriste) aillent visiter "son" crieur, même s'il faisait grincer certaines dents, le public semblait très friand, et gentil,le crieur n'a sans doute pas envie de devenir cette caricature (du rebel ambulant) qu'on faisait déjà de lui, et puis Lyon vous savez, c'est une ville de clinquant, un grand vide derrière une façade même avec des mairies de gauche, (caviar) tout est voué à l'échec dans cette ville du point de vue du "grinçant", alors quand le sens se perd, c'est peut être mieux de s'en aller, le crieur il a tenu longtemps, la Croix Rousse ne ressemble plus à un lieu pour crier grand chose, le bel esprit s'est un petit peu perdu... La dernière fois que j'ai vu le crieur j'ai eu vaguement cette impression; peut être je me trompe (?) le bonhomme en tout cas reste très attachant peut être qu'il fera d'autres trucs. Fred Vargas ? euh ben c'est que ma foi, je n'ai jamais lu Vargas :O! (shame on mi ! :) pardon, c'est un peu long, rien à voir mais euh...Pour les vespa crabro :) merci !
Vous m'êtes d'un grand réconfort, certains jours...
(c'est encore rien de le dire hum .. ;-)

Écrit par : frasby | lundi, 11 juillet 2011

et j'oubliais "dans les yeux de Madame, l'éclat doré des saintes qui s'exaltent et qui luttent"!!superbe!!!

Écrit par : catherine L | lundi, 11 juillet 2011

@Catherine L : Merci encore, pour l'éclat des saintes.
Je vais aller voir sans tarder St Marguerite-Marie Alacoque (et pas à la coque hein !), elle est tripante, je vous en reparlerai :)

Écrit par : frasby | lundi, 11 juillet 2011

Votre 45 tours de 'mood indigo' craquote. Lui aussi a dû subir l'attaque des pyrales. Notez que ça ne me dérange pas. Ce qui me dérange, ce sont les 'Vespa Crabro'. C'est affreux, je n'aurais jamais dû cliquer sur le lien et c'est à peine si j'ai pû regarder les photos. Les sales bestioles ! S'il fallait choisir entre un essaim de 'Vespa Crabro' ou un troupeau de mygales, je choisirai de me jeter du haut de la falaise (et pourtant j'ai le vertige). Ce n'est donc pas moi qui irait regarder sous le jupon de Madame de Genlis (tant pis pour son 'verger fruité de gueule paré d'une Cigaline').

Écrit par : Fernand Chocapic | mardi, 12 juillet 2011

@Fernand Chocapic : Vous n'aimez pas quand ça craquote, je sens, oui en plus c'est la deuxième fois que je vous fais le coup j'abuse, promis je ferai attention : ) mais je voulais une version chantée, et la plus belle qui ne craque pas celle de Mingus elle chante pas, ensuite il y avait d'autres versions un peu trop nasales et celle de Sinatra un peu trop pantoufle à mon goût, et comme j'adore Tommy Dorsey voili voilà, c'est vrai qu'on a dû dégager un gros nid de pyrales avant de trouver ce disque, bloguer c'est pas de la rigolade ;-) bon, je suis bien contente au fond que vous ne soyez pas attiré par les vespa crabro, le contraire serait un peu angoissant, sachez que je ne m'y projette nullement, mais j'imaginais que certaines personnes blasées, trop choyées pouvaient s'ennuyer dans la beauté, avaient besoin de répulsion, et d'un peu de saleté pour se sentir en vie, j'étais partie d'une broderie à propos de ces serviteurs "qui se cherchent un maître sur qui régner", mais j'avais envie in fine de détourner le sujet, il est incohérent ne vous inquiétez pas Fernand, ces univers sont loin de ceux que nous aimons, cela dit je salue votre courage, vous qui m'avez dit ne pas lire les longs billets, en plus un billet infesté de pyrales ! alors moi, sincèrement je vous tire mon"chapeau" ! (il faudra que je m'achète un chapeau :)

Écrit par : frasby | mercredi, 13 juillet 2011

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