jeudi, 26 mars 2015
Le parachute bleuté (interlude)
Il y a peut-être des lieux où l'on se trouve soudain comme dans le ciel.
ANDRE DHÔTEL extr. "Mémoires de Sébastien", les cahiers verts, éditions Grasset 1955.
Sébastien, il faut l’avoir à l’œil, car il s’empresse à faire le canard pour n’importe quels beaux yeux nous avait confié sans vergogne, le ouiketi qui cachait sous son plus beau plumage, une tête d'Or, à ce qu'on dit.
On ne mesure pas le lieu qui sépara le ciel du parachute bleuté, si on n'est pas dans le ciel, si on n'a pas coulé, (sans aucune connexion, pour l'heure ça tiendra d'un pari stupide, évidemment), aveugle et vicieux comme on est, on finirait après des années d'ignorance, et même d'indifférence (c'est écrit, dans un monde, d'amis bien renseignés, donc ça ne peut-être que vrai :), à toucher l'autre rive en arrivant coiffé, au pays où l'on n'arrive jamais. Là, avec un peu de chance, on trouverait peut-être un point d'eau pour se laver... Enfin, avec des si, et des coïncidences, "vous nous rencontrerez peut-être un jour ou deux, sur cette petite route entre le bois et le petit lac." (*).
(*) extrait des "Mémoires de Sébastien", pour la belle aventure aux grands rivages de Dhôtelland.
Lyon, le lac de la Tête d'Or, au printemps (des poètes) © Frb 2015.
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mercredi, 23 avril 2014
Nature est découverte
Et à cet instant de triomphe sur sa lâcheté et son abattement [...] on voit sur le visage de l’individu à la peau en effet bien lustrée par les crèmes de soin et les compléments nutritionnels, s’esquisser l’ombre d’un sourire, l’air de dire en super-forme : "D’ailleurs, regardez-moi, ai-je le genre d’une pauvre créature aliénée ?" ; qu’il argumente en résumé : "si être libre c’est de vivre à sa guise, et si cette société me plaît après tout comme elle est, où est le problème ?".
BAUDOIN DE BODINAT in "La vie sur terre, réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes", extrait du tome 2, éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1999.
Tout en haut de la ville. Un cube noir miroite comme un diamant solitaire. A sa base une antenne semble créer des images virtuelles ressemblant étrangement à des nuages.
C’est le pas dans le vide.
A moins d’une seconde de voyage entre le ciel et le sol, les spectateurs ont levé le yeux et contemplé le générateur de nuées durant un long quart d'heure, il n'ont rien vu mais ça leur plait.
Quelques lambeaux d'écume sur fond bleu pacifique, les spectateurs légèrement courbaturés à force de contempler en altitude, cèderont la place à d'autres qui font déjà la queue au guichet où pour 5 euros, un poète dans une guérite attaché sur deux planches récite le "bateau ivre", dans la position du naufragé, ce qui fait gagner au public une vingtaine d’étages en cumulonimbus depuis la moquette imitant à la perfection un gazon. Surpris, ils risquent un premier pas osé (mais prudent), vers l'infini.
Puis au son d'une sirène, ils s'écrasent sur la terre tout petits et sourient en se relevant comme ils peuvent, heureux de l'évasion, ils laissent place à une autre fournée de spectateurs, curieux, qui, pour deux euros de plus, se feront photographier à côté du poète naufragé.
Photo : Mon sucre le roi Merlin sur un manche à balai, générateur de clahoudes, avec l'aimable participation du Mars (musée d'art rude § sauvage) et l'aimable soutien de Guy Dubord, agitateur de poésie since 1973, et illustre PDG de la Scala de Vaise.
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samedi, 04 janvier 2014
Le paradis
L'escalier s'enfoncera-t-il toujours plus avant ? Montera-t-il toujours plus haut ?
ROBERT DESNOS : extr. "Désespoir du soleil", poème issu du recueil "Les ténèbres" (1927) publié in "Corps et biens", éditions Gallimard, 1968.
Au premier jour, on s'aperçoit que l’escalier de l’observatoire n’est plus aussi solide qu’avant, on montera prudemment chaque marche, on sentira le bois vibrer tout en déséquilibre, on pourra toutefois se tenir droit sur la dernière marche pour contempler les montagnes du Caucase.
Photo : Le paradis peut-être, à se dire qu'on pourrait partir de plus haut...
Là bas : © Frb 2013
vendredi, 20 septembre 2013
Prélude à l'effeuillement
L'air par cet après-midi d'automne était d'une grande douceur et les montagnes au loin se découpaient avec une clarté froide. Malgré tout, je ne pensais guère à elles mais seulement à mes pensées. Tout ce qui avait été me parut plus triste que si tout cela n'avait jamais été.
FERNANDO PESSOA, (voir acolytes) in "L'éducation du stoïcien", éditions Christian Bourgois, 2000.
Le caillou grossissait en colline comme un être vivant, au delà, la lumière généreuse de Septembre évoquait par instants le soleil de Corinthe. La sûreté toute humaine allait en bercements. J'étais peut-être ici coincée sous les ratures d'un roman à tiroirs, une copie dans l'espace qui pouvait reproduire pour un autre regard, agrément ou désagrément, tout me biffait alors par la force illusoire que je mettais à vouloir me rajouter au monde en ayant l'air d'occuper des vêtements camouflant des pensées opposées à tout ce que j'étais.
Je virais à l'ersatz mais parvenais toutefois à suivre les conversations y répondre poliment et les personnes croisées ce jour là, ont dû s'imaginer que j'existais vraiment. Nous avons échangé quelques banalités, comme les banalités paraissent encore des preuves du temps qu'on passe ici au temps qu'il fait là bas, nous constatons bêtement, qu'il est bon d'exister, présents avec nos chairs, ce rire bête au dehors, un gloussement, à peine, echo de la volaille, et le balancement de couleurs agréables sur des nappes à carreaux rouges et blancs sous ce ciel gris-bleuté, c'était un enchantement.
Quand le jour veut tomber, des mains molles font des gestes puis rien, absolument rien n'en peut demeurer, juste après ce sourire qui n'exprimera jamais autre chose que le contraire d'un air riant, on dirait qu'on s'y croit éternellement vivant, à causer sans manière, près d'un panneau montrant la douzième biennale d'art qui sème un peu partout une images du cochon puis cette tête de garçon - une photo réussie - d'un visage assez tendre portant autour de l'oeil les traces noires d'un violent rififi dans la gueule, c'est si bon, la violence, quelques ruines permanentes, des miroirs grossissants qu'on regarde par dépit de ne pouvoir les fuir. Et si on le pouvait, sans doute on passerait son temps à ne faire que ça:
prendre des raccourcis qui rallongeraient la vie, on s'éviterait parfois de se retrouver happé dans les plans irréels dont on nous persuade qu'ils sont notre présent, à la fin on y croit dur comme fer et ça doit s'intriquer plus ou moins dans les plis ou plus exactement, c'est un passage forcé, on serait les obligés des profusions d'images qui nous compileraient, s'approchant au plus près de nos centres d'intérêt, on s'y adapterait.
Au mieux c'est un reflet, tant de jours on espère qu'il se passe quelque chose en dehors de ce vide qui pourrait nous heurter au nerf des éléments comme surprendre le caillou rouler et s'écraser contre une Tête d'Or cachée dans les marais, et qu'enfin réveillée elle déchire les reflets et les enterre là bas, justement à l'endroit précis, où l'on ne la trouverait pas.
