mardi, 14 avril 2015
Rondeur des jours
Que d'années à se défaire du pli, à se délester des chimères, à se décrasser des niaiseries, à rompre le cercle étouffant de la faute et du rachat, à prendre le large loin de ces tenaces mais si touchantes impostures auxquelles butent les furieux élans de l'enfance façonnée dans la cruelle chasteté et le miel du respect, et qui doit tenir sa langue en attendant que vienne l'heure où la rebellion fusera au grand jour comme germe une plante après un long hiver.
LOUIS-RENE DES FORÊTS in "Ostinato", éditions Gallimard 2000,
Pour ne plus avoir peur des questions de Samuel Wood:
Comment chanter sur un registre moins pauvre ?
Tout cela qui fut, qui est l’éclat du moment
Étrange sans doute comme les métaphores des rêves
Offre une vision meilleure du temps
Malgré tant de figures réfractaires
Qu’en dépit de plus d’un détour
La langue échoue à prendre dans ses pièges,
Mais bien loin de se tenir à distance
Elles rayonnent assez fort pour que s’exerce
Au-delà des mots leur hégémonie souveraine
Sur l’esprit qui, grâce à elles, y voit plus clair
Quand il ne se laisse pas dévoyer par la phrase
Avec ses trop beaux accords, son rituel trompeur
Auxquels s’oppose en tout la communion silencieuse,
Ce feu profond sans médiation impure.
Ici: Rondeau pour une basse continue et des petits tambours. Un aperçu de rude hiver, où les instruments artisanaux dits "en forme de lune" tiennent encore au domaine, (Dieu sait comment !), on appelle ici Dieu, tout ce qu'on ne sait plus nommer.
Demain: de frêles bourgeonnements juste un balbutiement, rien ne se perd, etc, etc...
promesses: la naissance du printemps, Cupidon caresse la Tulipia Grachinea aux jardins engloutis, Rémi et Colette ramassent toutes les violettes dans le pré pour faire une surprise à maman.
En douce: l'effraie au guet des petits animaux de l'aube et de la nuit, redevenus farouches, aucun d'eux désormais n'oseront faire un mouvement.
Ailleurs: les dimanches en famille, sur l'air de "ils cueillent des jonquilles"
De nos refuges, pas un mot pour le dire, rien que du fragmentaire, pas de printemps officiel, un prélude, en hommage aux amis disparus et réapparus, avec récital de bruissements devant une société de colibris-pêcheurs et mésanges d'Amérique, de hérissons très doux, d'écureuils pas très clairs (le panache cache les taches de rousseurs + un soupçon de hold up dans les noisetiers de l'amicale écologiste) et les autres: oryx, algazelles aux abois, "la fée" et sa demeure, fidèle itinérante, lutins bleutés, anachorètes, à pieds ou rossinante, qui vont par les chemins en guêtres de pollen, créatures à l'âme singulière qui ont toutes appris le linta à l'ocèle de l'édoubrille et pourraient réciter par coeur les poèmes de Samuel Wood en charmillon, ils se reconnaîtront.
Laissant courir ailleurs le temps, les mots, le murmure des forêts, demeurera inchangé, même après les travaux, pendant que le bûcheron finira de boire sa bière en jetant les canettes dans la clairière, (à cette nouvelle décharge la beauté, à la serpe) hommage à "Serpe d'or", une bouteille à Nestor, trouvée dans la rivière par les lierres et les algues, "nous sommes liés quelque part", c'est là une évidence même quand la boîte retarde sur un mode unplugged, mes excuses ajournées et des remerciements à ceux qui ont écrit, avec mes voeux de Mai, à ce train là, ils glisseront sur la vasonnette de Juillet, mince indice, les courriers ne partent plus, et je laisse en état, un malin musicien qui ne manquait pas d'humour (enfantin même potache) aurait pris quelques ronces frottées sur un vieux tronc pour écrire "j'ai été coupé", ainsi sortir des bruits, un beau son, et sourire du reste, il l'a peut-être fait...
Avec des si : du murmure au cri des forêts, il manquerait peut-être un pont qu'on ne sait plus franchir, pas de cri, rien que le souffle du vent qui tient lieu de parole et de souffle, simplement.
Nota : Si vous le souhaitez vous pouvez effleurer les images, pour ceux qui aiment voir les saccages en plus grand ce qui n'est pas mon parti-pris, moi, je ne dis rien de précis, ni vrai, ni édifiant, je montre ce qui existe, des espaces aux limites qui, peut-être nous regardent...
Là bas , Frb 2014-2015
jeudi, 26 mars 2015
Le parachute bleuté (interlude)
Il y a peut-être des lieux où l'on se trouve soudain comme dans le ciel.
ANDRE DHÔTEL extr. "Mémoires de Sébastien", les cahiers verts, éditions Grasset 1955.
Sébastien, il faut l’avoir à l’œil, car il s’empresse à faire le canard pour n’importe quels beaux yeux nous avait confié sans vergogne, le ouiketi qui cachait sous son plus beau plumage, une tête d'Or, à ce qu'on dit.
On ne mesure pas le lieu qui sépara le ciel du parachute bleuté, si on n'est pas dans le ciel, si on n'a pas coulé, (sans aucune connexion, pour l'heure ça tiendra d'un pari stupide, évidemment), aveugle et vicieux comme on est, on finirait après des années d'ignorance, et même d'indifférence (c'est écrit, dans un monde, d'amis bien renseignés, donc ça ne peut-être que vrai :), à toucher l'autre rive en arrivant coiffé, au pays où l'on n'arrive jamais. Là, avec un peu de chance, on trouverait peut-être un point d'eau pour se laver... Enfin, avec des si, et des coïncidences, "vous nous rencontrerez peut-être un jour ou deux, sur cette petite route entre le bois et le petit lac." (*).
(*) extrait des "Mémoires de Sébastien", pour la belle aventure aux grands rivages de Dhôtelland.
Lyon, le lac de la Tête d'Or, au printemps (des poètes) © Frb 2015.
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lundi, 16 mars 2015
le rivage oublié (I)
Mais l'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or, nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis avant même que l'état l'ait entièrement assimilé.
PAUL VALERY in "Le bilan de l’intelligence", extr. d'une conférence prononcée en 1935, publiée aux éditions Allia, 2011.
Les brouillards descendaient sur une berge antique. On se laissait mener ailleurs, du bon côté, on a dû s'emparer de l'authenticité ; c'est une denrée prisée des centres hyper-actifs, on serait des followers, des winners des addicts, des lanternes affligées d'une comptabilité qui s'emballe comme tout le monde.
On a vu douter l'île, ou bien on s'était dit qu'elle pouvait rétrécir en même temps que nos ombres ne cessaient de grandir. On touchait l'ornement posant pour la vitrine : on devenait clinique, à caresser les cibles en voeu de réflection ; hantées de chapiteaux de nefs et d'ogives, le reste à l'abandon cédait aux sons stridents. On voulait ralentir, c'est une base l'abandon, elle a de quoi offrir. On se balade parfois près du petit étang on recherche les barques en vieux bois bleu d'Egypte. Elles pourrissent à présent.
On laisserait aller au fouillis primitif, les roseaux sur des friches, on viserait l'avenir, une chance aux yeux du monde : aller au plus pressant du prodigieux galop, trouver sa voie, courir, saisir la profusion. Tous ces dons chimériques c'est comme une contagion, qui saisit n'importe où une brèche à éblouir, vise un point culminant, glisse en conversations de sujets qui se grisent, soucieux de rajouter à ces crépitements un grain de mandoline. Il est doux cependant de se ressouvenir qu'on était muet, avant.
Le rivage oublié désarme l'impatience. On se tait pour survivre. La nuit, on imagine qu'on est des organismes perdus dans l'aquarium à écouter des voix trouées de concessions qui perdraient un temps fou à courir après qui court après d'autres rives.
- Comment veux-tu savoir, à quoi il ressemblait, le rivage oublié, si tu l'as oublié ?
A demandé la fouine qui devait mettre à jour le plus petit secret de tous, dans un grand livre. C'est une compilation de vues méga-lucides qui paraîtraient en ligne enroberaient la mappemonde et plus tard, fort probable que dans la galaxie, les êtres des autres planètes auraient de quoi nous comprendre.
On tentait juste un pas, un parcours affligeant pour les petites personnes qui courent à la remorque, qui courent après l'extime du plus grand nombre de clics. La fouine, rien à redire, elle fait son job de fouine en haut d'une pyramide, avec cette ambition d'aller vers le plus haut, et de plus en plus fort au plus puissant des nombres jusqu'au plus haut sommet.
- Qu'est ce tu veux qu'on dise, et qu'on dira sûrement ? Quelle réponse absolue pourrait enfin convenir à ce chef d'oeuvre limpide intitulé "les autres" ? Quelle expression piquer sur celles qui nous réduisent à nous voir une seconde submergés d'émotion ?
C'était un court instant, accélérant le temps, sous le ciel, un nuage boursouflait les ballots de phrases effilochant des masses qui décortiquent.
