mercredi, 11 novembre 2009
Approximations
les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées
partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent
sans raison un peu secs un peu durs sévères
pain nourriture plus de pain qui accompagne
la chanson savoureuse sur la gamme de la langue
les couleurs déposent leur poids et pensent
et pensent ou crient et restent et se nourrissent
de fruits légers comme la fumée planent
qui pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous [...]
TRISTAN TZARA (1896-1963): Extr: "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.
Les cloches sonnent sans raison. Nous ingérons mollement un peu de tout et son contraire. Tony troque son rêve d'enfant pour un nécessaire à prison. TZARA croise Tony, une seconde à peine. Les deux ont sans doute pleuré longtemps sur la route, une valise à la main. Le temps d'arracher à la camionnette sa béance pour quelques biftons. De broyer les rouages du monde, d'en extraire l'acier, de renverser la dette de la renvoyer muette, à son acte de contrition. Peu importe si l'histoire est fausse. La rumeur est lancée. Elle deviendra légende. L'anti banque frôlera l'anti-art. Les fulgurances sont éternelles, c'est à peu près tout ce qu'on en sait.
Ailleurs, Tristan trie les coupures, des papiers durs, des papiers doux. Il pose sur sa tête, un entonnoir volé au brigadier Hugo, chef des fanfares au cabaret. Des fantômes glissent à l'embouchure. On en fera des tire-bouchons, un entonnoir, plus strident qu'une trompette, plus sourd que la corne de chasse. Au fond des bois, l'auteur deviendra étranger, sciant la branche qui le porta. Soufflant à nous ensucrer les muqueuses dans un pipeau en chocolat.
Une fable poursuit le poète, cassée par des sonorités cruelles, pas d'antidote pour l'anti tête, qui raffole des portraits sépia. La caravane abonde, un convoi mis à nu visant le Dchilolo Mgabati Bailunda. Les chiens de bonne famille aboient. TZARA parle tout seul. Il fracture les coffres aux soirées folles où l'on trempe les amuse gueules dans les petits suisses, jusqu'à l'effritement de la harpe à Dada, tout s'ébauche sans peine à Zurich, là où la guerre (14-18), (c'est décidé), n'existe pas. Tout retourne au désert, sur des sables branligotants, des oasis mis à l'envers sont balayés par le courant. On jase encore des nuits entières dans le dos de monsieur bleu bleu, tout sautera dans la bétaillère avant qu'un nouvel ordre enchaîne. La poésie mangeant les cheveux de ses ancêtres avec les doigts. Sur la stèle écrasée de lettres, Dada glisse son piège à rats. Ainsi toute une bande de pouêts, embrasés, dans la joie, posera son cul à la fenêtre pour rien. Juste comme ça.
Un feu rapide pulvérise ses proies. Un autre temps, inédit se précise par le verbe chauffé à blanc, les proies se noient, brûlant des vie de jeunes fauves aux bûchers tendrement. Quelques réjouissances éphémères sur un sourire fondu en sang, et recraché dans le Grand verre. TZARA épuisera sa pudeur à dénuder des souveraines que le royaume n'intéresse pas. Au cabaret Voltaire, le pseudo, étripe sans cesse les formules incontrôlables le fatum, l' ironie du sort. Le prénom juif de Samuel, se fera wagnérien.
Dada compose de l'art plastures de la littératique. Partout, ailleurs des hommes tombent. On pleure. On creuse. On cautérise. Dada la boucle, Dada fait mine. Des alphabets pierreux s'érigent, les paysans comptent les corps. Des filles hurlent d'horreur, aux vues de leurs fiancés, des soldats valeureux revenus de très loin, avec des gueules cassées. Pendant ce temps, Tristan coule son or en fourbis dans toutes les fissures. Par ce bel évasement s'échapperont des oxymores :
"Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements même de la société, le langage en tant qu'agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment."
L'être humain se désarticule. Au cabaret déboulent les monstres de Léonard. On fermera les portes du lieu 6 mois plus tard pour tapage nocturne et tapage moral. Mais peu importe ! un épandage planétaire aura eu lieu. Irréversiblement. A la queue des belles lettres, à leurs pleins et déliés, s'aggrippent à jamais au bout d'une ficelle, la sangsue et le staphylin guettant le verbe invertébré. Tout le décor du monde n'y pourra rien changer, ni biffer l'unité de mesure vouée aux cartons d'emballage. L'alexandrin se meurt sur des crocs de bouchers. Le parnasse survivra pour la pérennité mais de sa bouche exsangue ne sortiront que des voyelles déjà sciées sur l'établi du prophète ardennais qui avait entendu, bien avant que ne se gonflent tous ces coussins d'oiseaux, le murmure de monsieur Cri Cri en de lointaines incantations. Appliqués à toute chose, les déchets s'élaborent dans le photomontage. Kurt Schwitters à Postdam éructe l'Ursonate. Bientôt une autre guerre. Entre les deux trappes mondiales, la phonétique attaque le temps... Et enfin, "La main passe"...
