vendredi, 06 août 2010
Par une grande innocence ...
Le silence est l'élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu'enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu'elles vont dominer.
MAURICE MAETERLINCK, "Le trésor des humbles", éditions Mercure de France, Paris 1896
La musique est dans les ombrages. Pour l'écouter vous pouvez cliquer sur l'image.
Dans un monde de rudesse l'amour pourrait être presque doux. L'amour est tout, si malmené parfois, en s'éclipsant il se révèle mais cela est encore trop simple ou bien trop archaïque, qu'on ne peut si clairement en exposer la thèse et dénouer les fils qui trament les intrigues tant celles-ci se jouent de la coïncidence et du charme des opposés laissant l'homme et la femme impuissants face à leur destin. Nous sommes en 1892, Maurice MAETERLINCK crée "Pelléas et Mélisande", une histoire magnifique mise en musique avec raffinement, par le compositeur Claude DEBUSSY. Le récit reste fidèle, au livret de Maurice MAETERLINCK, c'est une transposition de l'histoire de "Tristan et Yseult, (ou le drame éternel et classique de deux jeunes gens qui, passionnément épris l'un de l'autre, voient la réalisation de leur amour empêchée par la présence d'un vieux mari jaloux et violent, leur amour avéré impossible, ne pourra s'accomplir que dans la mort). Claude DEBUSSY bien qu'employant toutes les ressources du leitmotiv, ne mena pas sa composition de la même façon que WAGNER, il dira à propos de son opéra en 5 actes et 19 tableaux :
"J'ai voulu que l'action ne s'arrêtât jamais, qu'elle fût continue, ininterrompue. La mélodie est antilyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Je n'ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d'exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s'efface dès qu'il convient qu'elle leur laisse l'entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur."
L'intrigue, nous la résumerons très succintement ainsi : Lors d’une partie de chasse, Golaud, prince du royaume d’Allemonde, se perd dans la forêt et rencontre au bord d’une fontaine une petite fille en pleurs désolée d’une mort déjà annoncée. Golaud la prend pour femme et la ramène au royaume d’Allemonde, sans connaître rien de son passé. Pelléas, demi-frère de Golaud, ne tarde pas à succomber au charme de la douce Mélisande et les deux jeunes gens s’avouent mutuellement leur amour. Golaud les surprend et, sous l’emprise d’une jalousie délirante, surgit par derrière un arbre et, "parce que c’est l’usage", frappe de son épée Pelléas qui tombe près de la fontaine, tandis que Mélisande s'enfuit légèrement blessée. Elle donnera naissance à une petite fille dont le destin s’annoncera tragique. "Vous ne savez pas ce que c'est que l'âme", soupire le vieux roi Arkel, aïeul de Golaud, au chevet de Mélisande. C’est pendant ce discours que Mélisande meurt discrètement. Le vieillard se lamente :"Je n’ai rien vu… Je n’ai rien entendu… Si vite, si vite… Tout d’un coup… Elle s’en va sans rien dire". En profonde détresse, les personnages se taisent ou s’expriment dans des paroles floues ou obscures. "Je ne sais pas ce que je dis" avouera Mélisande. Ces êtres au destin incertain semblent se mouvoir dans un ailleurs, imperceptiblement inscrit en ce monde. Ils n’agissent pas, au contraire ils sont agis et subissent leur sort en silence. Peu de choses sont dites tout n'est que suggéré...
