samedi, 22 août 2009
Cailloux
"Hélas ! mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c'est ici la maison d'un Ogre qui mange les petits enfants ?
Nous étions là, assis par terre sur l'ancienne place de la Grenette à Bois Ste Marie, minés par la chaleur, nous écoutions le Germain Poître nous raconter des histoires d'hydres et de gargouilles, tout un Moyen-Age à faire peur, quand la cloche se mit à sonner. Le son allait lentement, lugubre et revenait presque sans variation. Il semblait que le métal coulait sur les maisons, et que le plomb perché tout en haut du clocher mêlé à la blancheur du ciel, nous ferait perdre la raison. Le Germain Poître murmura à voix basse, "Quelqu'un en moins ! la Marie-Antoinette a parlé". (Marie-Antoinette c'était le nom de la Cloche boscomarienne, celle de La Clayte s'appelait Marie-Charlotte, les deux cloches étaient soeurs dans la vie, je veux dire les deux filles étaient soeurs, filles jumelles du donateur, elles portaient le même prénom que les cloches en hommage, ou le contraire enfin bref...). On chercha parmi tous les vieux lequel aurait pu être "emporté" par les dernières grosses chaleurs (Bois St Marie étant aujourd'hui partiellement transformé en asile, ou plutôt en "long séjour" très honorable, comparé aux mouroirs encore nombreux partout, dont je vous parlerai peut être un jour, Bois Ste Marie, disais je, compte sans doute plus de pensionnaires à son asile que d'habitants, il était donc impossible de savoir pour qui sonnait ce glas).
Deux jours après, l'annonce parût dans le journal "La Renaissance", à la rubrique nécrologique, (c'était la première rubrique qu'on lisait, juste avant le billet du père Mathurin). Un papier signé Guy Bouillon, notre journaliste cantonal, une grande vedette, sorte de Pujadas du Nabirosina. C'était un tout petit article avec une toute petite photo, montrant un tout petit bonhomme entouré de ses sept frères, et de ses parents bûcherons originaire des bois environnants ; une sorte de nain, en somme. Le journaliste avait écrit "un tout petit homme cordial et travailleur, un ouvrier bien sympathique". Le titre, en plus gros caractère affichait "Un orphelin est décédé". Chez nous on dit officiellement "est décédé" pour les gens, "a crevé" pour les bêtes, ce n'est qu'à voix basse qu'on ose le "il est mort", comme dit la Berthe, (la bonne du Germain Poître), "être décédé" ça fait plus propre ! Le Germain Poître, lui, il pense carrément qu'à trop prononcer le mot "mort" ça fait mourir les gens, il dit que c'est comme le vert au théâtre : ça porte malheur ! Le papier signé Guy Bouillon ne tarissait point d'éloges pour vanter les mérites du "défunt". Il évoquait entre parenthèse quelques drames survenus naguère dans cette famille, soulignant "l'enfance malheureuse, toute la pauvreté d'une famille" mais aucun autre détail ne filtra. Notre curiosité en fût lésée.
La seule façon de la satisfaire était de suivre l'enterrement. La cérémonie fût très brève. L'église était vide, hormis le père Prunier qui fit une homélie incompréhensible à cause de son accent de Palinges, le journaliste-vedette Guy bouillon qui était revenu en "reportage spécial", et nous mêmes, les curieux, plus quelques autres commères. Ce ne fût qu'à la sortie de la messe que nous remarquâmes un très très vieux monsieur qui pleurait toutes les larmes de ses yeux. Il était vêtu à la mode ancienne, une lavallière, des guêtres, une perruque bouclée et poudrée. Il portait sur son dos un gros sac qui faisait un bruit bizarre, de billes entrechoquées... Guy Bouillon vint nous saluer, Le Germain Poître lui demanda si le bonhomme qui pleurait c'était pas le fils du Jean de La Fontaine. Guy Bouillon tapota gentiment l'épaule du Germain Poître : "Non, non , mon vieux, ce n'est pas ça, je crois que vous confondez, avec Jean Pierre Delafontaine (un notaire farfelu de Suzy les Charolles)... Mais ce n'est pas lui non plus !"
