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mardi, 09 mars 2010

Préface

"J'avais entrepris une lutte insensée ! Je combattais la misère avec ma plume."

HONORE DE BALZAC : extr. "Le lys dans la vallée". Editions Gallimard 1972

Si vous avez loupé la période rose, cliquez sur l'image

dèche.JPGJe n'ai plus de train à moudre, je n'ai plus de cuillère à pain. je n'ai plus de sac à pot, Je n'ai plus de barrette de chenille, je n'ai plus d'ourlet à talon, je n'ai plus de seau à lapins, je n'ai plus de casquette de 12, je n'ai plus de rat aux marrons, je n'ai plus de cave à bretelles, je n'ai plus d'éléphant à traire, je n'ai plus de couteau à eau, je n'ai plus de chapeau à sonnette, je n'ai plus d'auto-dépliants, je n'ai plus d'éponge-éponges, je n'ai plus de poil à lire, je n'ai plus de soupière en coton, je n'ai plus de repose-doigts, je n'ai plus de sorbet à la langue, je n'ai plus de brosse à redire, je n'ai plus de pull col mouillé, je n'ai plus de téléportique, je n'ai plus de fusil à trompes, je n'ai plus de corne de truffe, je n'ai plus de tire-jambon, je n'ai plus de pattes à vélo, je n'ai plus de billet de marteau, je n'ai plus de stage d'auto-portrait, je n'ai plus de bouteille de veau, je n'ai plus d'épluche-savon, je n'ai plus de papier à molette, je n'ai plus d'épingle à lunettes, je n'ai plus de lampe à nouilles, je n'ai plus de poumons à huîtres, je n'ai plus de boîte de panthère, je n'ai plus de riz mâconnais, je n'ai plus de tubes de moustiques, je n'ai plus de para-bain, je n'ai plus de ceinture à huile, je n'ai plus de machine à rouler les assiettes, je n'ai plus de feuille d'impasse, je n'ai plus de chirotractateur, je n'ai plus de cornet à capuche, je n'ai plus de sauce yiddish, je n'ai plus de souliers à spirales, je n'ai plus de films de commissions, je n'ai plus de casque à repasser, je n'ai plus de corbeille à mazout, je n'ai plus de poêle à encre, je n'ai plus de taie de marcassin, je n'ai plus de tabac à désosser, je n'ai plus de fer à nombril, je n'ai plus de perce-cornet, je n'ai plus de démoule-vinaigre, je n'ai plus de torche-lèvres, je n'ai plus de sirop pour la truelle, je n'ai plus de grenouille sur ma quenouille, je n'ai plus de dosette pour le dos, je n'ai plus de carte d'entité, je n'ai plus de cache-vessie, je n'ai plus de bonnet à truites, je n'ai plus de piano à moteur, je n'ai plus de vernis à oreilles, je n'ai plus de pense-tomates, je n'ai plus d'allocations-teckel, je n'ai plus de bague à pédale, je n'ai plus de lit-rateau, je n'ai plus de chemise pointue, je n'ai plus d'hippocampe de propre, je n'ai plus de rouleau de vécu, je n'ai plus rien à éventrer, je n'ai plus de polycyrrhose, je n'ai plus de technopsychiatre, je n'ai plus de télépanty, je n'ai plus de protodégivreur, je n'ai plus de grillon-laveur, je n'ai plus de grain d'immunité, je n'ai plus de pantoufles à ressorts, je n'ai plus de verre à manger, je n'ai plus de mou dans ma poche, je n'ai plus de protège-molaire, je n'ai plus d'hydre en poudre, je n'ai plus de gilet à contorsions, je n'ai plus d'escalopes anglaises, je n'ai plus de chauffage mental, je n'ai plus d'épluche-disque... Je n'ai plus qu'un trou dans ma poche, pas même de quoi m'acheter une mouche pour mon dîner.

 

CHICHA LIBRE : Six Pieds sous terre
podcast

 

Photo : Vue en traversant "Vitton la riche", une dame assise sur sa maison, et qui avait peine à relire sa liste de non-commissions. Lyon, Cours Vitton, Mars 2010. © Frb.

mercredi, 16 septembre 2009

Quelques heures avant la nuit. (Part II)

"En réalité, je n’ai aucun sens des choses qui brillent. C’est la raison pour laquelle je n’ai même pas de plumes noires et brillantes. Je suis gris comme cendre. Un choucas qui rêve de disparaître entre les pierres".