Ca changerait le trajet avec d'autres couleurs, la terre de Sienne brodée des sublimes strobilanthes. Mais ici rien ne bouge, pour le mieux on attend un immense évènement qui convierait les fleuves à devenir torrents, et par le cours du temps on serait ces ballants repris dans les colères on se transformerait, on serait le ruban, courant se purifier dans les éclaboussures.
Au mieux on sera le clampin qui s'en va claudiquant à son bureau de tabac au coin de la rue Say, (tu sais mais tu sais rien), entre deux vides, on serait celui qui fait son plein, un sac dessus l'épaule, à parodier les charmes qui émanent de ce monstre dévorant la parade, suivant d'autres ballants promis au menu sort, dans les joies des achats qui nous tiennent harmonieux comme des produits vitreux dérivés des trésors pour ballants-matamores. Truffes au guet, dos cinglé, dans un léger cafard caché par les formules qui s'autorisent la valse, et des ronds de fumée au milieu de l'azur, on se roulerait dedans, on piétinerait les rousses qui hantent la Tabareau et frottant sur tout le monde sa belle rangée de dents, on serait prêt à l'ouvrir pour dire n'importe quoi, on parlerait du temps:
"demain il fera beau, malgré quelques rafales dûes au violent cyclone venu des Philippines...".
Contre l'abêtissement, qu'est ce qu'on ne vous dirait pas ? Et puis clopin-clopant on se trouverait un banc, on irait lire l'avenir dans les feuilles rosissantes, on les aimerait vraiment, et on regarderait gentiment trembloter leurs ombres moins béantes que nos songes balancés aux torrents, voguant dessus des feuilles, puis dessous bringuebalant et dehors et dedans, et inlassablement...
Photo: Voyageuse immobile, contemplant un chef d'oeuvre d'ombres chinoises en presqu'île, biennale off d'arbres rares encore verts, d'où prélude...
Lyon © Frb 2013.
dimanche, 26 mai 2013
Loin de Lybie
Cézanne peignait des pommes
Chaque jour en pantoufles.
Il descendait dans son atelier et
Il peignait des pommes...
Jour après jour.
Encore des pommes.
Et il ne s'en lassait jamais.
http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0708231832.html
http://www.atelier-cezanne.com/france/visite-pomme.htm
http://www.musee-orsay.fr/index.php?id=851&tx_comment...
Photo : Quartier de pomme blanche, sur nappe ronde en coton bleu uni cousue (de fil blanc) par la Céleste Nabirosinaise. (Décalage, contraste et antidate). Photographiés le mois dernier, loin de Lybie.
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mercredi, 10 avril 2013
Icare 2013 (III)
Mon plus grand plaisir est de sentir que tout ce que je valais résidait dans ce que je crois avoir perdu : la capacité à créer de la beauté à partir de mon désespoir [...]
STIG DAGERMAN in "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier", éditions Actes Sud 1981.
Icare n'arrivant plus à s'envoler aussi haut qu'il l'avait autrefois rêvé décida qu'Avril dans sa nature clémente, lui permettrait tout aussi bien d'essayer de marcher sur l'eau. Icare ne savait pas encore que le ciel du mois de Mai s'annonçait pluvieux et brutal, Icare n'écoutait pas la radio, il ne se fiait qu'à notre calendrier singulier destiné à ceux qui ont un léger retard sur la vie, mais il avait notre courage, notre approbation et les cris d'enthousiasme du peuple des oiseaux de la forêt - pic verts, rousseroles et bécassons menant par dessus les choeurs (mes anges !) une section rythmique endiablée en tapant becs et pattes accordés sur tous les bouts de branches qu'ils pouvaient trouver, le départ fût très gai. Icare ne manquait ni d'ingéniosité ni de provisions, nous étions sûrs, cette fois-ci, qu'il ne pouvait pas rater son défi, étant si près du but ...
Si vous avez loupé le début il suffit de cliquer dans l'image et tout ce qui précéde se souviendra de nous.
Photo : Un nouvel élan, Icare et l'océan : une autre histoire, au gré du vent, si le vent nous porte plus loin ou plus haut. CQFD...
Ailleurs © Frb 2013.
22:44 Publié dans Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Ciels, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Objets sonores | Lien permanent
vendredi, 01 février 2013
Avalanche
Et je m'en vais à Panama pour vivre en sauvage. Je connais à une lieue en mer de Panama une petite île (Taboga) dans le Pacifique, elle est presque inhabitée, libre et fertile. J'emporte mes couleurs et mes pinceaux et je me retremperai loin de tous les hommes.
Il n'a rien entendu de particulier, il s'est contenté de regarder. Il est sur la ligne de départ. Autour de lui le bruit gagne. C'est le seul argument qui retient l'attention, et semblable aux mouvements précédant un parcours, lassé de parcourir, il voit le paysage réduire les perspectives, quelques mots devraient suivre, qu'il tait. Il ne suit pas.
Ce thème est un motif qui vaut un peu la peine de décrire ce qu'il reste, ce qui va disparaître. Il choisit la plus sotte expression parmi des milliers d'expressions possibles, un confort creusé en ce trou, un nombril aspirant, tiède encore, les plaies brûlantes de l'homme, ou les battements d'un coeur humain pas plus qu'un aspirant de rien allant à l'interligne dans l'épaisseur du bruit glorieux de ses échos.
Il y a le temps qui vient, dresse une chape et ça couve sous son poids de chair vive, ça donnera une valeur factice à la surface, quand une porte bat aux vents, quand l'éclat de ces feux attractifs rend l'univers massif, il referme sa fenêtre, il n'aura bientôt plus à se battre pour les siens.
Il a rayé son nom, il a songé aux possibilités d'anéantir enfin sa faculté d'écrire, pour s'en remettre à ce silence d'une cathédrale ou d'une bibliothèque. Oserait-il au moins peindre ? Des Carceri à la mine de plomb, le prix de ses efforts, et puis des fleurs encore, quelques lettres de l'île puis la disparition d'une marge qui portait la couleur dans une ligne de fuite. C'est peut-être un ersatz ou c'est le labyrinthe d'un lieu qui nous décime, milles convives aux fenêtres entre eux autant de vitres, là, de grandes mosaïques comme à Constantinople.
Il fouille dans cette matière, quand revient la jachère, il y voit un soleil privé de ses ombrages, l'espace habituel où chacun arbitré dans le langage d'un autre réfute l'obscurité porte une perspective de puits et de falaises sur une place noire de monde.
Un mot encore si près à le couvrir de honte, y affûtera son verbe et l'éloquence qui vit toujours en légéreté, impérieusement tenue portera à nos lèvres l'unique grande vérité, la tienne et celle des autres, dans ce fût, sur l'étage du Beaujolais nouveau, la langue et sa piquette, t'as vu ces grands tonneaux à présent tu t'étonnes qu'ils se déversent copiant le bruit du pacifique, épanchant une série de vagues bien tempérées et délayant le corps qui se tait, le défait, comme se défait le verbe.
Il ne peut rien en dire, nous capturons de force ce point d'inanité, c'est à peine une cible qui nous veut repliés dans cette obscurité, elle va nous réfléchir, nous briser, l'emporter, qu'en sait-on ? Qui pourrait nous instruire ?
Nous serions tels que lui, des modèles d'écorchés, barrés de croix, de traits, des figures portant peine à la brutalité où la mort du désir peut encore l'emporter, ne tiendrait qu'un espace lentement annexé ; l'innocence consommée, il faudrait retrouver un mot à prononcer pour cet homme qui ne qui ne sait plus parler.