"La parole est du temps, le silence de l'éternité. Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres. Les lèvres ou la langue peuvent représenter l'âme de la même manière qu'un chiffre ou un numéro d'ordre représente une peinture de Memlinck, par exemple, mais dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire ; et si, dans ces moments, nous résistons aux ordres invisibles et pressants du silence, nous avons fait une perte éternelle que les plus grands trésors de la sagesse humaine ne pourront réparer, car nous avons perdu l'occasion d'écouter une autre âme et de donner un instant d'existence à la nôtre ; et il y a bien des vies où de telles occasions ne se présentent pas deux fois…
Nous ne parlons qu'aux heures où nous ne vivons pas, dans les moments où nous ne voulons pas apercevoir nos frères et où nous nous sentons à une grande distance de la réalité. Et dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part. Aussi sommes-nous très avares du silence, et les plus imprudents d'entre nous ne se taisent pas avec le premier venu. L'instinct des vérités surhumaines que nous possédons tous nous avertit qu'il est dangereux de se taire avec quelqu'un que l'on désire ne pas connaître ou que l'on n'aime point ; car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s'il a eu un moment l'occasion d'être actif, ne s'efface jamais, et la vie véritable, et la seule qui laisse quelque trace, n'est faite que de silence. Souvenez-vous ici, dans ce silence auquel il faut avoir recours encore, afin que lui-même s'explique par lui-même ; et s'il vous est donné de descendre un instant en votre âme jusqu'aux profondeurs habitées par les anges, ce qu'avant tout vous vous rappellerez d'un être aimé profondément, ce n'est les paroles qu'il a dites, ou les gestes qu'il a faits, mais les silences que vous avez vécus ensemble ; car c'est la qualité de ces silences qui seule a révélé la qualité de votre amour et de vos âmes.
Je ne m'approche ici que du silence actif, car il y a un silence passif qui n'est que le reflet du sommeil, de la mort ou de l'inexistence. C'est le silence qui dort ; et tandis qu'il sommeille, il est moins redoutable encore que la parole ; mais une circonstance inattendue peut l'éveiller soudain, et alors c'est son frère, le grand silence actif, qui s'intronise. Soyez en garde. Deux âmes vont s'atteindre, les parois vont céder, des digues vont se rompre, et la vie ordinaire va faire place à une vie où tout devient très grave, où tout est sans défense, où plus rien n'ose rire, où plus rien n'obéit, où plus rien ne s'oublie … Et c'est parce qu'aucun de nous n'ignore cette sombre puissance et ses jeux dangereux que nous avons une peur si profonde du silence. Nous supportons à la rigueur le silence isolé, notre propre silence : mais le silence de plusieurs, le silence multiplié, et surtout le silence d'une foule est un fardeau surnaturel dont les âmes les plus fortes redoutent le poids inexplicable. Nous usons une grande partie de notre vie à rechercher les lieux où le silence ne règne pas. Dès que deux ou trois hommes se rencontrent, ils ne songent qu'à bannir l'invisible ennemi, car combien d'amitiés ordinaires n'ont d'autres fondements que la haine du silence ? Et si, malgré tous les efforts, il réussit à se glisser entre des êtres assemblés, ces êtres tourneront la tête avec inquiétude, du côté solennel des choses que l'on n'aperçoit pas, et puis ils s'en iront bientôt, cédant la place à l'inconnu, et ils s'éviteront à l'avenir, parce qu'ils craignent que la lutte séculaire ne devienne vaine une fois de plus, et que l'un d'eux ne soit de ceux, peut-être, qui ouvrent en secret la porte à l'adversaire."
(Maurice MAETERLINCK, extr: "Le Trésor des humbles", Mercure de France, Paris, 1896 )
Photo : Ceci n'est pas la forêt de "Pelléas et Mélisande" mais celle du beau et très puissant Marquis de Monrouan, prince des ombres qui vont aux mondes invisibles. Ici même est "ailleurs", cachant mille secrets, hélas, l'histoire serait assez sublime, et j'aurais bien plaisir à vous la raconter, si la vieille épouse du Marquis (une créature méchante) n'était pas si jalouse ... Or je tiens à la vie, tout autant qu'à son ombre et je vous prie, chers lecteurs, de ne rien divulguer, sinon il arriverait un grand malheur. Nabirosina. Ma forêt. Août 2010. © Frb.
16:39 Publié dans A tribute to, Balades, De la musique avant toute chose, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Tout compliqué pour moi. Belle journée !!
Écrit par : patriarch | lundi, 16 août 2010
@Patriarch : Oui c'est sûr que pas un billet de mâtines enfin c'est gentil d'être passé, Bonne journée à vous z'aussi !
