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dimanche, 19 juillet 2009

Désordres

Ose gémir !... Il faut, ô souple chair du bois
Te tordre et te détordre,
te plaindre sans te rompre, et rendre aux vents la voix
Qu’ils cherchent en désordre ...

PAUL VALERY (1871-1945) extr. "Au platane" in "Charmes". Editions Gallimard 1922.

noyer51.JPGComme un dimanche entre deux mondes...

Changement d'adresse, et de couleurs. J'ai quitté les rangées (raréfiées) de platanes et les chétifs micocouliers de Provence en vogue sur nos boulevards lyonnais pour prendre un peu le large au Nabirosina. Il fallait à mon oeil un temps d'accoutumance, pour retrouver le désordre adoré des arbres tant il est vrai que de loin, vu par le citadin, un arbre n'est qu'un arbre, c'est à dire un machin dont les feuilles tombent en hiver, et repoussent en été. Un truc qui fait de l'ombre au banc installé pour les bavardages ou les jambes trop lourdes de melle Branche lisant sa revue de tricot le dimanche. J'ai quitté les ombres de l'étouffoir, celles-ci, fatiguées de céder à ce soleil omnipotent qui prend à cette saison toute la place dans la tête des gens. J'ai quitté tout sans le moindre regret. Les petites étiquettes vissées aux branches toujours malades des micocouliers de Provence, face à la pâtisserie Roland, je les ai fait valser. Lassée de voir épinglé chaque morceau de nature que l'on croise dans les villes, jusqu'au parc de la Tête d'Or qui hors du jardin botanique, nous mâche aussi le nom des fleurs de façon si utilitaire qu'à force, tout cela finit par écoeurer. Je sens bien qu'à l'initiative pavée de bonnes intentions des municipalités qui ne songent qu'à nous instruire sur le pourquoi, le comment de la nature, par ces mouvements de je ne sais quoi, prise de conscience de l'environnement sans doute, je joue encore les rabats-joie, mais j'aime imaginer que l'arbre que je cotoie puisse porter un petit nom qui ne serait connu que de moi, et que le hêtre ne soit pas, si mon esprit en décidait pour sa convenance, ou les exigences de la rime, (la pouêtique"intrinsèque", ah ah !) ou encore, que le hêtre soit autrechose. Un orme par exemple. Un faux orme certes, juste pour moi si ça fait mon bonheur. Or si l'hêtre est déjà étiqueté, mon désir de le parer en orme s'en trouvera insatisfait, tout autant que mes ambitions de fée Clochette, aspirant à son "beau désordre" (dont Antoine de St Ex. disait, sur un tout autre thème, qu'il était "un effet de l'art").

Ainsi, allant en ville, je remarquais que plus une parcelle de nature (ou si peu) n'était désormais livrée au tout venant (c'est à dire à la nature ;-) Tout bien conçu au millimètre près pour la vitrine, et bien sûr, l'apprivoisement, y compris de nos sens (du "bon sens" des âmes citoyennes parfaitement éduquées aux joies de la nature et au tri des poubelles). Elles n'ont plus à s'abandonner désormais, ni au mystère, ni à la sauvagerie (des éléments). On s'occupera de tout. Il suffira de suivre les plans de la voie verte, de lire les étiquettes, de poser les pieds sur les dalles entre les brins d'herbes interdits, de flâner sur les esplanades au dessin quasi haussmannien pour voir la ville, le derrière calé sur un gros caillou et sous des lustres chics plus près du design Roche Bobois que du bon réverbère de la Canette (ou de la mouette). Gare à celui qui oserait ne pas s'en estimer heureux. Puisse-t-il encore aller acheter ses graines à l'Hyper-Rion de Nyol selon le fameux système D, (un système soit-disant personnel) que les cochons eux mêmes, sont en train de réinventer...

Photo: Ceci n'est pas un platane ni un hêtre. C'est un noyer. Tout au milieu des herbes folles, et du lierre proliférant. (Si le lecteur préfère y voir un peuplier, on ne vissera aucune étiquette). Un noyer (ou un peuplier, donc !) rescapé des tempêtes du Nabirosina. photographié en juillet 2009. Loin du bruit et des inventaires. © Frb