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vendredi, 12 février 2010

Le miroir des simples âmes

"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"

MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.

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Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.

A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.

L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui  par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.

l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.

Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.

A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...

Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.

Commentaires

13 beguinages inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO : la superstition se perd...

Écrit par : JEA | samedi, 27 février 2010

@JEA : Diantrebleu ! Je ne savais pas. Je n'ose regarder en face ces 2 chiffres. Rien que de les lire en toutes lettres (en pire nombre ;-o) j'en éprouve une sorte de terreur indicible . Vous ne pourriez pas demander à l'UNESCO d'en inscrire un de plus au plus vite de béguinage ?
S'il vous plaît JEA ! Téléphonez de suite au directeur de
l'UNESCO ! faites quelque chose !

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

Ces mystiques secrètes... Discrètes. Ce n'est pas la première fois que le sujet vous intéresse. J'aime aussi que vous ayez saisi qu'il s'agissait également d'affranchissement d'autres contraintes pour elles. Merci pour ce beau teste et le beau lien.

Écrit par : Marc | samedi, 27 février 2010

les beguines m'ont toujours fascinée ...j'ai aimé me pencher sur la question, il y a quelque temps déjà ..j'ai retrouvé certains noms avec ma copine wiki...je ne résiste pas.... Sybille de Gages, Ida de Léau, Mechthild de Magdebourg et Douceline de Digne....
merci Frasby pour cette plongée médiévale en béguinage...

Écrit par : catherine L | samedi, 27 février 2010

@Catherine L : Nous aurions pu faire un beau billet à quatre mains. Les béguines m'ont toujours fascinée aussi. Et j'envisageais tout à fait au fil de certains jours une suite
tant les béguinages médiévaux sont de purs joyaux et foisonnants de surcroit
Ida de Léau (quelle merveille)
Je ne connais pas Sybille de Gages.
Vous pourriez m'en apprendre de belles.
Merci à vous pour ces noms (Douceline de Digne ça ne s'invente pas) ... Vos appréciations m'enchantent assez, je vous avoue...

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

@ Marc : Ravie de vous lire, de vous retrouver (enfin !) ici. Merci pour votre commentaire, je suis touchée de le lire.
Bien sûr il y a eu d'autres billets et il y en aura d'autres. Tant les écrits des béguines sont captivants.
Il est vrai et cela est peut être l'essentiel, la sève même de ce mouvement, c'est que ces écrits partent d'une liberté extraordinaire que les béguines ont pris le soin d'inventer.
L'amour avait besoin de s'affranchir pour être bien nommé, bien chanté. Une épure. Qui a besoin de se mêler à toutes les chatoyances de la liberté, c'est cela qui est étrange. Etrangement troublant et très beau. (il me semble... ;-)
A très bientôt, le temps me manque de venir chez vous, mais il y a quelques cailloux blancs de semés ça et là... Et les chemins se croiseront...

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

une recherche sur internet en entraînant une autre, je découvre que la meilleure copine de Douceline de Digne s'appelait Philippine de Porcelet ( fin du XIII ième) elle a même écrit sur elle..
Frasby vous me devez un billet sur ces béguines !!les noms ne s'inventent pas, le reste peut-être ?
J'en salive déjà....

Écrit par : catherine L | samedi, 27 février 2010

@ Catherine L . Doux Seigneur ! Philippine de Porcelet était béguine ? Elle ne me l'a jamais dit !
Les béguines seraient elles cachottières ?
Il va falloir que je truque mon horloge pour béguiner dans les internettes, une vraie machine à voyager dans le temps ces internettes ! Enfin pour vous me prenez par les sentiments
vous ne voyez pas ???
Je tiens toujours mes promesses (du genre un ou deux ans après
faut ça mais je suis une personne de parole !)
Les noms, je n'attends que vous pour me les fournir, nous ferons un billet à quatre mains, si vous voulez, moi je veux bien inventer un amant délicieux à cette Philippine de Porcelet
Et puis un autre pour Douceline de Digne, nous les mettrons dans de beaux draps, soyeux (Lyon oblige) , la maison fournira les étoffes, j'embaucherai des brodeuses (rires), je compte sur vous pour coudre tout ça au fil blanc.
Doux Diable ! ça salive grave sur ce blog aujourd'hui (;-O!)

