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mercredi, 19 août 2009

Bleu cassé

"Le travail de Nicolas de Staël est d'une exigence absolue et il est peu problable que j'aie le coeur de m'autoriser un jugement.
Cependant je peux bien vous avouer que je cherche toujours, sans trouver, dans quel monde de lumière il est possible de vivre autant de vérité que dans les tableaux des footballeurs, grands ou petits... Quelle danse de lumière et quelle puissance d'homme et de lion. J'aime l'oeuvre de Nicolas dans sa profonde humanité et sa pure vérité."

René CHAR, correspondances. (En réponse à la lettre d'une admiratrice qui lui demandait quel était le tableau de N. de STAËL qu'il préférait)

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Une des ultimes toiles de N. de STAËL s'appelle "Les mouettes", les couleurs se déclinent du blanc gris au bleu sombre, en strates qui se succèdent. On n'aperçoit nullement les oiseaux dans le détail, mais des formes qui fuient, l'orage venant au ciel. On sait pourtant combien Nicolas De STAËL aimait le vermillon, couleur dans laquelle il flamba sa vie et l'incendie revient encore aujourd'hui éblouir sublimement et interroger sans répit son visiteur.

En 1951, Nicolas de STAËL est à Paris, dans son atelier, René CHAR vit à l'Isle sur la Sorgue. Mais la présence de R. CHAR habite l'atelier du peintre. Ils collaborent.
je vous livre ici quelques extraits de leur correspondance :

[...] Je ne le dirai jamais assez ce que cela m'a donné de travailler pour toi. Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais enfant pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct, sans précédent, que cela entraîne. J'ai ce soir mille livres uniques dans mes deux mains pour toi, je ne les ferai peut-être jamais, mais c'est rudement bon de les avoir. [...] 
A bientôt. 
De tout coeur.

N. DE STAËL à René CHAR (source "Lettres de N. DE STAËL, annotées par Germain VIATTE, dans "Nicolas de STAËL", 1968)...]

"Ne presse pas le mouvement, c'est le livre qui en souffrirait. Nous ne sommes pas à 8 jours. Reçu le paquet. Bien sûr, c'est informe et je ne peux pas me faire une opinion sur le livre. Attendons la fin et le premier exemplaire du tirage. Tel que ''ça n'existe pas''. Mais à l'examen voici quelques observations.
 1) La page de titre de l'ouvrage est un peu basse, ''POEMES'' et l'ensemble devraient être composés légèrement plus haut. Ce n'est pas très grave. Tant pis. 
2) J'aime le fourreau (l'emboîtage) noir. Je le trouve très beau. 
3) Je ne trouve pas heureux le ''CHAR'' de l'étui, même je le trouve laid. Peux-tu le faire disparaître ? Est-il temps ? Je préfère rien que cela. [...] 
5) Il ne faudra pas oublier de glisser des papiers fins devant les bois dans tous les exemplaires. Très important. [...]
 Cher Nicolas en définitive tout ira et sera bien. Sois sans inquiétude. Tu t'es très heureusement tiré de ce poison qu'est la fabrication d'un livre grand luxe.
 Grands et sincères compliments. [...]"

René CHAR à Nicolas de STAËL, 11 novembre 1951.

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Les lettres que R. CHAR écrivit à N. de STAËL, n'ont pas été publiées intégralement, mais le poète fût imperceptiblement dans les confidences de N. de STAËL, comme le suggèrent les poèmes "Vermillon" et "Libera II". N. De STAËL éprouvait, à cette époque, une passion qui ruinait peu à peu ses forces vitales; tout comme son travail, qui l'épuisait. Le poème "Vermillon" paru du vivant de N. de STAËL, semble crypté, R. CHAR par amitié, discrétion, pour son ami, s'en tint à des allusions délicates, mais claires aux initiés. "Vermillon" est sous titré : "Réponse à un peintre", le poète tente de conjurer les affres de la vie personnelle et d'offrir à son ami ce peu de recul nécessaire pour continuer.

Le 9 novembre 1953, N. de STAËL adresse à R. CHAR, une lettre magnifique. Amoureux en Sicile d'une femme, épouse d'un mari très jaloux, le peintre désespère de ne "pouvoir la tirer de son caveau mesquin", il se plaint des complots qui se trament contre lui pour l'éloigner de ce "visage de Sicile". On retrouvera ce vermillon, (la couleur préférée du peintre), dans ses derniers tableaux  notamment les "paysages siciliens", et ces ciels écarlates témoignent encore du feu, de cette fièvre qui le consumeront. Il écrira à R. CHAR en 1953, ces quelques mots sublimes :

"Il y a cela de vraiment merveilleux entre nous, c'est qu'on peut se donner tout ce qui est possible et impossible sans limite, parce qu'on ne voit pas la fin de nos possibilités [...]"

EN 1954, dans un atelier ouvert sur la mer, N. de STAËL s'installe à Antibes. En six mois, il réalise plus de 300 toiles. En solitaire. Sa peinture qu'il applique alors au coton semble de plus en plus limpide, presque transparente. Il écrit alors :

"Je n'ai plus la force de parachever mes tableaux."

Le 16 mars 1955, aux remparts du Cap d'Antibes, N. de STAËL arrêtera tout. Laissant une toile immense, inachevée. Une orpheline intitulée "Le grand concert".

Photo : Ciel bleu, gris, tournant à l'orage et cassant doucement la blancheur des nuages, vu dans le Nabirosina, au dessus de l'étang des clefs. Août 2009.© Frb.