Un pas de plus, il souhaite couronner son effort, dépasser les obstacles pour bâtir un royaume au flottement discret, des airs de flammes muettes courant sur nos jouets qu'une vague achemine dans le ravissement où l'ignorance nous tient à tout heure disponibles, un bon rire à demeure tel qu'il fût toujours prêt, générant une série d'accidents, de minuscules enclaves où le mot est jeté où le désenchantement se reproduit à l'identique, tandis qu'il essaye de jouer pour simplement jouer.
Un pas de moins, les marchands de plaisirs passeront sur sa peau un baume rafraîchissant, il reluit à nouveau il est comme liquidé mais il reluit pourtant. On peut le suivre ou l'oublier se faire lentement rattraper ou souffler ce pion solitaire, mais cela n'a pas plus d'importance que ce qui est secret et devra forcément nous taire.
Il payera. Il payera en retour du désir affamé de s'affamer encore, quand l'oeil fou qui dévore des vies à la seconde aura mis des cailloux dans cette immense bouche, la sienne voudra se clore, saborder ce qui porte en dedans, ne trouvera aucun mot pour extraire une manière de recommencements à cette fin qui résiste à comprendre.
On connaît le passeur obligé de se rendre. C'est partout le même quai, alignant une suite de croix et de carrés. Partout c'est un poème qui recomptera ses pieds, ça forme sous le soleil quelques cristaux de glace et des ronds de fumée quand la lumière prend l'ombre ou peut-être autre chose, la marche se soustrait, l'homme fume une cigarette et nous voit sidérés que le vocabulaire n'ait jamais su faire mieux que nous aider à exprimer cette sensation profonde de n'avoir rien à dire.
Ca fait longtemps qu'il sait. Il mâchera les cailloux, et sentira la terre lui porter des pelletées, un semblant de jachère devenue cette palette de noirs et de blancs contenant un ensemble de couleurs ou l'absence de couleur. Il goûtera la nuance, afin de se mouvoir d'un espace à un autre sans tirer aucun trait, aucun plan, aucune des conséquences. Il est dans les reflets ou l'absence de reflet comme à ces premiers jours, naissant un peu trop tard, il a pris de l'avance, il se pelotonnait contre un arbre et goûtait au silence sous un ciel moutonné masquant les voix violentes, des ébats festifs d'où revenait puissante, une foule assurée.
Il n'y a plus à douter, pour traverser les lignes, sortir de cette violence, on se dit que parfois il faudrait marcher seul, quand la mécanique sourde continue à cibler, à broyer, elle n'aura pas de phrase pour dépouiller le geste qui recouvre le ciel d'un champ de tournesols. Il n'aura pas besoin de ces flux de paroles pour aimer ces baigneuses divines indolentes ou saisir le silence d'un dernier grand concert dans la fine transparence, les nombreux coups de couteau donnés à la matière, sont peut-être identiques, à ceux que l'on nous donne.
Un mot ne tiendrait pas à capturer cet homme, ou demander pourquoi ces entailles n'ont pas entaillé le visage des nombreux regardeurs ? La question le déplace. Il est là, et il fume du tabac parfumé. Son geste le retient, entre une drôle de clarté et le flou inhérent à la nécessité de se tenir toujours plus près du précipice. De n'en rien ignorer, à présent, il savoure plutôt garder ce vide bien en main, que de craindre l'effroi qui le rendra muet, avec cette habitude de ne parler qu'à soi, d'en ressentir l'outrage sans pouvoir accepter que nous serions tenus de battre ce pavé, nous livrer, nous lustrer, cumuler les effets, de quoi bien tapiner.
Il redoute le courant réducteur, et le malentendu qui placera son coeur d'homme entre le singe et la savane, il comptera sur les doigts d'une seule main ceux qui ont pu survivre à cela sans se fossiliser, sans se faire braconner, ceux qui ont pu créer encore, pour changer la vie quelquepart, pas seulement l'énoncer, non seulement l'énoncer, mais l'appliquer sur soi, pas gagné ! ce qu'il reste de cobayes ne serait pas si doué à satisfaire ces files qui se massent aux musées, des foules reconnaissantes, l'artiste mort estimable, une somme de vies ratées pour battre des attraits, mourir dans les images.
Longtemps, longtemps plus tard, il trouvera quelques pièces détachées, elles nous tiennent à portée sur un filet de bave, un cri vaste oublié, le prenait corps et âme, et pouvait nous relier par une sorte de chant du monde inépuisable, mais encore trop lointain. Il a vu ce matin, Panama sous la neige, et sa jeune vahinée venue emmitouflée le plongera à nouveau dans l'extase.
De la neige et une bestiole inoffensive pour adoucir la dernière ligne droite de l'an 2014.merci à ceux qui ont suivi ce blog, malgré un temps d'arrêt involontaire, une panne d'ordi, et la vie (la vraie) s'y mettant en travers j'ai dû m'astreindre à des obligations laissant la panne courir en cette années si peu clémente qui m'a contrainte à imposer au blog une sorte de latence, le courrier est en rade, depuis pas mal de temps avec un sérieux bug et un bazar en dedans encore compliqué à résoudre Mes excuses à ceux qui ont écrit, des mails dont certains datant de cette été ne me sont parvenus que récemment, des courriers sont perdus, pour l'instant, introuvables, ici une zone de flou d'autres les courriers rescapés restent en rade la possibilités d'acheminer correctement les réponses restant aléatoire, je m'abstiens pour l'instant, à suivre, donc, pour l'instant je dédie au Noêl et à la Noêlle et aux autres, s'ils s'y trouvent
Echappée belle : à lire et regarder, le livre de Gauguin, "Noa Noa" paru aux éditions J.J. Pauvert en 1988.
Photo : Taboga en hiver, ou le départ de l'élandin.
Là bas © Frb 2013.
vendredi, 04 janvier 2013
Ne t'efface pas
Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.
André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.
C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.
A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.
Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...
On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence.
Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.
On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.
On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.
On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.
Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.
Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.
Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?
Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.
Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?
On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.
Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ?
Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :
Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.
Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.
C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.
photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.
Nabirosina © Frb 2013
mardi, 01 janvier 2013
Arrive que pyante !
Y z'y a eun'an, tot l'monde d'jot qu'2012 s'rot pas terrible mais qu'y irot mieux en 2013. A çt'heure nos entend dère qu'y s'rot putôt en 2014 et encore, qu'y pourrot s''arrandzi. Y m'fait penser à la Mère Martin qu'fayot avancer sa bourrique en li pendant eune carotte d'vant le nez. Mais la pourre bête arrivot dzamais à la rattraper... Dze crais qu'si nos arrivains à faire ç't'année tot c'que nos ans pas pu faire l'an passé, y s'rot dj'à bié.
Extr . des Libres propos du PERE MATHURIN, extr entretien in "La renaissance" hebdomadaire régional N° du 4 Janvier 2013, n°4062 (1,50 euros seulement, à la maison de la presse de votre bourg)
Nota primau :D'zai mis le tçépiau à pieume et les sabots d'zai fait un pt'chet discours en patois tçarolais "ordinaire" par la voix du père Mathurin, comme nos dit audzord d'audzord'heu, p'amusé l'monde y p'faire le pendant au biogue du Drolan mieux connu sous la pieume de Solko, que fait des voeux du tonnerre en patois lyonnais et tot le monde z'ya le droit d'y lire, tant que c'est à l'oeil tot le monde peut y faire en y cliquant dans le bitonio (qu'éto un mot pas de souche patoise ni tçarolaise ni lyonnaise mais que s'adresse au monde qui sait causer dans les gougueilles ou qu'y z'y touitau ou les amis qui vont dans la tête de bique comme les gognants du tsarmillon s'en vont le mardi au marché de la queue rousse.
