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mercredi, 26 mai 2010

Le poème Tang

Ecoutez là-bas sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure tout seul sur les tombeaux ;
Et maintenant remplissez ma tasse, il est temps de la vider d’un seul trait.
LI-TAÏ-PE : "La chanson du chagrin"

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Les Tang (ou Thang) montèrent sur le trône de l'an 618 de notre ère, ils s'éteignirent l'an 909. Pendant ces 289 ans, vingt empereurs se succédèrent et presque tous furent dignes de régner. La poésie des Tang se divise en quatre périodes distinctes : le début, la prospérité, le milieu et la fin. Ce phénomène, qui reflète fidèlement la naissance, la grandeur, puis le déclin de l'empire, coïncide également avec les transformations du style poétique. La Chine était à cette époque, à l'apogée de sa puissance et de son expansion. Le christianisme avait fait des progrès en ce pays. Les doctrines de CONFUCIUS et de LAO -TSEU qui officiaient depuis longtemps, n’étaient plus seules à se partager la multitude. Pendant cette période de prosélytisme, la Chine ne pouvait rester en dehors du mouvement général des esprits, le bouddhisme déjà puissant inspirait également les poètes tel SONG-TCHI-OUEN :

[…] Je suis entré profondément dans les principes de la raison sublime,
Et j’ai brisé le lien des préoccupations terrestres.

Si certaines pièces des recueils poétiques des Tang portent l'empreinte du mouvement religieux qui s'accomplissait alors en Asie. La plupart n'en donnent aucune idée, la Chine n'était pas plus bouddhiste qu'elle n'était mahométane ou chrétienne. Le scepticisme, la fusion et la confusion qui y régnaient, se lit aussi dans les poèmes Tang où souvent on remarque une absence quasi générale de croyance, y compris chez les auteurs de renom. Le plus souvent cette absence de croyance ressort dans les poèmes sous forme de souffrance ou de découragement. L'illustre THOU-FOU compare l'avenir à une mer sans horizon. Il épanche sa tristesse devant un vieux palais en ruine :

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse ;
Je commence un chant où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps ?

Il est fréquent que le poète s'égaie comme pour chasser des idées obsédantes, la mort, l'incertitude de l'avenir, sont des thèmes récurrents ; tel cet extrait d'un poème de  LI-TAÏ-PE :

Pour moi, je m’enivre tout le jour,
Et le soir venu, je m’endors au pied des premières colonnes.

On le ressent encore plus clairement dans cet extrait, l'oeuvre se pare d'un titre sans équivoque : "La chanson du chagrin"

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus... Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

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L'absence de toute conviction religieuse laisse un grand vague à l'âme du poète Tang, et la religion des lettrés s'inscrira finalement dans une morale très floue. C'est plus naturellement le sentiment de l'immortalité de l'âme, l'idée qu'elle pourrait exister indépendamment de l'enveloppe corporelle qui se reproduit alors sous mille formes dans les vers les plus incrédules comme s'il fallait inventer une protestation à toute cette perplexité. Tantôt l'esprit d'un homme endormi se met à voyager seul à travers l'espace, franchissant les distances au diapason de la pensée, et passant les murs d'un cachot, d'un gynécée, afin de consoler un prisonnier, de revoir quelque amante. Tantôt c'est l'âme d'un proche défunt qui est évoquée, celle d'un soldat tué qui se lamente, ou celle d'une épouse rongée par la jalousie, qui par un mouvement violent se dégage des entraves de la chair, pour voler sur les traces d'un époux en voyage et le suivre à son insu. On retrouve aussi dans tous ces poèmes des traces de légendes, de récits populaires, les aspirations vers une autre vie, et toujours le besoin d'espérer ou de croire. D'autres poèmes donnent au soldat le beau rôle. Par exemple dans les oeuvres de LI-TAÏ-PE, on découvre un poème intitulé "Le brave", une rare composition chinoise où l'homme d'épée est exalté aux dépens de l'érudit. Le soldat aura encore un rôle central dans ce poème intitulé "A cheval ! à cheval et en chasse" :

L’homme des frontières,
En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;
Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

Quand il galope il n’a plus d’ombre. Quel air superbe et dédaigneux !

THOU-FOU lui même écrira "Le recruteur", l'histoire d'un village dépeuplé par un recruteur, "Le départ des soldats et des chars de la guerre" nous conduit sur les pas d'une colonne en marche :

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Les Tang savent aussi retracer la vie intime des chinois de l'époque. Tel ce poème de MONG-KAO-JEN titré, "Visite à un ami dans sa maison de campagne" :

Un ancien ami m’offre une poule et du riz.
Il m’invite à venir le voir dans sa maison des champs.