"Marié aux larges masses d'insoumis, brassé dans l'universel attroupement des choses, livré aux dénicheurs de graves tourments, aux radicelles humaines figées dans le recueillement et la complicité des jaloux, tu te regardes accomplir les gestes quotidiens dans les limites serrées des souples branches. Au désir de papier buvard, tu t'opposes, tu t'agites sous le vent d'un sillage toujours en fleurs. Que je n'arrive pas à distinguer des choses les fantômes des parties qui ont aidé à leur épanchement hors de moi, cela est dû à la continuité de leur action médiatrice entre le monde et mon adolescence. Et, désormais soumis à un sentiment, morcelé et étranger, de gouffre, pouvais-je, sinon subir avec terreur leur désertique et ferrugineux appel? Tout l'espace terreux se cabrait sous les bancs de nuages. Je me suis entouré d'hivernages fragiles, de forces desséchantes. Que reste-t-il d'humain sur les glabres visages tannés par les lectures et les astreingeantes politesses des dossiers dont je me suis constitué un décor famélique? Coutumière faiblesse il sera dit un jour de révolte que les yeux qu'on a cherchés étaient vides de la joie des hommes. Et les hommes et la joie, j'ai toujours essayé de me mêler à eux, à défaut de la féroce fusion promise que l'on trouve cependant encore vivante au fond résiduel des contes, parmi les germes de froid et les portes parsemées d'enfances."
Tristan TZARA . La Main passe - 1935 -
Photo : De "l'anti-art", à "l'anti-banque", le courant passe. Les mains sont vides et les sacs toujours pleins. Tandis que TZARA reste toujours introuvable, C.J. retrouve la trace de Tony Musulin (de dos) déguisé en détective privé pourvu de faux diplômes du passeur doux vaguement notaire. Vu il y a quelques jours, avant la réddition. Et un peu plus de trois ans avant nos épousailles. Lyon, rue Gentil. Novembre 2009.© Frb
22:40 Publié dans A tribute to, Arts visuels, De visu, Le monde en marche, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
approximations : "tout est relatif et ne m'affecte guère'" réplique dans un film de claude Chabro,l j'en avais fait une phrase culte dans mon adolescence pourquoi? je me le demande encore....
Écrit par : catherine L | mercredi, 18 novembre 2009
tony…mystérieux. Cette hypothèse, qu'il planque l'argent, se rend, fait ses 2-3 ans de prison, et après la vie tranquille, est incroyable : la raison dans le braquage, la gestion à long terme du hold-up…
Il place l'argent (pour les intérêts), pendant ce temps il se place lui en détention (pour payer sa dette à la société). Les temps changent on dirait.
(et ce poème de Tzara… : je me régale)
Écrit par : ficelle | mercredi, 18 novembre 2009
Sa reddition explique le fait qu'il n'ait pris qu'un peu plus de 2 millions, le reste ayant été retrouvé grâce aux indices qu'il avait laissé derrière lui. Car un type si futé, pourquoi aurait il loué à son nom un garage alors qu'il avait surement la possibilité de le faire sous une autre identité.
5 à 6 ans de prison et il ressort avec ce qu'il faut pour ses vieux jours !!!
Écrit par : patriarch | mercredi, 18 novembre 2009
Ce n'est pas un billet (la banque aux oubliettes). Mais un big-bang littéraire !
Délires de lire.
Astrolabes désorientants.
Dunes de sable é-mouvant.
A nous les petites intempérances !
Écrit par : JEA | mercredi, 18 novembre 2009
Il est tard non ?
Parce que j'ai rien compris !! :p
Mais après tout, la raison ne doit pas, paraît-il, l'emporter sur l'émotion, sur le ressenti, alors je n'ai aucun complexe à formuler cette phrase : "j'ai beaucoup aimé !". Grave. Et je me suis bien marré, même si ma foutue raison me sussure à l'oreille que comme je n'ai rien compris, elle ne voit pas "du tout" (ce sont là ses mots propres ! "Du tout", ma raison est bien péremptoire ce soir...) ce qu'il y avait de drôle...
Avec affection, je vous salue, Madame Frasby !
