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samedi, 12 mars 2011

Insubmersibles ?

Le premier grand cataclysme s'abattit sur la région d'Osaka à 5 heures 11, le 30 Avril. A 8 heures 03, la chaîne de montagnes Togakure explosa. Les regards du monde entier étaient fixés sur "la mort du dragon". Des dizaines d'avions appartenant à des télévisions de toutes les nationalités volaient au-dessus de l'archipel du Japon qui crachait du feu et des flammes.

 KOMATSU SAKYO : extr. "La submersion du Japon" (traduit par Masumi Shibata 1973) éditions Philippe Picquier, (coll. Picquier poche n° 128), janvier 2000.

Japan.JPGA propos du tremblement de terre du 11 Mars 2011 et du tsunami qui s'en suivit allant impitoyablement ravager les côtes de la région de Sendaï au Japon et meurtrir la population, je n'ai pu m'empêcher de songer au roman d'anticipation (très célèbre), datant de 1973, qui fît grand bruit à sa sortie et reçut même un prix. Le livre s'intitule (sans équivoque) "La submersion du Japon" il est signé Komatsu Sakyo. On ne sera guère surpris que le titre coïncide avec un drame récent, le Japon étant constamment menacé de séïsmes, l'histoire du pays si parsemée de catastrophes que même les enfants dès leur plus jeune âge sont éduqués à adopter certains comportements, face l'éventualité d'un désastre. Toute la culture japonaise est par ailleurs imprégnée de cette peur ancestrale de l'engloutissement. "La submersion du Japon" met en scène un Japon secoué par une recrudescence de tremblements de terre. Les températures deviennent anormales :

"Il avait fait si froid à la saison des pluies qu’on se serait cru en mars mais, aussitôt après, une chaleur intense apparut soudain et, ces jours derniers, on avait invariablement plus de 35°C. Des gens tombaient malades à Tokyo et à Osaka, et même certains succombaient. A cette chaleur extraordinaire s’ajoutait l’habituelle pénurie d’eau jamais résolue [...]"

Les volcans se réveillent, des fissures apparaissent au coeur des bâtiments, les secousses vont de plus en violemment accentuer la destruction. Pour ce qui est du récit même, nous suivrons au fil de ces pages, une équipe de scientifiques (géophysiciens), qui découvrent que certains îlots peu peuplés (ou pas du tout) ont complètement disparus, et pour cause ! ils ont été submergés. Les scientifiques enquêtent, plongent dans les fonds marins, et reviennent avec la conclusion, que le Japon sera englouti à très court terme. Alors que les derniers chercheurs étudient les probabilités d'une telle catastrophe, le gouvernement tente de sauver ce qui peut l'être encore. Ce scénario, déjà à l'époque, s'appuyait sur de nombreuses études scientifiques, les personnages y sont peu décrits, on ne s'attachera pas à leur psychologie, nulle intrigue spéciale ne tiendra le lecteur en haleine, aucun voyeurisme ne s'épanchera dans ce roman assez froid qui décrit des tractations entre politiciens et scientifiques, des manoeuvres secrètes, les doutes, les incrédulités, les prévisions pour évacuer la population, préserver la mémoire d'un peuple, sauver le patrimoine, l'évocation de toutes les négociations pour obtenir des territoires en Australie etc... Si le récit semble un peu traîner en longueurs, il abordait déjà des questions fort intéressantes.

- Qu'adviendrait-il si demain, le Japon (ou un autre pays) disparaissait ?

- Que deviendraient les habitants ?

- Comment procéder à l'évacuation de cent vingt millions de japonais ?

- Où les accueillerait-on ?

- Comment préserver la mémoire d'une culture si un pays se trouvait brutalement rayé de la carte et son peuple dispersé à travers le monde ?

"En dehors de cet archipel et de sa nature, de ces montagnes, de ces rivières, de ces forêts, de ces herbes... Les Japonais n'existent pas. Ils sont unis à eux. Ils ne font qu'un seul corps avec tout cela. Si cette nature délicate et les îles sont détruites et disparaissent, les Japonais n'existent plus [...]"

