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mardi, 02 juin 2015

Refuges

La bonne heure, si il en reste sur cette terre, elle est dans la patience de l’arbre qui n’a pas d’intestin et qui souvent inquiète l’homme, ce sale animal qui a tant de besoins.

CHOMO (alias Roger-Edmond Chomeaux)

refuges,chomo

Dans les bois d’Achères, Roger-Edmond Chomeaux alias Chomo (1907-1999) fils d'un marchand d'articles de pêche, et digne héritier d'une tante spirite, a imaginé et bâti des constructions étranges pour abriter le peuple de ses sculptures. Chomo le solitaire perdu en Seine et Marne, initiateur d'une forêt préludienne avait écrit le parcours de son domaine qui s'ouvrait par ces quelques mots, simples et grinçants:

Vous qui entrez ici, vous n'êtes pas certains d'en sortir.

Des petites phrases de ce genre, orthographiées phonétiquement, Chomo en parsema au coeur de son domaine où se trouvaient, ses sculptures et ses bâtiments étiquetés "Art Brut"Chomo, lui s'est autoproclamé (à juste titre) l'inventeur d'un environnement dévoué au vivant en toutes ses formes d'enchantements, qu'il baptisa "Art préludien". Depuis la disparition de l'artiste, la forêt s'en est peu à peu retournée au silence, du moins elle a perdu les petites phrases manuscrites disposées en ces nombreux chemins, où l'on trouvait parfois de naïfs questionnements tel celui-ci (retranscrit ici en orthographe "normale"):

Quelle empreinte auras-tu laissé sur la terre pour que ton Dieu soit content ?

Les descendants de Chomo ont aujourd'hui rangé à l'abri de multiples sculptures afin qu'elles ne soient ni volées, ni dégradées, il reste encore à voir trois lieux dont les noms ouvrent à la délectation de cet étrange royaume: "Le sanctuaire des bois brûlés", "l'Eglise des pauvres""Le refuge". Tous, sont des témoignages de quarante ans d'un ouvrage jouissif et patient, érigé en proposition de vie. L'ordinaire de Chomo c'est la transmutation du lien précieux avec les éléments qui rendent à l'environnement sa part de magie initiale, et peut-être émettront longtemps plus tard (avec notre permission) de fines ou dérisoires lueurs de paradis perdu.

Chomo n'était pas un artiste d'art brut comme certains inspirés de visions sublimes dictées par la folie, au contraire très conscient de ce qu'était le monde de l'art, Chomo avait appris, il avait acquis une formation rigoureuse à l'école des beaux arts de Paris, raflant les premiers prix de sculpture, il avait même gagné sa croûte (si j'ose dire) assez bien au début de sa vie en taillant des pierres tombales, conseillant la clientèle dans une maison de laine, dessinant des tapis etc, il fût aussi très marqué par la guerre qui l'emporta en Pologne où emprisonné au stalag il revint par miracle, avec quelques dessins très rares. Son oeuvre, "le sanctuaire des bois brûlés" porte sans doute cette mémoire d'un jour affreux où Chomo avait vu un camion rempli de soldats carbonisés au napalm.

Dans les 60's, Chomo exposa à Paris et il fût remarqué par des artistes reconnus prêts à le promouvoir, Jean Cocteau (que Chomo injuria copieusement), S. Dali, A. Breton, H. Michaux (lequel, dit-on, entendit Chomo lui dire en style-Chomo, qu'il "puait le cadavre"), Anaïs Nin, et Picasso furent eux aussi enthousiastes devant les oeuvres de Chomo qui n'avait rien à faire de voir des artistes confirmés lui assurer que ses oeuvres pourraient connaître un grand succès, Chomo envoya tout balader la promo future, le beau relationnel, y compris les acheteurs, il ruina volontairement les négociations les plus prometteuses, fit annuler les ventes, son premier et dernier galeriste Jean Camion rapporte les réactions spontanées de Chomo qui observait d'un oeil extra-lucide le commerce et les ronds et jambes du petit monde de l'art engueulant son galeriste. Extrait pas piqué des hannetons:

 - Nom de Dieu, Camion, tu fais le marchand de fromages ? Foutez-moi le camp, Monsieur !

