mercredi, 04 novembre 2009
Du style vocal de l'homme
"Danger dans la voix : avec une voix forte dans la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles."
F. W. NIETZSCHE in "Le Gai Savoir" (1887). Editions Flammarion 1997.
Tous les sons d'animaux se retrouvent chez l'homme, et tous ont pénétré de manières différentes les communications humaines. L'Homme peut aussi grogner, hurler, geindre gémir, gronder, rugir, crier etc ... Il serait inconsidéré de dire que le langage est né exclusivement d'une mimique onomatopéïque d'un paysage sonore, mais que la langue ait évolué et évolue avec l'environnement, cela ne fait aucun doute. Les poètes et les musiciens en ont gardé le souvenir vivant "même si l'homme moderne d'aujourd'hui, ne fait que marmonner" dit R. MURRAY SHAFER. Le linguiste Otto JESPERSEN écrit à propos de "l'aplanissement du style vocal de l'homme", je cite :
"Maintenant du fait du progrès de la civilisation, la passion ou tout au moins l'expression de la passion est modérée et nous devons en conclure que le langage non-civilisé et primitif était plus passionnément agité que le notre et qu'il se rapprochait davantage de la musique et du chant "
Il est tout à fait possible que le langage se soit développé à partir de quelque chose qui n'avait d'autre but que celui d'exercer les muscles de la bouche et de la gorge, de s'amuser et d'amuser les autres en produisant des sons plaisants ou peut être en expérimentant de soi des sons étranges...
Quand à l'aplanissement du style vocal chez l'homme, je me demande s'il ne faudrait pas plutôt parler "d'appauvrissement". Ou comment un être humain vivant en milieu urbain (dans nos sociétés occidentales), constamment sollicité, (voire saturé) par toutes sortes de signaux sonores incessants, peut-il encore s'entendre ? Ecouter pleinement son interlocuteur et harmoniser son mouvement avec le chant du monde ?
Pour ne pas en rester sur une question trop floue, une perception trop approximative, je vous invite à découvrir quelque lecture suggérée par les recherches de Philippe LE GOFF, (compositeur, acousmaticien, enseignant en langue inuit) qui étudie depuis longtemps, les pratiques vocales inuits et a apporté un éclairage passionnant sur la notion d'oralité. En Inuktitut (langue inuit), la "voix" se dit "nipi", un terme générique qui désigne "le son". Un écrivain contemporain prestigieux TAMUSI QUMAQ (mort en 1993, auteur d'un dictionnaire Inuktitut de 30 000 mots), souligne que la voix n'est pas un trait spécifique à l'humanité mais qu'elle est partagée avec les animaux. Il y a aussi chez ce peuple une rhétorique du corps qui donne au silence toute sa signification parcourant tous les rapports sociaux et que l'observateur étranger peine à comprendre. On attendra d'un innumarik (d'un adulte accompli) qu'il contrôle ses émotions et sa parole : parler fort et s'emporter est considéré comme un comportement puéril et dangereux pour un adulte. Mais cette retenue ne signifie pas que cette culture est austère. Le rire, l'éclat de voix, la dérision ont aussi toute leur place. Le corps chez les Inuits, est pleinement une dimension du langage habité par la voix et le silence. L'espace arctique étant dépourvu d'arbres (brésars), il n'offre pratiquement aucun abri naturel, il faut donc inventer, construire, fabriquer. Le corps devient alors à la fois un outil et un refuge.
A visiter le site de Philippe Le Goff : http://phgough.free.fr/
Photo : Le chat qui s'en va tout seul, écoute aux portes des humains... Vu sur la Colline près de la rue de Crimée. Lyon Croix-Rousse. Novembre 2009. © Frb
07:59 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Mémoire collective, Objets sonores | Lien permanent
Commentaires
passionnant billet ! vraiment !
(et d'abord parce qu'il s'ouvre sur une citation de Nietzsche et non sur un extrait du Grand Meaulne , bouquin pseudo mythique que j'abomine presqu'autant que le Petit Prince )
"l'homme moderne d'aujourd'hui, ne fait que marmonner"
oh que oui ! et même pis : "ronchonner" et "ressasser" ce qui produit un marmorochonssassement" plus que déplaisant (en hi ou low ou wi ...fi )
antidote ? le "howl" de Ginsberg ? les grands cris de Pessoa (dans l'Ode Maritime ) ?
ou peut être plus certainement les merveilleux roucoulements rauques d'oiseaux blues que font parfois certains chats !!!!!
Écrit par : hozan kebo | mercredi, 11 novembre 2009
@Hozan Kebo : Ah merci ! Merci aussi pour le "Howl" de Ginsberg que je dois avoir quelquepart dans ma beatnikothèque et merci pour les grands cris de Pessoa, (j'adore ce poime) alors là vraiment ! Howl et Pessoa, les 2 dans le même commentaire, c'est bien extra !
Cela dit , que cela soit bien clair entre nous Hozan, sinon on va pas bien s'entendre : J'abomine et je vire au marmonorochonnasse rien qu'à la vue de la pochette du Grand Meaulnes. Ce livre d'ailleurs me sert à caler un pied de table c'est bien tout l'usage que j'ai pu en faire (tout comme Papa Delerm me sert de dessous de plat,(la dernière georgée de bière, ajoutée d'une petite pincée de sel et de quelques petites pelures d' échalottes en grande évasion ! la georgée est bien plus velue (;-O ! ) comme ça. Pour en revenir à ce dadais de Grand Meaulnes je me suis dit au départ que tout faisait ventre à certains jours, on n'est pas tant forcé de citer toujours les gens qu'on aime (J'ai vitriné sans vergogne, Sarkozy et Sophie Marceau (;-O!) j'assume assez ce genre de contradictions)
Mais bon enfin voilà... Le Grand Meaulnes passera pas l'automne ! je vous promets
Dites moi c'est sérieux, c'thistoire que Noniouze s'arrête ?
