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mardi, 20 octobre 2009

Encres perdues

Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de l’adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n’ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m’en retourne aux monts Nan-chan pour y chercher le repos.
Vous n’aurez plus désormais à m’interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels

WANG WEI :  "En se séparant d'un voyageur"

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WANG WEI (vers 701-761 ?) fût un illustre poète chinois de la dynastie T'ANG. Peintre, calligraphe, musicien, "paysagiste", il fût considéré comme le maîtres le plus doué de la poésie lyrique. Il intégra le paysage dans la peinture chinoise du paysage, comme un sujet à part entière. On sait qu'il occupa plusieurs postes de prestige, d'autres moins, il appartenait aux "officiels" et fût incarcéré lors d'une rebellion dans la capitale, obligé de travailler pour les rebels puis accusé de collaboration lors de la reconquête de la capitale, il sauva sa tête par la grâce d'un poème loyaliste écrit en prison.

On lui attribue plusieurs innovations techniques, notamment un style qui utilisait l'encre monochromatique dont l'effet dépendait uniquement d'un emploi expressif et rigoureux de lavis d'encre noire ou grise projetée. Il est considéré comme l'un des plus grands peintres de la Chine, mais comble du paradoxe, on ne possède aucune peinture de ce grand maître. elles ont toutes disparu au fil des siècles. Sa peinture n'est donc connue qu'à travers quelques gravures sur pierre réalisées à partir de son célèbre rouleau Wang-chuan et des copies de ses peintures par les artistes qui lui succédèrent (telles que "Eclaircie après une chute de neige", collection Ogawa, Kyoto). On pense que la famille impériale mandchoue conserva un original intitulé "Paysage sous la neige". Les informations sur son œuvre nous viennent principalement de sources littéraires. On raconte que ceux qui ont jadis eu la chance d'apercevoir la peinture de WANG WEI se sont exclamés : "On ne peut aller plus loin, plus haut : l’art du paysage dit ici son dernier mot.". Quant à la poésie chinoise, s'il faut nommer trois grands poètes, les trois plus grands, on nommera souvent : LI-PO, DU FU (Thou fou) et WANG WEI... Ce dernier adepte du tch'an (bouddhisme) cherche à approcher un état de communion presque amoureux avec la nature, le regard du poète se mêle au vide de la montagne", à la barque du pêcheur, au bleu des saisons, comme s'il les avait lui même inventés : "Je vais jusqu’au lieu où la source s’épuise, et contemple la naissance des nuages. Voici le semeur de forêts : Nos plaisanteries n’ont pas souci du temps."

Le poète et peintre SU TUNG PO écrira assez musicalement, à propos des oeuvres de WANG WEI :

Savourant un poème de Wang Wei, dans son poème
une peinture
savourant une peinture de Wang Wei, dans sa peinture
un poème

Dans la poésie de WANG WEI, il n'est jamais question d'effusion personnelle, celle ci est d'autant moins présente que les verbes en chinois ne se conjuguent pas et que les articles sont absents. L'être humain pourrait se fondre presque dans la totalité du monde, et le lecteur occidental se confronter à des traductions qui n'ont pas toujours le ton juste ni l'esprit du mouvement de WANG WEI. On pourra cependant apprécier les oeuvres de Wang WEI dans les ouvrages suivants :

Wang WEI, Les Saisons bleues : l'œuvre de Wang Wei poète et peintre, éd. et trad. Patrick Carré, Paris, Phébus, 1989 / " Libretto ", 2004.

Wang WEI, Paysages : Miroirs du cœur, trad. Wei-penn Chang et Lucien Drivod, Paris, Gallimard, " Connaissance de l'Orient. Série chinoise ", 1990.

Wang WEI, Le Plein du vide, trad. Hervé Collet, Cheng Wing-fun, callig. Cheng Wing-fun, Millemont, Moundarren, 1985.

