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dimanche, 10 juillet 2011

Mes champs perdus

Certaines routes n'étaient pas dignes de nous porter.

ROBERT DESNOS, extr. "Voyage en Bourgogne" in "Rue de la Gaîté, Voyage en Bourgogne, Précis de cuisine pour les jours heureux", avec des eaux-fortes par Lucien Coutaud, édition Les 13 épis, 1947.
(Repris dans "Récits, Nouvelles et Poèmes", avec des reproductions de dessins par Robert Desnos et des illustrations par Jacques Rousseau, Éditions Roblot, 1975.

bord etang.JPGNous avons marché au bord de l'eau près des cabanes, longeant les haies, mûrissant les fruits noirs qui grossissaient, nous rendaient autres. Nous sommes allés par les forêts, passé le clos, nous avons rétréci.

Nous ne connaissions personne. Nul n'aurait pu comprendre à quel point nous étions perdus.

Plus tu parlais, plus le ciel était sombre, des mots plus sombres encore nous prenaient de vertige, j'avais peur et pour chasser la peur je faisais semblant d'être gaie. La terre, et les arbres, se sont mis à trembler. Il y avait les mots, la violence, l'orage qui avançait, grondait sur nous au dessus.

Je devenais inaudible. A peine moins qu'une conversation, ennuyeuse, qui allait et venait avec des questions.

Les fleurs auront elles encore du pollen en Septembre ?
A quoi servent les papillons ?"

Nous avons marché autour du point d'eau qui gardait les barques au soleil. Plus tu parlais plus je voyais grandir les ombres et les cornes des branches coupées, jetées sur le bord de la route repoussaient jusqu'à la rivière tout un tas de choses mortes qu'on n'osait plus regarder.

J'insistais à vouloir te distraire, émue par les bruits d'eau, l'éclat de l'écorce et la sève dessinaient un tourbillon sur un autre tourbillon où l'on aurait pu lire l'âge de l'arbre en s'attardant un peu.

L'éclair tordu ruisselé du ciel, scia par le milieu ce tronc, où à la trentième année de l'enfance, nous avions gravé nos prénoms.

Sur ta langue une rage lourde retirait peu à peu les charmes de ces petits plans d'eaux, noyait ce qui était sur le chemin parlant aux fleurs, renversait le poison dans le sirop d'érable, tout si vite, disparu.

Qu'un seul mot retourne la terre il nous exhumerait intacts, figés dans notre joie déchue.

A présent cette fleur classique que j'effeuille me fait marcher à reculons, je n'ose plus revenir à l'endroit, ni même ouvrir les yeux. De la route aux éclats de quartz qu'on suivait par un fil brodé on aperçoit des pierres posées sur de fins gravillons aux couleurs d'obsidienne vitreux comme ces ombres qui ne cessent de hanter les lieux. Plus loin, pendant notre sommeil, l'eau bleue a envahi la route bordée de saules qui pleurent près des cabanes longeant les haies.

Si l'on prend la route à l'envers, pour peu qu'on la dépasse, on trouvera à perte de vue des champs de coquelicots qui ne vivent qu'une heure, une innocence pure comme le son de l'aurore, on damnerait une vie contre une heure à rouler entre ces herbes folles, mais il faudrait encore vendre son âme aux dieux...

Photo : Arbre qui penche mais ne casse pas ou balade en eaux troubles près de étang dit "des Clefs", (un paradis en vérité), situé quelquepart entre le Mont sans Souci et le mont St Cyr, dans le Nabirosina.

© Frb 2011.