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mardi, 22 mars 2011

Court circuit

Toujours... Toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours quelqu'un derrière moi... C'est moi même... Et il me suit.

PETER LORRE dans "M le Maudit" de FRITZ LANG, 1931

ombres002.JPGIl est riche de ses actes, il écrit son nom il l'accole aux gens qu'il croise, et cela est sans conséquences, il ne va pas, il ne se contente pas du peu. Il ne prend pas la page blanche pour le début, c'est sa fin, il l'arrange, s'y rajoute, continue l'existence jusqu'à cette stabilité qui l'insupporte, un monde imaginé par tous ceux qui ont précédé, semblables à ceux qui suivent, des tas de gens, des têtes dont il n'a rien à dire. Un niveau machinal, des relations interchangeables à l'infini, il compose à ce jeu un grattage, il ne gratte pas, il se déchire.

Vu de loin, cela contraste avec la notion pour lui, incompréhensible de sympathie. Il élabore des figures qui de près ou de loin l'obsèdent par leur monotonie, il gratte et enterre tout dans son jardin, il rature des pages et des pages jusqu'à l'avènement d'une oeuvre d'art blanche, oeuvre purgée du sentiment, art de s'absorber dans l'espace, de recomposer le désordre avec les éléments. Il se met dans la peau d'un autre qui se trouve déjà dispersé. Le plus sûr de son initiative a déjà échoué. Il voit d'avance, une page qui manque juste au milieu du livre, une morsure au coeur de la toile, les fourches dans les cheveux des filles, un concentré déjà détruit qui contient à lui seul toute l'histoire du monde, celle des hommes et son destin à lui. Dans cette absence, il y a la voie lactée, la conquête de l'espace et l'embrassement d'une fusée avec une étoile filante, la réalité confondue dont il est pure trace,  reliant au ciel sa glaise, son fleuve et son métal, une situation de danger au terme d'un lent acharnement sans aucun but défini à l'avance.

Le cours du temps passe dans l'élasticité de journées indolentes. Aux aguets d'un langage détruit, entre les corps, des bêtes à grosse carapace ont promené sur leur dos, les dépouilles des hommes et des femmes, ceux qui n'ont pu survivre, le résultat grosso modo de toutes les guerres visibles ou invisibles, il ajoute un peu de son corps, qui meurt parfois petitement dans l'amour, se voudrait inspiré, goûtant une telle offrande, prêtant sa chair qui délivre du mal aux baisers de l'éphéméride. Il pourrait avoir honte à se faire aimer trop, sans pouvoir aimer trop lui même, ou aimant trop sa solitude qu'on dit incompatible avec l'amour. Ce on dit, est encore une foutaise. La petite idée se forme dans sa tête qui le taraude pour brûler ce qu'il reste d'obsession à oeuvrer, il voudrait contempler les petits matins, dans la joie de la course à pied, du basket ball, des descentes à vélo sans les mains, tout seul des jours entiers il joue entre des marques tracées sur le sol à la craie, et court sous un panier à essayer de réussir des doubles pas, à s'encourager dans le dribble, les mains apprenant la dextérité en compagnie de joueurs invincibles, qu'il imagine et qui n'existeront jamais. Chaque jour, lui vient de plus en plus d'adresse pour en finir avec le besoin de dextérité. Cela n'est qu'un mouvement dans l'espace juste pour oublier que la pensée peut fondre comme une savonnette. Il est cet enfant souple glissant sur une rampe d'escalier. Il parade le jour. La nuit, il pleure ce que le jour lui a volé.

Des guerres ravagent son écriture, cela engendre une sorte de poème héroïque, avec des idées monstrueuses qui chevauchent des idées sublimes, tous les mots il les plie à sa volonté dans le goût capiteux de répandre l'épuisement sur la terre, l'épuisement des êtres et des lieux jusqu'à qu'il n'en reste rien, ni dedans ni dehors, et la douceur va dans son regard, dans ses yeux bleus ou gris qui pleurent et cela fait comme une pluie de météorites plus loin, ailleurs, il verse l'alcool à brûler dans des fioles d'encre bleue ou grise, un petit feu court sur toute la surface d'une nappe, du genre toile cirée, juste au milieu, il y a un ilôt de cendre qui brille, il y voit une peau de chagrin grosse comme un pois cassé. "Pois cassé", les deux mots roulent entre ses doigts. Existe t-il encore une chose au monde qui ne puisse pas se casser? "Pois cassé", rien à faire, comment casser ce rien ? Les plus petits obstacles sont toujours les plus vains, il devra désormais lutter contre cette chose minuscule qui résiste, dont chaque jour il essaye de s'acquitter au mieux. Le combat à l'oeil nu paraît pourtant facile. Chaque jour il s'applique et chaque jour ayant échoué, après des heures passées, en bras de fer qui l'auront épuisé, il regardera le soleil se coucher, et se dira : "et merde !".