La vitrine se divise. On demeure hébété, à écouter le vent chatouiller en sifflant les premières jonquilles, on voit dans le courant un semblable aux abois, on pourrait l'empailler pour nos divertissements et on se régalerait, on zapperait poliment, on irait s'enticher des chemins buissonniers on prendrait en photos les ruraux folkloriques qui soignent leurs trésors avec ces airs de glands revenus concassés par l'homme de l'ère de Scrat. On chercherait la bête nue sous sa carapace, le panache écrasé, le défaut, l'oeil au guet, on gratterait sous la peau pour vous montrer la crasse avec une éloquence qui nous pousse à ramper et jamais les lueurs de l'ancienne volupté n'en reviendraient intactes.
Sous ces tarissements, des messies nous reprennent notre joie, notre peine, ils l'ingèrent, la recrachent avec l'air dégoûté des héros fatigués des couleurs du spectacle, ils s'habillent dans la vague et se coiffent en épis selon l'humeur du temps. Là bas, roulent d'autres vagues. Ils nous apprennent à vendre les fantaisies de l'île, à vendre avec nos gueules qui racontent une histoire peu importe laquelle et n'importe comment, vues par un spécialiste du buzz intelligent, là, du rêve pour les masses, du vierge, du coloriage, du bien-être, du bonheur, l'évasion, la jouissance, imagine le spectacle des grands spa dans l'étang, des machines à filmer tous les ravissements. Imagine quel air pop sur ton mur, quelle flambée intérieure ! quand les chiffres s'élèveront en cent mille rondes flaques.
La vibration secrète du rivage oublié installe entre la loi des chiffres et le prochain décompte, un besoin de partir, tandis que nous traînons avec nos arrangements sachant qu'il vient un temps, où le moindre arrangement devient insurmontable.
Il reste hors de propos, ce silence à la marge accroché au soupir, un peu d'air anonyme comme une fausse confidence tire parfois d'embarras:
- Quel âge a ce regard quand il songe à l'enfance ?
- Où trouver le produit dérivé d'une substance qui tiendrait du secret de l'ancien équilibre ?
- Comment veux-tu garder ta vie en sa réserve, à présent que ton corps, ton âme, ta peau, ton sang et ta bouche et ta laine ils deviennent collectifs ? Crois tu vraiment du haut de ton observatoire, être le bon vivant qui pourrait nous aider à échapper à ça ?
Elle farfouillait la fouine, qui tutoyait tout le monde, c'est une force étonnante d'avoir l'air tous complices sans souffrir la présence, où tous dans le même bateau, on tient grâce au même vice : frénésie du nouveau. On va désespérant, le cul entre deux siècles, on crache dans la soupière, puis on bricole le nerf avec le doux penchant.
Faut dire, vu du rivage, qu'on aurait toujours l'air de mendier quelque chose, c'est pas pour en rester à ces lamentations qu'on délaissait notre île. On avait une "étoffe", on tâtait des plaisirs à glaner des idées, et même des idéaux, des charges industrielles d'idées et d'idéaux, qui nous passent par la fenêtre. A ce rythme incroyable, on parle de légèreté sans plus connaître le mot, on se fait remarquer par l'opiniâtreté et cette drôle de façon d'attirer l'attention, une charge industrielle de regards et d'égards et des phrases immortelles, dont la suavité se donne, prend, et déjecte, on stockerait cet amas dans nos mains, dans nos bouches, et nos siphons de poulpes.
- Comment veux-tu le dire qu'un secret reste à taire si t'en parles à tout l'monde ? C'est plus rien d'un secret, à nous le savonner pour mousser ton baquet puis nous livrer liquides, histoire de brocanter, et si tu la fermais on te le reprocherait, on serait persuadé, que tu nous caches quelque chose".
Nous, on était assis, devant tous ces reflets, pris de vertige alors, à regarder des bouches qui nous fabriquent en kit toujours les mêmes symptômes, dès qu'on tente quelque chose, il y a toujours un psychiatre du café du commerce, qui ajoute ses sophismes aux défaites ordinaires. On n'ouvre plus un seul champ, sans en craindre à rebours les sensibilités des hordes délicates; quand semblant familier, on avait vu plus loin l’homme assis sur un banc, il restait silencieux, il protège sa mémoire sur un autre rivage, se garde en équilibre, il se tient au retrait et voit le vent, tourné.
- Comment tu peux savoir qu'il voit le vent, tourné ? Est-ce que ça nous regarde ce qui se tient caché ? Et crois-tu qu'un spectacle a quelque chose à dire sur le genre singulier ?...
- Allons, tais toi la fouine! ne presse plus de questions, va courir et laisse vivre !
L'homme approuvait encore les silhouettes sur les ponts et scrutant le rivage, est-il prêt à s'enfuir pour retourner marcher pieds-nus sous les nuages ? Coucher son corps verso sur des galets humides, redoutant un instant n'être qu'un figurant ? N'avait-il pas rêvé se vêtir de clarté, dans la mélancolie qui ouvrait au désir de partager sa rive ? L'homme parait assoupi, il ne traîne plus sa peine à chercher quelque part la chose exceptionnelle, il n'a plus d'orthographe. Il défait son ouvrage.
Aucune de ses paroles n’innocenterait celui pressé de nous rappeler qu'à ces fabriques d'oubli nous fûmes un jour portés, plus rien ne justifie notre temps de parole, et le silence idem, s'expose en négligé, des vies qui se claironnent sans les avoir croisées. Et nous autres à la botte rendus méconnaissables, on pose à l'aveuglette nos regains nos réclames, on les offre à la chèvre, puis enfin le saccage tourne à la ritournelle. On rencontre, on remplace, on s'habitue, à "ça", on vient à la capture, tout secoué de spasmes, et de génuflexions face à cette merveille : la "fameuse" subversion de l'image et du son.
On n'échappe plus nulle part, ici tout se confond, là bas des cartes postales, plus loin, l'entrepreneur récupère des carcasses. Les hommes sans illusion regardaient revenir les oiseaux migrateurs, sur la ligne de fuite, rien qu'une démarcation, faite pour l'atterrissage d'improbables choucas et de l'autre côté, l'épatante ascension de ces pilotes d'avions qui repartent aussitôt, et peu à peu s'effacent.
On craint la défection, l'oeil collé à la vitre, on achète à bas prix un tas d'objets bizarres où nos joies infantiles parcourent à mots couverts ces années, ces hasards. On replie l'ornement. On est déjà ailleurs, on ne sait plus bien comment décrire la défection, on l'accepte (comme un lot). On se dore d'illusion, on se tend des miroirs, on virevolte, on s'entasse, on aimerait qu'il existe pas loin dans les parages, un endroit où un homme pourrait survivre un an sans aucune connexion, on admet (autre lot) qu'au lieu de le montrer, il vaudrait mieux l'enfouir au fond d'un trou de taupe. Ainsi, ces formes abstraites, qui nous venaient en rêves ne pouvant s'éprouver au jeu de la durée entraient en collision. Pas le moindre centimètre du moindre cervelet qui ne fut pas versé dans le grand balancier où les phrases désormais forment des vaguelettes dont les motifs miroitent bercés par toutes les vagues qui re-battent la campagne louée par des chamans, on les chope à l'arrache, on se kiffe, on se like, puis on va voir en face chez les nouveaux marchands, on surfe sur la tendance, on s'embarque, on débarque, on cause, on crypte, on casse, puis on déplie son corps, on se change les idées, on court par les ruelles acheter des cartes postales qui recyclent du pavé sur un air de printemps...
L'homme est près du rivage, il a aimé les joncs, dormi dans les fougères, il a choyé les barques. Son esprit ne tient plus qu'à l'air de monstre idiot qui vit de ses paris, (stupides, évidemment), puis dépassant la ligne, du rythme il se détache, des mots qu'on lui refile et il brade son image. S'il avait disparu, il n'y aurait plus personne pour adorer la rive mais dès qu'on l'aperçoit remonter souriant du plus grand précipice, on n'est plus seul, enfin, tu ne seras plus seul à peupler le rivage de ces grands poèmes-fleuves, qui remontent lentement et ralentissent encore, se tiennent loin des torrents sur les simples cours d'eau aux replis, dans les coins, loin des murs abrasifs, il y aura des passeurs.
Photo : portrait du veilleur immobile et discret silencieux amoureux de ses rives, dédié au lointain, et au proche. Et à tous ceux qui ne pourront se résoudre tout à fait à l'oubli, même si parfois dans la vie compliquée, on ne peut faire autrement qu'accepter une latence (qui n'est pas forcément choisie...)
Lac de Tranquillité, © Frb 2014 remixed 2015.
vendredi, 20 février 2015
Les errances du modèle (III)
Il est des êtres qui cultivent une apparente difficulté de vivre à seule fin de se croire supérieurs à ceux que ces tourments épargnent. Mais pourquoi celui qui souffre et cherche, devrait-il s’estimer supérieur à celui qui ni ne souffre, ni ne cherche ? Face à la vie, nous sommes tous des infirmes, et nul n’est fondé à se croire supérieur ou inférieur à quiconque.
CHARLES JULIET, extrait "Ténèbres en terre froide", Journal tome I, (1957-1964), éditions POL 2000.