Les questions sont multiples et on s'apercevra qu'il n'y a pas de réponses préconçues qui tiennent, mais ce qui marque plus encore le roman, c'est "l'esprit japonais", avec le spectre omniprésent de l'engloutissement, mais aussi l'absence de figure héroïque, de sauveur se distinguant des autres par son courage (genre cow boy à l'américaine), au profit d'une action collective anonyme, l'absence de happy end, une organisation implacable. Là encore, on n'évitera pas quelque analogie avec le séïsme de 2011, devant le spectacle d'un chaos permanent, les images cataclysmiques incessantes qui pétrifient d'horreur le monde entier, le peuple japonais reste d'une dignité, qui force l'admiration, pas de pillage, pas de panique... Mais la "Submersion du Japon" n'est qu'un livre d'anticipation, qui n'a rien de si visionnaire, il possède son double sens abordant le thème du naufrage mais aussi celui du déclin du Japon, il faut le reconsidérer dans son époque, l'ouvrage a été rédigé durant la guerre froide au moment où le Japon (3ème puissance mondiale) cherchait à s'affirmer vis à vis des autres puissances. La métaphore semble assez évidente.

Dans ce récit, on ne trouvera aucun mystère : le Japon va couler. Il n'y aura aucune alternative à ce constat, (cf. le titre anglais "Japan sinks", voir également le film adapté du roman :"Nihon Chinbotsu", réalisé par Shinji Higuchi, entre autres, le best seller ayant été adapté plusieurs fois, tant au cinéma qu'en manga). On ne pourra s'empêcher de relier dans un tout autre style, le film "The day after tomorrow" de Roland Emmerich où des images s'ajusteront encore d'une façon invraisemblable à celle d'une réalité qui dépasse aujourd'hui autant la science que la fiction. Le critique (occidental) glané dans un quelconque magazine, des années 80's,  évoquant le roman de Komatsu Sakyo avait-il réellement saisi ce qu'une simple phrase (somme toute "vendeuse" et très banale) pourrait contenir d'effroi quelques années plus tard, lorsqu'il écrivait à l'époque aux lecteurs amateurs de récits de science fiction à propos de la "submersion du Japon" (je cite) : "Un best-seller pour ce livre d'anticipation" qui pourrait devenir réalité"...

 

 

Photo : Nuages de Mars. Sommes nous insubmersibles ? Question.

© Frb 2011.

Commentaires

Insubmersibles ?
Nous sommes nombreux à être solubles dans nos nostalgies...

Écrit par : JEA | jeudi, 17 mars 2011

@JEA: "La nostalgie est une structure du temps humain qui fait songer au solstice dans le ciel". Pascal Quignard
(Dernier Royaume, Abîmes)

http://www.youtube.com/watch?v=RXYhLF2z_NM

Écrit par : frasby | jeudi, 17 mars 2011

L'imminence de la mort n'est pas seulement une obsession personnelle, c'est une manière de se rendre à la nécessité de ce qui se donne à penser, à savoir qu'il n'y a pas de présence sans trace et pas de trace sans disparition, donc sans mort. Alors qu'au Japon les piétons sont une espèce en voie de disparition, les automobilistes se mettent à acheter des bateaux afin de pouvoir sauver les nageurs. Il suffit d'envisager un seul instant la possibilité de sa disparition pour retrouver immédiatement le sens de la dignité humaine.

Écrit par : Iron Ikunst | jeudi, 17 mars 2011

@Iron Ikunst : Merci pour votre réflexion qui ouvre à des questions. Omettre de songer à l'imminence de la mort, ferait sans doute de nous des animaux, des plantes ou des êtres entravés, peut être des idiots ? (mais pourquoi pas la dignité de l'idiot ? ) je ne développe pas nous serions hors sujet.
"Pas de présence sans trace. Oui, c'est vrai...
que penser des disparitions sans trace... ?
Je ne suis pas certaine que songer à l'éventualité de sa disparition soit la condition absolue de la dignité humaine, je n'ai aucune compétence à développer des arguments en ce sens ou en un autre, car il y aura des zones de flous, des subjectivités qui échapperont d'où l'importance de votre adverbe "immédiatement", dans l'ensemble je m'accorde à votre réflexion, au petit bémol près que l'idée ou le terme même de "dignité humaine" varie sans doute selon les êtres. Sommes nous totalement maîtres ? Sachant que la "dignité humaine" nous mettra face à deux questions, celle du rapport de l'homme à son environnement, (corps social) et celle du rapport de l'homme à son propre corps...

