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jeudi, 12 mars 2009

Chanson à boire de la misère du monde

Déjà le vin fait signe dans la coupe d'or
Mais ne buvez pas avant que je ne vous chante une chanson !
Le chant du souci
vous sonnera dans l'âme comme un rire clair
Quand le souci approche,
Déserts sont les jardins de l'âme,
La joie, le chant se fanent meurent
Sombre est la vie, sombre la mort...

GUSTAV MAHLER. Extr : "Le chant de la terre" d'après un poème de LI BAI in "La flûte chinoise".

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Le "Chant de la terre" est l'avant-dernière oeuvre achevée de Gustav MAHLER, cette "symphonie avec voix", marque pour son compositeur un retour à la vie après une série de drames personnels. Dureté de la condition humaine, besoins essentiels de l'homme, consolation. Les thèmes abordés touchent au plus proche de humanité. Le recueil de poèmes chinois "La flûte chinoise" que Theobald POLLACK, ami de MALHER lui fît découvrir, n'est pas une oeuvre littéraire, plutôt une compilation construite à partir d'éléments divers mais MAHLER y trouva l'inspiration et la force de s'engager dans un nouveau projet. Choisissant, quelques poèmes, il les réarrangea et composa à partir de cette source, l'une des plus sublimes musiques que l'on puisse imaginer. "Le chant de la terre" composé de six poèmes articulés, les thèmes abordés (dont certains d'entre eux, rappellent étrangement ceux d'Omar KHAYYAM) sont : l'oubli dans le vin, la vanité de la vie, le poète observant un monde où il n'est déjà plus, la superficialité de la beauté et de l'Amour, la petitesse de la condition humaine face à un monde éternel, la douleur de l'âme cherchant l'oubli et le repos. Les titres et thèmes dans l'ordre de la composition s'agencent ainsi :  1) "Das Trinklied vom Jammer der Erde" ("Chanson à boire de la douleur de la terre"), 2) "Der Einsame im Herbst" ("Le Solitaire en automne"), 3 ) "Von der Jugend" ("De la jeunesse"), 4) "Von der Schönheit" ("De la beauté "), 5) "Der Trunkene im Frühling" ("L’Ivrogne au printemps"), 6) "Der Abschied" ("L’Adieu"). G. MAHLER n'était pas écrivain, mais il a trouvé le ton juste, sobre, une simplicité, qui rend plus poignante la douleur de l'Homme. Son "chant", c'est le poème de la condition humaine, du détachement des apparences qui rejoint l'éternité de la terre...

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Il y a quelquechose de "soufi", dans cette quête du "chez-soi" et dans celle de l'ami (thème cher encore au poète persan, O. KHAYYAM et à certains orientaux). Composé lors de l'été 1908 "Das lied von der Erde" ("Le chant de la terre") témoigne d'un chemin immense parcouru vers la paix intérieure. Cheminement, peut être, car le bout du chemin ne sera atteint qu'un an plus tard avec la composition de la neuvième symphonie, sublime hymne d'Amour au monde et à la vie. Par sa forme de lieder avec orchestre (voix humaine mêlée à l'orchestre symphonique), par la beauté des textes, par cette couleur unique qui fait vivre la douleur tout près de la consolation, le "Chant de la terre" est une oeuvre absolue dont la beauté sidère. MALHER la qualifiait lui même de "symphonie" mais par prudence, il la nommait: "une malédiction de la symphonie". Ainsi le "chant de la terre" ne porta pas clairement le nom de symphonie. MAHLER, superstitieux, craignait d'aborder le chiffre 9, fatal aux compositeurs. BEETHOVEN mourût avant de mener à bien sa Dixième symphonie, BRÜCKNER n'eût pas le temps d'achever sa neuvième, et souvenez vous: SCHUBERT ! Comme l'écrivit A. SCHOENBERG en des propos qu'on croirait puisés chez LOVECRAFT :

"Il semble qu’il ne soit pas possible d’aller au-delà d’une Neuvième : celui qui s’y essaie doit quitter ce bas-monde. C’est comme si chaque Dixième Symphonie devait nous dispenser un message qu’il nous est interdit de recevoir, parce que nous ne sommes pas encore prêts. Ceux qui écrivent une Neuvième Symphonie se trouvent déjà trop près de l’Au-delà (...) Peut-être les énigmes de ce monde seraient-elles résolues si l’un de ceux qui savent pouvait écrire une Dixième Symphonie, mais probablement cela ne doit pas être.»

L'ensemble du chant de la terre, dure 60 mn environ, ce qui autoriserait l'appellation de "symphonie", au fond, c'en est une... Une "vraie fausse" symphonie. "Vraie-fausse" neuvième, qui restera pourtant inséparable de la vraie neuvième symphonie ;-). Peut-être G. MAHLER sorti vivant du "Chant de la terre" qu'il appréhendait tant, pût enfin créer sereinement sa neuvième symphonie sans y craindre ce mystérieux fatum touchant les compositeurs-musiciens ? Il acheva bien "le chant de la terre" puis, ensuite sa "neuvième symphonie, mais il ne  pût jamais assister à leur création. Il mourût le 18 mai 1910, et "Le chant de la terre" fût crée à Munich le 20 novembre 1911, (puis la "Neuvième, le 26 juin de l'année suivante) par Bruno WALTER.

Quant à "la Dixième symphonie"... Hélas !

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Ecouter un extrait du "chant de la terre" : ICI

ou encore un peu plus loin ci dessous: (Non seulement, pour les images), mais surtout pour la très émouvante voix de KATHLEEEN FERRIER (1912-1953), qui interpréta pour la première fois "Le chant de la terre" au festival d'Edimbourg en septembre 1947, sans parvenir à chanter l'Adieu, (le "ewig") "Eternellement... Eternellement" (dernier lied du "Chant de la terre") tant elle était bouleversée. Quand elle vint s'excuser auprès du chef BRUNO WALTER, celui ci lui répondit, "Si nous avions tous été aussi artistes que vous, nous aurions tous été en larmes comme vous". Elégance !

http://films7.com/videos/kathleen-ferrier-gustav-mahler-l...

Vous pouvez aussi découvrir KATHLEEN FERRIER sur le blog de Solko qui lui consacra en décembre 2008, un très bel article à lire sans modération:  http://solko.hautetfort.com/archive/2008/12/12/a-la-voix-...

Photos: Promenade entre terre et ciel au parc de la Tête d'Or, dans un matin d'hiver très gris. Lyon. Janvier  © Frb 2009.