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jeudi, 26 mai 2011

Petite musique d'attente...

Quelle vie de chien !

HENRY MILLER, (cité par Brassaï in "Henry Miller, rocher heureux"), éditions Gallimard, 2001.

Si la salle d'attente ne vous plait pas, en cliquant, vous serez orientés dans une autreSAL ATTENTE.JPG

Présentation

C'est juste une salle d'attente dans une petite ville de province. Les trois hommes qui s'y trouvent semblent se connaître un peu de vue, ce sont des vieux, à peine bourrus, la fidèle patientèle d'ici. Ils se regardent avec bonhomie, tournent sans les lire quelques pages de revues, un geste machinal, un choix restreint : "Le point", "Paris-Match", "Femme actuelle". J'atterris à cloche-pied, dans cette ambiance à la fois pudique et rassurante, j'entre sans bruit je suis accueillie par un "bonjour" très accueillant, trois bonnes têtes avec des sourires plutôt "gentils"... Déjà ça paraîtrait un peu anachronique en ville où les salles d'attente (celles que rarement j'ai fréquenté, me paraissaient glacées parfois presque menaçantes). Bien sûr, il y a ce silence lourd de sens, de non-sens, souvent gênant où le moindre bruit d'une page de revue qu'on tourne, le moindre craquement de soulier paraît s'amplifier à tel point qu'on n'oserait à peine bouger le petit doigt, mais ce sont les silences spécifiques ou "spéciaux" des salles d'attente en général, quand celles-ci ne sont pas envahies (une nouveauté qui se répand bien, hélas) par des fonds musicaux imposés, souvent odieux, la dernière salle d'attente que j'ai cotoyée, m'ayant offert contre mon gré, environ une heure des "plus grands hits d'Eddy Mitchell", (certes en sourdine, mais entre nous, c'est pas humain), tant qu'à faire je préfère un bon gros silence même s'il pèse un peu, beaucoup, voire lourdement. Ici, rien à faire, faut que ça cause, faut que ça vive. Faut toujours qu'on dise quelque chose. Un homme ouvre la conversation à propos de "l'accident du pont", une actualité qui détrône le scandale des notables trousseurs de dames, à Paris ou en Amérique, la seule actualité, dans ce petit pays, qui vaille la peine qu'on s'en soucie, c'est l'accident, dont la photo (une moto, une voiture ratatinées contre un poteau), un récit qui n'omet nul détail, ont fait la une, du petit journal local. Ici, chacun lit après le déjeûner, ou le dîner, "son" journal. C'est un rituel, c'est sacré. Après, on en parle, on en reparle, dans la rue et dans les commerces, au village, dans les chemins entre les champs de coquelicots... Ici, la parole s'ouvre, juste un peu et les langues se délient, mais pas trop. J'accroche sur mon col (je sais, c'est pas joli joli...) un petit micro cravate, j'enclenche le dictaphone. Le temps d'une brève causerie ; telle une trace légère, autant dire, presque rien...

Situation

- Je ne savais pas qu'il y avait une boulangerie aux Indres...

- Tout le temps !

- Ah ça oui ! y'en a passé trois quatre, mais y'en a toujours eu.

-  Ah ben oui !

-  C'est arrivé vers quel endroit ?

-  Vers le pont des Tarets, ça fait un genre de bosse, elle est partie sur la bosse.

- Le poteau il est là, tout seul au milieu du parking...

- Aller prendre le poteau en plein milieu, faut l'faire !

-  Ah ben mon vieux !

- Oh oui ! on est peu de chose...

- Et le père qu'a tué son gamin, 17 ans... Vous avez lu ? Ben bon sang !

- Elle était toute neuve la voiture, le motard l'a pas vue, le gamin il est mort pendant le transfert.

- Ces motos, ça fait peur...

- Mais non ! c'est la paraffine qu'y avait sur les pneus.

- Le gamin c'était le passager, il était devant, assis à côté, ça a toujours été la place du mort... Le père a freiné mais c'est l'auto qu'est partie dans l'autre sens.

- Ben vieux ! Pour la mère c'est terrible !

- Et pour le père ! Il a tué son gamin. Ils en avaient pas d'autre. Quand ils se trouvent tous les deux, ça doit pas être facile, le soir au souper, j'sais pas ce qu'il peut lui dire à elle, ben bon sang ! ça doit pas être facile d'en causer, faut que le couple soit solide après.

- Ouh ben ! C'est pas sûr qu'elle pardonne, si elle est rancunière, c'est fini, ça y fera tout craquer...

- Y'a pas que ça, y'a l'alcool, y'a la drogue...