Voilà, ça c'est Chomo, lequel dans la foulée virera une prestigieuse Rothschild, mécène de la galerie qui aurait bien voulu lui acheter cinquante dessins. Ces vives réfutations certes facétieuses n'étaient pas de ces poses d'artistes qui font un coup d'éclat publiquement pour jouir d'un statut singulier ou sur quelque posture ou impostures exposées insolentes y engraissent les tirelires et la réputation ; d'autre part, le "statut" d'artiste maudit, quelque statut tout court, était le dernier des soucis de Chomo, cette histoire de classement ne l'intéressait pas, (et nous non plus). Chomo était un homme libre et entendait simplement le rester toute sa vie pour combler son désir, rien qu'oeuvrer à sa guise, et cela d'une façon irréductible, il se posa très vite contre l'institution en balançant ses phrases, il se montra constamment scandalisé que des collectionneurs souhaitent encore acheter ses ouvrages, il pestait, un éclat noir dans les yeux, une démarche nerveuse, grand corps sec, élégant dans son genre, Chomo n'avait pas besoin des critiques pour mener son royaume. Il n'était pas, non plus un ermite coupé de toute humanité, au contraire il accueillait les gens très bien, qui parfois le week end, visitaient son antre fantastique, s'il faut entendre par antre ce qui plus certainement s'appelle "une forêt". Mais si Chomo paraissait fou, ses idées ont toujours été bien précises quant aux fonctions de la création artistique:

L'art n'est pas fait pour être vendu

on ne vend pas ses prières,

une femme ne vend pas ses enfants.

Artiste d'art brut, ou simplement artiste pur (sans notion de puritanisme, of course) Chomo l'était à part entière pour ce désintéressement total au commerce, son tempérament artistique était irréductible d'une nature avec laquelle il créait ses merveilles, là, où d'autres se lamentent des laideurs de ce monde Chomo l'embellissait, en créant du nouveau, il désirait oeuvrer selon ses rites ancien, en symbiose avec les éléments, il voulait honorer la matière et tous les arts possibles créer son écriture, ouvrir d'autres univers à partir des rejets, écolo avant l'heure Chomo ne cessait de recycler, il désirait aussi se "décrotter des académismes", se faire initiateur de son art préludien sans trop de manuels théoriques il partageait aussi ses dons de guérisseur, Chomo à temps perdu soignait quelques voisins, il avait appris sérieusement ces bienfaits, et s'était passionné de chamanisme avec sa bonne tatan spirite.

Las des remous de la ville, des galeries et de la bienséance, il partit s'installer dans une bicoque au milieu des arbres, du côté de Fontainebleau, où sa femme possédait un terrain, en 1964, il créa un centre total d'art préludien aidé d'un voisin ingénieur en bâtiment, en 1966 Chomo décida de ne plus retourner à Paris, il passa son premier hiver dans la forêt, récupéra encore des objets et des matériaux sur les décharges, fit fondre des plastiques, en fût intoxiqué, et malgré quelques vives réticences alentour, il érigea un sanctuaire afin d'abriter ses sculptures sur un modèle d'anciennes maisons à colombages à l'aide de matériaux de récupération. Dans les murs Chomo sertissait des tessons, il imagina des vitraux où le soleil de sa forêt éclairait l'intérieur de reflets fantastiques, il édifia une église des pauvres ornée d'une rosace de fortune logeant des personnages bras en croix réalisés avec des bouts de verre recyclés, puis il créa "Le refuge", qui ressemblait à un navire échoué en forêt, il glana des tambours de machine à laver et sur le toit agença des capots d'automobiles.

Ici, en son refuge, les visiteurs du samedi et dimanche achevaient leur balade gaiement autour d'un pot voilà encore Chomo offrant l'hydromel (Hudromeli ou eau de miel en Grec) inspiré de ses abeilles car au delà de l'amour que Chomo vouait à ses ruches, l'hydromel n'est sans doute pas un choix si hasardeux. Pour piqûre de rappel, on sait que l'hydromel fût l'une des toutes premières boissons alcoolisées que l'homme ait bu sur terre. Chez les romains, le miel venait du paradis sous forme de rosée que les abeilles collectaient sur les fleurs, de même, dans le paradis celte coulait une rivière d'hydro­mel, enfin souvenons nous que les Walkyries remplissaient les cornes d'hydromel, durant le festin des dieux et les dieux- au pluriel- sont aussi chers à Chomo que l'humanité merveilleuse qui émane de ses oeuvres. L'artiste outré par le consumérisme vécut donc selon ses purs souhaits dans un dénuement absolu, et par ses dons de guérisseur, confectionnait des pansements au miel à ceux qui en avaient besoin, les abeilles l'aimaient bien semble-t-il, le galeriste (Roger Camion, toujours) mentionne dans le catalogue de l'exposition de la Halle Saint-Pierre ce jour de rite initiatique, où, la tête plongée dans une ruche, il entendait Chomo murmurer à ses insectes :

Zzzzzzz... Mes chéries, ne piquez pas mon ami Jean Camion, ne le piquez pas, soyez sages ! Zzzzzz...