Écrit par : liam | mercredi, 18 novembre 2009
Tzara oui oui oui
(image .jpg d'une dune)
(& en arrière plan - mental- Michaux mettant du chameau sur la grand place d'Honfleur)
(et une voix off se lamentant :"de quoi ? qu'apprends-je ? les cloches sonnent sans raison ?. quoi ? nulle déraison ! fuckin cloches ! et oh horreur ! (Marlon dans Apocalypse Now) toutes ces hordes de Père Noel à l'horizon ! vite vite fuyons dans nos déserts et donc :
Tzara oui oui oui
Écrit par : hozan kebo | mercredi, 18 novembre 2009
Juste en passant brièvement, une première réaction à ce poème de Tzara qui introduit le billet : au moins on n'y est pas "stranded" !
Écrit par : kl loth | jeudi, 19 novembre 2009
@Catherine L : chabrol aime les points de suspension...
Il faut croire que nous aussi ...
...
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
@Ficelle : Tony, mystérieux aux yeux bleus au visage enfantin et doux comme celui de Tzara...
Tous deux dans le pied de nez ;-)
Une hypothèse maline... Effectivement.
Quant au poème de Tzara, pas une ride ! épatant n'est ce pas ?
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
@Patriarch : C'est une hypothèse qui va dans le sens de celle de Ficelle. Les vieux jours de Tony, lavés de toute mauvaise conscience. Débarrassés de cet enfer de vivre très riche et traqué de toutes parts.
Peut on imaginer qu'il n'aurait fait cela que pour la beauté du geste ? Sans doute pas, mais le geste fût sublime, vous ne trouvez pas ?
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
@JEA : Extra, c'est un hymne ! :
"A nous les petites intempérances !"
vraiment ! j'aime beaucoup la formule. Pardon ! L'art et la formule ! (pour l'astrolabe, désorientant, nous sommes en phase ;-). un peu de casse par çi par là, (des tire-lyres ?)
(Un big bang littéraire euh... Ben non, j'crois pas qu'il ait eu lieu, sinon ça se saurait ! et vous auriez reçu sur la tête les confettis de la Grande bibliothèque d'Alexandrie (rien à voir avec les lambeaux des tout petits calepins de Frasby)
Par contre les "petites intempérances"... hummm ! oui !
A nous !!! à nous !!!
Beaucoup !!! beaucoup !!!
Merci à vous (à vous , à vous !!! ;-))
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
@Liam : Tard ? je ne sais pas (vous savez bien que l'heure qu'il est m'échappe 24 H /24). A t-on idée de me poser une question aussi tarabiscotée ? Mais c'est pas grave, (pas de blâme !)
Vous n'avez rien compris ? Mais c'est pas grave non plus ! Et si vous avez aimé, ça me va très bien, surtout si vous vous yen a vous être marré sans raison (admirable !)
(Heureusement vous ne me demandez pas d'expliquer tout ;-)
C'est toujours un peu compliqué ces histoires d'émetteurs recepteurs, alors bon... Si quelque chose arrive à passer quand même au delà de l'obscurité (les astrolabes désorientants) et malgré l'heure tardive , je trouve ça au final assez formidable. Mais vous êtes assez bon public (je vous en remercie) , je veux dire indulgent (et ce n'est pas un défaut, loin s'en faut ! ) En plus "y'avait rien de drôle !" ( murmure ma raison à moi ce sont ces mots, à votre raison à vous) que des choses tragiques, affreuses. épouvantables ! sous les mots, des images choc à faire peur. Vous auriez dû pleurer à chaudes larmes ;-)) déprimer grave. Je ne comprends pas ce qui passe, ou bien c'est la raison dit n'importe quoi. Dans ce cas là mettons là au placard.
Merci Liam, pour vos douceurs du jour (il n'est pas si tard que cela en fait !) et ce commentaire comme un très beau sourire dans ma journée qui manquait (pas de journée), de sourire ! Bien amicalement votre !
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
@Hozan Kebo : Tzara oui ! (mille fois oui!)
Bien vu ce clin d'oeil à Michaux... Vous connaissez , je n'en doute pas "Le grand secret " ("on s'étonne s'étonne !") (allez ! Hozan un peu de courage, je me déguise en père Noël et vous en apporte une louchette au jardin, je sais qu'elle vous plaira ce sera aussi un baluchon pour nos déserts à arroser d'une pluie fine de Beaujolais nouveau. Now ! (quand Brando aura le dos tourné):
"ll l'emparouille te l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse."
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
kl-loth : En espagnol on dit "desemparado"... Et en portugais
"amarrado"...
Je me permets la "no- justificachionne" ;-)
http://www.deezer.com/listen-3728936
Écrit par : Frasby | jeudi, 19 novembre 2009
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