Écrit par : Frasby | lundi, 16 août 2010
"Nous ne parlons qu'aux heures où nous ne vivons pas, dans les moments où nous ne voulons pas apercevoir nos frères et où nous nous sentons à une grande distance de la réalité"
EXACT ! parfaitement ! or notre époque est sans doute la plus bavarde de tous les temps ! la conclusion s'impose d'elle même non ?
Écrit par : hozan kebo | lundi, 16 août 2010
@Hozan Kebo : Oui !
http://www.youtube.com/watch?v=hex6IErt9do
Écrit par : Frasby | lundi, 16 août 2010
Je me demande, moi aussi, si le silence ne serait pas la plus belle invention du langage... et il nous garde pieux que la parole, je crois.
Mais bon, rien n'est sûr :)
Écrit par : Jean | lundi, 16 août 2010
"il nous garde pieux que la parole"
j'aime beaucoup les coquilles elles expriment souvent "des trucs" auxquels on n'aurait pas "pensé"
le supplice du pieu du silence ?
être empalé sur du silence ? (la torture absolue pour quelques nombreux de nos contemporains : couper leur phone "portable")
appli pour iphone : téléchargez gratuitement une minute de silence
Écrit par : hozan kebo | lundi, 16 août 2010
@ Hozan Kebo : Je confirme, elle est au poil celle-là. Hélas je n'y suis pour rien :)
Télécharger le silence : ils sont bien fichus de nous inventer ça, tiens...
Écrit par : Jean | lundi, 16 août 2010
@Jean : Ravie de vous lire ici, puisque vos cerbères ont toujours la tête aussi dure (impossible de leur faire comprendre...) J'espère que vous arriverez tout de même à lire les très nombreux et longs commentaires silencieux que j'ai posé chez vous entre hier et aujourd'hui et que vous les avez lus relus et appréciés selon l'usage (!:-O) Mais pour en revenir au silence qui serait la plus belle invention du langage oui, je suis d'accord et je me demande... Et heureusement que rien n'est sûr, parce que sinon on aurait presque envie d'en être sûr (enfin bref ... ;-) Vous avez vu qu' aujourd'hui c'est Hozan qui ramasse les coquilles (rires), et lui, tout de suite il nous empale sur du silence, vite fait bien fait (d'ailleurs, elle est au poil, cette petite affaire de portable, quel rebond !) et moi qui pensais au recueillement qu'il y a dans la prière (je nous faisais pieux dites donc !) mais je visite trop d'églises romanes ... Et impossible de télécharger un psy sur mon portable, les psys sont en vacances et je n'ai pas de portable. Du silence aux abîmes ... Il n'y a qu'un pas ou un pieu ? Mais rien n'est sûr, pour sûr ! ;)
Écrit par : frasby | lundi, 16 août 2010
@Hozan Kebo : Si vous n'êtes pas pouêt, ne seriez vous pas chouïa chouïa in fine Pchy en plus de bourreau des paroles
i-portatives ? Un CV qui coupera le sifflet à plus d'un, sans passer par la case "pieu du silence". Oui j'avoue ! Il est beau votre supplice. On pourrait même l'appliquer dans les trains. Empaler les voyageurs à portables qui nous empêchent de lire tranquilles ne serait pas un supplice mais un acte citoyen de solidarité participative. Télécharger la minute de silence, et faire payer ça très très cher bien sûr, ça, c'est une idée très maline ! vous devriez faire breveter au plus vite avant que des plus malins que vous et nous ne vous la piquent, ils seraient bien capables de nous rendre l'appli si indispensable, qu'aucun de nous ne pourrait plus s'en passer. (Misère ! ;-))
Écrit par : frasby | lundi, 16 août 2010
@Jean : Déjà on peut télécharger le vide, alors pourquoi pas le silence ? Ils en sont tellement capable que je me demande s'ils ne l'ont pas déjà inventé...
Pour celle qui est au poil vous êtes sûr que euh ... ? Non rien ;)
Comme dirait Marguerite (je cite) : "Forcément subliminal" !
Écrit par : frasby | lundi, 16 août 2010
Je garde, pour le silence de mes amis, une souvenir bien tendre. Ces plages de silence m'ont donné le temps de rêver d'eux.
Écrit par : Marc | mercredi, 10 décembre 2014
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