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samedi, 07 mars 2009

Vérité du mensonge

" Et devant cette petite toile qui a l'intention prétentieuse d'imiter la nature vraie, on est tenté de dire : ô homme que tu es petit. Puis aussi "qu'un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo" (1) (...) Puis comme un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo, il faut pour faire l'équivalent (votre toile étant plus petite que la nature) mettre un vert plus vert que celui de la nature. Voilà la vérité du mensonge. De cette façon votre tableau illuminé d'après un subterfurge, un mensonge sera vrai puisqu'il vous donnera la sensation d'une chose vraie (lumière, force et grandeur), aussi variée d'harmonies que vous pourrez le désirer. Le musicien CABANER (2) disait que pour donner en musique la sensation du silence, il se servirait d'un instrument de cuivre donnant une seule note aigüe, rapide et très forte. Ce serait donc l'équivalent en musique, traduisant une vérité par un mensonge."

PAUL GAUGUIN : extr "Second séjour en Océanie" in "Oviri" ou "Ecrits d'un sauvage". Editions Gallimard 1974.

alma colors.jpg

(1) Cette phrase "Un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo" est attribuée à P. CEZANNE et notée par P. GAUGUIN lui même, dans le chapitre "A propos de la perspective" toujours extrait du livre "Oviri". Lisez plutôt :

" Et comme on lance un pet pour se débarrasser d'un gêneur,  Cézanne dit avec un accent méridional :"un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo". Tous de rire : il est fou ! Le plus fou n'est pas celui qu'on pense. Ces paroles ont un autre sens que le sens littéral de la phrase. Et pourquoi leur expliquer le sens rationnel ? Ce serait jeter des perles aux pourceaux."

(2) CABANER ou plutôt JEAN DE CABANES dit ERNEST CABANER (1833-1881) fût un compositeur, pianiste, poète, qui mît en musique des poèmes de CHARLES CROS dont le fameux "Hareng saur". Il écrivît ses propres poèmes dont "le pâté" et en composa aussi la musique. Personnage excentrique, figure de la bohème, Ernest CABANER cotoya les impressionnistes au café Guerbois (qui est devenu je crois, magasin de chaussures aujourd'hui - quoique ce serait encore à revérifier - situé jadis au 9 rue de Clichy, fréquenté par MANET, DEGAS,CEZANNE, RENOIR, PISSARO entre autres... Edmond DURANTY et ZOLA, pour les érudits), CABANER fréquenta également le salon de NINA DE VILLARD et le cercle des zutistes, pour lesquels il trouva un local à "l'hôtel des étrangers" où il travaillait comme barman. Il accueillit A. RIMBAUD chez lui quelques temps. A ce propos, il fût souvent mentionné que le poème "Voyelles" devait beaucoup à l'enseignement musical d'ERNEST CABANER, à son chromatisme ou "audition colorée". Il faut dire que CABANER apprenait le piano à RIMBAUD à "l'hôtel des étrangers". Ca ne s'invente pas ! Pas plus que ne s'invente le poème qui suit, appelé "sonnet des sept nombres", signé E. CABANER, dédié à son ami A. RIMBAUD. Jugez plutôt, de l'influence + que probable des "sept nombres" sur les "voyelles" :

"Nombres des gammes, points rayonnants de l'anneau
Hiérarchique, - 1 2, 3 4 5, 6 7 -
Sons, voyelles, couleurs vous répondent car c'est
Vous qui les ordonnez pour les fêtes du Beau.

La OU cinabre, Si EU orangé, DO, O
Jaune, Ré A vert, Mi E bleu, Fa I violet,
Sol U carmin - Ainsi mystérieux effet
De la nature, vous répond un triple écho,

Nombres des gammes ! Et la chair, faible, en des drames
De rires et de pleurs se délecte. - O L'Enfer,
L'Aurore ! La Clarté, La Verdure, L'Ether !

La Résignation du deuil, repos des âmes,
Et La Passion, monstre aux étreintes de fer,
Qui nous reprend ! - Tout est par vous, Nombres des gammes ! "

Ami de CEZANNE et de nombreux autres peintres, E. CABANER ne séparait pas tant les disciplines. Comme A. RIMBAUD, il cherchait un langage complet, universel. Sa méthode: il coloriait les notes et leur attribuait le son d'une voyelle. Mais la méthode est plus ancienne elle date du XVIIem siècle, elle fût imaginée (à l'usage des débutants) par le Père CASTEL, inventeur du clavier oculaire. La méthode fascina RIMBAUD par l'entremise de CABANER via CEZANNE et le Père CASTEL résumant tout : sons, parfums, couleurs... Ainsi naissent les  "Voyelles"...

Photo: "Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir" sur la Colline et plus encore, les couleurs du mur de l'Alma se traversent comme un pont. Mise en forme dynamique des surfaces, les fresques ont été réalisées sans trucages, dévalant la pente, par d'étroites friches, elles longent un petit escalier, bordé de longues herbes jusqu'à deux rues plus bas. Le fragment de quartier, ainsi se transforme, par le mouvement secret de graffeurs surdoués (merci à eux), en une improbable galerie d'art contemporain sauvage où il fait bon tendre l'oreille pour contempler ce mur de sons, écouter la tonalité glissant sur le dessin, mêlés à la trame ordinaire des bruits et mouvement urbains.

