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mardi, 26 octobre 2010

Une heure à la Manille

Une petite fantaisie me prend, de créer une nouvelle rubrique, qui consisterait à m'installer une heure ou plus, de temps en temps, (certains jours, donc !), dans un café de Lyon (ou d'autres villes) et d'y laisser trainer une oreille, avec ou sans dictaphone. Au hasard de balades je choisirai les cafés qui me semblent les plus accueillants ou les plus insolites, tout cela laissé à l'appréciation du moment. Le café de "La Manille", est un très vieux bistro de Lyon, et ce n'est certes pas un choix de hasard, je l'adore entre tous, et j'augure la rubrique par mon quasi préféré, il est situé rue Tupin, au niveau "Cordeliers", pas très loin du vacherin, sur la presqu'île de Lyon, la clientèle y est variée, très sympathique, elle va du d'jeun à demi-looké, au papy rutilant, en passant par tous styles d'âges et de gens. La déco depuis plus vingt ans n'a pas changé. L'accueil y est vraiment extra, on pourrait même dire carrément "bonne franquette". C'est un lieu ordinaire à vue de nez, et plutôt extraordinaire, mine de rien, quand on le connaît bien. Un endroit où il fait bon lire, écrire, vivre (et laisser vivre), enfin bref ...

manille0275.JPG

Situation :

La rue Tupin est calme, les gens assis à la terrasse  discutent des évènements, chacun semble assez détendu, l'ambiance générale est sereine malgré la gueule de bois de la ville toute cassée encore par endroits surtout dans le 2em arrondissement. Rien ne pourrait faire penser au voyageur tombé là par hasard, que la semaine dernière Lyon, fût à feu et à sang. Je lis le journal que Manille nous prête collé au bout d'un grand bâton presque aussi long qu'une canne à pêche. Deux femmes arrivent, s'installent, il s'agit d'un couple de femmes, l'une ressemble à Eva Joly, je me dis que c'est peut-être elle ?... L'autre plus pulpeuse a un côté variété 70, une sorte de Michèle Torr, en plus light, (donc ce n'est pas elle) elle a une belle voix grave et commande deux cafés. Dix minutes après la serveuse revient avec les cafés, elle s'excuse elle dit que le service a pris du retard. Les gens de la table à côté s'en vont, je reste seule, je regarde passer les Vélov' qui grincent et ralentissent devant la pizzeria d'en face et de longues minutes passent...

Mise en bouche :

 Deux hommes d'affaire discutent en sortant du café-restaurant : 

- Je serai fixé sur mon sort dans une heure.

Il serre la main à un autre monsieur plus vieux que lui mais qui lui ressemble (le même, donc, en plus étoffé)

- Et si ça ne marche pas, qu'est ce que tu vas faire ?
- Ce que je vais faire ? Oh ben tu sais ça j'en sais rien, je ferai comme tout le monde, j'irai à Pôle-Emploi. (Ils rient).

Deux hommes s'installent à la table jusqu'à côté de moi (les tables se touchent presque ainsi puis je entendre parfaitement la conversation comme si j'étais attablée avec eux, j'enclenche le dictaphone, pour le plaisir de la lo-fi :

Conversation :

- 32000 tu te rends compte ! les charges c'est 10%, tu te rends compte ? Ca fait des sommes énormes, payables avant 30 jours, je prends ça comme une sommation
-  C'est pas possible, Patrick, il faut que tu les fasses patienter
- Tu rigoles ! avant c'était 4000 et comme c'était un gros dossier, j'ai déjà obtenu une ristourne...

(Silence)

- He ben ...

(Un homme qu'ils semblent bien connaitre passe rue Tupin, il hurle)

- Alors les deux jojos ! ils z'ont pas fini leur causerie et ils prennent leurs cafés dehors comme deux pachas !

celui qui disait "he ben!" répond et du tac au tac :

- Crie plus fort, Dominique, tant qu'à faire, prends un porte -voix ! tu veux t'asseoire ? Viens dont boire le jus avec nous  !
- Non, non ! je vous laisse j'ai rendez vous, je suis pas en avance ! (il s'en va)

Les deux hommes continuent la conversation :