J'ai voyagé partout et j’ai les yeux fermés, pris dans les planisphères, fou des géographies et des rives anciennes mais je vis bien caché, blotti dans les fourrés gris de la taupinière, remblais des rêveries retombées sous un trait commun, définitif.
Le mensonge et l'oubli est tout ce qui nous reste, un fond de gouaches pressées, une histoire d'outremer sur velin démodé, et on s'étonne encore qu'au fond de cette nuit, le gris nous ré-invente un refuge accessible comme la dernière couleur quand la mélancolie fût changée en mépris, la dernière couleur même, qui n'avait rien trahi, c'était le gris venu en simples causeries avec le mal du soir. Le gris inavouable des mondes à Reverzy, sans film et sans nuance, un matin, nous surprit en mal de poésie.
Tu me dis que le gris de la matière immense est de toutes les couleurs ; je m'use toujours à croire que rester sur ce quai gris comme les grands trottoirs la nuit dans la cité, protègera des obstacles. Je rêvais de partir tout en ne partant pas, parce que plus je m'en vais plus le pas me ramène au regret de mes rives, plus je pense aux voyages, plus je voudrais rester, ici, et chaque jour repartir en balade pour flâner chez les miens, flâner où j'aime flâner.
Tu ne connais pas le temps dont l'être singulier a besoin pour aimer chaque rue de sa ville, tu ne connais pas les gens mais tu en parles bien, le nez contre ta vitre, écrasé à juger des minables qui n'ont pas eu la chance de s'élever grâce aux maîtres à penser, que tu nourris le jour en leur offrant ta vie, tu me parles de la chance, comme une belle récompense qu'un esprit affligé d'un tuteur disposé à régner sur son temps plus fin que les horloges, doit gagner au final. Perdre ou gagner, en somme, des blâmes et des trophées, au pied du métronome, c'était là, l'uniforme qui frappait les attraits. Et moi, je ne suis pas sûr de bien connaître le rythme et le temps qu’il faudra à un Homme pour aimer se refaire une vie au même endroit, afin de mieux comprendre ceux qu'il doit rencontrer, ou qu'il souhaite retrouver et qui l'ont oublié comme au temps quand chacun s'était cru destiné à construire. Construire quoi ? Un Royaume ? Devenu cet empire de mots désaffectés, chacun à sa marotte, secouant un hochet.
Au fil du temps j’ai vu que je ne connaissais rien, ni mon père, ni ma mère, ni ceux qui me nourrissent, je me croyais porté par eux, floué parfois, plus malin que les autres, mais c’est une illusion due à la négligence, de prétendre que les autres ont perdu la mémoire, que la mienne est intacte. J’avais le feu au cul, et toujours en partance, je voulais m’éveiller, faire le tour de la terre comme s’il s’agissait de se multiplier, avec des noms de guerre cachant la même figure qui prend ses habitudes dans les espaces broyant des ferrailles aux rouages de nos locomotives couvrant les sons feutrés de ces belles courtisanes capturées dans des livres : on voyage comme on ment, on s'en va pour se fuir. Oui, sûrement. Et ensuite ?
J'ai gardé les billets dans les petites affaires, c’est une peau de chagrin poinçonnée en vitesse, mais en réalité je ne suis jamais allé plus loin qu'au seul chapitre d'un livre d'histoire-géo de la classe de 3ème, illustré, condensé de l'Europe au vieux temps : Bruges, Sienne, Cluny, Coutances ; à travers la routine, quelques allers-retours, vrais de vrai, cependant, je brodais autrement des vues nettes pour l'ailleurs, m'entichais des merveilles de désastres naturels, rêvant du temple blanc dans le tremblement de terre, des vallées de la mort aux vallées de geysers, recouvrant les fragments de mon simple décor, je me fis chercheurs d'art, et je croisais des âmes tombées du vieux théâtre, j'envoyais de chez moi des vues de villes lointaines qui prouveraient un jour que mes faux-grands voyages, étaient clairs et limpides au moins comme l'eau de roche coulait dans les cuisines tapissées de photos de famille, de copains et copines en sweet-shirt au camping, et de notes et de frises baillant du papier gris entraînant ces ressorts où parti pour là bas, sans sortir du carré d'un quartier villageois, je promenais des absents, les tirant par la main hors des murs de l'enclos, jusqu'au dernier portique.
Quand je reviens chez nous, tout me semble se réduire à ces vagues raisons qui m’avaient fait partir, je les retrouve entières, elles me happent au retour, je pourrais fuir encore, j’ai allumé des feux que je ne peux plus éteindre dont les braises mourantes m’asphyxient peu à peu. Je croise virtuellement des gens qui m’interrogent, je ne sais plus quoi leur dire, je pinaille, j'improvise. Je salue d'autres humains qui disaient n'être rien, peu à peu, je m'y vois, asservi à porter leurs habits au pressing, je me fonds dans l'étoffe, elle me va comme un gant. Je témoigne en deçà, des langues qui décomposent et fracturent nos souvenirs. Les ratures s'émancipent. Un vitrail nous sépare désormais du vrai monde. Vu de loin, quelquefois, on croyait voir brûler du foin sur les reliques. Vu de près, on sait pas, mais quand même, on s'informe.
J'entends encore le rire tonitruant d'un fou reluquant sous le cuir des valises un trésor fantastique, il voulait revêtir les précieux ornements inspirés de ces vies qui ne m’appartiennent pas. J’avais accumulé, il faut dire, une belle petite fortune en bradant des portes et des fenêtres pour me rendre au final à l’idée de revendre le vent qui venait de Saturne, c’est drôle de voir des gens acheter n’importe quoi, pour peu que l’emballage soit bien mis, que le slogan séduise. J’enveloppais des bouts de vent dans du papier journal puis je me consacrais à des collections rares de coquillages géants en forme d’escaliers j'en faisais des bracelets et des boucles dorées qui collaient aux oreilles, après quoi, la breloque semblait un don cosmique.
J’offrais tout. Je soldais le dernier cri du monde, c'était moi, l'extatique survivant des razzias qui liquidait gratis, en veux-tu, en voilà : les vagues de l’océan, l’air iodé, la tiédeur et la grève, et la crème du bonheur qui vous rend invisible, ça faisait un malheur. J'éditais des plaquettes de poésie flottante, comme des mots enrobés à la graisse de baleine et tant que ça flottait, le monde était content.
Toutes mes vies insouciantes finissaient en dérives, j’abordais les pagodes où des femelles cupides songeaient pour s'embellir à me prendre pour idole, emballées du projet de mon fantômatisme, commençaient à poser sur mon seuil, les cadavres que j’avais oublié d’engloutir.
J’avais beau les jeter à mon chien, un bâtard émouvant aux allures d’ours brun, il me refusait tout et ne daignait goûter cette nourriture puante qui portait au dedans mes empreintes digitales.
Avais-je tué des gens pendant un long sommeil ? Oui, sans doute, mal tué, car je faisais tout mal. Même en vrai, même en rêve, ainsi revenaient-ils pour que je les achève. Ce sont des âmes qui errent dans ma tête, dit mon chien et mon chien ne voit rien. Et mon chien ne veut pas finir le sale travail.
Certains jours, il me parle, il me demande à boire - ne boit que dans ces mares que l’on frappe au champagne - il devient exigeant et je frappe tout liquide et il boit mes paroles et je suis fier de ça.
C’est dans les reflets vifs de ses beaux yeux dociles que je puise mon entrain, l’espèce d’humanité animale qu'il me faut pour survivre jusqu'à demain, au moins, et puis rester humain le plus longtemps possible. Avec lui, je suis moi, pas comme avec ces gens qui me posent des questions sur mon poids sur ma taille, et les autres qui recherchent le bureau du service après-vente des magasins du vent, ils menacent de procès ; ils me feraient crever à force de se plaindre. Les gens se plaignent tout le temps. A présent ils voudraient que je rembourse le vent, moi, qui ai marchandé sous prétexte... je ne sais plus quels prétextes ils inventent. Les gens sont décevants.
J’aimerais devenir moine, vivre dans un capuchon loger mon crâne ovale au chaud à tout jamais et prier sous des voûtes, finir vouté comme toi qui laçais tes souliers pour grimper la montagne et te coinças le dos, quand t’accrochant à moi, tu arrachas le masque, on t'a vu effrayé de ne pas y découvrir la personnalité dont tu avais crée précisément l'image.
Pourtant j’ai de la tenue, mon sourire est plaisant, j’ai les yeux qui s’éclairent dès que revient la nuit, et toi tu voudrais voir dans mes yeux le soleil briller avec les autres, tu voudrais m'emmener dans tous les cinémas regarder les chefs-d’oeuvres que la vie n’offre pas, tu voudrais que j’abandonne mon chien pour être à toi, il resterait tout seul comme les vieux chiens qui errent, là-bas dans les ruelles, je ne peux supporter ça, plutôt te plaquer là. Je suis vieux, j’ai cent ans de projets et des rêves...
Que fera-t-on de moi, quand je n’aurai plus le temps de voyager là-bas, vers ces pays mousseux ? quand je ramènerai sous mes bottes de sept lieues tout le vent, le vent que je remue, qui me fait exister et que je fourgue aux gens comme une panacée.
