vendredi, 01 février 2013
Avalanche
Et je m'en vais à Panama pour vivre en sauvage. Je connais à une lieue en mer de Panama une petite île (Taboga) dans le Pacifique, elle est presque inhabitée, libre et fertile. J'emporte mes couleurs et mes pinceaux et je me retremperai loin de tous les hommes.
Il n'a rien entendu de particulier, il s'est contenté de regarder. Il est sur la ligne de départ. Autour de lui le bruit gagne. C'est le seul argument qui retient l'attention, et semblable aux mouvements précédant un parcours, lassé de parcourir, il voit le paysage réduire les perspectives, quelques mots devraient suivre, qu'il tait. Il ne suit pas.
Ce thème est un motif qui vaut un peu la peine de décrire ce qu'il reste, ce qui va disparaître. Il choisit la plus sotte expression parmi des milliers d'expressions possibles, un confort creusé en ce trou, un nombril aspirant, tiède encore, les plaies brûlantes de l'homme, ou les battements d'un coeur humain pas plus qu'un aspirant de rien allant à l'interligne dans l'épaisseur du bruit glorieux de ses échos.
Il y a le temps qui vient, dresse une chape et ça couve sous son poids de chair vive, ça donnera une valeur factice à la surface, quand une porte bat aux vents, quand l'éclat de ces feux attractifs rend l'univers massif, il referme sa fenêtre, il n'aura bientôt plus à se battre pour les siens.
Il a rayé son nom, il a songé aux possibilités d'anéantir enfin sa faculté d'écrire, pour s'en remettre à ce silence d'une cathédrale ou d'une bibliothèque. Oserait-il au moins peindre ? Des Carceri à la mine de plomb, le prix de ses efforts, et puis des fleurs encore, quelques lettres de l'île puis la disparition d'une marge qui portait la couleur dans une ligne de fuite. C'est peut-être un ersatz ou c'est le labyrinthe d'un lieu qui nous décime, milles convives aux fenêtres entre eux autant de vitres, là, de grandes mosaïques comme à Constantinople.
Il fouille dans cette matière, quand revient la jachère, il y voit un soleil privé de ses ombrages, l'espace habituel où chacun arbitré dans le langage d'un autre réfute l'obscurité porte une perspective de puits et de falaises sur une place noire de monde.
Un mot encore si près à le couvrir de honte, y affûtera son verbe et l'éloquence qui vit toujours en légéreté, impérieusement tenue portera à nos lèvres l'unique grande vérité, la tienne et celle des autres, dans ce fût, sur l'étage du Beaujolais nouveau, la langue et sa piquette, t'as vu ces grands tonneaux à présent tu t'étonnes qu'ils se déversent copiant le bruit du pacifique, épanchant une série de vagues bien tempérées et délayant le corps qui se tait, le défait, comme se défait le verbe.
Il ne peut rien en dire, nous capturons de force ce point d'inanité, c'est à peine une cible qui nous veut repliés dans cette obscurité, elle va nous réfléchir, nous briser, l'emporter, qu'en sait-on ? Qui pourrait nous instruire ?
Nous serions tels que lui, des modèles d'écorchés, barrés de croix, de traits, des figures portant peine à la brutalité où la mort du désir peut encore l'emporter, ne tiendrait qu'un espace lentement annexé ; l'innocence consommée, il faudrait retrouver un mot à prononcer pour cet homme qui ne qui ne sait plus parler.
Un pas de plus, il souhaite couronner son effort, dépasser les obstacles pour bâtir un royaume au flottement discret, des airs de flammes muettes courant sur nos jouets qu'une vague achemine dans le ravissement où l'ignorance nous tient à tout heure disponibles, un bon rire à demeure tel qu'il fût toujours prêt, générant une série d'accidents, de minuscules enclaves où le mot est jeté où le désenchantement se reproduit à l'identique, tandis qu'il essaye de jouer pour simplement jouer.
