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lundi, 09 mars 2015

Le rivage oublié (II)

Il faut savoir répondre dans le vide. Ce sont les livres. Il faut savoir se perdre dans le vide. C’est la lumière dans laquelle on les lit ; il ne faut répondre aux autres qu’en créant.

PASCAL QUIGNARD : extr. "Les désarçonnés", Septième volume du "Dernier royaume", éditions Grasset, 2012. 

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Pascal Quignard cite Montaigne tombé de cheval lors d'une promenade. Désarçonné, le grand homme affaibli et gisant à terre : 

"mort, étendu à la renverse, le visage tout meurtri et tout écorché [...] n'ayant ni mouvement ni sentiment non plus qu'une souche", et qui, après avoir vomi "un plein seau de bouillons de sang pur", entreprit d'écrire "Les Essais".

 P. Quignard écrit encore :

"Tout à coup quelque chose désarçonne l'âme dans le corps. Tout à coup un amour renverse le cours de notre vie. Tout à coup une mort imprévue fait basculer l'ordre du monde [...] Tomber à la renverse [...] C'est comme une ­seconde naissance qui s'ouvre dans le cours de la vie."

Plus loin l'auteur évoque, en 1548, Etienne de La Boétie, l'homme, ami de Montaigne qui parla en beaux termes, la théorisant même, de la désobéissance civile:

"Je ne vous demande même pas d’ébranler le pouvoir mais seulement de ne plus le soutenir."

Commencez par arrêter de voter pour vos ennemis.

Arrêtez de vous donner des maîtres.

Arrêtez de payer des surveillants pour vous épier.

Arrêtez d’offrir par votre travail, au prince, l’or et les armes dont vous serez ensuite les victimes.

Arrêtez de donner la liste de vos biens à ceux qui exigent de vous piller.

Pourquoi constituez-vous ces files qui montent au bûcher et qui alimentent le sacrifice pour quelques-uns ou pour un seul ?

Pourquoi tenez-vous tant à être le complice préféré du meurtre et l’ami fidèle du désespoir ?

Les bêtes ne souffriraient pas ce que vous consentez.

Ne servez plus.

 

******************

 

Pour entrer dans l'image ou peut-être un reflet: en contrepoint encore mais sur un fil ténu précédent, le "royaume", fût il premier, dernier, vite vu, pas encore emballé pour soi seul, ni vendu, un instant retranché, rien qu'une légère errance en dessous de la surface éblouissante d'une ville occupée à nouveau ou toujours occupée. Un espace reprend l'homme qui marchait au hasard et s'y retrouve, par là même trouve une place que peut-être la société violente a cessé de lui accorder, un silence espéré loin des flux médiateurs, loin des violences d'après, loin de l'hyper-active injonction de devoir s'y sentir engagé à s'exprimer encore ou prendre partie prenante d'un nombre d'avis auxquels de toute façon on ne peut pas entièrement se rallier, loin des heures d'affluence, loin des ponts survoltés de traversées d'autos, d'hommes pressés et de vies hérissées, de courants électriques, des réseaux, des complots et loin très loin, de la vélocité, possessive. Ici, au jour le jour comme avant, comme après, c'est à peine, ou peiné qu'on retrouve un rivage tel un monde oublié, épargné, c'est un leurre, on le sait, mais peut-être, libre encore que l'imaginaire s'y repose, s'y prélasse. Peu importe, le prétexte vrai ou pas, l'endroit s'ouvre comme un livre, qui résiste aux assauts des foules, et de la peur, à nos replis craintifs, à la chute qui partout à la fois décrypte et tétanise l'homme au tempo rapide, qui se rêve au repos. Le lieu, ici invite, préservant des crissements, des fers, de la puissance, des serpents à sonnettes, des sirènes, des échos, à peine deux ou trois mouettes. A bonne distance sur terre comme au ciel, ces espaces semblent ouverts, pour nous aider à vivre, un peu d'eau, l'air, une berge vaguement à l'abandon, sans un phare, sans aucun feux de joie qu'attise la volonté de sacrifier, quoi donc ? Ici la berge étire un instant l'horizon, par la force de ce temps disponible, luxe doux n'ayant pas tant besoin de remparts ni de cuirasser l'être pour le trouver en phase, une heure avec lui même. Ce lieu où je n'avais pas forcément prévu d'aller à cet instant alors que la balade très naturellement m'y menait, happait d'un bleu-vert magnétique une mémoire d'océan qui n'existe pas sur le fleuve Rhône, pas en réalité, jamais à l'ordinaire, plutôt gris coutumier de sa grisaille urbaine. Bleu glacé de l'hiver, comme un gel, loin des pêches des navigateurs intrépides, de leurs chasses aux trésors, loin des vagues lourdes des hommes qui tombent et se relèvent comptent les points et les morts. Ici quelques reflets et les miroitements passagers de l'eau mêlée à une éclaircie toujours brève, le ciel bas ajoutant au désarroi des jours d'après, ce n'est pas rien qu'un rêve de glisser à travers cette luminosité, puis approcher d'un pas, concret, ou toucher la texture de cette berge, esquissant une trouée dans l'univers familier, bercé du flottement comme observer la vie avec les éléments devient un jour utile pour savoir qui on est. Il ne manquait, peut-être que "La barque silencieuse", hantant la simple image qui fragmente un passage d'une plus longue promenade, ce passage hante aussi quelques êtres, les plus lents, ou les autres, solitaires, ou les peu éloquents qui n'osent dire leurs idées au grand jour, peut-être pris à cette heure, de panique par l'instance collective, qui demande à chacun de penser à l'avenir, laïc ou religieux, alors qu'on ne peut plus suivre, en ses nombreux méandres, une si lourde entreprise. Alors qu'on se replie le jour où prononcer un seul mot, dont le sens qui déjà connoté, autopsié par tant d'autres, ruine la moindre tentative, et décourage, parfois du simple fait de vivre. Tous ces flux nous informent autant qu'ils peuvent aussi annuler la présence singulière, qui craindrait de se perdre en rejoignant trop vite les mouvements ou en se dévouant corps et âme aux causes les plus pressantes, en éprouve par avance les limites dérisoires aussi paradoxales que l'obstacle qu'il faut pourtant combattre. L'errance en contrepoint, du malaise éprouvé face aux ogres et géants, ici en forme floue, émerge par simple attrait, îlot d'indépendance, doucement retiré des sonos de la cité, une absence qui s'approche tout prés d'une autre page, déroule au pas suivant encore un fil d'Ariane, ou de Pascal (Quignard) magnifique écrivain, fouinant dans les comptines vieilles de nos origines éclairant notre époque, qui ravivent l'être humain fort de sa liberté inouïe, mais aussi entravée, à toutes les époques. Le livre offre de quoi sustenter les mortels embarqués, l'écrivain a rêvé de barques grecques allant à la dérive, il s'est concentré, à décrire :