FRANZ KAFKA, Gustav Janouch, extr. "Conversations avec Kafka"

Si vous avez loupé le début, cliquez gentiment sur l'image

TULLE***.JPG`2 - Dans la peau de Lara Fabian...

Tandis que la bière coule à flot sur le nouveau square barricadé d'algécos caca d'oie tagués d'insignifiantes laves sur lesquelles tombe le crachat de quelque adulescent ivrogne tirant à bout de force une princesse péroxydée aux sourcils bruns comme ceux de Sharon, chaussée de sandales plateformes à brides serties de faux diamants, comme jadis, ses idoles, les demoiselles du château de Dammarie lès Lys...

Tandis que glisse sous mes pas, ce magma d'enragés, un caïd bodybuildé fait la loi dans le quartier. Quatre ou cinq tamarins le suivent. Le caïd sème la terreur, par le prognathisme de sa grande gueule carrée, et sa façon de glavioter, avec juste ce qu'il faut de haine, vrillage d'une malédiction d'âne bâté, réduite à ses plus sommaires expressions : bruits et crachats. Quand il se sent trop seul sur terre, le caïd appelle ses potes et les potes rappliquent, fidèles comme des caniches et tous vêtus à l'identique, un peu comme Pascal Obispo. La clope au bec, serrée entre les dents, (à la manière du "patron"), ils arrachent à coups d'Adidas (le poète grec), les branches des rares plantes qui tentent (par le bas des portails) d'évader leur corolle. Plus haut, lacérant des grillages, dont certains en forme de coeur, une fille bourrée, lit à haute voix, les noms d'anciennes boîtes aux lettres jouxtant les murs toujours à vendre, depuis des lustres : usine à tulles, jersey, dentelles, imprimeries aux vitres brisées, qui seront bientôt loftées, ou transformées en centre de remise en forme, cabinet de coaching, boutique de téléphonie mobile avec une façade surmontée d'enseignes criardes ou fluos. La fille vitupére à sa guise haussant le ton par l'essayage de tous les timbres possibles, contre tout et n'importe quoi, contre "que dalle, pour foutre la merde"... Une envie de provocation. Un sabbat de semaine chômée. Les vocalises plaintives, mi-aguicheuses mi-dégueulade, annoncent déjà la nuit qui vient...

Elle paraît jeune. Hautement chaussée, née pour la scène, ses chaussures comme une paire d'estrades remuent les bris, shootent la limaille, en jeu de french cancan, les éclats de métal font une pluie d'argent sur sa blondeur platine. Sûre de sa rebellion, dans ce périmètre précis autour de la boîte Algéco, sur ces talons qui brisent l'échine, replient les genoux en dedans, et prêtent à la démarche un pur genre "croupe d'autruche", la femelle s'éclate. Elle résiste. La bibine au goulot. Elle chante Lara Fabian à tue-tête J'y crois encore on est vivant tant qu'on est fort". Consternation. Princesse née manutentionnaire du côté de Garce les Echarmeaux. Une vie précocement active, à vendre à mi temps des glins glins au kiosque à bijou de l'Hyper-Rion de nulle part, autre mi temps à déballer des cartons de kikis au bazar d'ici, un déstocké à cosmétiques, à l'angle de la rue Verlaine près de l'auto-école. Une vie future promise au RSA, de nombreux stages en entreprise. Des amours de boîte de nuit. Un soir, un coup de baise avec un caïd et de près ou de loin, ce fiancé absent, violent, jaloux. Mais qui surveille... Tout cela dissimulé par l'avantageux emballage. Au fil du temps cette beauté en vient à convulser. Vocifère aux entrailles d'un monde penché sur une coiffeuse, celle qu'elle pourra un jour s'acheter à force de travail : en placage de palissandre surmontée d'une psyché à col d'oiseau, un rêve étrange de petite fille au destin porté par Sissi, ne regarder la vie qu'à travers un miroir, devenir reine dans un palais. Quand elle sût que c'était impossible, elle choisît de "devenir star, comme Beyonce." ou comme Lara, passer à la télé.