Si les arbres morts et les matériaux de récupération entre les mains de Chomo semblent habités d'esprits, c'est que l'homme libre au milieu de ses arbres - verts, secs, humides, ou brûlés - avait trouvé pour vivre une seule planche de salut acceptable: le rêve, nourri de ces présences, merveilleuses, fantastiques ou troublantes, Chomo encore aujourd'hui laisse à ses visiteurs, de quoi fouiller "ses mondes", de quoi inspirer le désir d'en poursuivre les sentiers de diverses façons, afin de préserver la force de réaliser sur la terre ce qui sied à la fantaisie humaine. Laissant affluer pour de vrai son "prélude", Chomo restituait aux visiteurs la capacité d'en saisir l'évidence, il devait la traduire avec des mots très simples, qui toujours s'accordaient aux actions, de quoi donner à nos pavanes une joyeuse paire de claques. Ceci n'est pas une conclusion, je cite:

Je ne crée pas pour vendre. Je crée pour m’étonner.

 

 

Sites sur le thème:

l'incontournable mine: 

http://animulavagula.hautetfort.com/archive/2009/09/13/ch...

+ un détour au plus près de Chomo, par celui qui fût à la fois son ami et par ses écrits, un passeur idéal pour faire découvrir l'art préludien à beaucoup de gens qui en revinrent émerveillés, (et, j'en suis, grand merci à mister Danchin) à lire ci-dessous un entretien de Chomo avec Laurent Danchin, pour ne pas oublier qu'il est aussi le correspondant français de l'excellente revue "Raw vision", je relie ci-dessous un fragment d'entretien qui vaut vraiment le détour.

http://www.mycelium-fr.com/#/chomo-un-reve-2/3727863

 

Photo : au refuge de 'mes bois", pas tous brûlés, ou pas encore...

Là-bas © Frb 2015

mercredi, 28 novembre 2012

Le loup dans mon oeil gauche

"Je suis riche de pauvreté"

CHOMO alias Roger Chomeaux propos recueillis par Laurent Danchin in "Chomo" éditions Claude Simoën, 1978.

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Parler du royaume de Chomo c'est pour l'heure, une figure de prétérition, une préface pour vous dire que nous ne l'évoquerons pas ce jour ou très peu, l'univers de Chomo servant à ouvrir une fenêtre sur une autre manifestation, mais je reviendrai aux oeuvres de Chomo, prochainement puisque nous en aurons le temps et qu'il me paraît plus pressé de parler d'un spectacle donné par la compagnie de l'Iris, (et son théâtre villeurbannais) aujourd'hui bien connu, dont nous soutenons sans réserve les créations et la démarche exigeante au fil du temps, pour que l'art vivant le reste et puisse encore se partager simplement. Le theâtre de l'Iris, on le sait, en plus des nombreux spectacles qu'il propose et crée depuis des années, reste une mine d'explorations surprenantes, d'échanges entre des disciplines scéniques très différentes, où la rencontre avec les acteurs, les créateurs, les auteurs, offre une approche généreuse autant qu'une interrogation constante de la vie au spectacle et réciproquement. L'Iris a résisté contre vents et marées et continue à chercher et triturer dans l'humain, des sources classiques à contemporaines jusqu'à celles oubliées ou encore incréees avec un soin scrupuleux de réflexion, de transmission, le tout très accueillant.