- Non mais là, c'est un accident, y'a pas de drogue, pas d'alcool ! et pis de la drogue y'en a pas tant que ça.

- Non, pas tant ! pas dans nos petits pays. (silence long, lourd, gros soupirs, le vieux monsieur en face a l'air de réfléchir, profondément...)

- Alors c'est le destin. Ca peut pas être autre chose.

- Oui, c'est le destin, ça a été écrit comme ça. (silence long, très long)

- Hier on a enterré le docteur, vous avez lu ?

- Oui, y'avait du monde ! ça tenait pas tout dans l'église. Il était vieux.

- Dans le temps ils étaient deux, ça fait que l'autre est tout seul.

- C'est pas facile, hein ? On a beau dire ... La vie... !

- Oh non ! on a beau dire ! quand on peut rien y faire, on peut ben en causer jusqu'à demain...

-  C'est bien ce que je dis, c'est pas facile." 

 

 

Photo : Petite métonymie (de l'attente), ou portrait du patient invisible, ou encore un autoportrait ? D'autres verront un petit bout de salle d'attente, (et ils auront raison !) sans la musique, photographiée là bas, en douce... Je remercie, au passage, le Dr. VDB pour son accueil chaleureux et pour sa "bonne médecine". Un endroit on ne peut plus "sobre", mais finalement assez tranquille... Si l'on compare à certaines salles d'attente décorées hype et chic (avec fauteuils du genre "formes nouvelles") de certains cabinets où se pratique (de plus en plus, hélas) ce qu'on appelle de "l'abattage", (de patients comme du bétail, oui, c'est courant), je préfère un décor austère avec une médecine à visage humain, que le contraire, mais cela est très subjectif évidemment, et d'ailleurs il se peut que je m'égare dans un autre sujet vraiment problèmatique, peut être à suivre (?) Un certain jour (?) Qui sait (?) Mais comme je ne suis nullement pressée de fréquenter ce genre d'endroit, je ne promettrai pas ou le plus tard possible. Il vous faudra donc être patients, (si j'ose dire) ...

© Frb 2011.

Commentaires

"Elle est partie sur la bosse" : il y a dans la conversation qui roule, insouciante d'elle-même, des effets souvent (d)étonnants. Qui restent le plus souvent dans l'oreille que nous y avons prêtée.
En lire les effets ici est savoureux. Merci à la collecteuse :)

Écrit par : Michèle | jeudi, 02 juin 2011

"Un ange passe" : on emploie souvent cette expression quand une conversation s'épuise, qu'un silence menace de s'installer. On le dit en plaisantant comme pour désamorcer cet embarras que ne manque jamais de provoquer un assèchement de la parole. Comme si le silence était dangereux...

Il me semble qu'on peut rester silencieux avec des personnes dont on est très proche...

Est-il concevable d'aller boire un verre ou manger au restaurant avec quelqu'un à qui on n'aurait rien à dire ? :)

Écrit par : Michèle | jeudi, 02 juin 2011

@Michèle : "Un ange passe..." je le verrais plutôt comme une bénédiction cet "ange", une présence habitant pleinement ce silence, avec l'accord d'un ange (gracieux) qui passe, ça devrait faire des merveilles humainement , non ? eh ben, souvent non, ça c'est un vrai mystère alors certains (des poètes) remplaçent l'expression, par : "une mouche passe" pour eux c'est la même chose, ça ne devrait pas être la même chose. Vous me suivez ? :), Vous parlez de menace, c'est vrai, pourtant il manque beaucoup ce silence dans la vie en général, en ville, il est presque introuvable on dirait qu'il est l'ennemi absolu de nos sociétés, qu'il menace, oui, c'est ça, menacerait il les gens d'une plus grande autonomie (de pensées ?)surtout d'une plus grande disponibilité ? Comme si nous avions été "pliés" (je n'emploie pas le verbe "éduquer") pour faire du remplissage y compris avec nos proches, c'est très symptomatique, nous remplissons (c'est quasi un réflexe), le temps, les paniers et l'espace même pour rien, comme s'il fallait remplir absolument tout ce qui est "vacant", sinon c'est vrai qu'avec le silence, (entre gens de bonne compagnie) il y a souvent comme une perte de moyens, c'est très étrange... Je crois, comme vous que la possibilité de partager ce silence avec des proches, non seulement est une preuve absolue de complicité mais cela nous rapproche encore plus d'eux. C'est magnifique, si rare. Et en amour, aussi... (enfin bon:)... Oui, c'est inconcevable d'aller au restaurant avec quelqu'un à qui on a rien à dire, Souvent le restau est aussi un prétexte, un contexte, pour se parler, non ? Mais j'imagine qu'on peut y aller dans un but purement gastronomique pour partager des sensations et des mets en silence, et dans ce cas on ne s'échangera que des onomatopées du genre "hummm!" "miam miam " "slurp, slurp ":) sauf qu'on doit se lasser vite d'être des personnages de BD, je n'ai pas testé mais par contre j'ai testé des petits déjeûners silencieux après de superbes fêtes, avec des ami proches, cela nous était naturel, de commencer la journée en silence, des heures, des heures à la terrasse d'un café, à regarder la ville s'éveiller, j'en garde le souvenir d'une harmonie humaine parfaite donc, je crois que dans ce cas le silence nous "parle"... (ou presque)...