Écrit par : frasby | jeudi, 17 mars 2011

Et les menaces sur ce blog ? Insubmersible...

Écrit par : JEA | vendredi, 18 mars 2011

@JEA : Insubmersible... non, je ne crois pas. C'est gentil à vous, je vous remercie de poser la question.
Bon signe sans doute (?) les menaces ne s'affichent plus depuis peu, je pense que ça devrait aller à présent, quoique je ne sais rien j'imagine que le truc est géré par des automates.
Ca donne matière à réflexion. (Un blog n'est rien, "un de coulé dix de retrouvés" (? :) Ca m'a permis de me lancer dans la fabrication de petit sous marins (en papier crêpon) je n'aurai plus qu'à les glisser dans une bouteille pour qu'ils ne coulent pas. Et comme ça je serai parée ! (ah mais ! ... Je suis maline ! :)

Écrit par : frasby | vendredi, 18 mars 2011

la prévention existe pour parer aux folies des hommes et déjà là on voit que tout le monde s'en fout! c'est comme aujourd'hui le débat sur le nucléaires. Qui en france est prêt à se passer de son confort (transport, lumière, chauffage...) ? même pour les éoliennes, c'est comme pour les déchets, on les veut bien mais pas chez moi (on est tous pareil sinon on serait retourné vivre dans les étables comme nos grands parents)
Tout arrive, ça arrivera un jour que le japon soit englouti (quand?) et nos pays aussi ainsi que le soleil dans cinq milliards d'années au mieux mais ça nous laisse du temps. Les japonais dans la majorité vont encore s'en sortir...du moins les plus riches et les plus égoistes comme le Pdg de Renault qui perçoit un salaire annuel de dingue sur le compte des salariés!

Écrit par : alex | vendredi, 18 mars 2011

Alex : Oui, bien sûr, je partage ta réflexion il y a toujours des responsabilités, toujours une anticipation possible
je pense que ceux qui ont fait le choix du nucléaire au détriment des populations ne peuvent pas aujourd'hui se laver les mains et se dégager de cette sale histoire, en disant "c'est pas moi, ce sont les autres", question (cf lien)
http://www.rue89.com/2011/03/17/pourquoi-construire-des-centrales-nucleaires-sur-des-zones-aussi-sismiques-195593
le problème c'est qu'aujourd'hui on ne sait pas qui décide, les nébuleuses politiques économiques sont ramifiées si intriquées, les pressions de part et d'autres nous les ignorons (nous= les petits gens), on ne connait même pas les figures des décideurs, disons on en connaît quelques unes tout cela est assez fantômatique, le cataclysme est fantômatique aussi, bouclant une boucle inspirant l'effroi... Pour l'histoire de confort, je suis d'accord avec toi, est ce qu'après avoir bénéficié de tout un luxe confortable excessif on accepterait de réduire notre consommation ? On peut se passer de certaines choses, je crois, on peut réduire à l'essentiel notre mode de vie sans vivre pour autant dans une étable, plein de petits détails de réduction à un niveau individuel pourraient vraiment changer les choses, je parle d'un état d'esprit avant tout, évidemment, mais je n'ai de leçon de moralisme à donner à personne, (mon mode de vie qui ne sait pas militer, a fait ce choix du nécessaire contre la profusion me permet de le dire sans trop me contredire, je crois même si comme tout le monde je suis dans l'obligation de consommer d'utiliser l'électricité, hélas au coeur d'un paradoxe qui minimise ma capacité de contester), c'est très compliqué d'être en accord soi même avec tout ce que l'on conteste, quoique l'on critique, on le critiquera au coeur d'un paradoxe, pourtant la contestation, l'alternative sont absolument et plus que jamais nécessaires. pour les déchets, vertige.... il y a une quantité de déchets radioactifs dans le monde de 250 000 tonnes. En France, 1 150 tonnes de combustibles irradiés sont déchargées chaque année des 58 réacteurs d’EDF, dont 850 tonnes sont retraitées à l'usine de La Hague. C'est une parenthèse (qu'est ce que ça nous dira ? ). De même surinformés, qui pourrait spontanément répondre et nous donner la différence qu'il y a entre la contamination radioactive et l'irradiation ? Sachant que la contamination peut se propager dans la chaîne alimentaire et ne fera pas de nous des irradiés (mais peut être des malades ?)...Les centrales nucléaires et certains sites industriels sont considérées comme une source potentielle de contamination, on le sait depuis des lustres comme tu dis tout arrivera, je ne vais pas faire de catastrophisme en plus de la catastrophe, l'humain est dépassé, comme si devant trop de menaces ici et là, il devait par moment se boucher le nez et les yeux pour ne pas être asphyxié par tout ce qui ne le respecte plus, je ne dis pas qu'il faut renoncer, mais si on devait vivre en y songeant à chaque seconde ce serait intenable, il est clair qu'une catastrophe nous oblige à nous réveiller, pourquoi attendre qu'une catastrophe arrive ? j'espère que cela activera positivement le niveau de conscience de nos décideurs. Quant au patron de Renault, alors là...(je me tais ? je me tais.) Merci à toi, pour le bon grain, lu et approuvé :)