Le lien qu'étau par dessous faut appuyer dessus un chti coup avec vot' manivelle ou le traque-pattes et :"qui l'aura beau le montrera".
http://solko.hautetfort.com/archive/2012/12/31/qui-l-aura...
Nota deuziau: si z'y en a un bon tas qu'mant fait savoir qu'z'y étaint pas bin contents, ou se faison du souci dipeu la fin l'andouze pis l'début de l'antraise où d'zai trainiaudé d'zai dit y'a pas mal d'années qu'ici y'étot que du tç'antier et de la trainiauderie, rin d'autre, y'étot pas autrement dze dis ç'que d'zvoux quand d'zen ai envie y sera pareil à l'antraise mais si un dzeu d'zarrive à êt' moins faignante d'ze ferai t'sonner la cloche, mais d'zm'ai dit qu'au pouyot y faire bié d'boulot d'pu que la bête arrivot dzamais à rattraper ct'engin d'malheur qu'a tchu, et que marchot moins bien que ma bourrique. Mais y m'fait todzos piaisi à y causer aux feunnes et aux gars, à tot l' monde qui irot farfouiller sur ctu biogue depuis un bon moment y'm fait piasi d'autant que si z'y farfouillon pas, n 'y aurait pu rin du tout.
Tant qu'on peut y faire à not' guise qu'on nous donne pas des coups de triques, srot djà bié, mais ct'antraise nos se laisseron pas martsi sur les pieds, srot pas plus mal ainsi.
à toutes et toutes j'y t'chouette
Bonne Année de l'antraise (et surtout la chantée)
(et n'allez confondre les beaux voeux avec les beaux viaux, même si l'viau doux est toujours d'bout) (j'y r'note un aut'coup, ça veut rin dire c'est juste pour faire une fantaisie)
Notatreziau : J'ajoute en français (c'tu coussi) que si le patois tç'arolais du Père Mathurin est d'un patois "ordinaire" très correct le mien est approximativement bricolé, m'en excuse auprès des puristes, "y faut bin faire d'z'erreurs avant que de y être parfait" a dit le gars qui a construit le bacarouler du côté de Vendenesse, comme c'est pas si facile de tout y faire entrer d'un coup dans notre serre-veau, je vous laisse ci-dessous des liens si le parler patoisant vous intéresse, vous trouverez là, un atelier de recherche linguistique très sérieux à cliquer ci-dessous :
http://www.publibook.com/librairie/livre-universitaire.ph...
http://aune.lpl.univ-aix.fr/lpl/personnel/rossi/marioross...
Traduction du titre : "Arrive que Pyante" signifie "advienne que pourra", (sous entendu: peu importe ce qui en résultera). ex : "Faut pas s'laissi aller à l'arrive que pyante".
photo: Y'a des quoues d'vatses dans l'cié, i va pyoure d'ici deux dzos. (Il y a des traînées nuageuses dans le ciel, il va pleuvoir dans les deux jours.). Saisie dans la rue principale du bourg boscomarien qui n'est pas exactement racholais mais nabirosinais faut quand même pas tout y confondre
Very special dedicace et autres précisions : Merci à celles et ceux qui ont participé durant l'andouze à ce blog, évident qu'ils seront bienvenus à l'antraise. Mes excuses assez plates aux amis, lecteurs et commentateurs auxquels je n'ai pu répondre dans un délai raisonnable à cause d'un beugue dans la boîte à maille qui dure depuis des mois, enfin une pensée pour mon ami Jacques qui pédale à cette heure quelque part entre les ch'mins du Sud et les brumes sournoises du Nabirosina.
Bois Ste Marie © Frb 2013.
lundi, 24 décembre 2012
Ciel qui traîne
Les larmes du monde sont immuables. Pour chacun qui se met à pleurer, quelque part un autre s'arrête. Il en va de même du rire. Ne disons pas de mal de notre époque, elle n'est pas plus malheureuse que les précédentes. N'en disons pas de bien non plus. N'en parlons pas.
Samuel BECKETT : "En attendant Godot", éditions de Minuit, 1952.
Photo : Quelques jours avant minuit. Sous la dernière lune ou le répit. En attendant le petit (ou grand) jour, fêtez en paix, s'il est possible...
Lyon / Tabareau © Frb Décembre 2012.
23:23 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Ciels, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
mardi, 04 décembre 2012
Nous et autres
La vie est-elle seulement faite de morceaux qui ne se joignent pas ?
Nous aurions tant aimé pouvoir les assembler afin d'en trouver une forme reconnaissable, nous avons recollé un peu, quelques jointures à la surface qui se décomposeraient au moindre souffle. Nous y avons appliqué des mots comme des baumes, la terre tenait bon sous nos pieds mais nos pensées étaient plus mesurées. Nous tentions d'esquiver ces parterres qu'il faudrait toujours écraser pour se tenir ici, debout dans la lumière. Nous regardions les feuilles rétrécir, l'or de l'automne virer aux bruns foncés, une vase légère déliait les passages des boutiques. Les ponts devenaient utilitaires. Nous n'irions plus nous attarder à contempler les flots. Sous l'eau encore limpide, rien ne nous promettait que ces flots pouvaient encore rouler jusqu'à la mer. C'est là bas une force contre laquelle nous n'avons pas eu le courage de nous opposer, nous sommes entrés dans les formes prévisibles de la parole, le bruit gagne. Quelques voix nous séparent et nous ne pouvons rien réparer.
Photo : La disgrâce. Parc de la Tête d'Or © Frb 2012.
jeudi, 20 septembre 2012
La naissance du modèle (I)
Tu prépares, comme chaque jour, un bol de Nescafé ; tu y ajoutes, comme chaque jour, quelques gouttes de lait concentré sucré. Tu ne te laves pas, tu t’habilles à peine. Dans une bassine de matière plastique rose, tu mets à tremper trois paires de chaussettes.
Georges PEREC : "Un homme qui dort", éditions Denoël 1967
Il faudra y aller à bras le corps, sortir un bazar de caleçons, de cravates, pour trouver les chaussettes, des bonnes chaussettes qui vont dans la chaussure, ni trop fines ni trop chics, surtout pas trop épaisses, un style de coton confortable, un peu comme les nuages, un détail brisant là, le premier pas contre le rituel d'une journée qui ne peut pas répéter les mêmes gestes qu'hier, qui les répétera. A partir de maintenant, il ne sera plus jamais permis qu'une journée ressemble à la précédente, il en a décidé ainsi, et cela jusqu'à nouvel ordre.
C'est peut-être intenable de ne pas claquer la porte derrière soi, simplement pour marcher sans un projet qui mènerait ici ou là. Il l'a dit fermement hier soir à sa femme, un ton semblant si sûr, qui tremblait en dedans, il s'est râclé la gorge plusieurs fois, il a dit : -"le travail, j'irai pas, c'est fini, j'irai pas".
Il n'a pas entendu sa femme murmurer gentiment en essuyant la table : - "mon pauvre Patrick, j'crois que tout le monde en est là !". Ca avait l'air d'une blague.
Des jours qu'il vit comme ça, à se balancer sur sa chaise à regarder ses jambes se croiser, se décroiser sous la table, il fait tourner la phrase "j''irai pas/ j'irai pas" - aller-retour de là à là - "j'irai pas, j'y vais pas". Depuis le temps qu'il y va.