D'autres sont de véritables petits tableaux décrivant par exemple deux amis qui se donnent rendez-vous à l'automne pour regarder les fleurs. Pour d'autres, les scènes sont plus animées elles ne s'imprègnent plus de la contemplation de la nature, mais se mêlent à un banquet où le vin coule à flot. Et partout on retrouve les fleurs, indispensables à la poésie Tang.

Combien de fois nous sera-t-il donné encore de nous enivrer, comme aujourd’hui, au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d’or qu’il n’en faudrait pas regretter le prix.

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Il y a aussi ces réunions dans la maison d'un ami, les dîners en plein air, les parties de montagne, la promenade solitaire qui porte à un plus haut degré, cette langueur indéfinissable particulière au peuple de Chine.

La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle ;
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs.`

Et puis bien sûr, d'autres thèmes ceux-ci incontournables jalonnent la poésie Tang. L'attachement au pays natal, et les douleurs que peuvent causer une absence. Le chinois n'est pas voyageur, quand il part c'est toujours le coeur lourd et quand il se retrouve en pays étranger, rien ne le distrait du souvenir de sa terre natale :

Ne pensons qu’à l’accord harmonieux de nos luths, tandis que nous sommes réunis dans cette charmante demeure,
Je ne veux songer aux routes qui m’attendent qu’à l’heure où il faudra nous séparer [...]
Mais ces doux instants passés ensemble, hélas ! quand pourrons-nous les retrouver ?

L'exil pour le chinois, très attaché à son foyer a de cruelles amertume et l'on pense à l'immense THOU-FOU qui mourût disgrâcié comme OVIDE et qui jusqu'à son dernier jour ne cessa d'exprimer son chagrin :

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles ;
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent et semblent ne plus s’écouler...

Source : Les notes de ce billet ont été inspirées par le travail de présentation et les traductions des poésies Tang du Marquis D'Hervey-Saint-Denys (1862)

Photos : Les brésars du Nabirosina sous le pinceau un peu chinois du Van Ki Tang, photographiés à l'orée de la très mystérieuse forêt de Bliges. Avril 2010. © Frb.

Commentaires

Il me faudra bien tout ce week -end pour distiller tout ça
en espérant qu'il ne pleuve pas
allez t'as droit à un bon repos !
pS J'ai pas d'ordi portable alors tant pis je vais peut être sacrifier un arbre pour tout imprimer
"aimer les autres et prendre soin d'eux c'est agir avec humanité.
Les comprendres c'est agir avec vertu
confucius-
ça ne choquerait personne je pense si on lisait ça sous "certains jours"
amitié

Écrit par : alex | vendredi, 11 juin 2010

chez moi quand on dit :" Vas donc chez Tang "c'est qu'il nous manque un brin de coriandre ou quelques nems..c'est le Carrefour de l'Asie ...maintenant quand je dirai "tiens je vais aller chez Tang "je penserai à vous et à d'autres nourritures....
merci honorable Frasby...

Écrit par : catherine L | vendredi, 11 juin 2010

@Catherine L : Il est gentil votre commentaire, merci !!!
Chez nous on va chez Kiang, ou au china town, dans ces odeurs de fruits bizarres qui vous remuent le coeur pendant des heures, et on achète le ti kuan yin et les raviolis à vapeur
Je crois que les vases communicants feront que lorsque je lirai de la poésie Tang je vous imaginerai un panier à la main
hésitant entre des nems à la crevette ou des nems au porc , avec un brin de coriandre à la main.
Il ne manquerait que la photo.
N'oubliez pas le saké, qui se boit gentiment dans des tasses coquines. Tchin tchin ! honorable katiyin Li !