Écrit par : frasby | jeudi, 02 juin 2011

@Michèle : C'est drôle, que vous releviez celle là, c'est vraiment ma préférée, ça pourrait être le début d'un roman "elle est partie sur la bosse', ça rappelle aussi la crudité de la langue de "Regain" (entre autres)...
Vous dites très bien les choses par ailleurs, sur la conversation qui roule ; je crois qu'il n'y a rien à rajouter, c'est agréable de tendre l'oreille et de n'être que scribe. "Collecteuse" c'est un joli mot, ... Collecteuse dans les salles d'attente...
Merci, Michèle, pour la tisive, ej uvos eisuhota uen roisée oseuruseva et cisonuienta... "Cemmo al scortinevano uqi eluro et asusi nue benno teusi d'anscesino" = (c'tse ed Nedta !:))

Écrit par : frasby | jeudi, 02 juin 2011

Ouh ben dit' don', c'est qu'après qu'elle soye partie de la bosse, elle a rien buté pour la retenir, avant d'trouver l'poteau, cochonnerie de paraffine !
Moi j'aime bien aussi le "tout l'temps" mis pour" toujours". Dans "tout l'temps", y'a l'idée de mouvement et aussi l'idée que ça pourrait être autrement (ce gosse bouge tout l'temps, il parle tout l'temps) au contraire de "toujours" (il pleut toujours dans ce bled, c'est toujours la même chose). Appliquée à la boulangerie, c'est jolie d'imaginer la boulangerie en train d'aller et venir ou de se dire qu'un jour, elle pourrait ficher le camp. Mais non, dit l'autre, elle est tout l'temps là, comme si elle attendait un bus qui viendrait pas, jamais...
Vous êtes vraiment une belle observatrice et appréciatrice (ça se dit, ça ?) des moeurs nabirosinaise et le micoté des têfes ainsi que l'adamicé du Marchillon vous en sont canrainnossets

C

Écrit par : solko | samedi, 04 juin 2011

@Solko : Carainnossets ? Ouh ben ! c'est que j'ai les grands z'honneurs de l'adamicé et de son ronhobela drisépent c'est qui z'y me frot(*) roudzir, a me feso de si beaux plomciments son ronhobela drisépent... c'est un drang menmot de moniote
(*)-"il me frot , te te frâs, nos z'y frons, a me feso" - conjugaison nabirosinaise du verbe "faire", mon ami, (dans le désordre) vous apprendrez ça à vos élèves, grand bien leur fasse, maintenant que le patiso de Vasie n'est plus enseigné nulle part ce qui est scandaleux, gageons que la conjugaison nabironaise y soille "tout le temps", (qu'on veut)...
Vous me faites rire, Solko, c'est vrai ce que vous dites sur le "tout l' temps", je n'avais pas approfondi la question, mais les allées et venues de la boulangerie (avec des valises de pains ?) me plaisent beaucoup, tout ça ne manque pas de charme, sauf qu'en Nabirosina la boulangerie n'attend pas le bus (c'est un anachronisme là bas, le bus n'a pas encore été inventé) mais elles peuvent en revanche (pourquoi en revanche ? On sait pas) elles peuvent bien attendre le car, ou un car qui viendrait jamais... Ce "tout l'temps", isolé a quelque chose de rassurant, comme si rien jamais ne devait s'arrêter, ni disparaître jamais, la terre pourrait bien s'arrêter de tourner, la boulangerie resterait ouverte, "tout le temps" le Nabirosina est une horloge perpétuelle, mais je ne vous apprends rien n'est ce pas ? :) Merci, vous êtes, vous même, un bel observateur de la langue, sans folaginerer, je vous souhaite un euba desami avec la benno ulpie prou fiare poruser les qu'nelles dans les pamchs de la conille...

Écrit par : frasby | samedi, 04 juin 2011

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