Chaque jour il enfile ses chaussettes avec les animaux, une paire brodée de papillons, une paire avec des vaches qui font "meuh" dans des bulles au niveau du mollet, une paire avec des sortes d'écussons, des oursons couchés sur des rayures bouclées à l'intérieur achetées par lot de six à la boutique de L'homme Moderne.
Chaque jour, il s'en va, travailler avec ses papillons et des vaches plein les pieds, il rentre le soir à la maison, il ressort les chaussettes à rayures avec les écussons et les oursons il les prépare pour le lendemain, posées par terre à plat à côté des chaussures. C'est leur place. Ca va de là à là.
Il hésite à pencher vers cette faculté qu'un homme aura toujours de ne plus adhérer à ce qu'il crée. Il refuse cette instance qu'imposeront les limites de la satisfaction cette prétention cachée à pouvoir ressentir la lucidité comme une chance.
Il désire juste marcher et ne plus arriver à l'heure, quitte à les faire attendre, il ne veut plus devoir saluer ses collègues dont l'amabilité peut se retourner comme un gant.
Barnier, Chaumette, et Thomasson: trois paires de mocassins, grimpant sur une échelle...
Il refuse d'écouter les fourmis qui tourmentent son bestiaire, des mollets à ses pieds, un rêve de bord de mer où les algues vont naître enchevêtrant les joncs sur des rives jusqu'aux îles que la rue re-dessine sous ses pas, à l'emplacement exact de la semelle. Quand il pleut c'est visible, on pourrait y loger des milliers de créatures inoffensives : les doryphores, les coccinelles...
Enfin, il faut rentrer par la bouche du métro passer entre les poutres en ferraille qui diffusent les musiques d'une nostalgie, au temps vécu par d'autres quand il n'était pas né. Celles-ci paraissent pourtant plus authentiques que sa mémoire, un canyon près d'une route chantée par des ancêtres dont il visualise précisément l'espace : les bornes, les caravanes, les kilomètres qu'il reste à parcourir jusqu'aux dunes, les sommets sous le ciel, un espace infini.
Ca grouille dans les artères, quand il attend sa rame, il peut apercevoir une quantité d'orchestres, son pas ouvrant l'attaque de ces anciennes vies et les nouveaux visages et les chers souvenirs fussent-ils revenus intacts de la saleté, du bruit ; un énorme désastre absorbé par l'envie.
Entre les grosses pierres il voit des galets blancs et des petits scorpions goûtant la drôle de chair des papillons, des vaches, la chair des écussons, en lambeaux des rayures que les oursons avalent, et la voix de Suzanne, qui criait dans la rue quand elle le vit pieds-nus accroché au portail "mon pauvre Patrick, tu t'es encore perdu !".
Ca pressait le défi d'abîmer leurs espoirs, rien d'extraordinaire n'avait eu lieu ici. Cette expérience ruineuse entre en grâce pour laisser marcher l'homme dans un rond de serviette avec les animaux, jusqu'à ces alluvions, il entend les guitares : "Dirt road blues", il retrouve le fauve qui garde son esprit, un tigre dans le muscle piétinant à pas vifs les dernières plumes d'autruche d'un édredon trop lourd, il revient à la vie, pieds nus dans ce dédale, il est nu, il déclame couché sur des moellons les vers de "Walk the line".
Une fois n'est pas coutume, elle ne met pas ce soir sa longue chemise de nuit brodée de libellules. Elle apporte les fruits, les citrons, les grenades qui décorent la ouate rebrassant ces étoffes, elle se glisse près de lui, trouvera le passage au moins jusqu'à l'aurore, elle marche sous ce corps en précisera l'attache en s'appliquant surtout à ne pas réveiller l'homme qui dort.
Nota : L'ouverture du mouvement à cliquer dans l'image
Photo : Le modèle en extase (devant un tableau de... Vazarely ?). Selon nos experts, si le marcheur s'est endormi, rien ne pourra l'arrêter, il n'aura donc cessé de marcher pendant que nous dormons, il aura fait des kilomètres sauf si nous sommes en train de le rêver, une hypothèse probable. L'homme qui dort et qui marche dans sa tête ne cessant de mourir et de naître, la suite dépendra aussi des espèces d'espaces traversés et peut-être aussi un petit peu de Suzanne ?
Le mot de Georges (un supplément à méditer) :
L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.
Lyon presqu'île © Frb 2012.
jeudi, 16 août 2012
Vitrailler (I)
Oh n'est-ce pas mon Christ, mieux valait l'esclavage,
Les terreurs et la lèpre et la mort sans linceul,
Et sous un ciel de plomb l'éternel Moyen-Age,
Avec la certitude au moins qu'on n'est pas seul !
Jules LAFORGUE, extr. "Certes ce siècle est grand !" in "Poésies complètes", (références incomplètes).
Le temps allé, nos corps se trouvèrent suspendus, il fallait bien choisir entre le haut ou le bas. Nous sommes demeurés dans cette position indécise, un peu voûtés comme les plafonds en voûte d'arêtes du petit édifice.
L'assemblée est debout, ramassée dans son cercle, elle sommeille.
Quand viendra l'heure de rentrer, il sera difficile de rejoindre les bruits. Entre la solitude et cette clameur là bas, il y a l'ombre d'un homme qui vient chercher la somme déposée dans les troncs, c'est la recette des cartes postales à cinquante centimes pièce. Il marche sur la pointe des pieds, il a fait le signe de croix, c'est une sorte de vicaire. Et toi tu vis de ça, du regard porté sur l'original au milieu des imitations, de l'envie allant au plus simple esquivant les complications de la vie ordinaire, elle aussi, a fini par te coller une lucarne dans l'oeil et tu t'enfuis là haut saisir les éclats de couleurs. La volonté de tout saisir a fait de toi un courant d'homme qui court et court sans cesse après quelque chose de nouveau, même si cette nouveauté reproduit avec précision un savoir millénaire, cela ne rencontrait pas ton rêve. Tu te promènes en touriste comme tout le monde. Un vitrail te sidère. Ta voix veut s'y loger.
A cette heure, tu devrais être avec les autres, sur la plage et tu ris de toi même, toi, le fauve à genoux, l'incrédule amusé qui s'en revient lustrer son corps sur cette pierre. Tu es tombé ici et tu tais ce hasard. Un voeu de Moyen-Âge traverse ton histoire. Tu t'es dit un instant qu'il serait temps peut-être, d'abandonner le reste, si tu le peux encore.
L'assemblée s'est tournée vers toi, elle met un doigt sur ta bouche, comme une seule émission elle te prie. La voix baisse c'est à peine, se taire, tu ne sais pas.
Tu croyais aux rictus de ces diables surgis des chapiteaux, et encore tu t'exclames, pour ce peu de silence...
Pourrais-tu leur reprendre ?
C'est le même rictus qu'autrefois. Ils t'intriguent ces vieux, avec le même dos rond qui passe en communion, quand ils baissaient les yeux à cause du jugement.
Ils t'effrayaient parfois, au delà de leur âge, il y avait autre chose. Tu n'as pas tout compris. Voulaient-ils te prévenir quand toi aussi un jour, tu marcherais voûté et monterais là haut ?
C'était inadmissible de semer la terreur dans l'esprit des enfants de faire d'eux des petits vieux avant l'heure. A présent l'assemblée ne te juge pas, elle rêve, entrée dans ses prières qui vont avec les pleurs et tout ceux que l'on pleure déjà nous pétrifient.