Un pas de moins, les marchands de plaisirs passeront sur sa peau un baume rafraîchissant, il reluit à nouveau il est comme liquidé mais il reluit pourtant. On peut le suivre ou l'oublier se faire lentement rattraper ou souffler ce pion solitaire, mais cela n'a pas plus d'importance que ce qui est secret et devra forcément nous taire.
Il payera. Il payera en retour du désir affamé de s'affamer encore, quand l'oeil fou qui dévore des vies à la seconde aura mis des cailloux dans cette immense bouche, la sienne voudra se clore, saborder ce qui porte en dedans, ne trouvera aucun mot pour extraire une manière de recommencements à cette fin qui résiste à comprendre.
On connaît le passeur obligé de se rendre. C'est partout le même quai, alignant une suite de croix et de carrés. Partout c'est un poème qui recomptera ses pieds, ça forme sous le soleil quelques cristaux de glace et des ronds de fumée quand la lumière prend l'ombre ou peut-être autre chose, la marche se soustrait, l'homme fume une cigarette et nous voit sidérés que le vocabulaire n'ait jamais su faire mieux que nous aider à exprimer cette sensation profonde de n'avoir rien à dire.
Ca fait longtemps qu'il sait. Il mâchera les cailloux, et sentira la terre lui porter des pelletées, un semblant de jachère devenue cette palette de noirs et de blancs contenant un ensemble de couleurs ou l'absence de couleur. Il goûtera la nuance, afin de se mouvoir d'un espace à un autre sans tirer aucun trait, aucun plan, aucune des conséquences. Il est dans les reflets ou l'absence de reflet comme à ces premiers jours, naissant un peu trop tard, il a pris de l'avance, il se pelotonnait contre un arbre et goûtait au silence sous un ciel moutonné masquant les voix violentes, des ébats festifs d'où revenait puissante, une foule assurée.
Il n'y a plus à douter, pour traverser les lignes, sortir de cette violence, on se dit que parfois il faudrait marcher seul, quand la mécanique sourde continue à cibler, à broyer, elle n'aura pas de phrase pour dépouiller le geste qui recouvre le ciel d'un champ de tournesols. Il n'aura pas besoin de ces flux de paroles pour aimer ces baigneuses divines indolentes ou saisir le silence d'un dernier grand concert dans la fine transparence, les nombreux coups de couteau donnés à la matière, sont peut-être identiques, à ceux que l'on nous donne.
Un mot ne tiendrait pas à capturer cet homme, ou demander pourquoi ces entailles n'ont pas entaillé le visage des nombreux regardeurs ? La question le déplace. Il est là, et il fume du tabac parfumé. Son geste le retient, entre une drôle de clarté et le flou inhérent à la nécessité de se tenir toujours plus près du précipice. De n'en rien ignorer, à présent, il savoure plutôt garder ce vide bien en main, que de craindre l'effroi qui le rendra muet, avec cette habitude de ne parler qu'à soi, d'en ressentir l'outrage sans pouvoir accepter que nous serions tenus de battre ce pavé, nous livrer, nous lustrer, cumuler les effets, de quoi bien tapiner.
Il redoute le courant réducteur, et le malentendu qui placera son coeur d'homme entre le singe et la savane, il comptera sur les doigts d'une seule main ceux qui ont pu survivre à cela sans se fossiliser, sans se faire braconner, ceux qui ont pu créer encore, pour changer la vie quelquepart, pas seulement l'énoncer, non seulement l'énoncer, mais l'appliquer sur soi, pas gagné ! ce qu'il reste de cobayes ne serait pas si doué à satisfaire ces files qui se massent aux musées, des foules reconnaissantes, l'artiste mort estimable, une somme de vies ratées pour battre des attraits, mourir dans les images.