Écrit par : frasby | vendredi, 11 juin 2010

@Alex : Tu sais Alex, les billets on n'est pas obligés de lire vite ni sous la pluie. (Rires). Et puis s'il y a des paragraphes c'est pour ceux qui veulent ne les lire que par petits bouts. (Je sais pas si elle est correcte ma phrase ?) On a tout prévu pour que son lecteur (adoré) ne soit pas trop découragé par la longueur (quoiqu'on ne maîtrise pas tout)
Sacrifier un arbre pour la poésie Tang ! mais tu n'y penses pas malheureux ! rien ne justifie sur cette terre de sacrifier un arbre. Surtout pas pour la poésie, ça serait un drôle de paradoxe. Ou alors tu en replantes un tout de suite dès que tu as imprimé, (c'est mon conseil ! :-) je suis pas écolo mais j'ai ma carte du parti Alcestien depuis la mort de mon vieux chêne. Si Alceste passe par là, cache toi. Il pourrait te brûler vif ou te pendre sur la plus haute branche d'un hêtre. La phrase de CONFUCIUS est très belle et surtout ton petit ajout tout à fait adorable , mais je préfère encore l'immense LAO TSEU dans sa pensée entière, à CONFUCIUS. LAO TSEU c'est une merveille (ce n'est pas Sophie K. qui me jettera la pierre).
Je t'en donne un petit peu ( c'est très peu) car LAO TSEU entier c'est du pralin de pensée. Je te souhaite un très beau week end et te joins ce petit extrait extra de LAO TSEU , goûte moi ça ça ondoie :-)

"Le poète sait jouer sur une harpe sans cordes et il sait ensuite répondre à ceux qui prétendent n'avoir pas entendu la musique."
[ Lao-Tseu ]

Écrit par : frasby | vendredi, 11 juin 2010

Lao Tseu est un poète, Confucius un hygiéniste. Etiemble a écrit pas mal de choses intéressantes sur le taoïsme et sur Confucius. On l'oublie, Etiemble. Un vrai "passeur", cet homme-là.
Vous avez raison d'évoquer Ovide. Les Tristes, c'est absolument magnifique.

Écrit par : Francesco Pittau | samedi, 12 juin 2010

@Francesco Pittau : Oui ! je suis entièrement d'accord avec vous. Confucius n'était certainement pas un poète. Le souci avec Confucius, est qu'une citation prise isolément pourrait faire illusion et nous donner à penser que son esprit était très ouvert mais si on lit un livre entier, on est vite enseigné, c'est un corset, c'est une minerve c'thomme là ! (sourires) et Lao Tseu tout le contraire. Etiemble , voilà quelqu'un qu'il me faudrait relire nous en avions parlé je crois, j'avais étudié au lycée un peu Etiemble ("blason d'un corps") et je m'étais bien ennuyée mais melle Pugeolles n'a pas dû bien me le présenter (c'est toujlours de la faute des autres n'est ce pas ?) depuis que vous m'en avez parlé, comme je vous crois toujours sur parole (ô la flatteuse !:-))en plus c'est vrai !) j'ai glané un bouquin sur le Tao commenté par Etiemble, vous me rappelez qu'il faut que je le lise. J'aime que vous évoquiez l"Les Tristes" magnifique oui, même assez renversant. Merci à vous.

Écrit par : frasby | samedi, 12 juin 2010

ah ! ces chers vieux poètes Tang ! promis juré ce sont de vieux potes depuis des lustres , et même que ça m'a fait bizarre que mon Tu-Fu soit devenu Thou-Fhou (Li Po deviendra-t-il Lee-Pho ?)
nul problème , j'ai toujours entendu "tout fou" !

Écrit par : hozan kebo | dimanche, 13 juin 2010

@Hozan kebo : Ah oui je veux ! saluons les Tang, (et plutôt deux fois qu'une) les Tang c'est des potes aussi (des photes haussi ?) de l'époque des lustres et ça me fait également bizarre les orthographes (ortograpes ?) des noms propres Li-Po il a aussi des façons différentes de s'écrire alors que comme larrons z'en foire nous n'en connaissons que deux trinquants fringants sous la lune Li Po et Tou Fou ( =moi je l'écris ainsi). Vous entendez "Tout fou" (moi aussi) certes ! c'est bien joli tout ça, mais élevons le débat : comment vous le prononcez en chinois ?

Écrit par : frasby | dimanche, 13 juin 2010

élevons le débat ? et continuons le débit ?
quoi ? nul ennemi ?
ce combat est perdu
avant d'être "engagé" ?

LI PO : quoi que t'en dis , toi ?
TOU FOU : oh ! c'que j'en dis ! c'est pour causer!
LI PO : je t'en ressers un petit ?
TOU FOU : on le mènera au bout !

Écrit par : hozan kebo | mardi, 15 juin 2010

@Hozan Kebo : Oh le débat vous savez ... Continuons le débit
(le débit de l'au d'ici, du vain de là.)
PO LI - J'en dis ce que j'en dis
FOU TOU- t'as raison !
PO LI - Elevons le combat !
FOU TOU - Allez ! cul sec !

Écrit par : frasby | mercredi, 16 juin 2010

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