Tu aimes cette clarté du choeur et des travées contre l'obscurité du bas côté où le visage repeint de la Vierge-Marie semble attendre que l'on répare aussi l'enfant blotti contre les plis d'un voile cœruleum. La statue a été soigneusement inclinée derrière une pancarte qui demande une faveur : "prière de ne pas toucher / restauration en cours".
Par l'allée principale les figurations de l'enfer ne te semblent pas plus sérieuses que ta tête quand elle sort de la nuit, ébouriffée, broyant dans une image une foule illuminée qui disait les messes basses et troublait ton sommeil. C'est comme au cinéma, ça tourne, ça se répète, ça rejoue d'autres scènes: les sentences arbitaires, l'improbable veau d'or... Un sacré beau désordre : il grouillait de bonhommes qui criaient au miracle, de gouailleuses parigottes s'entichaient d'un sauveur et Robert Le Vigan prenait son rôle à coeur, dans la chair mortifiée d'un Jésus aberrant guidant un peuple élu qui ne peut s'y retrouver. Cette mémoire revient noire de monde...
Ils montent le long de la colline,
Chacun le front couvert d'épines...
Par centaines...
Toi, tu étais enfant, ces vieux jetaient au ciel les cailloux qu'ils trouvaient en chemin, ça leur faisait des têtes de perpétuels orphelins. Ils revenaient parfois ramper sous forme de bêtes, elles peuplaient les armoires dans la maison austère d'une cousine Charliendine ou d'une tatan chartraine. Les têtes de fouines glissaient sur des manteaux immenses qui ne sortaient que le dimanche. On te prenait la main. On t'emmenait à la messe. Tu trottais derrière eux. Tu aimais ces vitraux qui rappelaient les cubes ou les étoiles de mer avec ton imagination tantôt géométrique tantôt bercée de sphères. Déjà tu ne savais plus comment faire pour choisir entre le haut, le bas. Le mieux eût été de demeurer toujours ainsi, pendu dans l'air...
Tu ris parce que ces vieux sont devenus d'hier. Ils ne te font plus peur à présent. Ils prient, ils pensent à eux. Ils se consolent entre eux. Ils ont peur des cailloux qui rouleront dans ta bouche, quand tu les chasseras. Ils savaient bien pourtant qu'au temps venu personne ne peut passer son tour. Ils croient que l'heure est proche, ça les hante, ces comètes, les pôles à la dérive, la barbarie, les guerres. C'est écrit dans le livre et même dans les vitraux, des genres d'apocalypse...
Tu contemples ces simples qui mettent des croix partout : aux chemins des calvaires, aux murs des crucifix... tu ris un peu de tout, avec ta science qui pèse, ton jugement qui claque mais ne flambe pas les mitres. Viserais tu le haut avec tes rimes en raout ? Tu te crois tellement libre de savoir lier ton verbe à ces sortes de vrilles que tu finis aussi par mettre des croix partout : dans des cases, sur des plans sur les gens, sur le blanc, parfois sur tes amours, et ta bouche énumère comme ils faisaient hier, tout un tas de hantises. Tes images nous délivrent. Tes fidèles adoreront un jour ta face de chèvre. Nous te regardons rire sans savoir quoi penser, quoi tirer de nous mêmes. Pour apprécier pleinement la lumière du dehors entrée par les vitraux, peut-être faudrait-il nous crever les yeux puis en fabriquer de nouveaux qui ne soient pas tentés de nous refléter dans tes images.
Au milieu de l'allée, tu as ouvert un sac, tu as sorti des miniatures d'outils afin de mobiliser l'objectif sur ce noyau de vieux, tu les prends, tu les cadres, les traques et les mitrailles comme si tu désirais que l'image te révèle le verrou de leur Dieu. Le ciel t'appartiendrait. Tu nous libérerais avec cet air badin qui voit dans un vitrail, un produit idéal. Capturant l'éternel, tu pressens la tendance, le charme vaste et mystique de nos prochaines vacances. Cet air ne mange pas de pain, il multiplie les êtres postés en file indienne entre les cars multicolores et les modillons minuscules qui veillent sur le jardin de l'ancien presbytère. La place est pleine de monde espérant l'ouverture du choeur par un portail, une excursion bancale sur un rai de lumière. Comme il pèse à présent ce chant des vieux qui tardent dont le silence se perd encore dans la question.
What are you doing after the apocalypse ?
Photo : Récemment restauré par l'artiste Rachid ben Lahoucine, ce vitrail magnifique a été photographié en la petite église de Bois St Marie (voir billet suivant ou précédent ICI). Le rendu des couleurs du vitrail n'a pas été modifié par quelque procédé photographique, seuls les murs déjà très sombres de l'église ont été un peu assombris. Pour mieux voir vous pouvez cliquer sur l'image.
Là bas © Frb 2012
samedi, 30 avril 2011
Retenue
La vérité ne peut presque jamais se dire quand il s'agit d'êtres humains, car elle ne peut engendrer que douleur, tristesse et destruction.
ERNESTO SABATO : (24 Juin 1911- 30 Avril 2011) extr."Alejandra" (1961), éditions du Seuil (Point) 1982.
Pour voler plus haut et plus loin. Il suffit de bousculer un peu les oiseaux.
Toutes ces choses qu'on devine, brûlent la langue. Des chapes redessinent nos contours, toutes ces gommes au bout des crayons, un cratère visité de lunes, romancées au brouillon, qui précèdent un livre. On l'écrirait volontiers, si seulement...
Devant les choses de la nature, l'âme honnête, exhibant toujours ce qu'elle n'a pas, louera la beauté des jonquilles, les clochettes d'Avril, fétus de paille sur un fleuve innocent cerné de passerelles fragiles. On pleure aussi de temps en temps devant les kiosques à musique. Tant de choses qui ne sont plus à dire. Le contenu sous la gaze, étoufferait mais visiblement on se dompte. Des écrans diminuent la part humaine en la multipliant, misent par défaut l'aventure aux calculs, j'ai mille amis et des miroirs sans tain dont on sait qu'ils ne réfléchissent qu'une partie de la lumière.
Un rayon incident en deux flux lumineux, l'un réfléchi, l'autre réfracté (la partie diffusée, de plus faible quantité étant négligeable). (1)
J'ajouterai si j'avais le courage, un peu de vérité à tout ça, pour finir, j'unirai les faisceaux. J'écrirai une page. Je verserai l'encre dessus, l'encre coulerait à flots. Si j'avais le courage, au final, je pourrais tout dire. Je pourrais. Mais j'ai peur du courage. Alors, non.