Nous partîmes au cimetière. Tous les vieux de l'asile, nous regardaient passer, on pouvait deviner leurs têtes, derrière les volets roulants descendus à mi-fenêtre. Il faut croire que chaque enterrement pour eux était une sorte de fête. C'était "leur" évènement. Aucune animation d'accordéon ou de trompette (menées tambours battants) par Jo Corda (et sa trompette), Ricky Vallin (et son accordéon) ni les concours de "diamino" ne pouvaient surpasser cet élan d'allégresse, que provoquait chez eux, un enterrement, au désespoir du personnel hospitalier qui faisait tout pourtant...
Au cimetière, on ne prononça pas le nom du défunt. On jeta la boite en sapin au fond d'un trou, un employé du cimetière la recouvrît à grands coups de pelle, cela fît une grosse motte de terre, sur laquelle il planta une croix. On récita le "Notre Père". Un signe de croix. Et puis voilà.
L'histoire pourrait s'arrêter là, si je n'avais pas perdu mes clefs dans une de ces allées. Tandis que je grattais la terre entre les tombes, je vis, (et pour mieux voir, me cachai derrière la chapelle du Marquis de Carabas sous Dun), l'homme à la perruque bouclée, s'approcher doucement de la motte de terre. Il prit son sac cliquetant, en déversa le contenu tout autour de la croix. Il pleurait toujours à chaudes larmes. Du sac je vis tomber des milliers de petits cailloux, blancs, gris, roses, tous scintillants dont la tombe fût bientôt recouverte. Puis l'homme se mit à parler seul : "Tu vois, petit, je les ai gardés pour toi... Ces petits cailloux, ils te reviennent, ils sont à toi". Puis il posa soigneusement l'objet : une babiole, ornée d'une belle rose rouge sculptée, et le mot "souvenir" peint à l'encre dorée. "Et ça, Poucet, je te le donne aussi, c'est de la part de Blanche Neige"...
Photos : Une tombe + quelques souvenirs. (Vous savez maintenant pour qui, pourquoi.) vue au cimetière du village médiéval de Bois St Marie. Nabirosina. Aôut 2009. © Frb
04:11 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Avec dans l'allée du cimetière, des traces de bottes, pointure d'un chat.
Écrit par : JEA | jeudi, 27 août 2009
Tu as un esprit.....foisonnant !!!! rires !!!
Écrit par : patriarch | jeudi, 27 août 2009
@Patriarch ... Peut être un peu trop emberlificoté ;-), (Rires ! ) Il faudra que je fasse réviser mes freins à la rentrée, retour à la raison oblige.
Pourtant je ne bois pas, je ne me drogue pas... C'est bien ça qui est le + grave ! ;-))
Bonne journée à vous...
Écrit par : Frasby | jeudi, 27 août 2009
Epoustouflante histoire que celle-ci ! Vraiment ! "C'est des comme ça que je veux" (comme dirais mon adorable petit neveu, montrant les bonbons violets dans un bocal aux allures d'arc-en-ciel) écrire (y a-t-il là-dessus un copyright quelconque ou puis-je reprendre tout ça dans mon prochain roman ? :p).
Ces histoires-là sont précieuses, comme les cailloux du petit poucet, au moins.
Il y a de tout : du divertissement, du sujet de fond, des personnages pittoresques et entiers, du drame, des rires. Et le tout avec ce phrasé particulier que j'affectionne sans bémol.
La fin est terrible (mot que l'on peut prendre dans un sens ou dans l'autre, les deux étant acceptés!)
Encore une fois, je kiffe grave.
Écrit par : liam | jeudi, 27 août 2009
@JEA : Les traces de bottes du chat ??? Rassurez moi, ce n'est pas un chat noir en habits verts (?) Brrrrr...(Glagla)
Vous savez JEA, que les bottes de 7 lieues ont cet avantage d'épouser n'importe quelle pointure dès le moindre essayage.
