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jeudi, 16 août 2012

Vitrailler (I)

Oh n'est-ce pas mon Christ, mieux valait l'esclavage,
Les terreurs et la lèpre et la mort sans linceul,
Et sous un ciel de plomb l'éternel Moyen-Age,
Avec la certitude au moins qu'on n'est pas seul !

Jules LAFORGUE, extr. "Certes ce siècle est grand !" in "Poésies complètes", (références incomplètes).

vitrail &.jpgLe temps allé, nos corps se trouvèrent suspendus, il fallait bien choisir entre le haut ou le bas. Nous sommes demeurés dans cette position indécise, un peu voûtés comme les  plafonds en voûte d'arêtes du petit édifice.

L'assemblée est debout, ramassée dans son cercle, elle sommeille.

Quand viendra l'heure de rentrer, il sera difficile de rejoindre les bruits. Entre la solitude et cette clameur là bas, il y a l'ombre d'un homme qui vient chercher la somme déposée dans les troncs, c'est la recette des cartes postales à cinquante centimes pièce. Il marche sur la pointe des pieds, il a fait le signe de croix, c'est une sorte de vicaire. Et toi tu vis de ça, du regard porté sur l'original au milieu des imitations, de l'envie allant au plus simple esquivant les complications de la vie ordinaire, elle aussi, a fini par te coller une lucarne dans l'oeil et tu t'enfuis là haut saisir les éclats de couleurs. La volonté de tout saisir a fait de toi un courant d'homme qui court et court sans cesse après quelque chose de nouveau, même si cette nouveauté reproduit avec précision un savoir millénaire, cela ne rencontrait pas ton rêve. Tu te promènes en touriste comme tout le monde. Un vitrail te sidère. Ta voix veut s'y loger.

A cette heure, tu devrais être avec les autres, sur la plage et tu ris de toi même, toi, le fauve à genoux, l'incrédule amusé qui s'en revient lustrer son corps sur cette pierre. Tu es tombé ici et tu tais ce hasard. Un voeu de Moyen-Âge traverse ton histoire. Tu t'es dit un instant qu'il serait temps peut-être, d'abandonner le reste, si tu le peux encore.

L'assemblée s'est tournée vers toi, elle met un doigt sur ta bouche, comme une seule émission elle te prie. La voix baisse c'est à peine, se taire, tu ne sais pas.

Tu croyais aux rictus de ces diables surgis des chapiteaux, et encore tu t'exclames, pour ce peu de silence...

Pourrais-tu leur reprendre ?

C'est le même rictus qu'autrefois. Ils t'intriguent ces vieux, avec le même dos rond qui passe en communion, quand ils baissaient les yeux à cause du jugement.

Ils t'effrayaient parfois, au delà de leur âge, il y avait autre chose. Tu n'as pas tout compris. Voulaient-ils te prévenir quand toi aussi un jour, tu marcherais voûté et monterais là haut ?

C'était inadmissible de semer la terreur dans l'esprit des enfants de faire d'eux des petits vieux avant l'heure. A présent l'assemblée ne te juge pas, elle rêve, entrée dans ses prières qui vont avec les pleurs et tout ceux que l'on pleure déjà nous pétrifient.

Tu aimes cette clarté du choeur et des travées contre l'obscurité du bas côté où le visage repeint de la Vierge-Marie semble attendre que l'on répare aussi l'enfant blotti contre les plis d'un voile cœruleum. La statue a été soigneusement inclinée derrière une pancarte qui demande une faveur : "prière de ne pas toucher / restauration en cours". 

Par l'allée principale les figurations de l'enfer ne te semblent pas plus sérieuses que ta tête quand elle sort de la nuit, ébouriffée, broyant dans une image une foule illuminée qui disait les messes basses et troublait ton sommeil. C'est comme au cinéma, ça tourne, ça se répète, ça rejoue d'autres scènes: les sentences arbitaires, l'improbable veau d'or... Un sacré beau désordre : il grouillait de bonhommes qui criaient au miracle, de gouailleuses parigottes s'entichaient d'un sauveur et Robert Le Vigan prenait son rôle à coeur,  dans la chair mortifiée d'un Jésus aberrant guidant un peuple élu qui ne peut s'y retrouver. Cette mémoire revient noire de monde...