Je m'allongerai dans un désert, peuplé de téléscopes qui détectent les rayons X émis par les étoiles pour essayer de me défaire d'à peu près tout. Une illusion ne crée pas un royaume. Demi-tour donc, jusqu'aux boulevards peuplés de dames, près desquelles je me fonds, elles passeront sans bruit aux salons d'essayage, marcheront par mégarde sur des brides de lingeries fines, elles tenteront d'assortir leurs visages aux guipures piquées d'argyronètes. J'ois le bruissement des étoffes dans la musique d'ameublement. J'ois la chute d'un porte manteau et le son du métal éclaté. Je vois les bris irréparables. Les carrelages blancs imitaient le marbre, je soulève, j'y découvre un coeur noir griffé d'ongles méchants. Un mystère génétique fait monter le mercure. Ce brassement personnel, historique, retenu, et la chape, on aura oublié de la détruire. Tout est net dans mes souvenirs. Ce que j'ai vu est sous la peau. Ce qu'on peut lire entre les lignes modifie le cerveau. Les manuscrits penchés fascinent, les biffures, et les signatures au dos des cartes voraces, des faire-parts à crédit en accordéon dans des poches plaquées impeccables. Pris sous ce joug quelque chose d'inhumain attire. C'est toujours des façons, d'infinies précautions, ces cache-coeurs ne cachent plus rien qu'un penchant somptueux au désir. Et la nuit éclaire nos cachettes. Ogres bavards sous les jupes, la solitude, mâle ou femelle portant l'infâmie à nos lèvres, nous sommes tendres mais nos promesses ne tiennent pas debout. L'idée du cosmos nous délivre. Après quoi on n'irait pas se perdre en confidences, à moins d'être complètement idiot, sûrs d'oublier ce qui doit suivre. L'Amour est un silence. Oui mais, comment en être sûr ? Un silence serait beau. Impossible d'être sûr. Alors, non.
Tant de choses ne se disent, un sourire mis en gage pour la vie domestique. Au dedans une pluie de satellites, la sécurité à ton monde, et des amortisseurs contre l'impatience, la rage plâtrée de Gaviscon, les vies sécables. Un cachet, un verre d'eau, pour l'oubli des images d'hier. Tous les absents nous rongent. Encre et Brandy, soirs d'Absolute, des amuse-gueule sur un plateau, les solutions savantes, pas un phénomène émouvant n'arracherait un verbe à la foule, pas même une réaction ? On voudrait réagir. On voudrait on voudrait. Et puis, non.
J'ois l'aubaine d'une conversation et le printemps chasse l'hiver aux corps à corps mal défendus, l'orgueil jouant avec le temps et malgré l'abandon, aussi fou que la rage contre laquelle nous sommes vaccinés, tous. Les grandes destinations reviennent plus inexplorées qu'autrefois. Je t'encombre de mon air affable, entre nous c'est amène. Ces politesses couvent un malaise dont on ne parle pas. Il y a trop de divertissements pour les rois et les reines, pas assez de royaumes, nous broutons comme autant de bêtes reluquant le ciel insolent. Nous visons le cosmos qui a un oeil partout nous sommes gourds mais sûrs de nos aises. Amoindris, à bout de songes, intenables, avec des joies torpides, nous suçons dans la nuit les bulbes d'un narcisse conçu pour tous. Le jour vient, rien ne change. Nous sommes si aplatis qu'à force on serait craintif de tout. Prudence apaise qui cache nos faces, lisse le pli vagabond, cloue le lierre aux façades. Prudent, on tournera la page. On cracherait bien sur les visages. Mais avant on racontera tout. Tout ce qu'on sait, ce qu'on a vu, ce qu'on sait que tu sais qu'on sait tous, ce qu'on devine, on balancera le paquet. La geôle qui fait poids, l'huis au gond de la grille, nos allégeances. Un pavé à la face du monde, on crachera sur tous les visages s'il nous plaît, on le fera. On fera ce qui nous plaît, ce qui urge on va le faire. Il est temps. On ira dans la rue, la bouche pleine de salive, la première tête venue, la première tête qui ne nous revient pas, la première créature, on lui crachera à la figure. On crachera sur ceux à qui on a à dire, depuis longtemps. On leur dira. On crachera ? Vous êtes sûrs ? Ca serait bon, oui. Mais non.
Nota (1) : La définition du "Miroir sans tain" est extraite du Wiki
Photo : Toujours plus haut ? On pourrait monter haut. Bien plus haut, ça c'est sûr, mais si on tombait... Si on tombait ? Alors c'est non. Le dire avec les mouettes. Elles volent bas, côté Saône, photographiées Quai Saint Antoine sur la Presqu'île à Lyon. © Frb 2011.
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lundi, 08 novembre 2010
Reflection
Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.
DYLAN THOMAS (1914-1953) extrait du recueil : "Ce monde est mon partage et celui du démon", éditions Points. Ecouter le poète ICI
A la fin tu sors épuisé de ces mondes mais quelque chose encore resplendit que tu ne sais pas. On dit que les autres voient cela quand ils te croisent. Ils ne voient qu'en deça. Tu as si longtemps fait figure d'exemple. Lassé de vivre parmi leurs compliments qui t'attachaient encore, tu as usé ton esprit à écouter, des heures entières, toutes leurs conversations, tu as fait semblant d'y participer, tu as tourné des pages de magazines de sport, de mode, ou d'actualité. Tu resservais dans les dîners, toutes les phrases que tu y lisais, "les apéritifs dinatoires" qu'ils disaient ! et puis, tu t'es lassé, tu as pris des trains, tu t'es perdu dans des villes sans jamais sortir du pays. Tu as croisé des foules enragées, des esclaves dans des défilés, ou dans des bars, tu as laissé des personnages t'arroser d'alcool fort, te renvoyer une sale image. Tu t'es fondu aux steppes, aux lacs tout bleus, tout gris, pris entre l'horreur de tes pensées et la profondeur adorable d'autres nuits. Pendant que les Dieux impuissants de tes anciennes vies essayaient de te consoler, tu as désaxé ta pensée jusqu'à t'empaler aux limites, tout raisonnable que tu étais. Tu as raccordé ton corps à ton âme. Tu as chinoisé sur quelques détails. La jalousie te revenait. Engrangeant des rixes et des drames, les beaux corps te rendaient malade. Tu as dû voyager partout, peut-être, assis sur une banquette de deuxième classe côté fenêtres, dans le dernier wagon fumeur qui existait sur terre. Tu as fumé cigarette sur cigarette, tu as rempli le cendrier, tu as traversé un domaine ni familier ni étranger, tu t'es retrouvé longtemps l'esprit entre deux paysages, des kilomètres interminables sur un viaduc qui s'effondrait, tu t'es penché par la fenêtre, la dernière fenêtre qui s'ouvrait, de ce train qui irait à la casse, après toi, après ton ultime traversée, c'était écrit d'avance, du moins à cet instant, il te fût bon de l'ignorer, ou bon d'ignorer que ce mal te serait ensuite profitable. Tu as pris la mesure des battements de ton coeur en te penchant sur les ruines du viaduc qui tremblait pendant que le train prenait de la vitesse, tu as pleuré comme un enfant submergé par l'angoisse dans une chambre sans lumière, tu as eu peur à cet instant que le viaduc ne puisse pas supporter le poids du train, ton propre poids, coupable de ce déséquilibre, tu as eu peur de regarder ta mort en face tu l'as vue et tu l'as ressentie dans ton corps pendant que ta vie entière défilait, te revenaient les images imbéciles de vacances à Romorantin, le souvenir du corsage à pois blancs d'une cousine que tu détestais. Pendant ce temps le train aura passé l'obstacle, le viaduc derrière toi sera loin, en l'oubliant il deviendra comme réparé, tu oublieras avec le temps, tu te retrouveras dans la neige, un paysage immaculé, recouvrant ta mémoire ancienne, tu rencontreras celle qui mène ta vie au degré le plus pur d'immaturité. Une source de rayonnement stellaire, un peu de sucre cristallisé semé en une infinités de manières, le grain fin de cet