Hurlement des douleurs ouvrant le coffre de la hyène à en briser menu le verre doublé des minuscules baies de l'immonde barre des "lauréades", un logement et d'autre noms encore pour ces nouveaux logis à nymphes jardinées parfois conçues pour les vieillards. A quelques rues de là, calfeutrée derrière des grilles blanches, ornées de plantes grimpantes, l'ancienne villa d'un couple de retraités : très prochainement "Les Hespérides"... Mais les vieux, ils ne veulent pas partir, ici c'est leur quartier. Et c'est ici qu'ils voudraient finir. Même si tout a changé, même s'ils n'osent plus sortir. Et revoilà le caïd déchiré secouant la grille. "Debout les morts !". Les vieilles personnes en tremblent. Un couvre-feu tacite s'est établi après 20H00. Toute les nuits, la musique sort de ces voitures, portes grandes ouvertes, au matin, le jardin est rempli d'immondices, canettes vides, sacs de chips éventrés, la poubelle renversée, et sur la porte du garage, deux mots en lettres marronnasses déclinent en plusieurs exemplaires un puissant manifeste : "j'encule".

Tandis que la bien aimée, dans la peau de Lara Fabian, le buste corseté en pose d'échassière n'en finit de chanter : "j'y crois encore, on est vivant tant qu'on est fort". Star d'un soir à Charpennnes, l'alcool humidifiant à moitié son petit haut. Longues guibolles titubant, valse gauche des franges fatiguées brodant une jupe mini en lycra rose tendre. Elle est Lara Fabian. Star de toute son âme, ce soir, elle vise la gloire. Et jusqu'à épuisement, en tournant sur elle-même, elle ose être Lara Fabian : "j'y crois encore", les mots viennent et s'éraillent. La volonté, c'est ça. Elle croit très fort. Elle y arrivera. Parce depuis longtemps elle sait qu'elle ne pourra pas rester dans ce trou là. Déjà adolescente une petite voix chuchotait tout au fond d'elle: "reste toi-même, et tente ta chance". Il y avait encore une chose à entreprendre, une seule, mais la plus importante. Devenir vraie.

A l'autre bout de la rue, les vocalises tapent sur les nerfs. Le caïd intervient "Ferme ta gueule ! connasse !". Le couple de retraités monte le volume de la télé. "Ils ne vont pas nous empêcher de regarder "Questions pour un champion" quand même !"...Les hostilités sont ouvertes. La rue est intenable.

"Fermer ma gueule ! plutôt crever !" harangue la princesse. Sur un coup de goulot, elle se lance, conseillée par la petite voix, elle tentera sa chance : "Vas te faire enculer connard, je t'emmerde ! t'entends ?". Tout se poursuit en râles, course folle, chocs d'objets ramassés par terre, cailloux, canettes, bout de ferrailles. la princesse se prend dans la gueule, quasi la moitié d'une poubelle. L'arcade sourcillière saigne. Les potes tambourinent sur la poubelle "Waouhhhhhh euarghhhhhhhhhhhhhh, l'autre il est trop ! putain, t'as vu ? waouheuahhh moooortêêêl !" ils tapent des pieds, shootent les canettes, "Allez cul sec, faut fêter ça !" une grosse bande de gorets, l'un d'eux débraguetté pisse sur la porte vitrée du salon de coiffure. Extase. La fille court en pleurant jusqu'à la bagnole (une R18 turbo customisée Lamborghini), le moteur est toujours en marche, "Skyrock" joue à fond les gamelles. Elle tire de la boîte à gant un rouleau de papier toilette se plonge le visage dedans, entre les mains des lambeaux de papier rouge sang. Des feuilles mortes roulent dans le caniveau.

Mademoiselle Francine Barbonnier, Quatre vingt ans de vie ici née rue Descartes, chuchote à demi cachée derrière son rideau de cuisine: "Mais c'est dont pas Dieu possible de voir ça !"...

Photo: Du côté de l'avenue Salengro (?), un ancien atelier de tulles etc... Mémoire anachronique dans un quartier défait, refait vite fait bien (?) fait. Vu à Villeurbanne en Septembre 2009 . © Frb.