C'est quoi cette idée acrabartabacradantesque ? Qu'est ce qu'il faut faire pour que vous changiez de décision ?
Vous allez pas vous arrêter maintenant tout de même ?
(Sinon il va encore y'avoir des cris, des larmes, et du grabuge dans la barbe au papa.). Don't stop Noniouze, please ! don't stop the dance !
Écrit par : Frasby | mercredi, 11 novembre 2009
@ Hozan Kebo
trois mots, pas plus
le petit prince est dédié à Léon Werth
Écrit par : JEA | mercredi, 11 novembre 2009
@ Hozan Kebo : Ca y'est , j'ai viré le Grand Meaulnes !
(De rien... de rien, ça me fait plaisir !)
Votre petit coup de pied au scrogneugneu et de très gai savoir ... a conforté mes impressions. Il fallait ça !
Alain Fournier si près de Nietzsche, ça faisait bizarre ;-)
Merci !
Écrit par : Frasby | mercredi, 11 novembre 2009
Juste quatre mots :
Fournier et le silence définitif de Calonne.
Écrit par : JEA | jeudi, 12 novembre 2009
Je trouve cela bon qu'il nous soit rappelé (chose nécessaire et bien rare) que l'homme et l'animal sont dans une sorte de continuité, inscrits dans un ensemble cohérent. Ca humanise m'homme (si vous entendez-là ce que je veux en dire, il est tôt et je doute de ma capacité ponctuelle à l'expression claire)...
Quand à l'appauvrissement, c'est un phénomène qui hélas! tend à se généraliser et qui, à l'inverse, déshumanise à la volée. Mettons donc un peu de relief dans tout cela ! Crions, rions, emportons-nous donc, que diable !!!
Écrit par : liam | jeudi, 12 novembre 2009
@Liam : Oh mais ne doutez pas de votre capacité, vous êtes très clair. Limpide même.
J'entends très bien ce que vous voulez dire ;-) et je partage complètement votre point de vue.
L'appauvrissement est sans doute lié à notre appauvrissement d'oreille. Nous devons nous abstraire des bruire pour ne pas nerveusement en pâtir du coup l'oreille s'habitue à une certaine paresse. Un fonctionnement en mode "filtrage" dirai je.
Qui nous déconnecte de notre relation audio avec les éléments (surtout en ville), ces bruits qui couvrent tout , nous coupent forcément d'un autre monde de sons "inouis" si j'ose dire.
Crier oui, si ce n'est pas en forme d'exutoire et rire , oui ! c'est une bonne idée ;-))
Écrit par : Frasby | vendredi, 13 novembre 2009
@JEA : On peut ne pas aimer un roman et respecter l'homme...
("Le grand Meaulnes" est un livre qui m'a été imposée à l'école)
La vie d'Alain Fournier je l'ai lue bien plus tard, avec cette fin tragique qui glace... Merci d'être venu préciser ;-)
Écrit par : Frasby | vendredi, 13 novembre 2009
Rien ne vaut une ballade 'en nature' pour ré-initialiser tout ça... A l'abris des parasites que nous ignorons, fuyons, refusons, l'oreille s'éveille et perçois toute la vie qui nous entoure... Ca fait un bien fou !
Écrit par : liam | vendredi, 13 novembre 2009
@ Liam : Ah oui, mais oui ! vous remuez le couteau là.
Réinitialisation c'est un mot que je préfère à "ressources" maintenant que "ressources" a été mis à toutes les sauces, (comme "sensible"), il est devenu inutilisable. Réinitialisons.
Si nous pouvons. Je pense aussi qu'il y a des gens (j'en connais), qui n'ont pas cette chance d'avoir une ligne de fuite, pas d'adresse à la campagne, ou pas d'argent pour se barrer (reinitialiser la bête), ils sont obligés de réduire leur perception, parce qu'en ville s'ils se mettent en écoute "fine", il y a de quoi imploser (ou exploser), cela se fait inconsciemment j'imagine. Je suis persuadée que le bruit + toutes agressions sonores subies en ville, sont aussi des facteurs de dépression, mais notre société n'a pas encore pris conscience de l'ampleur des dégâts, quand "les autorités" (je n'ose dire "compétentes") vont découvrir cela, elles nous feront tout un battage médiatique, avec tracts (sur les voitures ça sera écrit "rouler en voiture fait du bruit) comme ils ont fait avec la clop sous pretexte de prévention et ça sera des trucs agressifs comme d'hab
Oh je suis trop sombre là. ça me désespère un peu cette société de l'image qui méprise beaucoup le son
(ou confond son bruit musique enfin bon) ...
Allez hop ! vite ! une bonne virée à la campagne pour nous enlever les idées noires et que surtout, tout le monde n'aille pas en même temps à la campagne, sinon zoby la réinitialisation ! ;-)
Écrit par : Frasby | vendredi, 13 novembre 2009
Les commentaires sont fermés.