dimanche, 01 août 2010
Poisons
Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.
JEAN DE LA FONTAINE "Le lièvre et la tortue"
Il y avait l'inouï à portée, le sable sur les dunes, les arbres et la beauté, la transformation pure biffée sur un trait d'ombres. Il y avait la douleur présente et la douceur passée, les tortures à venir, des gens dans des musées s'étonnant d'art absurde devant des têtes réduites baignant dans du formol. Il y avait mille choses, des guillotines, des fouets et des chaises électriques, des autocars pleins à craquer d'artistes venus des grandes villes pour piquer le jus de la forêt. Il y avait l'exil, la peur des lendemains, il y avait ta mine de plomb au milieu d'un grand pré qui me faisait manger des digitales pourpres. Il y avait cinq pétales soudés. Inclinée vers le sol, une corolle bordée de blanc de couleur rose foncée parsemée à l'intérieur de petites taches sombres, il y avait des capsules de fruits mûrs et poilus, des pétioles, des sessiles, au dessus de nos têtes il y avait des insectes qui butinaient des particules de pollen, et nous piquaient les mains. Il y avait Marie Madeleine Dreux D'Aubray dite Marquise de Brinvilliers, ou bien "Marquise des ombres" vivant à l'époque de la fronde, violée par un domestique à l'âge de sept ans, devenue "joli brin" qui dansait entre les massifs avec un air d'innocence émouvant. Il y avait Godin de Sainte Croix et l'empoisonneur Exili. Les jardins, l'alchimie, l'arsenic. Il y avait le charme des vénéneuses, l'aconit, la cigüe, l'if, et ses petits fruits ronds comme des myrtilles qui n'ont pas mauvais goût. Il y avait l'herbe du diable, les poisons végétaux, tous les alcaloïdes. Il y avait ma tête souriant au milieu d'un grand pré, couronnée de lauriers roses que tu cueillais pour moi exprès afin de varier les plaisirs. Il y avait des portiques, des pergolas, des balançoires et encore ces vieux fruits arrivés à maturité qui se glissaient tels des reptiles entre les murailles presque en ruine. Il y avait des peines capitales, d'arbitraires exécutions par la grâce des "consolantes" ou la disgrâce des mêmes vireuses solanacées. Il y avait des onguents magiques, des philtres d'amour, le breuvage des Sabbats qui invitait à "voir le Diable". Il y avait l'héllébore blanc ancien poison de flêche. Il y avait la rose de Noël, et La liane-réglisse du Jequirity avec ses jolies graines rouges vifs marquées d'une drôle de tache noire à la base. Il y avait des fièvres intolérables venues de petits arbres de la forêt humide. Il y avait les nuances du savant Paracelse qui remisait l'ordre du monde :
"La dose seule fait qu'une chose n'est pas un poison"
SUN RA : "Angels and demons at play"
Photo : Melle Laronce posant pour certains jours dans son habit de plante méchante. Mais méfions nous des imitations. Testée pour vous, elle griffe et elle s'accroche mais ne délivre aucun poison (sinon la mûre, encore faut-il, que les plus benêts s'y laissent prendre...), Nabirosina. Dernier jour de Juillet 2010. © Frb
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samedi, 04 avril 2009
Démons folâtres
"Ce qui me repousse,
Dans cette maison délabrée et livrée aux chardons,
C'est que je l'ai vue, pendant un bref instant,
Envahie par les démons !"
ARIWARA NO NARIHIRA.
Délabrement imaginaire et faux chardons floués sur la route qui borde le grand Auditorium de Lyon. Quand les démons (un peu bleus, assez verts) glissent en l'esprit du promeneur, telle l'esquisse extra lucide d'un avenir peut-être gris ; qui reviendra dans le décor finalement ordinaire de l'aurore (l'horreur ?), en déroulant un petit ruban de personnages, chacun entrant par la grande porte (laborieuse, bien sûr!) de la noirte cité administrative, elle même peuplée de vrais démons. (Voilà, ça en est fini de la phrase, en fait, gros brin outrecuidante et fi !vilain broshing à Proust, décoiffé sur le grand topeau, où s'acchatte, mon divin lové, par nuits d'errance charmillonnée. Si Marcel veut bien me pardonner, je ferai mon drapon - dragon ? - comme la Salogène !). Foin d'égarement...
Notre démon attend.
Qu'en fût t-il (réellement ?) de NARIHIRA et de ses textes opaques ? Personnage entouré d'un halo légendaire, petit fils d'empereurs par son père et sa mère qu'on regarde tel un héros de roman. Les "ISE MONOGATARI" compilation disparate de contes d'origine diverse avaient, dès le début du Xem siècle, recueilli nombres d'histoires relatives à ses frasques amoureuses et autres... (Authentiques ou inventées). Si bien que NARIHIRA fût souvent identifié à "l'homme anonyme" des contes, (une sorte de Don Juan japonais). A retenir : ses Amours avec l'Impératrice dite "de la deuxième avenue", ou avec une princesse d'Ise, son récit de voyage, peut-être celui d'un exil ? Et sa description de la lande sauvage qui deviendra le site de Tokyo. Ce personnage très populaire inspira aussi de nombreux peintres. Mais souvent ses poèmes paraissent un brin cryptés au lecteur occidental. Il faut dire que notre pensée occidentale effectue souvent un mouvement qui va du noir à la lumière. Raison solaire, objective, inspirée par DESCARTES tandis que le Japon, depuis des siècle, a cultivé l'Amour de l'ombre, des chemins détournés : la vraie voie mène aux aires de brume, lunaires, au blanc parfois. Infiniment plus intérieurs. Les sentiments n'ont plus de formules énonçables capables d'en livrer la beauté. Ainsi l'art d'éplucher un fruit, de couper une branche de cerisier, ou même de prononcer la phrase "Aï Shiteru" (= "je t'aime"), y est précieusement soumis à des contraintes formelles qui assimilent la moindre action, à un instant de vérité absolue. Nous vivons grâce aux morts dans un monde où les démons, les animaux imaginaires, les femmes ensorcellées et surtout les divinités, font la cour aux humains...
Nota: Quant aux Contes D'ISE, ils se présentent sous la forme de 209 poèmes des tankas en 5 vers de 31 syllabes, qui sont groupés par 2, parfois par 3 et enchâssés par quelques lignes de prose pour constituer 125 anecdotes, dont un grand nombre pourtant attribuées à NARIHIRA n'ont aucun auteur connu à ce jour. L'auteur, cet anonyme, aura peut-être puisé dans la poésie de NARIHIRA mais cela reste encore mystérieux...
Une de mes estampes japonaises préférées, le concernant, est celle qui représente le poète et une courtisane contemplant "L'eau rougies des feuilles" de la rivière Tsatsuda. (Désolée, je n'ai pas retrouvé de format plus propice à la contemplation, dommage ! mais cela vous donnera peut-être un léger aperçu)...
Autre lien, celui-ci plus "contemporain" à propos de Monogatari: http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/09/06/le...
Photo : Le Grand Auditorium, une nuit délabré, hanté par les démons et livrés aux dits (j'allais dire doux) des "chardons", ces imposteurs... Mais tout ne peut pas être toujours vrai, ni doux, n'est-ce pas ?
Souffrons en secret, les démons...
Vu à Lyon, pas loin de la Cité administrative, et près du centre commercia(b)le de la part-Dieu (côté diable), une nuit d'hiver 2009. © Frb.
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