A noter qu'un jour, un recueil de poésies chinoises fût offert à GUSTAV MALHER qui, pour composer "Le chant de la terre" ("Das lied von der Erde") sélectionna sept pièces dont une de WANG WEI. Le sujet du chant de la terre peut se croiser ci dessous.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/03/15/ca...

Le compositeur a un peu "arrangé" le poème de WANG WEI , mais comme sa composition musicale, est un chef d'oeuvre magistral, on fermera les yeux sur cette petite occidentalisation.

Photo : retour des encres plus ou moins chinoises juste au dessus de la voie du caillou. Vu au hameau des Clefs. Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

vendredi, 16 octobre 2009

Marcher sous la lune

"Et les refuges lointains succèdent aux gîtes proches."

LI PO : "Sur l'air des barbares bodhisattva" in "Les yeux du dragon", (Anthologie de la poésie chinoise trad. Daniel Giraud). Editions Le bois d'Orion 1993.

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LI PO (connu aussi sous les noms de LI-BAI, LI TAI PO, LI TAI PE etc..) , fût l'un des poètes chinois les populaires de la grande époque des T'ang. Riche et pérégrin, il fût tout autant viveur proclamé, que promeneur méditatif, amateur de femmes et de beuveries. L'un des poèmes les plus connus étant celui où le poète boit du vin avec son ombre :

Au milieu des fleurs un pichet de vin
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe je convie la lune claire
avec mon ombre nous voilà trois

Surnommé "un immortel en exil", il se désignait lui même comme "l'ambassadeur des trente six cieux".

Une parenthèse très approximative quant à ce nombre impressionnant de cieux. Cette connaissance par les chiffres du Tao (ineffable et incommensurable) est en alchimie taoïste, le ressort caché du cosmos : "Sur une grande échelle, le Ciel et la Terre, et sur une petite, le corps en son entier ont tous des nombres du régime du feu naissant et se parachevant". 36 serait le nombre des provinces des maîtres célestes, qui entretient un rapport avec les 360 jours de l'année. Pour d'autres encore, le cosmos s'abolit tous les 36 billions ou trillions d'années. Mais cet aspect étant un peu trop vertigineux pour l'heure et ma nature ayant horreur du chiffre, je referme la parenthèse, et retrouve LI PO le poète magnifique, qui dit-on se serait adonné à l'alchimie, comme un millénaire auparavant son camarade et illustre poète QU YUAN.

LI PO passa la plus grande partie de sa vie à voyager à travers la Chine, sans souci, sur un mode incompatible avec le système confucéen. Sa personnalité fascina. On lui offrit un poste à l'académie Hanlin comme poète au service de l'empereur, puis il fût remercié pour indiscrétion, ensuite il erra, le reste de sa vie. Il rencontra DU FU (THOU FOU) à l'automne 744 et puis l'année suivante, deux seules rencontres qui ont pourtant associé les deux poètes pour très longtemps dans les mémoires. Cette amitié intense, se lit encore dans certains poèmes, particulièrement ceux de DU FU. LI PO fût exilé pour s'être révolté contre l'empereur, mais il fût pardonné avant d'avoir atteint son lieu d'exil. La légende raconte qu'il se serait noyé en essayant d'embrasser l'image, réfléchie de la lune dans une rivière. Nous esquiverons volontairement l'hypothèse d'une fin plus réaliste, tant mourir en embrassant le reflet de la lune semble une mort, sinon rêvée, la plus douce des morts possibles.

Je chante, je chante la chanson du vent qui souffle à travers les pins,
Et ma verve ne s’épuise qu’à l’heure où s’efface la voie lactée.
J’ai perdu ma raison et cela excite encore votre gaieté, mon prince ;
Nous oublions tous deux, avec délices, les préoccupations de la vie réelle.

Autre lien de Chine et de lune : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/08/11/pleine-lune.html

Et, par contraste, à contempler, une lune urbaine sur le tard : http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/10/3...

Photo : La lune ou presque, au dessus du chemin qui longe les prairies et les pépinières à la tombée de la nuit (ou presque). Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.