Couleurs. Un mur qui ne ment pas. Vu rue de l'Alma, (qui en plus de ses fresques possède un des plus beaux panorama qui soit), situé sur le plateau de la Croix-Rousse, à Lyon. Fin Février 2009. © Frb

A écouter dans un tout autre monde, quelques correspondances urbaines, un brin freestyle, comme les fresques et les voyelles  :

http://www.youtube.com/watch?v=TYa7furgQsA&eurl=http:...

Commentaires

Incroyable tableau ! Et vos liens autour/avec/à propos sont vraiment intéressants. Des poètes/peintres réunis autour de cette image qui seraient sans doute heureux de se retrouver ici.

Écrit par : ficelle | samedi, 07 mars 2009

@ficelle : Merci, votre enthousiasme est bien chouette en cette matinée , le tag du mur n'est vraiment pas truqué non plus, très musical en fait et puis forcément ,les poètes, la musique et les peintres sont venus naturellement par tournement et détournements
Par contre que les poètes et les peintres heureux de se retrouver ici, c'est très gentil mais il ne faut jurer de rien... Et je n'aurais même pas l'absinthe à leur offrir,alors ils ne resteraient sûrement pas ;-)
Bonne journée à vous

Écrit par : frasby | samedi, 07 mars 2009

Il n'y a ni vérité ni mensonge. Le tableau d'un paysage n'est pas le paysage qu'il donne à voir, il n'en est qu'une idée, une représentation. Il n'ajoute pas un paysage au monde mais seulement un tableau.
On pourrait alors, ensuite, peindre ce monde contenant le paysage peint et le tableau de ce paysage, et ce nouveau tableau ne modifierait pas le monde contenant le paysage peint et le tableau qui s'en serait inspiré mais ajouterait seulement un tableau au monde et... et... et...
:)

Écrit par : martin | samedi, 07 mars 2009

Quel éblouissement cette fresque! les liens sont la richesse de ses couleurs.Gauguin bien sur un nouveau tableau et pourquoi pas,une vérité du mensonge existe,d'ailleurs c'est le propre du mensonge de dire le vrai avec les embrouilles que ça comporte.Je conseille à Martin de lire le livre de Bernard Noël "Les Peintres du Désir"éd.Gutenberg.A bientôt.

Écrit par : Lo Yin | samedi, 07 mars 2009

Aujourd'hui, " la musique savante ne manque plus à mon désir." (d'après RIMBAUD)

Écrit par : Christophe Borhen | dimanche, 08 mars 2009

@Martin :C'est un commentaire très interessant , il prend le point de vue de la réalité et du constat, ce qui ne va pas à l'encontre du point de vue de Gauguin qui est peintre donc subjectif et poétique , une broderie artistique qui se situe hors du constat
Un tableau ne modifie pas le monde, mais le regard ...
Et le regard ne décrit pas le monde mais le tableau qui lui est permis de voir, tant que nos yeux nous proposerons un champ limité (c'est à dire sans doute pas bien plus loin que le bout de notre nez) en ce sens votre affirmation est vraie, constat réaliste toujours soucieux d'exactitude; mais je ne crois pas qu'il puisse tout à fait renier les affirmations de Gauguin ...l'endroit d'où vous parlez, et l'endroit d'où Gauguin ecrit étant aux antipodes, si je puis me permettre...
Cela dit je ne prétends pas poser ici la vérité.
C'est même le moindre de mes soucis
Mais juste des vues, généralement par d'autres voies toujours subjectives qui ne se posent pas dans l'absolu comme forcément vraies (remember Pirandello :"a chacun sa vérité", je pose ici, juste des chemins, peu importe qu'ils soient vrais où non , pourvu qu'ils nous amènent quelquepart , et surtout là on l'on n'avait pas prévu d'aller (ce qui est un peu présomptueux, certes ) mais prétendre exposer la vérité le serait plus encore. Le titre "Vérité du mensonge" est le titre même écrit par Gauguin, du chapitre d'Oviri d'où j'ai extrait ce passage de reflexion esthétique. tout à fait contestable, vous en apportez une démonstration très convaincante. Une des multiples vérités possibles.
Merci à vous pour la grande qualité de votre commentaire ...