- Tu te rends compte 32000 !
- Mouais ! à ce compte là vaut mieux travailler dans le bâtiment.
- Dans le bâtiment ? Mon pauv' vieux ! j'y crois pas moi au bâtiment !
- 32000 merde ! tu te rends compte les charges ! Pour St Rambert, tu te rends compte !
- Ouais, bon,  pour St Rambert c'est pas tellement quoique si tu payes que 20 euros ton appartement, ça vaut le coup de refaire le calcul...
- Ouais si je paye le loyer avec le budget de la communauté, mais ça va pas le faire, c'est trop risqué, je préfère aller à Ambérieu dans l'Ain, je gagnerai moins mais au moins je serai libre, et puis ce serait une tranquillité, rien ne passera sous la table, tu comprends Martin, il est sympa mais c'est un gros filou et moi j'ai des comptes à rendre au conseil régional, d'ailleurs Tournier a piqué une colère l'autre jour, une colère monstrueuse, parce que Martin c'est peut être un énarque mais il marche trop sur les plates bandes des autres, sans compter tout le fric qu'il pique dans les caisses de la collectivité
- Merde ! à ce point ?
- Tu parles ! il se démerde comme un politique, mais c'est un parfumeur
- Ah bon ? il est parfumeur ?
- Mais non ! c'est une métaphore, je veux dire qu'il embrume tous ses partenaires

(Silence) les deux hommes plongent chacun dans leur café et leurs pensées... Cela dure de longues minutes. L'autre reprend.

- Les vitriers vont faire fortune.
- C'est sûr, c'est fait ! tu as vu ce massacre, jeudi, rue Victor Hugo  ?
- Ouais mais Hortefeux a promis une enveloppe, il a donné 80 000 euros pour la bijouterie, le magasin de chaussures et le magasin vidéo, il va sûrement donner l'enveloppe au préfet
- Ouais, ouais ouais ! au préfet !
Ils se regardent et éclatent de rire
- Tu penses à ce que je pense ?
-  Ouais, ouais ! faudra qu'on en reparle dans deux mois de c'histoire là, tu paries un restau ?
- Ouais ! d'accord ! (ils se tapent dans la main)
- Je vais te dire que Jean-Jacques il va asticoter son gamin, il était parmi les casseurs
- Tu parles ! ah ! ah! un gosse de riche ! ah ! ah ! ah ! c'est trop marrant. C'est comme en 68 !
- De toute façon il n'y aura pas de nouveau 68, en 68, il y avait le pognon, on avait du boulot, y'avait tout, c'était juste un problème tout autre, on l'a fait à cause des mentalités, c'était d'un archaïque !
- Ouais (dubitatif) la France De Gaulle, c'était mortel !
- N'empêche que moi, je maintiens les quatre ans où je n'ai pas voté, je ne voulais pas voter pour des blaireaux et c'est tout !
- T'as peut être au raison, moi j'ai voté Ségolène par dépit, mais je pense que le PS a tout laissé passer et c'est inadmissible, et regarde maintenant où en on est !
- Des blaireaux j'te dis ! non mais t'as vu ? Après tu vois Nicolas Sarkozy, un mec comme ça qui se retrouve au pouvoir c'est quand même pas possible !
- Après les français, ils peuvent choisir Fillon, il sera plus large d'épaule...
- Tu déconnes ?  Fillon large d'épaule, ah ! ah ! ah! non, merde ! faut pas pousser ! il a pas le charisme ! Balladur n'avait pas assez d'ambition et Juppé il a trop de casseroles, Sarko je suis navré de te le dire comme ça mais il l'a lui, le charisme ! il est malin, il s'est servi de Balladur, il s'est fait propulser...
- Et y'avait l'autre là, tu sais le zigue à Chirac sorti de nulle-part, celui qu'a une tête d'oiseau...
- Ah ! Raffarin ! ouais bof ! bien placé, mais vraiment trop sorti de nulle part ! ce mec là c'est un prof il a donné des cours au Québec, c'est Juppé qui lui a passé le tuyau !
- Merde alors ! ces gars là c'est vraiment des polichinelles
- Ouais ! mais c'est des polichinelles qui tiennent la route. Ils resteront.
- Tu plaisantes ?
-  Mais oui, bien sûr que je plaisante ! ah ah ah, Ducon, je t'ai bien eu !

 (ils se lèvent et s'en vont en pouffant)

Fin du premier acte. La suite bientôt mais dans un autre café de Lyon (ou d'ailleurs) ...

Photo : L'enseigne, du beau café de 1860. "Cadre simple", dit-on "rétro" mais pas si "branché" que ça. On y boit et même qu'on y mange pas mal, pas cher, (plat du jour 8.70 €, formule déjeuner 11.70 €). "La Manille" est située au 32 rue Tupin dans le 2em à Lyon elle est ouverte du lundi au samedi de 7H00 à 20H30, avec terrasse et véranda chauffée en hiver. Que demande le peuple ? Aurait-il besoin d'autre chose ? Frb© 2010.