Écrit par : frasby | vendredi, 18 mars 2011

L'autre soir évoquant, terrifiée, l'allure démagogique que semble prendre la politique et la politique culturelle...avec ces visions à court terme...et ses réponses savamment édulcorées de toute vision anticipatrice... je me demandais si il n'existait pas, de par le monde des écrivains, de ces visionnaires dont la démarche est d'inventer autre chose, de projetter leur vision afin de raisonner autrement ...une sorte de Jules Vernes ou d'Orwell ou de Bradury ou je ne sais pas car je ne connais pas...C'est en lisant votre texte et son histoire anticipée que tout cela m'est revenu...

Écrit par : laurence | samedi, 19 mars 2011

@Laurence : Merci à vous, oui, la politique démagogique fait assez froid dans le dos merci à vous de le souligner et de citer les noms, fort à propos de G. Orwell, Jules Verne R.Bradbury qui sont trois incontournables "voyants" ou visionnaires". On aura toujours un frisson en relisant "1984" d'Orwell roman lié aussi à l' histoire (1948) du totalitarisme, état réellement policier, dans le monde à cette époque (et à la notre ? mais chuut !)un universel valant pour toutes les époques. Je pense aussi à Stanislas Lem, (dans un contexte différent)... Le Japon de par sa situation géographique est hanté artistiquement par l'anticipation , je ne saurais pas vous énumérer de mémoire la liste des oeuvres qui traitent du thème de l'engloutissement, par les eaux et le sable également, difficile de connaître tout y compris les oeuvres de romanciers pas forcément liés au domaine de la science fiction, rien quelques titres d'Abé Kôbô (1924-1993) pour exemple (au hasard presque, comme ça), paraîtront assez troublants: "La femme des sables", "la ville au milieu des eaux", "l'arche de Noë"... "La femme des sables" est un roman très intéressant puisqu'il s'agit encore du thème de l'homme prisonnier des éléments et cherchant à survivre, à s'échapper ... Cette culture de la survie et de la préservation de l'identité est incroyablement puissante dans certaines oeuvres japonaises chez un auteur tel que Kôbô, (ne pas confondre avec Kebo, qu'on aime beaucoup ici) il y a comme une sorte de croisements de thèmes mais quand la réalité rejoint la fiction, la lecture de ces récits en sera encore plus troublante.

Écrit par : frasby | samedi, 19 mars 2011

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