samedi, 31 janvier 2009
Après le déluge...
"Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise, un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes, et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent, et l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, - dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante, les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images. Une porte claqua - et, sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Madame *** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, - et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
- Sourds, étang, - Ecume, roule sur le pont et passe par-dessus les bois ; - draps noirs et orgues, éclairs et tonnerre, - montez et roulez ; - Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, - oh, les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! - c'est un ennui ! et la Reine Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons."
ARTHUR RIMBAUD : Extr: "Après le déluge" in "Les illuminations" ( ou 54 poèmes composés entre 1873 et 1876)
Le titre du recueil "Illuminations" fait allusion au sens vieilli du mot "illumination" à prendre ici dans le sens d'enluminures... "Après le déluge" est une fable sur le thème de la révolte. sa morale - ou plutôt son appel est telle une injonction glissée entre les lignes : "Révoltons nous" encore et toujours. Et même si le succès est improbable, cet éveil est de mise, tant que nous n'aurons pas découvert le secret douloureux qui nous empêche d'être heureux. "Après le déluge" est une fable qui repose sur trois histoires enchevêtrées :
1 -L'histoire du Déluge c'est à dire l'Histoire universelle, l'Histoire de la civilisation depuis ses origines telles que la racontent les mythes. Après que la colère de Dieu contre les Hommes eût entraîné la destruction quasi totale de l'ancien monde, la vie recommença comme avant : Superstition, travail, commerce, violence, mystifications artistiques et religieuses, amours mensongères...
2 - l'histoire de la Commune, c'est à dire pour RIMBAUD, l'histoire immédiate, les stéréotypes à valeur allégorique, utilisés par le poète évoquent THIERS, bourreau de la Commune, les grands travaux Haussmanniens, les expéditions coloniales de la III eme république, les affaires qui reprennent, le tourisme de luxe qui refleurit, les débats des milieux littéraires, et les divisions consécutives au "déluge révolutionnaire"...
3- L'histoire personnelle de RIMBAUD, sous une forme stylisée et quelque peu mythique, façonnée de texte en texte : enfance, départ, vagabondage, réinvention de l'Amour, révolte...
Ces trois histoires sont toutes trois des histoires de ruptures entre l'ancien et le nouveau.
Photos: pierres figées au bord du lac gelé et puis lac en dégel avec, au loin vue sur le parc et les fermes du château en terres brionnaises. Décembre 2008.© Frb.
22:15 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Merci. Et puis il neige partout maintenant, les lacs et les rivières gèlent et pourtant les glaciers fondent en Antarctique, en Arctique. La Terre nous fait peur. Pourtant c'est aussi avec la joie au cœur que j'observe avec Rimbaud l'Arche perdue qui avance au gré des vagues et du vent dans le déluge. Car :
« Un coupe de jeunesse, s'isole sur l'arche
- Est-ce une ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?
Et chante et se poste. »
Mouvement, Les illuminations.
Écrit par : Marc | mardi, 03 février 2009
@Marc : Je suis toujours émerveillée par votre façon d'emettre quelques résonances douces à mes billets... Les glaciers fondent en antarctique et le lac brionnais brionnais qui ne gèle presque jamais est cette hiver comme une patinoire rêvée aux abords d'un château ... allez comprendre !
L'arche perdu avance au gré des vagues, j'aime beaucoup cette image et ce son entre les guillemets du "mouvement" de RIMBAUD... Encore merci ...
Écrit par : frasby | mardi, 03 février 2009
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