Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 23 mai 2010

Le livre tangue

"Je veux être un éléphant qui pisse dans le cirque quand tout n’est pas beau… "

BERTOLT BRECHT in "Baal". Edition Arche 1997.

alcools.JPG

RIMBAUD dit de l'ivresse qu'elle procure cette eau de vie verdâtre "Qu'elle est le plus délicat et le plus tremblant des habits". Affirmer que l'ivresse, est pour le poète un habit reviendrait à la classer parmi les accessoires qui lui sont nécessaires pour paraître en société. On sait que jadis, les bourgeois s'étaient fait un devoir de rompre avec les excentricités de l'aristocratie, et de porter les tenues les plus neutres possibles, des costumes de coupes sobres dans des tons éteints gris anthracite, chapeaux sombres, ensembles bleus marine ou noirs. Le vêtement bourgeois dissimulait la chair et renvoyait l'image sinon d'un homme utilitaire, au pire celle d'un automate fonctionnel.
Au contraire le corps ivre s'élance, erre à tâtons. Il commet toutes les maladresses et on ne peut le mettre à la chaîne, il est en quelque sorte perdu pour toute utilité sociale.

RIMBAUD dit encore que le poète doit "faire l'âme monstre" (cf. "La lettre du voyant"). Le poète doit apprendre à voir, à éprouver toutes les formes d'amour. "Etre voyant", c'est aussi refuser de passer inaperçu. Et "faire l'âme monstre" est la grande ambiton du dandy, dont l'extravagance  se trouve, (c'est sans doute préférable), très souvent incomprise. Si être écrivain et alcoolique n'a rien d'exceptionnel, le mélange parfois n'offre pas la compensation espérée. Et ces deux passions réunies dans une même personnalité comportent un risque d'entrave. On connaît ici et là des destins avortés, de talents, qui se sont lentement, inexorablement gâchés dans l'alcool, sans réussir à offrir une oeuvre disons, à la postérité, ni même une simple oeuvrette. Ces parcours fort nombreux, on les retrouve souvent dans le sillage des grands mouvements artistiques autour du Dadaïsme ou du Surréalisme, du Situationnisme etc... Dans l'entourage de personnalités fascinantes comme Francis BACON, Andy WARHOL, pour n'en citer que deux... Ainsi toujours dans ce sillage évoluaient des faunes d'artistes potentiels parmi lesquels très peu d'élus. Beaucoup se sont noyés, comme dans un bain voluptueux ainsi on ne compte plus le nombre de génies inconnus. Et il s'agit toujours de l'itinéraire très classique qui n'est pas à juger, de l'artiste qui boit son talent au lieu de mener à bien son oeuvre.

C'est un peu le schéma de "Baal "de Bertold BRECHT (dont GUILLEVIC a donné une merveilleuse version française). Le schéma de "Baal" est un cas limite. Nul ne pourra savoir si l'homme qui se détruit plutôt que de faire carrière est un minable ou bien encore une sorte d'artiste supérieur qui achève sa carrière non sur le plan pratique mais dans un élan mystique ou peut- être indéfinissable. C'est pourquoi décider de la valeur de l'existence de "Baal "est une absurdité car le fond de cette existence sera toujours inaccessible à un observateur extérieur. "Baal" chemine seul, il serait vain de vouloir l'accompagner, l'encourager ou le comprendre. D'autrepart "Baal" était la divinité tyrannique à laquelle les époux carthaginois sacrifiaient en des temps oubliés, l'aîné de leurs enfants, c'est à dire le meilleur de leur peuple.

Pour en revenir à l'histoire de "Baal" même, BRECHT raconte celle d'un poète qui se perd, une sorte d'"archirimbaud" dont aucun texte n'aurait été conservé. "Baal" chante ses compositions dans une taverne de charretiers située près d'une rivière. Il envoûte son public. Il ressemble à VERLAINE en plus indécent. Un riche négociant entend parler de lui et propose de l'éditer, un patron de presse veut le lancer. Mais "Baal" refuse avec orgueil, toutes propositions mercantiles. La seule chose qui l'intéresse est de boire, et puis boire et boire encore, (du schnapps), courir les filles, faire bonne pitance et dormir à la belle étoile. "Baal" est l'incarnation de la force poétique brute. Peu à peu tous ses bienfaiteurs se lassent, ses amis, irrités par son inconstance, l'abandonnent. "Baal" se brouille avec le tenancier de la taverne où il se produit et se met à errer misérablement. Il achèvera ses jours sur un grabas miteux dans une cabane au fond d'une forêt. Les bûcherons de passage le tournent en dérision et lui crachent dessus. A la veille de sa mort il a encore le ressort de leur lancer le reproche étrangement poignant :

"Vous n'aimeriez pas mourir seul, messieurs !".

Il est trop tard plus personne n'écoute le déchet humain qui s'exprime.

http://www.deezer.com/listen-3360225

Source : Les notes qui composent ce billet ont été largement inspirées par le livre d'Alexandre LACROIX : "Se noyer dans l'alcool ?". Dont le blog de Bartleby dit très justement qu'il donne envie de lire et qu'il donne soif. (lien ci-dessous)

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/10/boire-...

Nota : Le sujet des multiples relations entre l'art et l'alcool étant aussi inépuisable que fascinant, j'espère pouvoir très prochainement vous livrer quelques autres facettes, à travers d'autres auteurs, et d'autres manières toutes différentes de s'enivrer. A défaut de noyer son lecteur (adoré) je distillerai (tel l'alchimiste chaldéen, et allez donc !), les billets sur ce thème au compte goutte (ce qui est un comble) et dans le désordre le plus imprévisible (toujours des promesses !)

Photo: Nécessaire d'énivrés, photographié  à la terrasse du "Vin § Ko", (bientôt rebaptisé "Le Mondrian" à l'occasion de la reprise du café restaurant par le talentueux artiste cuisinier Michel Piet et son équipe d'adorables), un lieu situé au 1 quai Claude Bernard dans le 7em arrondissement à Lyon, et qui est déjà  vivement recommandé par la maison. De cela je reparlerai un certain jour, car l'endroit est si chaleureux et le mojito si extra qu'il serait bien dommage de passer l'été sans aller s'y lover et s'y prélasser des soirées entières sous les arbres. A suivre donc. photographié en Juin 2010 à Lyon (En juin ? alors que nous ne sommes que fin Mai ? pensera le lecteur plein de sagacité. Mais oui ! l'alcool nous f(i)loute, voguez voyants! ... Livrez l'ivresse !...)