Du chat(de cimetière) à l'ogre (de gouttières ?), elles vont à tous comme un gant. En plus, si vous vous dépêchez je vous ferai un prix pour votre rentrée (Prix d'ami ! profitez ! profitez! c'est pas cher ! ;-)
Écrit par : La marchande de chaussures | jeudi, 27 août 2009
Liam : Dites moi, les petits bonbons violets convoités par votre adorable neveu sont ils bien "catholiques" ??? ;-))
(Ah mais !!! ah mais !!! pas de bonbons violets chez moi ! je préfère manger votre doux bocal tout entier - trop ou rien- telle est ma devise - et celle de mon mari, (l'ogre ). Un bocal arc-en-ciel ! diable ! ça m'a tout l'air d'être d'un berlingot géant déguisé en bocal, ça ... Sur quelle planète sucrée vivez vous, Liam, pour attiser si puissamment notre péché
de gourmandise ? Votre commentaire est un baume, un autre bonbon, qui me fait infiniment pliasir (j'en bafouillis) un doux Plaisir, vraiment ! Cela dit, il y a un copyright drastique apposé sur chaque lettre, sur la moindre virgule, Voulez vous que mon mari l'ogre (qui est aussi cyclope) vienne chez vous, vous en expliquer, entre 3 yeux les tenants et aboutissants ? Votre petit neveu... hummm votre petit neveu fait à déjà de l'effet à mon ogre qui sortira d'énooormes babines, et des dents très pointues... Slurp ! vous avez interêt à bien cacher le neveu, (c'est mon conseil, entre bloggueurs il faut bien s'entraider un peu ;-)Comme dit toujours mon mari l'ogre : "un bloggeur averti en vaut 2 ! he ! he ! he ! Liam = miam miam !"
Cela dit votre commentaire est très précieux à mes yeux... Very choutant, c'est pas pour faire du rond de jambes et toutes sortes de flagorneries pompeuses, mais de votre part, connaissant votre style, (une autre chose qui à chaque fois m'éblouit)
je reçois votre appréciation comme un cadeau tout à fait encourageant... Merci mille et une fois, c'est une très belle journée !
Écrit par : Frasby | jeudi, 27 août 2009
Qu'est-ce que tu racontes bien !
Écrit par : Nicole de Buron | jeudi, 27 août 2009
@Nicole de Buron : Merci Nicole, c'est un bien joli compliment !
Écrit par : Nadine de rothschild | jeudi, 27 août 2009
ce retour m'enchante!!!!
Écrit par : catherine L | vendredi, 28 août 2009
@Catherine L : Et moi donc !!!
(enfin , je veux dire VOTRE retour !)
Je reviens de chez vous !!! quelle santé ! eh ben bravo !
(j'ai des rayures plein les yeux, est ce normal, docteur ?)
Écrit par : Frasby | vendredi, 28 août 2009
Passionnant ce billet !
Se vêtir en vert de Schweinfurt, ça risque d'être funeste…
Écrit par : kl loth | vendredi, 28 août 2009
@Kl-loth : merci pour tes encouragements... ;-)
(C'est le Germain Poître qui va être content, tu le connais bien ! tu as dû le croiser 1 fois ou 2 chez la Marcelle Pinturault, il s'occupe aussi de la kermesse)
Euh... Vert de Schweinfurt ??? Aïe !!!
Pourquoi pas sous le soleil ! pendant que tu y es ?
Très peu pour moi ! mais peut être pour éloigner cette nouvelle grippe (je n'ose dire "qu'on nous prépare")... une bonne grosse couche de badigeon de Vert de Schweinfurt sur la peau et
hop ! (plus funeste, tu meurs !)
A choisir, Je préfère encore le bleu d'Oran ;-) Tu en as ramené j'espère ?
Écrit par : Frasby | vendredi, 28 août 2009
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