Quand ma cupidité ne me pousse pas à tout vendre, alors que moi, entier, je me donne gratuitement, je donnerai ma chemise pour un jour de brouillard, je donnerai mon enfant pour effacer ton ombre, et gouter sans broncher sur un gros caillou blanc, les mots d’un autre temps, je braderai la fille qui dépeupla son âme pour me couvrir de gloire, un jour, on m’emmènera au marché des esclaves, et je fouetterai le vent, je montrerai à ceux qui voulaient marchander qui est le maître, à présent.
Hormis ça, je ne fais rien. Rien de rien. Les jours passent. Les poèmes se délitent, et je tue quelques heures à écrire des histoires pour oublier l'effroi ; ces histoires de massacres, de partouzes et de fric. Je raconte des histoires fourbues de l'air du temps, des trucs de chiens qui parlent, de trains qui vont partout s'aiguiller sur des plages d'une cité noctambule jusqu'au blanc intouchable, avec vue sur un temple, des histoires, que d'histoires ! Elles n’iront pas plus haut que le son retenu dans cette gorge humaine qui remue son refrain et le chante comme une ronde qui se danse également, guettant la voix de l’aube, la voix désemparée contre le vent du soir, qui ne cesse de souffler :
“un beau jour, tu verras, un beau jour, j’irai loin”.
Photo : Voyageur immobile, modèle III, une rencontre, lunatique, erratique, rêvassant dans la nuit devant la vitrine du printemps en hiver (gris tirant sur le brun, j'admets).
Lyon Presqu'île : © Frb 2014 remixed 2015.
mercredi, 21 janvier 2015
Aimer le chétif
J'avais envie de dire quelque chose, de le rompre comme du pain, le silence.
CHRISTIAN DOTREMONT extr. "Les grandes choses"
Ogres et géants assistent à nos raclettes.
La petite dans sa cage tapotait sur le bec d’un oiseau et les cris déchirants de la bête nous arrachaient le coeur.
L'humain, noble chétif, apportait les z'oizelles et de juteuses mûres, des volailles à pieds d'ange, ce serait les dernières.
L’ogre savourait encore les orties dans sa grange. Il tombait une belle neige barbouillée de groseilles et le bonhomme fondait au milieu de la route avec son rire tenant le notre en hébétude.
Sur les murs de la chambre un vacherin couleur miel camouflait des moellons, c'était le bas de laine, une vie de pâquerettes à motif libertaire,
la petite tirait la langue à cette drôle de neige, le bonhomme dégorgeait, l’ogre dormait en ronflant, la mère faisait des crêpes, et l’ado, né-rebelle, un nid de faune dans l’oreille répétait à tue tête "on y va ! on y go ! on y va ! on y go!".
Ogres et géants sifflent nos anisettes,
piquent dans nos sacs nos sucres, nos pétards et nos pêches, s'aspergent à nos pipettes puis embaument leur crête des arômes du grand musc d'Ovibos Moschatus.
L’un des derniers poètes sirotait sur son banc, l’hypocras et le ciel se couvrait doucement d’un grand voile écarlate, vu de l'escarpolette on aurait dit du sang.
La petite dans sa cage portait un jupon blanc qui flottait dans sa tête, elle martelait penchée, en arrière, en avant, le bâton de rouge à lèvres mélangé à la terre, farines et dissolvants,
l’ogre sautait sur le banc de son frère et la terre s’en trouvait parée de brisements. Le bonhomme souriait sur ses mains grosses de neige, serrant l’air de l’hiver, la tempête et le vent.
Ogres et géants dévastent nos palettes,
un bras de mer roulé au pays des congères pour embraser la guerre, l’ogre mangeait un flan. La petite dans sa cage comptait les vers de terre sur les corps des amis par milliers, ruisselants,
et la chaleur humaine dans le bonhomme de neige devenait un cortège au grand air débonnaire, on ne sût pas pourquoi cet air était glaçant, une flaque dans nos gamelles.
Ogre et géant funestes retardaient les horaires.
Le benêt cajolait des cachous sous sa dent, le froid cloquait les ailes des bébés-cormorans.
La petite à genoux priait la Bernadette qu’on la sorte à présent du trou où les gisants se transforment en lichens, et les mourants reprennent des airs de bons vivants.
Une gondole échouée près d'un mur en coulisse s’était mise à rouler, la petite écoutait. Ces bruits lui rappelaient les chantiers de Dunkerke, caresses à l'océan,
le dadet retournait à ses mondes étonnants, l'américain suaire bouclerait ses bonnettes sur un vaste désert et des vues d'ouragan.
On dut voir l’encre sèche cacher les pansements. Quand l’ogre tremperait ses lèvres dans un grand bol de crème, il serait 5H30, l'aube s'ouvrirait violette à nos gigues mourantes, et le dernier candide sous le premier soleil, ne verrait pas les vrilles attachant la petite secouée dans sa cage qui riait mollement.
Ogres et géants étouffent nos chansonnettes.
Des croisés sur un rire barré de rouge ardent, la parole agrégeant un noeud sur sa ficelle, le géant décrétait. Sous un ciel apaisé, les pigeons communient dans le vin de bohême. Le nez devient complexe.
On voit les dieux-enfants suspendus à l'envers aux branches du pommier blanc, les bébés cormorans se ramassent à la pelle, une mémoire s'épanouit hors des lousses maraîchères, les femmes occupent l'hiver, les marins sont marrants.
Ogres et géants boursouflent nos crapettes
Diable ! que les dieux sont bêtes ! à parquer les comètes dans l'osier des volières, où de grands fauconniers pleurent les joujoux d'antan.
La neige tombe en poussières, si les voeux sont troublants, les coeurs flanchent à travers.
Le rouquet boit son lait de jabot sous le lierre, on annonce pour demain, un peu de neige en plaine, l'ombre porte le gel. Les jours vont sans oreilles.
In situ: Jour de grâce à l'hôtel, les pigeons retombés sur un tapis de neige, vaguement allégorique, si on veut. Bien aussi malins que les pingouins, nos pigeons - Ce Qui Fut et Ne Fut Pas Démontré - juste vus de concert entre autres hybridations, parmi de nombreuses "curiosités", mues de l'époque épique.
Photo: à l'aube d'une ère nouvelle, la photo officielle, nous y étions, déguisés en Charlots, (bien partis à la faire, la guerre, la dure ! la vraie !) armés d'un stylo bille, dans la cour des petits, d'accord, mais assez dignes, engagés et lucides, droits dans nos bottes, et hop ! to hope is to live, hop ! et hop ! en doudoune sur la place des Terreaux, partis à la marche des Charlie qui se trouvait place Bellecour, en fait, bon, on n'est pas des héros,,"l'erreur est presque humaine" a dit l'ogre, tout là haut après avoir fouillé la bête et sa f(u)leur polétique, se fut fée, et enfin nous pûmes rationnellement rejoindre les camarades pour la photo, pis aller à l'after, voilà, un monde d'images, à suivre, peut-être, ou pas, une promesse intenable pour l'instant...
Moralité: y'en a pas, toujours pas, enfin, si, y'en a une, on la pigera après quand on sera très très vieux. On peut toujours sourire, et suivre de loin, chouïa, pour le temps qui nous reste, desfois qu'on anticipe, des feuilles mortes à la pelle qui se balayeraient elle mêmes, pour ne pas voir le vent... :((
Nids perliens : La vie des animals, une fantaisie pas méchante remixed © Frb, 2014 vs 2015.