Écrit par : frasby | lundi, 09 mars 2009

@Lo Yin : Je partage absolument votre point de vue, il me paraît ouvert aux mondes multiples, aux vérités multiples des vues infiniment possibles qu'une infinité d'êtres peuvent concevoir, ouvrant des accès à ce que mon professeur de composition nommait "les mondes inouis" (de la création artistique, ou de la vie tout court, ça paraît naîf à lire, c'est vrai que je l'exprime fort maladroitement) les artistes peuvent oublier le problème de la vérité," jusqu'à en faire leur métier, qui est pourtant une vérité à partir d'un mensonge (ou vue subjective). La vérité commence parfois par un mensonge et s'en trouve parfois "reversé" dans la réalité (le tableau, le paysage et réciproquement)
parfois devant un paysage, le regard avant même de se plonger dans le paysage, rentrera dans la vérité du tableau (ou du souvenir d'un tableau)par ex : on s'exclamera devant un champ peuplé d'un ou deux paysans"
"on dirait du Millet ! " devant une guinguette "On dirait du Renoir" et le tableau devient paysage ... devant une route
"on dirait un film de Wenders"
Retournement de vues si j'ose dire... (ou de "vérités)
c'est "le propre du mensonge, de dire le vrai avec les embrouilles que cela comporte", voilà quelquechose
que je trouve complètement cohérent même si cela paraît de la plus grande incohérence qui soit à première vue... Mais heureusement, au delà de la première vue, il y a en d'autres... Certains artistes se sont attachés à la vérité pure.
Martin ici, nous expose son point de vue par une logique qui a sa vérité aussi , est ce suffisant ? j'ai un peu du mal avec la vérité par rapport au vrai (un peu comme l'italianité par rapport à l'italie, le réel, la réalité) c'est pourquoi je me sens en accord avec votre cheminement, qui permet au mensonge de ne pas exister qu'en négatif, et trouble voluptueusement les pistes jusqu'à cette référence au livre de Bernard Noël, qui est bien judicieuse , j'apprécie.
J'ai feuilleté ce livre je ne l'ai pas lu, mais je vous remercie de le citer aussi. Merci aussi pour ce commentaire haut en couleurs ;-) (si j'ose dire) et également de haute volée ;-)

Écrit par : frasby | lundi, 09 mars 2009

@Christophe Bohren: D'après Rimbaud ? dites vous ...
Où avez vous pêché ça ?
C'est bref mais ça remue diablement les méninges. Merci !

Écrit par : frasby | lundi, 09 mars 2009

Pardon de squatter votre espace mais j'aimerais vous indiquer que quelques-unes de mes pages traitent de la pratique picturale.
Leur lecture n'est nullement une obligation mais elle vous permettrait d'en connaître un peu plus sur mon rapport à la peinture, si cela vous intéresse, et en prolongement à notre échange.
Lo Yin y est aussi invité cordialement !
:)

Écrit par : martin | mardi, 10 mars 2009

@Martin : Vous ne squattez nullement, cet espace est ouvert Quant à votre proposition,très volontiers, et sans nous sentir obligés, nous sommes toujours curieux des vues autres que les nôtres je pense que Lo Yin, accueillera cette proposition aussi avec plaisir (si j'ai bien décrypté qui se cache derrière Lo yin)enfin je crois...
Pour ce qui est de vos pages, je sais comment m'y rendre, mais pour Lo Yin et d'autres lecteurs, ce qui serait bien ,si cela ne vous ennuie pas, ce serait que puissiez poser les liens ici -je veux dire, les liens qui vous paraissent les plus à propos(ce n'est pas une obligation non plus evidemment ;-) Merci à vous A très bientôt.

Écrit par : Frasby | mardi, 10 mars 2009

Pardon pour ma distraction, j'aurais dû y penser :)

Voici le lien :
http://martincadeau.over-blog.com/article-19423440.html

Et d'autres petites considérations accompagnent parfois certaines reproductions de mes tableaux ici et là au hasard des pages, je vous en indique deux :

http://martincadeau.over-blog.com/article-25696416.html
http://martincadeau.over-blog.com/article-24689100.html

Bonne journée :)

Écrit par : martin | mercredi, 11 mars 2009

@Martin cadeau : Ce genre de distraction nous arrive à tous , je crois , vous êtes tout pardonné ;-)

Et merci pour vos liens, ce qui permettra de mieux appréhender votre commentaire ... dont certains éléments ont dû nous échapper... d'ailleurs votre introduction "je ne crois rien savoir..."
me parle beaucoup... J'ai lu votre premier lien (hélas je manque un peu de temps cette semaine) mais j'y retournerai pour relire mieux, car la première lecture m'a beaucoup interessée.(beaucoup parlée même)
Peindre malgré tout : Superbe ! ce paysage N° 100 avec une maison (le titre ressemblerait presque à un titre de musique acousmatique...) à suivre ...
Paysage N°90 : Magnifique !!! Vraiment
Je recommande aux lecteurs qui passeraient par là de cliquer sur vos trois liens ... A suivre aussi , avec du temps je m'y replongerait . Merci à vous .

ps à Lo-yin :
@ Lo-yin :Si Lo-yin passe par là, et est bien la personne que je suppose ?... (ah le mystère des avatars= Lo-yin me trompe je ?) je lui conseille vivement de passer par les liens de martin C.... Lo yin étant artiste aussi je crois ;-) de talent (ça c'est sûr), Le travail de Martin pourrait beaucoup l'interesser
A suivre (???)

Écrit par : Frasby | mercredi, 11 mars 2009

@Justine, Merci à vous. Pas de problème pour les fautes, on vous comprend, c'est l'essentiel.

Écrit par : frasby | vendredi, 04 juin 2010

Les commentaires sont fermés.