Ils montent le long de la colline,
Chacun le front couvert d'épines...
Par centaines...

Toi, tu étais enfant, ces vieux jetaient au ciel les cailloux qu'ils trouvaient en chemin, ça leur faisait des têtes de perpétuels orphelins. Ils revenaient parfois ramper sous forme de bêtes, elles peuplaient les armoires dans la maison austère d'une cousine Charliendine ou d'une tatan chartraine. Les têtes de fouines glissaient sur des manteaux immenses qui ne sortaient que le dimanche. On te prenait la main. On t'emmenait à la messe. Tu trottais derrière eux. Tu aimais ces vitraux qui rappelaient les cubes ou les étoiles de mer avec ton imagination tantôt géométrique tantôt bercée de sphères. Déjà tu ne savais plus  comment faire pour choisir entre le haut, le bas. Le mieux eût été de demeurer toujours ainsi, pendu dans l'air...

Tu ris parce que ces vieux sont devenus d'hier. Ils ne te font plus peur à présent. Ils prient, ils pensent à eux. Ils se consolent entre eux. Ils ont peur des cailloux qui rouleront dans ta bouche, quand tu les chasseras. Ils savaient bien pourtant qu'au temps venu personne ne peut passer son tour. Ils croient que l'heure est proche, ça les hante, ces comètes, les pôles à la dérive, la barbarie, les guerres. C'est écrit dans le livre et même dans les vitraux, des genres d'apocalypse...

Tu contemples ces simples qui mettent des croix partout : aux chemins des calvaires, aux murs des crucifix...  tu ris un peu de tout, avec ta science qui pèse, ton jugement qui claque mais ne flambe pas les mitres. Viserais tu le haut avec tes rimes en raout ? Tu te crois tellement libre de savoir lier ton verbe à ces sortes de vrilles que tu finis aussi par mettre des croix partout : dans des cases, sur des plans sur les gens, sur le blanc, parfois sur tes amours, et ta bouche énumère comme ils faisaient hier, tout un tas de hantises. Tes images nous délivrent. Tes fidèles adoreront un jour ta face de chèvre. Nous te regardons rire sans savoir quoi penser, quoi tirer de nous mêmes. Pour apprécier pleinement la lumière du dehors entrée par les vitraux, peut-être faudrait-il nous crever les yeux puis en fabriquer de nouveaux qui ne soient pas tentés de nous refléter dans tes images.

Au milieu de l'allée, tu as ouvert un sac, tu as sorti des miniatures d'outils afin de mobiliser l'objectif sur ce noyau de vieux, tu les prends, tu les cadres, les traques et les mitrailles comme si tu désirais que l'image te révèle le verrou de leur Dieu. Le ciel t'appartiendrait. Tu nous libérerais avec cet air badin qui voit dans un vitrail, un produit idéal. Capturant l'éternel, tu pressens la tendance, le charme vaste et mystique de nos prochaines vacances. Cet air ne mange pas de pain, il multiplie les êtres postés en file indienne entre les cars multicolores et les modillons minuscules qui veillent sur le jardin de l'ancien presbytère. La place est pleine de monde espérant l'ouverture du choeur par un portail, une excursion bancale sur un rai de lumière. Comme il pèse à présent ce chant des vieux qui tardent dont le silence se perd encore dans la question.

What are you doing after the apocalypse ?

 

 

 

 

Photo : Récemment restauré par l'artiste Rachid ben Lahoucine, ce vitrail magnifique a été photographié en la petite église de Bois St Marie (voir billet suivant ou précédent ICI). Le rendu des couleurs du vitrail n'a pas été modifié par quelque procédé photographique, seuls les murs déjà très sombres de l'église ont été un peu assombris. Pour mieux voir vous pouvez cliquer sur l'image.