mardi, 30 décembre 2014
On rentre à la maison
Le psychologue - et a fortiori le philosophe - donne peu d'attention aux jeux des miniatures qui interviennent souvent dans les contes de fées. Au regard du psychologue, l'écrivain s'amuse en fabriquant des maisons qui tiennent dans un pois chiche. C'est là une absurdité initiale qui situe le conte au rang de la plus simple fantaisie. En cette fantaisie, l'écrivain n'entre pas vraiment dans le grand domaine du fantastique. L'écrivain lui-même, quand il développe - souvent bien lourdement - son invention facile, ne croit pas, semble-t-il, à une réalité psychologique correspondant à de telles miniatures. Il y manque ce grain de songe qui pourrait passer de l'écrivain à son lecteur. Pour faire croire, il faut croire. Vaut-il la peine, pour un philosophe, de soulever un problème phénoménologique à l'occasion de ces miniatures "littéraires", de ces objets si aisément diminués par le littérateur ? La conscience - celle de l'écrivain, celle du lecteur - peut-elle sincèrement être en acte à l'origine même de telles images ? À ces images, il faut bien cependant accorder une certaine objectivité, du fait seul qu'elles reçoivent l'adhésion, voire l'intérêt, de nombreux rêveurs. On peut dire que ces maisons en miniature sont des objets faux pourvus d'une objectivité psychologique vraie. Le processus d'imagination est ici typique. Il pose un problème qu'il faut distinguer du problème général des similitudes géométriques. Le géomètre voit exactement la même chose dans deux figures semblables dessinées à des échelles différentes. Des plans de maison à des échelles réduites n'impliquent aucun des problèmes qui relèvent d'une philosophie de l'imagination. Nous n'avons même pas à nous placer sur le plan général de la représentation, encore que sur ce plan il y aurait grand intérêt à étudier la phénoménologie de la similitude. Notre étude doit se spécifier comme relevant sûrement de l'imagination. Tout sera clair, par exemple, si, pour entrer dans le domaine où l'on imagine, on nous fait franchir un seuil d'absurdité. Suivons un instant le héros de Charles Nodier, "Trésor des fèves", qui entre dans la calèche de la fée. Dans cette calèche, qui a la dimension d'un haricot, le jeune homme entre avec six "litrons" de haricots sur l'épaule. Le nombre est, ainsi contredit en même temps que la grandeur de l'espace. Six mille haricots tiennent dans un. De même quand le gros Michel entrera - avec quel étonnement ! - dans la demeure de la "Fée aux miettes", demeure cachée sous une touffe d'herbe, il s'y trouvera bien. Il se "case". Heureux dans un petit espace, il réalise une expérience de topophilie. Une fois à l'intérieur de la miniature, il en verra les vastes appartements. Il découvrira de l'intérieur une beauté inférieure. Il y a là une inversion de perspective, inversion fugitive ou plus prenante, suivant le talent du conteur et la puissance de songe du lecteur. Sou- vent trop désireux de conter "agréablement", trop amusé pour aller à fond d'imagination, Nodier laisse subsister des rationalisations mal camouflées. Pour expliquer psychologiquement l'entrée dans la demeure en miniature, il évoque les petites maisons de carton des jeux d'enfant : les "miniatures" de l'imagination nous rendraient tout simplement à une enfance, à la participation aux jouets, à la réalité du jouet. L'imagination vaut mieux que cela. En fait, l'imagination miniaturisante est une imagination naturelle. Elle apparaît à tout âge dans la rêverie des rêveurs nés. Précisément, il faut détacher ce qui amuse pour en découvrir les racines psychologiques effectives. Par exemple, on pourra lire sérieusement cette page de Hermann Hesse publiée dans la revue Fontaine (n° 57, p. 725). Un prisonnier a peint sur le mur de son cachot un paysage : un petit train y entre dans un tunnel. Quand ses geôliers viennent le chercher, il leur demande "gentiment qu'ils attendissent un moment pour que je puisse entrer dans le petit, train de ma toile afin d'y vérifier quelque chose. A leur habitude, ils se mirent à rire, car ils me regardaient comme un faible d'esprit. Je me fis tout petit. J'entrai dans mon tableau, montai dans le petit train qui se mit en marche et disparut dans le noir du petit tunnel. Pendant quelques instants, l'on aperçut encore un peu de fumée floconneuse qui sortait du trou rond. Puis cette fumée se dissipa et avec elle le tableau et avec le tableau ma personne"... Que de fois le poète-peintre, dans sa prison, n'a-t-il pas percé les murs par un tunnel ! Que de fois, peignant son rêve, il s'est évadé par une lézarde du mur ! Pour sortir de prison tous les moyens sont bons. Au besoin, à elle seule, l'absurdité libère.
GASTON BACHELARD : extr. "La poétique de l’espace", Presses Universitaires de France, 2004.
Légende : Il existe à un jour de marche du pays de neige un hameau qui s'appelle "la demeure" et ceux qui vivent là, sont des êtres irréels.
Option : Si, la maison n'était pas à votre goût, on en a d'autres qui manquent pas d'air, (voeux officieux, à cliquer dans l'image).
Villa Alcestia, là bas © Frb Dec.2014
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mardi, 01 avril 2014
L'horizon
Un homme parle à des animaux, c’est-à-dire à des êtres sans réponse [...] Un homme parle à des animaux et ainsi il leur parle des choses dont on ne parle pas : de ce que nous vivons par exemple, quand nous sommes portés à nos extrêmes, écartelés, dans la plus grande obscurité et pas loin d’une lumière, sans mots et proches d’un dénouement.
Extr. présentation du "Discours aux animaux" de V. NOVARINA, publié chez P.O.L. en 1987
Lecteur, si tu veux faire une bonne action tu peux libérer des oiseaux en cliquant sur toutes les images.
Pour ceux qui ont loupé le début ils trouveront une sorte de résumé: ICI
Nota : J'ose espérer que le lecteur (adoré) aura la bonté de me pardonner la qualité quelque peu désolante de ces clichés, mais je n'ai pas de téléobjectif (envoyez vos dons !) et comme ce blog n'est pas un blog photographique, je ne vois pas pourquoi je ne vous montrerai pas (malgré tout), les oiseaux de notre presqu'île. C'est tellement rare de les approcher de si près. un jout, je tenterai, de vous ramener des galoupes, des aspireaux et peut-être deux ou trois pinsons... (Allain-Bougrain Dubourg sors de ce corps !)
Photos : Oiseaux rébarbatifs ou scènes de la vie d'un couple (?) d'oucardes tigrées, photographiées tout près de la mythique "Buvette St Antoine", sur le quai St Antoine à Lyon, après l'heure du marché, aux alentours de 14H00 du matin, en ce beau mois de Novembre :))
Lyon presqu'île © Frb 2010.
05:32 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 28 février 2014
Beaux semblants
Si je ne bouge pas, si je ne voyage pas, j'ai comme tout le monde mes voyages sur place que je ne peux mesurer qu'à mes émotions et exprimer de la manière la plus oblique et détournée dans ce que j'écris.
GILLES DELEUZE in "Pourparlers" 1972-1990, éditions de Minuit 2003.
Beaux semblants dans l'espace, à la sortie des gares, sous les arcs en plastique on tirait les valises, jusqu'aux beaux magasins vers Carnot encastrés de promos des big macs et des spots clignotaient sur les néons bleutés d'enseignes démodées d'un hôtel à moulures. Comme des vrais nouveaux riches on filait sur Gros-laid, voir la mort faire sa drague, en presqu'île les colonnes changeaient avec le temps tournaient et nous étions tournés sans le savoir, devenus étrangers en nos propres rivages, contemplant la lenteur des bateaux sur le fleuve revenant de l'île Barbe, un billet à demeure, épinglait un désir de train bleu sur un quai, juste avant de partir, ou le temps d'une halte, tout de quoi revenir caresser sous la langue, ces mots qui tiraillaient et qu'on n'osait plus dire. Près des ombres d'un square, on n’aurait pas mémoire des mouvements de l’automne, un rire jaune au revers, on songe au perce-neige - tu le vois disparaître à travers l’avalanche qui glace déjà ton pas, tes pensées, ton hiver, tu aurais beau chercher - quelques traces au dehors du dernier mouvement de la première année, tu n’y retrouverais qu’un coureur arrêté par l'aire des cuirassiers, contre lui, des langues mortes, un masque sur le nez, cette odeur de javel pourrait bien endormir à jamais les colonnes qui annoncent l’avenir avec les doryphores. Loin, l’homme, il regardait s’effondrer la demeure, un rire fou dans sa gorge, découvrait l'ennemi aux desseins illusoires: une minuscule bestiole à carapace d’or. Quelle histoire inventer pour nouer nos destins ? La petite créature, sur sa feuille bouge encore ; sous la griffure de l'homme on voyait les trésors et nos jeux dérobés. D'ici, le fort Saint Jean, c'était Constantinople, et la Saône aux couleurs de Méditerranée contre un bout de papier qui se plie et flotterait jusqu'aux sources bercées des premières feuilles de Mars. La ville se dégradait sous les quartiers des gares, l'abstraction démodée esquintait le décor, entre deux c'est le flot silencieux des deux eaux mouillant encore le cours en rythmes opposés qui ordonnait nos rues, engendrait des soupirs dans les fauteuils anglais de ces bars où l'on va s'immerger un quart d'heure. C'est dans la rue Donnée qu'on voit rouler des mousses, les gueux, ils finiraient par essorer les coeurs à l'heure où tous les corps deviennent lisses et peureux, ressortiraient à l'aube pomponnés, ils respirent à travers le printemps dans l'hiver les arômes des premiers coups de balais. Un prince d’Aquitaine dormait sous les colonnes où tournaient des sirènes et les fées à moitié dévorées par les soldes aguichaient doucement ces courants d'hommes pressés. Les vendeuses à la mode ont enfilé nos têtes dans des bonnets de schtroumpfs, en croisée, au repli, quelques scarabées gris se nichaient dans les rames ou se recroquevillaient. Et nous on se demande où va l'air de nos vies, si le scarabée gris n’est pas un doryphore qui hante la cervelle de ces ribambelles d’hommes en les poussant gaiement empaquetés de laine, aux terrasses au soleil d'hiver comme un printemps ; et nous on se demande si les vieilles balivernes suintant sous nos pavés ne sont pas des larcins d'illusions aux jardins, de ces courges irisées qui juste avant la nuit ressemblent à des carrosses.