Longtemps, longtemps plus tard, il trouvera quelques pièces détachées, elles nous tiennent à portée sur un filet de bave, un cri vaste oublié, le prenait corps et âme, et pouvait nous relier par une sorte de chant du monde inépuisable, mais encore trop lointain. Il a vu ce matin, Panama sous la neige, et sa jeune vahinée venue emmitouflée le plongera à nouveau dans l'extase.
De la neige et une bestiole inoffensive pour adoucir la dernière ligne droite de l'an 2014.merci à ceux qui ont suivi ce blog, malgré un temps d'arrêt involontaire, une panne d'ordi, et la vie (la vraie) s'y mettant en travers j'ai dû m'astreindre à des obligations laissant la panne courir en cette années si peu clémente qui m'a contrainte à imposer au blog une sorte de latence, le courrier est en rade, depuis pas mal de temps avec un sérieux bug et un bazar en dedans encore compliqué à résoudre Mes excuses à ceux qui ont écrit, des mails dont certains datant de cette été ne me sont parvenus que récemment, des courriers sont perdus, pour l'instant, introuvables, ici une zone de flou d'autres les courriers rescapés restent en rade la possibilités d'acheminer correctement les réponses restant aléatoire, je m'abstiens pour l'instant, à suivre, donc, pour l'instant je dédie au Noêl et à la Noêlle et aux autres, s'ils s'y trouvent
Echappée belle : à lire et regarder, le livre de Gauguin, "Noa Noa" paru aux éditions J.J. Pauvert en 1988.
Photo : Taboga en hiver, ou le départ de l'élandin.
Là bas © Frb 2013.
Commentaires
Voilà c'est ce que je disais vos fans sont inquiets et vous cherchent sous l'avalanche !
merci je ne connaissais pas ce morceau de Leonard Cohen l'intro est superbe on s'y croit !!
Écrit par : catherine L | lundi, 04 février 2013
@catherine L : Inquiets ? vous avez une vue ultra romantique du machin c'est charmant mais je ne crois pas que nous soyons là pour inquiéter, ou s'inquiéter, avec tout ce qui se passe dans le monde, les guerres, les meurtres, les châtiments, ce serait un drôle de paradoxe décidément je ne suis pas à l'aise avec le mot "fans" je vous propose donc de le remplacer par le mot "faons", les faons de Frasby, c'est pas mieux ?
http://img524.imageshack.us/img524/1534/426362vv8.jpg
Une panne de machine simplement et le cours ordinaire s'en trouve différent voire changé, et je dois aux personnes accueillantes qui me proposent ou m'ont proposé amicalement l'hospitalité numérique, quelque suite ici sur un mode aléatoire et d'un genre d'écriture consciemment délité, inspiré du principe ou politique de la neige brûlée, pour ne pas, disons, laisser les machines décider.
Vous qui êtes photographe sur le terrain réel vous savez plus que moi que rien ne se perd et que tout se transforme, c'est aussi ce que chante Léonard Cohen avec grâce ou ce qu'imagina merveilleusement Monet avec sa pie hissée sur un podium bancal haut comme rien,
regardez ! votre oeil va s'y retrouver
http://3.bp.blogspot.com/_SGxE2TQy0F8/TPT-NNoVnxI/AAAAAAAAABY/MrLCo6blpjI/s1600/pie+2+Monet.jpg
"le peintre préfère au monde de la forêt (et de la chasse), la frêle note d'une pie posée sur un portail comme sur une portée musicale",
la neige est aussi argentique :) nous traversons une mer de glace, un peu comme les pingouins et si la neige nous épargne,
nous nous retrouverons au chaud dans l'atelier du peintre ou dans la chambre noire, sur des toiles plus petites. Cela dit si vous me chopez une pie de Monet avec votre objectif, je vous publie ici, c'est une proposition malhonnête, mais chaleureuse... :))
Écrit par : frasby | lundi, 04 février 2013
avalanche oh que ouaip ! un de mes Cohen préféré
et je l'aimais bien aussi - on a tous ses défauts - chanté (et traduit)par Graeme Allwright ("Allwright chante Cohen"http://www.discogs.com/Graeme-Allwright-Chante-Leonard-Cohen/release/1345539
Une avalanche m'a emporté
Et recouvert mon âme
Quand je ne suis pas ce bossu que tu vois
Je dors sous la montagne
Si tu veux vaincre la douleur
Apprends à me servir.