Là bas © Frb 2012

Commentaires

Frasby, je suis sidérée par ce texte.
Magnifique.
Je le laisse pour l'instant agir...

Écrit par : Michèle | dimanche, 26 août 2012

J'aime bien ce I qui vient après le II :)
Remonter à la source, apprendre à inverser, inverser les points de vue, casser les perspectives...

Comme ce vieux pope (dans "Je vous raconterai" d'Alain Monnier, Flammarion 2009) qui parle des icônes, de la lumière qui vient de l'intérieur du personnage et non d'une source extérieure... A tel point qu'il n'y a jamais d'ombre portée dans une icône. Les perspectives de l'icône sont inversées. Le point de fuite c'est nous, et non un point situé quelque part dans l’œuvre. C'est vers nous qui regardons l'icône que tout converge...

Écrit par : Michèle | dimanche, 26 août 2012

@Michèle : "Le point de fuite c'est nous, et non un point situé quelque part dans l’œuvre. C'est vers nous qui regardons l'icône que tout converge..."

Oui ! c'est exactement ça... ! vous touchez exactement l'intention de ce texte et de sa relation avec le "vitrailler II" que je n'arrive pas à expliquer, parce qu'il vient d' une immersion in situ et pour l'expliquer de façon rationnelle je perdrais mes moyens ou ce serait un paradoxe, un peu désolant,ce texte partant d'un point de fuite assez personnel, et d'une relation étrange avec un vitrail en tout cas ce que vous nous rappelez ici, restera inhabituel pour nous autres humains universellement reliés dont le maniement des icônes ne semble avoir aucun secret :) cette "inhabitude" est encore essentielle, j'espère qu'elle le restera, tant que nous pourrons comprendre ce qui se joue (de nous, peut-être ?) dans les images, et nous retrouve à travers temps...

il n'y a jamais d'ombre portée dans une icône"
nous y sommes.
vos lectures vont au plus précis de ce que je ne sais pas dire
ce texte a été écrit à défaut d'être dessiné, il faut donc pouvoir se projeter peut-être dans le lieu et le temps, ce qui n'est pas évident pour un lecteur afin de saisir les correspondances entre deux ... en tout cas sur les perspectives de l'icône inversée, nous y sommes !vos lectures affinent tout. Merci pour la référence du livre d'Alain Monnier je ne connais pas ce livre mais j'avais emprunté "Survivance" auquel j'adhère (à mort!) : "On ne sait jamais de quoi hier sera fait"...
je chercherai : "je vous raconterai" dès retour au monde civilisé. Décidément Michèle, non seulement vous ne venez jamais seule mais vous lire est une autre expérience...
A mon tour d'être sidérée :)

Écrit par : frasby | dimanche, 26 août 2012

@Michèle : En réponse à votre première note
quel écho ! ce genre de texte évolue sur une mouvance disons inconfortable et je n'ai pour l'heure aucune distance "réaliste" avec tout ça, enfin si, mais pas formulable avec des mots compréhensibles au mieux m'en revient une étrangeté / (unheimlich ?) / en rien sidérante- mais il est dit dans les récentes écritures de trone aim St Jean = :) je cite :
"J'en souris souvent"...
Laisser agir ? ... comme vous y allez, Michèle, mais c'est pas faux puisqu'il n'y a pas de fermeture temporelle, juste des entraves "culturelles" que vous abolissez merveilleusement, j'avoue que j'aime beaucoup l'idée du texte qui agit" en dehors de toute propriété, et toute velleité de s'en prétendre seul auteur, le prolongement appartenant plus sûrement au lecteur :
gloire au texte qui court tout seul sur ses petites pattes arrières ! beni ! "laissons agir"...
"Al panoubimrsatin eds leuctres ste nu téprens tropé rap nu feluve ininif" (c'est de Héraclite :)

Merci infiniment, Michèle ...

Écrit par : frasby | dimanche, 26 août 2012

tout est vitraillement bien beau

Écrit par : alex | lundi, 27 août 2012

@alex : merci ! :)

Écrit par : frasby | lundi, 27 août 2012

Les commentaires sont fermés.