Photo : Un étrange objet architectural, ("un échec architectural" a dit Jean-Jack Queyranne) que ce centre d'échange de Perrache, mélange du post-psychédélisme normatif (?) et d'on ne sait trop quoi, issu des fameuses années 70's, pour ceux qui ne connaissent ni les années 70's, ni le lieu de Perrache, ils ne pourront couper à cette voie de passage d'une laideur si radicale qu'elle en a presque un charme, il faudrait au moins découvrir ses méandres juste une fois dans sa vie avant que le couloir de bric et broc (il faut le dire over-daté, conséquence peut-être d'un mauvais trip à l'acide coupé à l'ammoniaque ?) ne disparaisse aussi radicalement qu'il avait massacré le paysage Lyonnais. Pour traverser l'endroit, autant dire un voyage dans le voyage et dans le temps, même Cosmos 1999, à côté, ce serait beau, les voyageurs sont priés de se rendre à l'accueil, s'y munir du petit nécessaire pour la traversée (sinon, c'est moins marrant) une tenue d'époque exigée, soit, un pantalon taille haute à pattes d'éléphant (ou à franges pour nos dj'eun's) et une liquette à fleurs oranges col pelle à tarte bien sûr, ils vous seront prêtés gratuitement par le chef de gare du Grand Lyon, en l'échange d'un sourire dès la sortie du train. Comme ceci représente un trajet en spirales et triangles, ou rectangles § autres labyrinthes, la mairie ne fournit pas l'herbe de perlinpin (quand la signalétique n'aiderait qu'à faire tourner bourrique des passants pas forcément tous mathématiciens) et comme on est en train de parler architecture (quand on parle du loup, hein !) je me permets d'ajouter un petit lien pour éclairer un peu l'avenir de nos bugnons z'ou bugnasses et autres étonnants voyageurs...
Nota : pour ceux désirant visiter en temps en heure quelques merveilles de la belle ville de Lyon, la maison vous conseille de descendre plutôt en gare part-Dieu, (un peu fraîche, mais très organisée) à moins d'avoir idée, de monter tout en haut, visiter les jardins suspendus de Perrache pour la vue, encore des perspectives étranges, un peu à l'abandon, la dernière fois que j'avais pu grimper - dessus la gare donc (!) joie des escalators ! - pour revoir cet endroit improbable... c'était un peu avant que le jardin perché envisage de sérieuses mutations. Lieu secret / transversales, je réserve en passant, (ce n'est pas un coq à l'âne), une pensée au plus près sur le fil des balades les plus inattendues, à l'ami et surtout excellent photographe, Ernesto. A suivre, on l'imagine...
Lyon Perrache : © Frb 2014
17:38 Publié dans Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 10 janvier 2014
Dans quel pays sommes nous, cher Pisthétère ?
C'est la maison Dedalu
U a se devise
Set cascun entrer,
Et tout issont detenu,
Car en nule guise
Ne pueent trouver
Ne assener
Par u l’entree fu
On ne connait pas les traits des petits personnages.
Etaient-ils hommes ou femmes ? Qui s'inscrivaient déjà aux "clubs-neige" de Janvier.
Qui sont-ils ces gogos bardés d'un attirail ?
Ils vont à la montagne en rondeau de deux mille quatorze pieds, autant d'allers-venues ; ils ne sentent plus leurs corps, des ombres les menacent, nous les voyons dormir sur une simple natte.
Leur ciel est passé vite de ce bleu myosotis aux nuanciers du gris. On retrouve une image révélant une fresque qui décrit des silhouettes penchées sur des points d'eau ; près des feux étouffés, l'homme rêve de s'asphyxier, s'émonder, disparaître.
Il voulait reconstruire son refuge au soleil, il s'y laisserait griller, il courait feux et flammes, il peut s'enluminer sous une croix latine, dans la nef romane où l'on donne en spectacle des joutes féodales sur de faux destriers.
Dans la terre, sur les branches, il voit des formes rares comme celles des animaux de la première histoire, celle d'avant ces soleils qui se passaient de l'art, de ces grilles à nos portes où l'on croit deviner des mondes entre les lierres.
Si loin de ces caveaux d'où l'homme sortait confus rêvant de courir nu après les amazones ou de se balancer aux branches des cocotiers une tête à l'envers enserrant dans ses griffes le crâne d'une guenon affublée d'un diadème.
Elle respire la langueur de nos rhododendrons et cette Annapurna qui tient de la violette. Il la portait aux dieux dans les plus beaux feuillages puis la perd aux dédales, c'est un prince médiéval, qui nous toise ou nous garde, soulève la petite caille, la sert aux champignons avec de la moutarde qu'on étale au couteau sur un pain de campagne.
Quelqu'un a croisé l'homme, croyant le reconnaître, l'avait vu épouiller sa femelle dans un zoo, un autre a prétendu qu'on l'envoyait à Loué chaque mardi à la foire vendre quelques pintades à cent sous arrondis pour les pauvres.
Dans le simple fouillis des champs qu'on ratiboise, d'autres avaient dû parler de ces îles bariolées, de mangues et de grenades comme les sorbets de fruits qu'on revendait partout.
Quel remou par l'emphase nous rend si malléables ! toujours nous donnerait de quoi nous divertir des fantasmagories de nos plumiers bavards gobés d'un noir liquide tirant à la hussarde le barda du chameau.
On venait nous chercher vêtus de ces manteaux grossièrement découpés dans du papier buvard. Quel gâchis que ces fards ! qui s'enfuient déjoués n'infusent pas les coeurs pris ; voilà les étourneaux.
La neige vient par mégarde, un vieil enfant s'attarde, contemple le rocher il tourne en rond autour, levant l'index il cherche à remuer l'espace, pour connaître dans quel sens le vent vient à souffler.
C'est un roi contre un autre qui lèvera le voile, barbouillait sa figure, crissant l'ongle sous la craie, il évoque une roseraie qui se laissa tenter par les hellébores noirs, et ils en redemandent, mais rien de l'apparence ne fût aussi grimés que l'homme et sa femelle, avant qu'ils n'eussent compté jusqu'à deux mil quatorze, qui tourna sur un pied pris au jeu où s'attardent de lentes caravanes, le chien à leur passage, n'avait rien remarqué.
Ici, c'est un instant où les ombres opiniâtres voudraient s'y montrer "rares", elles règnent en ministères, nous mettraient en bocal pour un épi de blé, tel on doute on va boire aux tavernes chez les gueux de la liqueur d'armoise (dont les teintes agréables rappellent vaguement l'absinthe, mais celles-ci crachent un fleuve), c'est l'or du pyromane, il la buvait cul sec par ennui, comme nous autres.
Quand le monde se figea mû à l'état sauvage remué des sarcasmes à s'y croire irréel, traînant à l'évasif sur le flanc d'un caillou haut comme une montagne déjà dans l'avalanche, on vient chercher secours, par la chaleur humaine experte en sauts de biches qui se déhanchent au parc d'une ville impériale, on aurait cru une île entourée d'un abîme, on ne pouvait rien entendre des fracas alentour.
On trouve plus grand danger en fleuretant des volières sur un trou de mémoire, au seuil où l'ermitage se multiplie parfois en divisant les âmes. L'homme cacherait qu'il chasse à mater ces roulis. Fait une pointe de compas d'un bout de ses savates, il retrace le diamètre d'une planète qui l'absorbe en son centre aussitôt le promène jusqu'à ce qu'il n'en trouve plus un hectare respirable, un trait de ligne courbe caressée qui se casse, ensuite c'est un dédale, on le suit préposé, juste où l'on craint d'avance qu'il n'existe plus grand chose, bientôt à contempler, au ciel ce gris lavasse tend un drap de lin sale qui bat sur un nuage, on ne sait l'arrêter.
On ouvre une rengaine, on dit qu'il va pleuvoir, mais qu'il conviendrait mieux que tous les champs s'enneigent, qu'Arcade et Saint Hilaire gèleront les bruyères. L'homme ressent la croisée des chemins nécessaire mais elle est si couverte de gelures à présent qu'il n'a pas vu le vent faner le perce-neige.
Ce fût un court sommeil un peu d'une tristesse comme on en voit souvent. On ressent le dépit des mots qui s'agglutinent traversent les cervelles ; les plus vides n'y conçoivent que leur propre malaise, les plus exubérantes ont vu le Saint-Esprit qui s'incarnait pour elles.
Ce serait, un sentier, des épaves à travers y traceraient la vie avec les spécimens, on imagine déjà le premier petit d'homme qui au lieu de parler écouterait crépiter le brouan du village, il s'en irait rythmer l'amour des trouveresses, l'embellir à charmer les badauds d'à côté.
La fille est apparue, c'était la belle Doette qui descend l'escalier ouïssant la chalémie, elle ne croit pas au mal qui se dit en musique, un bourdon sur les yeux, elle croise l'homme à la foire, qui riait au milieu des pintades égorgées, elle pensait qu'elle trottait au coeur d'un mauvais rêve avec l'homme endeuillé tout à son cimetière.
Un dieu berçait les anges comme au tout premier monde, personne n'eût cette idée d'huiler sa mécanique contre l'abrutissement où d'autres étaient tombés, le nerf qui d'imprudence parfois nous relayait avait dû s'enliser dans l'oubli, nous aussi on faisait comme à Loué.