"cette réserve animale, farouche, qui ne doit jamais se soumettre au langage, ni aux arts, ni à la communauté, ni à la famille, ni à la confidence amoureuse."

Il cherche le vivant avant que l’histoire l’ait réduit au standard, une piste, une phrase encore échouée, sur la barque invisible qu'il est possible ou non, d'ajouter à l'image (à la guise du lecteur de la voir apparaître ou de la dessiner). Extrait puisé toujours à la source limpide des beaux livres de l'auteur.

"Nous emportons avec nous lorsque nous crions pour la première fois dans le jour la perte d'un monde obscur, aphone, solitaire et liquide. Toujours ce lieu et ce silence nous seront dérobés"...

pourtant: "le large existe."

 

Photo : "L'eau qui revient sans cesse"...

Eau d'ici, eau de là, le bleu rare du fleuve Rhône © Frb, Lyon 2015.

Commentaires

Oh Frasby ! Merci, merci, merci. (Tu parles d'un commentaire...)

Écrit par : Marc | samedi, 31 janvier 2015

@Marc : ce commentaire me parle :))

merci d'avoir su retrouver le chemin du rivage, c'était pas indiqué !
(avant que je m'y re-perde) par peur, bien sûr, par peur, on se perd toujours par peur, on devrait par amour au final toujours s'y retrouver, on devrait... si on se perd (qu'elle vous dit) c'est que ce n'est pas de l'amour (pensée du jour :) ou la peur a gagné, ou bien c'est pas de l'amour, tant de définitions ... d'ailleurs qu'est ce qu'elle en sait ? Un peu, et pas assez, voilà que je m'y tiens cachée moi aussi, loin des bruits qui savent tout, répètent tout sans savoir, juste à l'ombre mais fidèle à mes sources, même si ça ne se voit pas, mon hétéronyme reste un fruit, (cadeau de l'Amérique à certains jours, unique réalité, pour ce nom d'emprunt de fiction, oh ! oh ! :) on n'oublie rien, j'vous dis ! et à deux pas de là je me régale d'un jour de poésie des derviches-tourneurs de Rumi qui s'en va en d'autres pistes codées pas encore élucidées, pas toutes, (heureusement), juchqu'aux vieux chages chinois les miens trinquent à nos futurs loukoums dans un reflet lunaire offert par Lao Tseu (frais pécho, partageable) :

"Produire et faire croître,
produire sans s'approprier,
agir sans rien attendre"
...

je note

"il y a des effondrements si tristes",
http://epistolaire.hautetfort.com/archive/2015/01/31/charlotte-15-5548820.html

là, une m(o)uette, traverse une passerelle, pas rieuse, silencieuse, voyageuse, triste aussi, recueillant ici et là les derniers galets, blancs, comme au premier jour (de la création :) elle peut s'en étonner comme au premier jour, c'est plus la mode, mais ça reste important, à mon tour, sans chichis, de vous remercier. Tu parles de tourniquets pour la simplicité, j'aurais pu sans chichis la faire courte, ou juste vous souhaiter une bonne année, Marc, une belle continuité en vos recherches, humaines, artistiques, et des jours heureux s'il est possible, vos correspondances, se partagent toujours bien,
enfin, moi je trouve ... :)

Écrit par : frasby | samedi, 31 janvier 2015

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