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

Doux Seigneur ! Philippine de Porcelet était béguine ?
AH NON !
en revanche il est avéré que Philipppine de Porcelet eut un fort béguin pour son confesseur , l'abbé (d'origine gaelique) O'Vinblan (dont l'histoire a retenu qu'il est le probable inventeur d'une recette d'andouillette succulente)
Phillipine a laissé quelques carnets de notes intimes où l'on peut lire : ""ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu" ah quelle sotte cette HADEWIJCH !!"

Écrit par : hozan kebo | samedi, 27 février 2010

@Hozan Kebo : Béguine comme pas deux ! La Philippine !
Quand je pense qu'on lui aurait donné le bon Dieu
sans confession ! Vous contestez Hozan ?
Je comprends que ce soit un coup très dur, et c'est dur pour tout le monde, je comprends que ça vous fasse du chagrin, mais vous oublierez, (une bonne andouillette sur tout cela et adieu les tourments !)
L'abbé O Vinblan ! Ah oui ! j'ai bien connu du côté de Nogent, jadis sous des tonnelles, son petit fils (;-O!)
Le petit O'Vinblanc, un jeune homme bien charmant. Que devient il ? Comment ? Que lis je ? HADEWIJCH n'a pas bu son vin ? Et elle est ivre ? Mais d'où le savez vous ? Mais comment est ce possible ? Où avez vous pêché tous ces racontars malfaisants ?

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

"Dis moi : "voila du vin!" en me versant à boire
Mais surtout que ce soit en public et notoire
Ce n'est qu'ç jeun que je sens que j'ai tort
Je n'ai gagné qu'en étant ivre-mort
Proclame haut le nom de celui que tu aimes
Car il n'est rien de bon dans les plaisirs cachés ..."

Abû Nuwâs (poète arabe , né vers 757, mort à Bagdad vers 815)- "Le vin , le vent , la vie" editions Sinbad Actes Sud)

Écrit par : hozan kebo | samedi, 27 février 2010

@Hozan Kebo : Abû Nuwâs ! de la belle facture j'aime beaucoup !
mais pour qui pourquoi proclamer si haut
quand :"Une forte imagination produit l'évènement" ?
Montaigne (1533-1592)

Écrit par : Frasby | samedi, 27 février 2010

je suis fascinée par hadewijch d'anvers et quelques unes de ses consoeurs beguines dont certaines ont vécu à la Ramée, près de chez moi.
je l'ai découvert via la poésie de Anne-Marie Beeckman, Le vestiaire des vagues, aux Ateliers de l'Agneau...

merci pour cet article qui lève un peu le voile sur la fascinante histoire des femmes mystiques

Écrit par : florence Noël | dimanche, 28 février 2010

@Florence Noël : C'est vrai, il y a tout un mystère dans cette écriture, on n'a presque pas envie que tout nous soit révélé tant le verbe y est pur et touche profondément les sens .
Peut être près de chez vous, pouvez retourner sur les traces de ces femmes à la fois si libres et extatiques ? Y a t-il une atmosphère particulière ? une mémoire (presque dans l'air ?)
J'avoue que vous me faites bien rêver.
Par contre je connais peu Anne-Marie Beeckman, mais je prends note.
Merci d'apprécier. Cet article en dit peu. J'ai quand même le projet d'en écrire un autre très léger aussi, d'amener doucement, cette poésie, à la surface mais sans brusquer, ni envahir car il y a tant à dire, et une telle liberté chez ces béguines qu'on craint presque en exposant ainsi quelques éléments à leur sujet, d'en abîmer toute la poésie.
Sinon, je suis ravie de vous re-croiser comme vous savez ici et là. N'hésitez pas !

Écrit par : Frasby | dimanche, 28 février 2010

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