Des jours en ces manèges, d'hommes abordant la nuit sans qu'aucun compagnon par les villes, sur les places si peu avoisinantes ne s'occupe plus déjà de venir aux nouvelles.
L'homme avait vécu là, par cette indifférence. Quand il revint nous voir nous étions moins vivants, moins nombreux, plus terreux comme ces statues de plâtre qui souriaient heureuses sur leurs socles sévères, on les aimait muettes, si patiemment brisées par une longue attente à tortiller des laines.
L'homme allait s'exiler sans un bruit n'endurant plus les cris de victoire en son propre pays, il se mit à railler bombardes et chevrettes et pria qu'on n'aille point lui chanter des poèmes avec la chalémie.
Le diable est dans les têtes. Quand ses forces contraires le tiraient d'un côté ou d'un autre, l'homme partait, il restait, il revenait, gêné de ne pas avoir pris à coeur ces ritournelles qu'on lui souffle à l'oreille, l'oreille est son outil, et si prêt de crisper le son sur une affaire qu'un reflet étourdit, on suggéra à l'homme de s'en venir semer les ors des chrysanthèmes sur nos champs de bleuets. Il le fit à son prix. Puis ce fût la jachère.
Qu'importe la saison, tous les jeux à la fin s'étranglent sur un rire, quand le chemin des daims se réduit aux ornières, un fleuve revient, aspire les rives hospitalières, la fille mal fagotée semblait toujours chanter ses amours d'Orcival, accroupie dans la neige, sur le foin de la bête, près d'un vétérinaire qui triait des entrailles et le sang qui pissait n'affolait plus le ciel.
Tout devenait normal. La bête était immonde. Devant l'homme secoué de sanglots, s'affairaient quelques dames, accourues au galop, pour consoler les mâles avec leurs gros ballons et des mains fabriquées à lustrer des pétrins contre pépites honnêtes, l'homme s'en irait demain, un panier de pintades sous le bras, à la foire où l'on vend des mensonges du matin jusqu'au soir. Quand nous revînmes au soir, sur nos bois en copeaux, il tombait des hallebardes.
On n'y penserait plus, on allait, on venait, enfin, on fit l'idiot pour se sauver d'ici, comme on croise à la gare ceux qui courent à la vie. On s'est remis aux phrases, des phrases rudes et légères qui nous grimpent au dessus.
On cherche dans les champs les formes du trèfle rare. On voudrait le cueillir. On a vu, le gri-gri du plus grand enchanteur pris dans les rayonnages du produit pittoresque, on acceptait l'obole au prix phénoménal qu'on nous faisait d'un grain de blé broyé menu, on en croquait le dimanche, à défaut de brioche, il fallait remercier le coeur des bienfaiteurs, ne pas trop jacasser qu'on le digérait mal ce petit grain jeté autrefois aux bossus, aux boiteux, ou aux nains, si la petite hirondelle ne l'avait pas volé, quand ce n'était pas elle, c'est l'alouette qu'on plumait.
On a vu l'archiprêtre saupoudrant finement d'acide la bonne étoile qui se changea, mauvaise. Ce n'est pas un remède que les bêtes minuscules sacrées par nos bons dieux nous révèlent un royaume par les arts de la fugue qui s'étalait en fresque de démons-chimpanzés, d'anges mutiques retombés par mégarde contre un mur.
Ils criaient innocence, ils n'avaient embrassé qu'une statue de plâtre trônant au fond d'un cloître, ils voulaient la sauver ou la montrer au dieux, ils avaient insisté, c'était l'unique mal, ils tournaient autour d'elle croyant voir se former des syllabes sur ses lèvres, la statue souriait, depuis mille ans peut-être, personne n'avait frôlé sa bouche, sauf les mouches ou les anges et voilà qu'ils perdaient subitement la parole.
Ils ont dû regretter comme nous l'éternité qui ne prolonge en rien les actions désirables, vidait notre mémoire écrivant à la marge sur des fossés poreux hissait des cathédrales où les prières tournaient en virelai puis en peines qu'on recycle en papiers.
Ces pages furent barbouillées du noir de ce plumier à nos mondes essentiels comme l'huile de pédalier sur Rossinante Ruissel (c'est le nom d'une coureuse cycliste médiévale), elle salue du mollet les buveurs de ginseng (et buveuses :) qui trinquaient. elle espérait un jour revoir l'aventurier, un genre doux maréchal qui roule sa mécanique en tricot balinais.
Quand la lumière revient, sur la rive oubliée, sûr que chacun n'y voit rien qu'une dégringolade, ne pouvant tout saisir on affichait nos rages aux horloges d'un clocher, on tournait les aiguilles à la main, comme c'était laborieux, pour se donner du mou on secouait nos pieds suivant le "Sing sing sing". Nul ne pût distinguer le tambour ou le coeur du genre des créatures, qui ne jouaient de rien, léchaient les devantures et prirent d'un air bravasse la chose très au sérieux.
Le matin nous recueille, flottant sur des barquettes, avec l'homme toujours seul et des types près du zinc, des gars de la marine en grosses têtes d'épingle flairant la sphère de Dieu, des mains comme des palettes tripotent la barre à mine. Ils boivent jusqu'à l'ivresse dès le petit matin ou ils causent avec nous à nous rendre plus informes peu à peu on s'abaisse à échanger des nèfles, on joue au jass couinché contre du marasquin.
A ce coût insensé qui n'exalterait pas le coeur des mélomanes arrivés pour rythmer le temps sur un clavecin, où rien ne se tempère, il faut encore s'y perdre. Passera, passera pas ? Encore un jour pour rien.
Au pire, on est moyen à s'en virer dehors plutôt que d'approcher ces palais où les chants de merles vont caporaux nous chier un répertoire limité à des cris pinaillant ou gloussant, c'est dans la rue, parfois, qui nous prend en tenaille, avec nos oreilles d'âne qu'on court de l'idéal aux sons précipités dont l'oiseleur disait qu'ils masquaient de l'angoisse, et pourtant, et pourtant...
La trouveresse cachée sous sa couette paysanne sort de sa solitude et se met à clamer debout sur un bidon (avec la voix de Simone de Bardot ou de Brigitte Beauvoir)
- "Ouh ben ! Faudrait beau voir (c'est pas malin, je sais) par le grand Fournival qu'est pas mon gigolo, mieux vaut être une renarde ou la rougette vilaine qui intrigue les moineaux avec ses dents fragiles, des ailes tellement spectrales qu'on dirait des vampires allés au carnaval en parcourant un point lequel d'ici bientôt marquera des années jusqu'à faire deux mil 15, 16, 17 fois le tour du même pied roulant dans le même foin qui se trouve là, chez machin, moi, ou eux, enfin bon, chez tous les cornichons qui ne savent toujours pas voir plus loin que leur tarin".
Pour nous c'est juste un point là, dans une île très loin, d'où l'on devait partir toujours de l'origine rêvant d'atteindre un but au pays enfantin, où les corps sont d'écume gonflés de berlingots. On gardait des images à se ressouvenir quand tout serait passé pour s'extraire des ressorts d'un enfer où les morts font la pluie et le crachin, le ciel sur une truelle, notre chaleur humaine semblait devenir tiède.
On pourrait l'enrichir des trésors que convoitent les nouveaux followers qui prennent la place du mort dans les décapotables où flottent les hémisphères et la blondeur des blés s'étoffera d'une barrette sertie d'un rubis vert.
L'oeil du dragon clignait sur l'empire du soleil, il vient sur tes genoux, l'homme prend de la bouteille, sa guenon débarquée, de ces rades, en nuisette, de cent pas s'enfonçait dans ses mondes intérieurs.
Deux mille pas balayés, feraient une épopée de quatorze avec l'ombre héroïque d'une armée et ces coeurs en voiliers c'est toute l'humanité qui s'égare dans une bulle et danse la tarentelle, ce vacarme vient chez nous, s'y croyant informé sur les zoos, les igloos, et le lycalopex, il fouillera dans nos fiches, corrigera le cahier qui porte la méprise comme si tout était vrai.
L'homme grisé, follement s'entichait de lui-même, ne sait plus à présent, quelle saison est la sienne. On a vu le printemps, l'été, l'automne, l'hiver et les quarts de saisons, tourner des béchamels autour d'une soupière avec tout ce vermicelle qui dépasse de l'assiette, il pleut des alphabets.
La fée prise dans sa traine regarde des cervelas flotter sur la rivière, par des foules en pique-nique, la clepsydre accélère le tempo pour un bouc tapi sous les loquets, d'un beau bleu électrique qui imite à moitié le pays où l'on dort quand on sait par avance qu'on n'arrivera jamais, ce qui est peu de chose ; quand on n'a pas d'idées on vit sur le côté comme des singes qui se sapent ou se pendent aux voilures, à peine à la lisière on s'y fond docilement et tous les points mouvants nourrissent une mémoire constellée de gourmets roulant leur aligot dans nos ronds de serviette d'où l'avenir a eu lieu, où le passé lira le présent dans tes yeux, il chuchote à voix basse des petits poèmes creux consacrés aux cinq sens, aux licornes, aux belles lettres, et à la grande musique.
Photo : Olga la vache aux pieds d'ânon, posant dans devant mon le plus simple appareil, droite dans ses bottes fourrées (maison) ou ses sandales (vintage), c'est tout comme vous voulez, et les voeux pour la suite du monde... (ô maudite procrastination ! Vade Retro ! grand mal !), (tout ira comme hier, je remets à demain, les bonnes résolutions :)
"Sem pesalt sexuse upor el tredar § sle clesiens lhaes, drapon, drapon, eorcen cemir à ovus, sem nages...", (c'est de Dante).
A l'oclens des véchas : © Frb 2014
samedi, 04 janvier 2014
Le paradis
L'escalier s'enfoncera-t-il toujours plus avant ? Montera-t-il toujours plus haut ?
ROBERT DESNOS : extr. "Désespoir du soleil", poème issu du recueil "Les ténèbres" (1927) publié in "Corps et biens", éditions Gallimard, 1968.
Au premier jour, on s'aperçoit que l’escalier de l’observatoire n’est plus aussi solide qu’avant, on montera prudemment chaque marche, on sentira le bois vibrer tout en déséquilibre, on pourra toutefois se tenir droit sur la dernière marche pour contempler les montagnes du Caucase.
Photo : Le paradis peut-être, à se dire qu'on pourrait partir de plus haut...
Là bas : © Frb 2013
jeudi, 26 décembre 2013
On rentre tard à la maison
Certains jours vous souhaitent un Noël Féerique...
Petit voyage presque ponctuel au pays du Noël. Si la maison ne vous convient pas, ne la revendez pas tout de suite (ô siècle barbare!), Certains jours (magnanimes) vous l'échangent gratuitement contre une autre aussi féerique à cliquer dans l'image. Rien assez beau pour nos lecteurs, tirons sur la hotte sans honte, avec les cerfs et des broderies pour les vieilles âmes.
Af(t)er à suivre...
Nota § autre petit voyage : La chanson est interprétée par la sublime chanteuse libanaise Fairouz.
Là bas : Frb 2013
dimanche, 08 décembre 2013
Winterlude # 2
Je sais qu'au Siam, en Birmanie, au Cambodge, le climat est doux en hiver.
HENRY MILLER par BRASSAÏ in "Henry Miller, rocher heureux", édition Gallimard, 1978.
Photos : Le plus doux mouvement de l'hiver, est un petit voyage au coeur du Nabirosina pour ceux qui ne trouveraient pas le royaume de Siam sur l'autre face ...
Là bas. © Frb 2013.
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lundi, 18 novembre 2013
Ostinato
Les plaisirs ont choisi pour asile...
Photos : Fragments tissés sur une partition, gauchement, où le pas de l'homme entraîné au coeur de sa forêt l'égare en heurts et flottements. Contre le règne obscur, l'homme trouve où se cacher, oublie ses turpitudes couvant d'autres plaisirs, il se laisse envoûter dans les alcôves humides. Quelques correspondances trament encore le passage d'une mémoire indicible, et l'homme pour l'effacer tentera d'ajuster les formes échouées aux sons de l'ancienne passacaille, un temps bat la mesure d'une terre d'origine à ces mondes bleutés où jadis les navigateurs courageux, afin d'oublier leurs efforts, chantaient les mêmes notes en litanie.
Là bas © Frb 2013.
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vendredi, 20 septembre 2013
Prélude à l'effeuillement
L'air par cet après-midi d'automne était d'une grande douceur et les montagnes au loin se découpaient avec une clarté froide. Malgré tout, je ne pensais guère à elles mais seulement à mes pensées. Tout ce qui avait été me parut plus triste que si tout cela n'avait jamais été.
FERNANDO PESSOA, (voir acolytes) in "L'éducation du stoïcien", éditions Christian Bourgois, 2000.
Le caillou grossissait en colline comme un être vivant, au delà, la lumière généreuse de Septembre évoquait par instants le soleil de Corinthe. La sûreté toute humaine allait en bercements. J'étais peut-être ici coincée sous les ratures d'un roman à tiroirs, une copie dans l'espace qui pouvait reproduire pour un autre regard, agrément ou désagrément, tout me biffait alors par la force illusoire que je mettais à vouloir me rajouter au monde en ayant l'air d'occuper des vêtements camouflant des pensées opposées à tout ce que j'étais.
Je virais à l'ersatz mais parvenais toutefois à suivre les conversations y répondre poliment et les personnes croisées ce jour là, ont dû s'imaginer que j'existais vraiment. Nous avons échangé quelques banalités, comme les banalités paraissent encore des preuves du temps qu'on passe ici au temps qu'il fait là bas, nous constatons bêtement, qu'il est bon d'exister, présents avec nos chairs, ce rire bête au dehors, un gloussement, à peine, echo de la volaille, et le balancement de couleurs agréables sur des nappes à carreaux rouges et blancs sous ce ciel gris-bleuté, c'était un enchantement.
Quand le jour veut tomber, des mains molles font des gestes puis rien, absolument rien n'en peut demeurer, juste après ce sourire qui n'exprimera jamais autre chose que le contraire d'un air riant, on dirait qu'on s'y croit éternellement vivant, à causer sans manière, près d'un panneau montrant la douzième biennale d'art qui sème un peu partout une images du cochon puis cette tête de garçon - une photo réussie - d'un visage assez tendre portant autour de l'oeil les traces noires d'un violent rififi dans la gueule, c'est si bon, la violence, quelques ruines permanentes, des miroirs grossissants qu'on regarde par dépit de ne pouvoir les fuir. Et si on le pouvait, sans doute on passerait son temps à ne faire que ça:
prendre des raccourcis qui rallongeraient la vie, on s'éviterait parfois de se retrouver happé dans les plans irréels dont on nous persuade qu'ils sont notre présent, à la fin on y croit dur comme fer et ça doit s'intriquer plus ou moins dans les plis ou plus exactement, c'est un passage forcé, on serait les obligés des profusions d'images qui nous compileraient, s'approchant au plus près de nos centres d'intérêt, on s'y adapterait.
Au mieux c'est un reflet, tant de jours on espère qu'il se passe quelque chose en dehors de ce vide qui pourrait nous heurter au nerf des éléments comme surprendre le caillou rouler et s'écraser contre une Tête d'Or cachée dans les marais, et qu'enfin réveillée elle déchire les reflets et les enterre là bas, justement à l'endroit précis, où l'on ne la trouverait pas.
Ca changerait le trajet avec d'autres couleurs, la terre de Sienne brodée des sublimes strobilanthes. Mais ici rien ne bouge, pour le mieux on attend un immense évènement qui convierait les fleuves à devenir torrents, et par le cours du temps on serait ces ballants repris dans les colères on se transformerait, on serait le ruban, courant se purifier dans les éclaboussures.
Au mieux on sera le clampin qui s'en va claudiquant à son bureau de tabac au coin de la rue Say, (tu sais mais tu sais rien), entre deux vides, on serait celui qui fait son plein, un sac dessus l'épaule, à parodier les charmes qui émanent de ce monstre dévorant la parade, suivant d'autres ballants promis au menu sort, dans les joies des achats qui nous tiennent harmonieux comme des produits vitreux dérivés des trésors pour ballants-matamores. Truffes au guet, dos cinglé, dans un léger cafard caché par les formules qui s'autorisent la valse, et des ronds de fumée au milieu de l'azur, on se roulerait dedans, on piétinerait les rousses qui hantent la Tabareau et frottant sur tout le monde sa belle rangée de dents, on serait prêt à l'ouvrir pour dire n'importe quoi, on parlerait du temps:
"demain il fera beau, malgré quelques rafales dûes au violent cyclone venu des Philippines...".
Contre l'abêtissement, qu'est ce qu'on ne vous dirait pas ? Et puis clopin-clopant on se trouverait un banc, on irait lire l'avenir dans les feuilles rosissantes, on les aimerait vraiment, et on regarderait gentiment trembloter leurs ombres moins béantes que nos songes balancés aux torrents, voguant dessus des feuilles, puis dessous bringuebalant et dehors et dedans, et inlassablement...
Photo: Voyageuse immobile, contemplant un chef d'oeuvre d'ombres chinoises en presqu'île, biennale off d'arbres rares encore verts, d'où prélude...
Lyon © Frb 2013.
jeudi, 20 juin 2013
Color me gently
Sous son pinceau, sous ses doigts, les couleurs, la glaise, le bronze, le métal se pliaient à sa force. Il matait les femmes et la matière pour en faire ses esclaves.
MARINA PICASSO in "Grand père", éditions Gallimard, 2003.
Photos : Modèles vivants simples et dociles en quatre couleurs. Déploiement hors saisons suivant la partition, thématique en voeu pieux (?) gentiment after-punk, je cite:
Que la nature nous protège des taches de peinture, des puissances de la glaise, du métal et du bronze.
C'est de Dante, je crois - le manuscrit reste introuvable - mais on a retrouvé celui-ci :
Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita.
A suivre, peut-être...
Là bas : © Frb 2013
dimanche, 16 juin 2013
L'abolition des privilèges
03:33 Publié dans Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Ciels, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Objets sonores | Lien permanent