Photo: Une ombre demesurée qui précède ou qui suit on ne sait quoi, on ne sait qui, prise en flagrant délit sur les pavés aux alentours de la bibliothèque de la part-Dieu à Lyon. © Frb 2011.

Commentaires

Ou se dira : « Un jour ! Encore un jour s'il-vous-plaît. » Frasby. Merci.

Écrit par : Marc | jeudi, 31 mars 2011

@ Marc : Ou se dira : "Et merde ! heureusement, demain ça sera mieux". Variations pour des soupirs...Merci, Marc.

Écrit par : frasby | jeudi, 31 mars 2011

Il regardera le soleil se coucher, le soleil n'est jamais éclipsé que par des lunes, il se résignera à supporter quelques coups de soleil. Mais, qui est le plus utile ? Le soleil ou la lune ? La lune, bien entendu, elle brille quand il fait noir, alors que le soleil brille uniquement quand il fait clair. Quand il s'apprêta à peindre le soleil, il fit des théories, et, quand il voulut commencer, le soleil n'était plus là. Sans doute qu'une vérité se fit jour avec le soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder.

Écrit par : Iron Ikunst | jeudi, 31 mars 2011

@Iron Ikunst : Heureusement que vous êtes un poète, grand bien nous fasse, vos théories splendides sur le soleil et sur les lunes (à noter que l'esprit échauffé 'par les lunes de votre ciel en vos mondes extra-sensoriels, on s'étonnera et, on regardera, désormais de plus près la nuit , vos théories, disais je, et je le lis dans les nuages dont mon ombre se pare jusqu'à en disparaître, bien que je ne sois pas madame Soleil , (comme vous savez :), vos théories, à rendre fou les astronomes, théories de l'homme des beaux jours aborderont le grand sujet de la vérité cachotière ou pudique (?) à moins qu'elle ne soit que profondément mystérieuse, (pour notre joie d'imaginer) et l'obscurité serait elle si insolemment harmonieuse qu'on se sente obligée de la fuir ?... Je dépose à la lumière de votre choix une courte phrase de Francis Bacon, (je cite) : "Toutes les couleurs s'accordent dans l'obscurité."
et je vous remercie d'être venu nous chuchoter à l'oreille la fine et vertigineuse nuance qui se trouve entre le verbe voir
et le verbe regarder...

Écrit par : frasby | jeudi, 31 mars 2011

Henri Jeanson :
- "La guerre, ça commence toujours par des heures historiques... et ça finit par des minutes de silence."

Écrit par : JEA | jeudi, 31 mars 2011

@JEA : Citation vraie. J'ai vu hier sur Arte une émission terrible à ce sujet, certaines minutes d'un silence (officieux) en disaient long, non pas qu'on puisse deviner, mais un instant sentir ce point de sidération qui suit les heures historiques...

Écrit par : frasby | jeudi, 31 mars 2011

le hasard m'a posée ici pour cette nuit. bienheureux hasard. merci.

Écrit par : foxy | vendredi, 01 avril 2011

@foxy : J'aime à penser que les hasards sont bienheureux, surtout la nuit, merci à vous d'apprécier...

Écrit par : frasby | vendredi, 01 avril 2011

les nuits et les chemins de traverses que nous y empruntons nous amènent bien souvent à de belles découvertes. Heureuse d'y être passée, oui. Et d'y revenir.

Écrit par : foxy | dimanche, 03 avril 2011

@foxy : Merci pour ce retour inattendu, et by night, mystérieuse Foxy... Les chemins de traverses, ça c'est une chose qu'on ne boudera jamais, heureuse de vous lire et de vous relire ici, portes et fenêtres grandes ouvertes, quand vous voulez, je serai ravie.
Je vous souhaite au(x) passage(s) une très belle nuit...

Écrit par : frasby | dimanche, 03 avril 2011

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