allègement te donnera un air souverain. Plus tard, tout seul, avec ta pelle, ton rateau, tes outils d'enfant, tu tenteras dans le sable aussi fin que la neige de construire un vrai château avec des oubliettes pour deux. Tu te dis que tous deux réfugiés dans un coin, il ne pourra rien t'arriver, elle ne saurait aisément t'échapper, tu auras jour et nuit l'oeil sur elle, et sans même savoir si elle consent à te suivre, tu iras la chercher, tu forceras sa porte, et l'emmèneras très loin. Loin de ses amis, loin de tes chaînes. Tu feras le vide autour d'elle. Tu seras épuisé peut être, mais c'est cela qui resplendit, comme si le déplacement de ces vies t'amenait à un certain flou, toi, unique au milieu de tes constructions, tu contempleras une figure, au contour estompé, marquée par un regard immense uni à ta propre terreur, aux créatures que tu inventes pour les glisser en elle, rêvées incessamment crayonnées dans la peine, comme si la netteté de toutes les expériences, la même expérience à chaque fois, devait se découper en milliers de petits lambeaux tous identiques, recousus à la perfection. Et ce don se reflète en toi, te dédouble ou te multiplie, tandis que l'autre, elle disparaît, couchée sur ta peau de chagrin. Elle ne pourra jamais retourner d'où elle vient. Tu veilles au grain. C'est bien la seule histoire possible. Une création fabriquée pour en rêver la vie entière qui exige en retour un très grand sacrifice humain afin d'apaiser la terreur de ce jour où tu te vis mort, englouti sous les pierres d'un viaduc, repoussé au dehors, glissant dans l'espace glissant éternellement, ton esprit dans l'espace et ton corps qu'on ramasse à la petite cuillère entre des rails, ton apaisement, tu lui donnes un autre nom, c'est l'amour, comme si tous ces souvenirs que tu couvres de fanfreluches avaient trop longtemps affamé cette histoire, plus floue dans le monde alentour, tu regardes tout cela comme un phénomène étranger à toi, un principe d'irréalité, ta vie entière est noyée d'encre, cette vague qui toujours te revient, désintègre ta réflexion ; à mesure que tu réalises et mets à jour tes songes, tu vois grossir la peau de chagrin et tu ne peux plus arrêter cela, malgré ta volonté, ce cauchemar inversé qui condense ton amour en ce point minuscule, résumé, ou perdu au milieu d'un tapis, le dessin de plus en plus volumineux refermera l'espace, il suivra vaguement le trajet d'une ligne disparue, les arcs tendres, délabrés, d'un viaduc accroché au flanc de la montagne, mais tu as beau chercher, faire marche arrière, cela ne te rappelle rien de précis, rien que tu aies jamais connu.
Photo : Jeux de pluie entre deux mondes tout comme figés, le ciel à terre se transforme en peinture de fleuve ou d'autre chose. photographiés après l'ondée, dans une ruelle sinistre pas loin du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, début Novembre.© Frb 2010.
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samedi, 03 juillet 2010
Une nuit à la fenêtre...
J’ai élevé chez moi un petit cheval. Il galope dans ma chambre. C’est ma distraction.
HENRI MICHAUX "Lointain intérieur" in "Plume ; lointain intérieur" Gallimard, collection poésie 1985.
Les nuits d'été, sont lourdes irrespirables. Elles se succèdent toutes pareilles. Les nuits sont noires (pas autant que certains jours en nos villes mais tout de même ), les nuits sont blanches, et je les passe à la fenêtre qui m'offre une vue imprenable sur un ciel absolu, infini. Ma nature adorant le vide, je m'y noie à feuilleter mentalement "Le Grand Livre des Pourquoi" qui fit les délices de l'enfance et me revient régulièrement de mémoire, avec ses casse tête plus ou moins chinois d'une simplicité désarmante, enfin bref, c'est un ouvrage plein de ces questions pour les moins de huit ans, auquel nul ne pourrait répondre (pas même les tricentenaires ni madame Jesétou, éminente théoricienne du grantou devant l'Eternel, pour qui un jour ou l'autre il faudra bien composer un panégyrique)... Mais je m'égare. Ceci ne sera encore qu'une modeste nota/ notte à la fenêtre d'une chambre plus petite que l'esprit qui s'y perd (quoique...), et plus grande, (si j'en crois mon cheval), que mille fois l'univers entier. Et voilà aussitôt que je me demande pourquoi le ciel est noir la nuit alors que la lune qui m'éclaire et les étoiles qui entrent dans ma chambre sont si étincellantes. Mais au même moment quelqu'un frappe à ma porte : "Qui va là ?", Une grosse voix me répond : "N'ayez crainte, c'est monsieur Heinrich Wilhelm Matthaus OLBERS ! pour vous servir !". Je n'en crois pas mes yeux, l'astronome en personne ! ce grand découvreur d'astéroïdes est venu exprès de Göttingen, sur son alezan lacté, me visiter, afin de m'expliquer grosso modo le contenu de son paradoxe, si fascinant, que je ne pourrai (dans mon immense générosité), garder cela une seconde de plus pour moi seule, ainsi je me sens investie d'une mission toute nouvelle, celle de vous présenter (grosso modo) le paradoxe de OLBERS, si toutefois il vous est encore inconnu. Ames sensibles, s'abstenir ! c'est une histoire qui finit mal.
"Le paradoxe de OLBERS est une contradiction apparente entre le fait que le ciel est noir la nuit et le fait que l'Univers était supposé statique et infini à l'époque. Si on suppose un univers infini contenant une infinité d'étoiles uniformément réparties, alors chaque direction d'observation devrait aboutir à la surface d'une étoile. La luminosité de surface d'une étoile est indépendante de sa distance : ce qui fait qu'une étoile semblable au Soleil est moins brillante que celui-ci, c'est que l'éloignement de l'étoile fait que sa taille apparente est beaucoup plus faible. Donc, dans l'hypothèse où toute direction d'observation intercepte la surface d'une étoile, le ciel nocturne devrait être aussi brillant que la surface d'une étoile moyenne comme notre Soleil ou n'importe quelle autre étoile de notre Galaxie.
Une autre explication consiste à considérer que le milieu cosmique n'est pas parfaitement transparent, de sorte que la lumière provenant des étoiles distantes est bloquée par ce milieu non-transparent (des étoiles non-lumineuses, de la poussière ou des gaz), de sorte qu'un observateur ne peut percevoir que la lumière provenant d'une distance finie (comme dans un brouillard). Cette explication est incorrecte, car le milieu devrait s'échauffer en absorbant la lumière. Au final, il se retrouverait aussi chaud et aussi lumineux que la surface d'une étoile, ce qui pose à nouveau le paradoxe [...]
Ce paradoxe est important, une théorie cosmologique qui ne saurait pas le résoudre serait évidemment invalide. Cependant, une théorie qui résout le paradoxe n'est pas forcément valide. Après quoi tout ce qui brille nous laissera pantelants, affamés, à ras des cailloux, mais là n'est pas le plus le plus tragique.
[...] Il est clair que dans sa formulation initiale, on faisait implicitement l'hypothèse que les étoiles pouvaient briller indéfiniment. Or on sait aujourd'hui que c'est faux et que les étoiles ont une durée de vie finie."
Grand livre du pourquoi et autre liens utiles, sûrement complèmentaires :
http://www.astrosurf.com/nezenlair/nel3/olbers.htm
http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/astronomie/histoire...
http://tice.education.fr/meteo/rayonn/jour_nui/html/jn01....
http://fr.wikipedia.org/wiki/Univers_observable
Photo: La nuit à ma fenêtre, ornée d'une charmante bimbeloterie lumineuse, à en frôler le haïku, mais bon cette fois ci je vous l'épargne. Lyon by night. Juillet 2010.© Frb.
05:42 Publié dans ???????????, A tribute to, Ciels, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent