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dimanche, 20 décembre 2009

Notes givrées 2

J'ai ardemment souhaité partir mais j'ai peur.
Une vie, encore neuve, pourrait fuser
Hors du vieux
mensonge en feu sur le sol
Et, crépitant dans l'air, me laisser à demi aveugle [...]

DYLAN THOMAS (1914-1953) extr: "J'ai ardemment souhaité partir" in "Ce monde est mon partage et celui du démon". Editions Points 2008.

neige01.JPG

Un grand poème de Walt Whitman fait pousser des prés sous la neige. Dans les magasins surchauffés on devine les mondes d'Orwell. Sur le sol, les pieds patinent. Et au dessus, un soleil gris, redessine les créatures. Tout l'être s'adonne au désir de la difficulté. Se mouvoir est une aventure. N'importe qui, n'importe quand, peut se prendre une boule dans la gueule. Lignes brisées sur le cristal. Des envers de manteaux en peluches, quatre doigts coupés dans une moufle, des nains à nez rouges, et à bonnets larges tendent leurs bras sur le pays. Il faudrait jouer avec ce feu. Quand il fait si froid les mains brûlent. En deçà du ciel, sous les arbres, le roux de la feuille s'éternise, la Tabareau se fossilise. On foule aux pieds, une nervure. Un trèfle, à quatre feuilles d'or, travaille au sommet le brésar dans la forêt Francis Popy et le Clos Jouve se rétrécit quand les boulistes, naguère fêtards, se retrouvent frappés d'amnésie.

L'être fondu à son mouvement très lentement rétropédale. Revêtir la trace du pas d'un passant ordinaire, s'y glisser pour y faire son nid. Attendre la tempête. Le froid qui vient. L'homme dit "Je l'endure".  C'est un défi. Des signaux de fumée, de buée sont envoyés dans la vallée. Quand le froid aura bien mordu, le monde se disposera d'une toute autre manière. Croit-on.

Les yeux bruns visant les agates, une luge sera offerte à tous les animaux. Les yeux bleus butinant la neige. Des pas de biches courant sur la lune. Il y aura des souvenirs. Des continents glacés sous l'illumination. Ce froid qui en mordant remet tout à zéro ira bien au delà d'une révolution.

"Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture, où de vieux cormorans abattus et les âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder aux nuits enchanteresses de l'hyperboréal [...]"

Un hiver éternel glissé dans la peinture, et un enduit fondant sur le toit des maisons. Il y aura un combat pour chasser les vigiles, ils secoueront à l'infini la boussole et la boule, pour voir la neige tomber de la cage du téléphérique. Des pantins ridicules, hors des vitrines choyées, porteront les cadeaux dans la benne à ordure puis des engins viendront pour balancer des sacs de sable rose sur la ville.

En attendant, que dire de ces nains à nez rouges, ces nains à bonnets larges qui prennent de l'altitude, par milliers puis s'envolent, tels des étourneaux ? On les regarde partir, on les retrouvera plus haut, au royaume des luges, hilares sur des traineaux, vouant un culte intraduisible à ce bonhomme jovial, qui compose le futur, une carotte entre les deux yeux, et des boutons de culotte piqués à l'ours Pitou.

A la place des monuments, mille bras porteront sur l'eau, la transformation à venir, des igloos mous voguant à la place des péniches, des radeaux transparents pour fixer la couleur dans l'eau. Le sentiment humain ne trouvera plus son mot. Plus un seul mot à dire, pas un qui n'ait subi dans l'exquise météo, ce désordre : l'absence enfin, de notre son. Alors comme là bas, le soleil ne se lèvera plus qu'une seule fois par an, et sur plusieurs semaines on verra s'étirer, toutes les beautés du crépuscule.

Qui dira, en ce monde détintinabulé, où se trouve "la Noël", et quel mois pour le jour de l'an ? La neige masquera le chrono. La terre plate sera stationnaire. La lune jettera son auréole au dessus de nos têtes cuites, et le soleil, ce cimetière, peuplé des anciens luminaires, réchauffera notre dîner. Juste des bulbilles et des baies...

Le monde, à partir d'aujourd'hui, ne bougera plus d'un millimètre.

poudreuse.JPG

Photos : L'enfance est solitaire à Croix-Rousse sous la neige. Quelques bribes d'un pays blanc, et des pavés vus (et parcourus) à quelques jours de Noël. (Noël ? Vraiment ?). A Lyon. Décembre 2009. © Frb.

Commentaires

Une petite merveille, et un billet avec l'ours Pitou en plus (en pluche!)Merci Frasby.

Écrit par : Sophie | samedi, 26 décembre 2009

La terre de l'enfance est toujours collée à nos semelles. Du moins, chez les gens que j'aime, que j'aime bien.
Les autres sont effrayants.

Écrit par : mon chien aussi | samedi, 26 décembre 2009

@Sophie : Merci Sophie, c'est adorable ! Vous vous souvenez de l'ours Pitou ? Ca me fait drôlement plaisir !
Dites moi, je reviens de chez vous, là, à l'instant, c'est absolument merveilleux ! cette photo , c'est vous ? je l'aime beaucoup, j'adore. (J'aime bien aussi celle du joyeux noël)
D'ailleurs il faudra que je vous passe une commande ;-), moi aussi je veux un Thibaudet sur ma tête ;-))

Écrit par : Frasby | samedi, 26 décembre 2009

@Mon chien aussi : Je partage complètement ! oui les autres sont effrayants. Il semblerait d'ailleurs qu'ils soient en nombre...
En nombre quasi écrasant. Nombre croissant au fil des ans. La terre de l'enfance m'est très chère aussi, je vous cite "Pour les gens que j'aime, que j'aime bien"... C'est très bien dit. Merci.

Écrit par : Frasby | samedi, 26 décembre 2009

Chère Frasby, on embarque chez vous en un long plan séquence qui n'en finit pas de nous offrir ses merveilles. Avec ces vastes montages où alternent prose du monde et collages divers, vous êtes l'inventeuse du texte palimpseste où gisent pêle-mêle des choses inclassables. Jamais vu une écriture aussi faite pour le numérique, aussi porteuse de choses cachées comme dans ces jeux de l'enfance où l'emporte le plaisir du dévoilement. Les éditeurs n'auront qu'à bien se tenir, leur faudra beaucoup imaginer.
Merci pour la découverte de Walt Whitman. J'aime lire la poésie américaine traduite en français, j'aime entendre ce que disent nos contemporains de l'autre côté de l'Atlantique.

Écrit par : Michèle | dimanche, 27 décembre 2009

Orson dirait:
http://www.starksilvercreek.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/08/rosebud.jpg
moi aussi.

Écrit par : L...................uC | dimanche, 27 décembre 2009

Ah faire la liste des feuilles mortes, des vélos sous la neige, des hivers peints, des agates sous les préaux, des libellules sous les aulx, des solitudes à patins, des igloos sous le soleil, des exquises frasby qui nous rendent à l'eau de nos enfances.

Écrit par : Chimèle | dimanche, 27 décembre 2009

@Michèle : Merci vraiment ! Je suis ravie de vous retrouver ici. (Vous savez que vous aurez toujours ici votre fauteuil d'honneur à votre nom d'artiste "Chimèle Iere" au premier rang ! (si ! si !). Mais ce que vous ne savez peut être pas c'est que votre commentaire me fait un effet pas croyable (je vous épargne la "séquence émotion" ;-)) Votre perception du plan séquence me choute beaucoup, c'est vrai qu'en roulant à vélo en ville parfois il me plaît d' imaginer que le vélo est une caméra (-à pédales-) ou un petit âne- (à bascule). Collage, assemblage, c'est vraiment un truc passionnel. Je suis en passant assez dingue de K. Schwitters et de la "symphonie pour un homme seul" de feu maître et père, P. Schaeffer. Mais je ne crois pas que je sois l'inventeuse de grand chose. Il suffit parfois de se baisser et de ramasser par terre les petits papiers (les petits cailloux) que d'autres avant moi ont semés. On n'invente jamais rien, hélas! Cela étant, "palimpseste" est un mot une idée que j'aime beaucoup (décidément vous visez des points chers à mon coeur, Michèle). Palimpseste est aussi l'un des premiers mots compliqués que j'appris juste après le mot "blédine" j'étais alors une grotesque enfant , et je me fis un devoir de "coller "le mot "palimpseste" dans toutes mes rédactions, ça faisait très "héruditte", le palimpseste en CE2 le palimsepête surtout. Evidemment je ne savais pas du tout ce que voulait dire ce mot. Et ma maîtresse (mademoiselle pugeolles) ne fût pas si admirative que moi, ni que vous ! face à l'envoûtant palimsepête. Elle m'offrit même de nombreuses heures de colle, que je passais à sniffer l'odeur d'amande douce dans un pot de "cléopâtre" (d'où cette prédestination au collage (uhu ! hihi !). En ce sens j'ai peut être inventé "la confiture de colle au "palimpseste-maison" à verser dans une flaque d'eau avec un peu de gouache + une grosse louche de cacao, si possible, puis à touiller (avec les doigts) quand vous viendrez à Lyon, je vous montrerai ! ;-)) quant à mes vacances sur un palimpseste (on en rit encore). Enfin, des années plus tard je tombais en extase devant la signification exacte du mot. Depuis je n'ai qu'un Dieu "Le palimpseste". (Enfin bon, on s'en fout de ma vie, hein ! mais c'est pour dire que vous êtes en plein dans le pralin des mondes adorés, michèle! pour le palimpseste, l'enfance, la cinétique, Enfin, voilà, j'apprécie beaucoup la délicatesse de votre perception. pardonnez les détours, je ne sais pas faire court...). De même que j'aime bien votre note sur le numérique, cette idée d' hypertexte est fascinante. Vertigineuse. Le caché, aussi, oui, ça c'est sacré ! le "caché" me fait penser à un livre bien traboulé dans le genre (vous l'avez peut être lu ?) qui ouvrit beaucoup de passages secrets, inattendus à toute cette dispersion : "Ecrits timides sur le visible" de Gilbert Lascaux. Quelqu'un à qui je dois finalement cette idée que la dispersion, peut amener à "de folles précisions". Je suis ravie de votre goût pour Walt Whitman, rajoutez "les pommes sauvages" de H.D. Thoreau (traduction de Philippe Jamet) ; par ce lien vous pourrez accéder, (il semble) à un extrait des premières pages)... Puissiez vous, savourer ces mondes marchants, charmants, il me semble que ça pourrait vous enchanter tout à fait (desfois qu'on ne vous aurait pas fait tous vos cadeaux) : http://www.finitude.fr/titres/pommessauvages.htm
Je vous reremerci vraiment et vous housiate, beni rûs, à défaut du ojyeux Nölé, une d'excellente fin d'année, et des douceurs parmi les vôtres.

Écrit par : Frasby | dimanche, 27 décembre 2009

@L...............uC : Touchée ! c'est un très beau cadeau que vous me faites là.
Permettez que je m'agenouille ;-))
Orson est mon maître !
A king without a kingdom...
Rosebud une fascination
je pense aussi au Xanadu de Coleridge, celui qui rêva le même rêve que le constructeur du palais, sans imaginer un seul instant, qu'un autre l'avait rêvé avant lui. "Cette série de rêve est sans fin... Borges écrivait que "peut être le dernier en sera la clef"... Merci infiniment pour cette correspondance exquise...

Écrit par : Frasby | dimanche, 27 décembre 2009

@Chimèle : Sans rire, Chimèle, c'est du boulot toutes ces listes! En ces périodes de fêtes, je ne m'en sors pas !
j'ai encore un paquet de flocons fondus à retrouver dans mon bazar et à reconstituer , en plus mes libellules se caillent les miches (il faudrait que quelqu'un leur tricote des protège mandibules) et pis mon igloo qu'a fondu ! m'en parlez pas ! avec ce soleil, tous les matins faut tout que j'y refasse ! pis faut tout creuser les pistes cyclables sous la neige, il en va de la vie des cyclistes (qu'il faut frictionner à l'abbé Soury devant le poêle à charbon). J'aurais dû appeler ce blog "Sisyphe enterprise", tiens ! la rêverie c'est plus comment avant, c'est de l'esclavage Chimèle ! Il faudrait que j'embauche des extras et des exquises. Des exquises itou masi, y'j senpe ! vosu evaz le fripol inoide!
Vous voudriez pas venir m'aider Chimèle ??? Drapon , je reformule ma question dans la guanle de qui no siat, et que vousu raplez avec une torivusité que j' ia tosurouj idamré :
Vosu drouivrez sap niver m'ireda, Chimèle ?

Écrit par : les nouvelles galeries Brysfa's farfouillettes | dimanche, 27 décembre 2009

"Et au dessus, un soleil gris, redessine les créatures. Tout l'être s'adonne au désir de la difficulté. Se mouvoir est une aventure. N'importe qui, n'importe quand, peut se prendre une boule dans la gueule. Lignes brisées sur le cristal. Des envers de manteaux en peluches, quatre doigts coupés dans une moufle, des nains à nez rouges, et à bonnets larges tendent leurs bras sur le pays. Il faudrait jouer avec ce feu."
Juste merci. Comment voulez-vous que je commente un bijou pareil ? L'émotion n'a pas souvent de traduction.

Écrit par : Anna de Sandre | dimanche, 27 décembre 2009

@Anna de Sandre : C'est très bizarre de se relire par votre voix (et quelle voix ! voui ! je l'entends ;-)
votre commentaire me touche beaucoup. Je n'irai pas jusqu'à confirmer le mot "bijou",mais voilà, c'est un fait: votre commentaire me touche beaucoup.

A très bientôt en votre domaine, je reprends le cours à la nage, après escale sur la terre ferme. je crois que je vais avoir beaucoup de choses à lire chez vous, ce qui me réjouis par avance. Merci à vous !

Écrit par : Frasby | dimanche, 27 décembre 2009

J'ai ardemment souhaité partir mais j'ai peur.
N'importe qui, n'importe quand, peut se prendre une boule dans la gueule.

C'est une très belle réécriture du poème ! Et c'est encore mieux de lire votre billet sur Noël au mois de juin (car je vous parle du futur. Aujourd'hui, 25 juin 2011, j'ai le recul suffisant pour vous affirmer que ce billet de décembre 2009 est tout bonnement excellent).

Écrit par : Fernand Chocapic | samedi, 25 juin 2011

@Fernand Chocapic : merci, euh ... C'est très gentil, en fait je sais pas quoi dire, je n'ai pas l'habitude (malgré les tonnes de liens monomachins) de relire mes vieux billets, j'ai l'impression de trucs à l'abandon et qu'une fois la page visible tournée les billets entrent en décomposition avancée (comme les gens enfin quand la page est tournée, enfin bon c'est pas... Quoique... :) alors c'est très étrange, pour moi de revenir là avec mes grosses bottes en bois et en même temps Noel en Juin, ça me va impeccable, mieux que (un exemple au hasard) : Juin en Juin, d'ailleurs ça se carambole un peu tout ça (au niveau cosmique, disons (!:-O) d'où mon embarras pour répondre car autant il est insupportable de savoir que les choses sont encore là, à la merci du lecteur qui, curieux et courageux s'en va à rebours narguer le maître du temps ... Autant l'idée que tout sombre à jamais dans le néant a quelque chose d'insupportable également, malgré une grosse lucidité, (mais comme le dit Michel Drucker :"on va pas se mentir") d'ailleurs si on se mentait moins on effacerait les billets à mesure, alors pour résumer : votre message me fait infiniment plaisir, puisque je suis incapable de revenir sur mes pas avec quelque recul intelligible, et puis vous parlez si bien du futur que j'ai l'impression qu'en 2011 nous serons encore vivants (alive and well :) par contre vous me donnez furieusement envie d'aller à la messe de minuit, je ne sais pas pourquoi autant en Décembre je trouve ça déprimant; autant ce soir ça me ferait plaisir d'écouter un pti "Minuit Chrétien" chanté par les petits chanteurs à la croix de bois, pas vous ?
Pardonnez moi, Fernand, si je m'égare, c'est à cause de la neige, hier c'est, comme déjà demain, je vous l'annonce, vous verrez bien !... :)

Écrit par : frasby | samedi, 25 juin 2011

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