Tu me frappes par accident
En poursuivant ton chemin
L'infirme ici que tu veux nourrir
N'a ni froid, ni faim
Il ne veut pas être ton compagnon.
Pas au centre, centre de ce monde.
Tu ne m'as pas mis sur ce piédestal
Et tes lois ne m'obligent plus
A m'agenouiller à tes pieds
Laid, grotesque et nu
Je suis moi-même le piédestal
Pour ce monstre que tu regardes.
Si tu veux vaincre la douleur
Apprends ce qui me rend gentil
Les miettes d'amour que tu m'offres sont
Les miettes que j'oublie
Ta douleur n'a pas de créance ici
C'est seulement l'ombre de tes blessures.
Je commence à te désirer
Moi qui ne crois plus en rien
Je commence à t'appeler
Moi qui n'ai pas besoin
Tu me dis que tu es loin de moi
Mais je te sens quand tu respires.
Ne porte pas ces vieilles guenilles
Tu n'es pas pauvre je sais
Et ne m'aime pas si violemment
Quand tu n'es pas décidé
Maintenant à ton tour d'aimer
C'est ta chair que je porte
Écrit par : hozan kebo | lundi, 04 février 2013
@Hozan Kebo : Alors là, merci ! C'est superbe que vous nous apportiez les paroles parce qu'elles ont servi de fil conducteur à ce billet, d'une façon peu visible évidemment, "Avalanche" est pour moi THE song THE Poem de Léonard Cohen, en tout cas, une perle au niveau de la composition, bon, c'est ma préférée, entre toutes et Cohen en a de sublimes, belle idée que poser les paroles parce que j'ai hésité un moment, à les publier ou peut-être un extrait et puis non j'avais envie de brouiller un peu les pistes (des avalanches de fleurs chez Gauguin à Léonard Cohen, certes ça fait un chemin qu'il faut tailler à la serpette on est même dans le jeu de piste et je me suis dit que le lecteur, irait chercher, si il voulait mais vous alors vous m'épatez, bon, très belle traduction, je ne connaissais pas, je ne connais pas vraiment Graeme Allwright, sauf à la petite école "petit garçon" à la flûte à bec, pas de quoi s'exalter :)
mon chemin enfin mon sentier pour la traduction c'est l'adaptation qu'en avait fait Jean Louis Murat qui est très belle, aussi belle je crois,
on la trouve sur l'album d'hommage à Léonard Cohen
"Im your fan" paru dans les années 90, un des plus beau album de covers que je connaisse, mais peut-être que votre lutin des étagères veille précieusement sur lui ? :)
Je vous laisse comparer ... Ou plutôt apprécier, vous avez les paroles, nous avons la musique ! magie de certains jours ! :)
http://grooveshark.com/s/Avalanche+IV/tvJ9M?src=5
Écrit par : frasby | lundi, 04 février 2013
Une des chansons de Cohen que je préfère. Mais d'une façon générale, j'aime beaucoup ses textes. Un vrai poète, pas rien qu'un faiseur de rimes.
Écrit par : Francesco Pittau | lundi, 04 février 2013
@Francesco Pittau !!! Francesco !!! :)
alors là, c'est trop beau !
je n'osais plus vous glisser un signe,
vous le dites en trois lignes, je suis d'accord avec tout.
Écrit par : frasby | lundi, 04 février 2013
Ceci est mon commentaire !
P.B.
Écrit par : Bouge | mardi, 05 février 2013
@Bouge : Ainsi soit-il !
Écrit par : frasby | mardi, 05 février 2013
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