vendredi, 05 mars 2010
Bang Bang
Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.
GUILLAUME APOLLINAIRE.
J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?
Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.
J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...
Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.
Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:
- "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",
c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ... S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé.
Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...
On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.
A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.
Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.
Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.
Ailleurs © Frb 2009
17:09 Publié dans Art contemporain sauvage, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Quel est le féminin d'Arthur ?
Écrit par : JEA | samedi, 13 mars 2010
@JEA : Arthrose ?
Écrit par : Frasby | samedi, 13 mars 2010
@ Frasby
Plus rimbaldienne : Françarthure...
Écrit par : JEA | samedi, 13 mars 2010
@JEA : Que vous arrive -til ? Etes vous devenu fou ? (rires)
Auriez vous abusé ce jour, de mon alcool de poire ? (Songez à ce pauvre Arthur se retournant mille fois dans sa tombe, bafoué, sans même se voir accorder le plus petit droit de réponse.).
Non, JEA ! en vérité je vous le dis : il ne faut point pousser mémé dans les orties (dans les orthurs ? ;-O!) songez à ce que vont penser nos amis du club poésie !
Reposez vous. J'arrive ! je prends un train de suite et vous apporte un café froid ;-)
Écrit par : Frasby | samedi, 13 mars 2010
@ Frasby
Pour être froid, le café n'y manquera pas. Il patientait bien une petite gare à 10 km d'ici. Là descendait Cendrars quand il souhaitait échapper à ses créanciers parisiens. Mais elle (la gare) a été jetée aux orties depuis longtemps.
Les seuls bus du coin sont scolaires et rouillés. Le voisin le plus proche, un fermier martyr, m'embarquerait bien volontiers sur son tracteur, mais les pointes de vitesse sont diablement limitées...
Tout ça pour la seule ivresse de naviguer sur un bateau au nom inattendu : "L'écluse tout" (Mariniers AR/FB).
Écrit par : JEA | samedi, 13 mars 2010
@JEA : Je vous aurais amené le café froid, juste pour le réchauffer sur un nom de chemin d'Ardennes.
Mais dites, plus de cendrars, plus de gare : Tout aurait donc disparu ? et rien jamais ne disparaît miraculeusement, n'est ce pas ? Dois je vous porter ce café (finalement je vais le chauffer) au balancement d'une piroque (ivre), pensez vous que certains bateaux (les tout petits pliés dans du papier léger) peuvent échapper à l'écluse-tout ?
Écrit par : Frasby | samedi, 13 mars 2010
@ Frasby
arrêtant de (mal) tourner autour de votre double bang, que vous écrire sinon que votre écriture est une exception, elle...
Écrit par : JEA | samedi, 13 mars 2010
@JEA : Je ne sais pas recevoir les compliments mais de votre part
je suis touchée...
Écrit par : Frasby | samedi, 13 mars 2010
Autre fuite du temps ( dans le sommeil)... mon écrit récent...
Après moi, le sommeil, s'étend
Lorqu'un oiseau étend ses ailes,
Je touche le bord de l'étang
Comme si déjà atteint, ... il gèle
Souffrir d'arrachement
A partager les rêves
Ni pourquoi, ni comment
Et en phrases brèves
Tu es dans un entre-deux,
Ne plus aimer qu'en rêve,
Ce qui est assez peu,
Pendant que les pierres se soulèvent.
Il n'y a plus d'écho, plus de froid,
Juste un pont suspendu
Entre toi et moi,
La journée s'est perdue.
La chevelure d'un jour automnal,
Emprunte ses couleurs à ma palette,
Ne connaît plus la durée, et s'étale
Comme les restes d'un été en fête.
Après moi l'étendue cassée, de la ligne droite
Par dessus, la ligne de ton épaule,
Après toi le déluge, et ses mains moites
Sous son poids, les branches courbées des saules.
De ton souffle, ll n'y a plus d'horizon,
C'est d'une nuit avant le réveil,
La confusion des saisons,
Pendant notre long sommeil
Où nous voyageons, sans savoir,
L'enchantement d'heures hivernales,
Quelque temps à l'abri des mémoires
Au fond de la nuit, son cristal
RC 28 - septembre 2012
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Écrit par : ren | dimanche, 30 septembre 2012
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