Pour ceux qui souhaiteraient se rendre à ce spectacle (je vous le recommande chaleureusement) il s'appelle: "Le loup dans mon oeil gauche" pour ceux qui ne connaissent pas, ils trouveront le théâtre de l'Iris au 331 rue Francis de pressenssé à Villeurbanne, l'endroit ne manque pas de charme puisque c'est en 1988 que la Compagnie s'est installée dans un des derniers petits cinémas de quartiers alors que le cinéma permanent par exemple le "Fantasio" (premier cinéma à s'équiper du parlant, non loin du coin des frères Lumière, ô capitale du cinéma !) a vu depuis des lustres sa mémoire effacée, contre l'avis des habitants pour grossir la cité dortoir, il n 'en reste quasi aucune trace, quant à la création, aujourd'hui dans la rue de nos ateliers, les derniers îlôts artistiques, lieux d'échanges officieux sont déjà sous les bulldozzers, les notres frappés de servitude, c'est dire (-dits graissons-), par les temps qui courent, combien le lieu où l'Iris a choisi de poursuivre ses créations demeure précieux et nécessaire, il colle parfaitement avec l'esprit de son theâtre où la création résiste en peaufinant son art et souvent le fait voyager. Le projet initial toujours en évolution, le théâtre de l'Iris reste aussi un "passage" (au sens imagé du passeur) pour rencontrer des oeuvres et des artistes rares.

C'est encore la compagnie de L'iris qui vient nous offrir aujourd'hui une traversée aussi profonde qu'époustouflante dans l'univers singulier de l'art brut. Trop rarement célébré, on ne sait pas exactement quelle place lui accorder, lui qui semble n'en vouloir aucune. Il y a dans l'art brut des attraits mystérieux, des sentiers qui s'évasent...

Chaque jour à notre insu, des gens, des anonymes et inconnus dits "ordinaires", après ou avant leur travail, créent, dessinent, découpent, peignent, bâtissent, inventent, sculptent ou écrivent. Rien que de banal, direz vous ? Rien de plus extraordinaire au contraire, lorsqu'il ne s’agit pas de leur métier et que ce qu’ils font là, ils le réinventent totalement, sans l’avoir jamais appris. Passion, visions, transcendance, mais aussi désespoir et quelque fois maladie. 

Ce spectacle vaut la peine d'un petit déplacement (même dans le froid) puisqu'il est encore facile aux lyonnais (et à ceux de passage) de s'y rendre, à métro par la ligne qui mène direct de presqu'île à Laurent Bonnevay, il suffira de descendre à la station Cusset, et filer au theâtre, pour le plaisir de se retrouver "embarqué...  

extraits:

 Le facteur Cheval ramasse des cailloux sur les chemins, perdant quelque fois le courrier, 

Aloïse institutrice contrariée dans sa vocation de cantatrice tombe éperdument amoureuse de Guillaume II, elle écrit et dessine depuis,

Jeannot a inventé une machine à tailler les vignes, mais se fait voler son invention et se réfugie dans un autre monde, 

Jeanne se voue au spiritisme et à la divination puis dessine, brode et écrit le restant de sa vie en devenant Jeanne d'Arc,

Un autre Jeannot de retour de la guerre d'Algérie s'enferme chez lui pour sculpter un texte halluciné dans le plancher de sa chambre,

Jean-Pierre, quant à lui, nous révèle les origines de l'espèce humaine et du langage dans un Evangile de mille pages qu'il fait tirer à son compte et distribue gratuitement. Il y dévoile la Grande Loi cachée dans la parole et nous démontre la prodigieuse évolution humaine : l'homme descend de la grenouille ! 

La pièce a été mise en scène par Caroline Boisson et Philippe Clément, conçue et écrite par Philippe Clément d'après les oeuvres de Jean-Pierre Brisset, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Henry Darger, Jules Doudin, Henri Besse, Zdenek Kosek, Lobanov, Marmor, Petit Pierre, Simon Rodia, Jeanne Tripier, Walla, George Widener, Scottie Wilson, Adolf Wölfli etc…

Elle est servie par quatre acteurs (performers) éblouissants: Hervé Daguin, Martine Guillaud, Serge Pillot, Didier Vidal, chorégraphiée par Maryann Perrone, les costumes pas piqués des hannetons sont de Eric Chambon, le son et les lumières, tout est beau, mais, allez voir, le spectacle est jubilatoire et pas seulement, c'est un écho, une émotion, une exploration, (préludienne ?) ramenée du "pays" de l'art brut, celui-ci fût défini par Jean Dubuffet

ici, un extrait du manifeste de 1949, à propos de l'art brut:

Nous entendons par là, des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique dont le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe."

ou plus simple:

Les artistes d'art brut oeuvrent en dehors, sans références et souvent sans démarche intellectuelle.

Certes, il y a des grincements, il faut les éprouver de front. 

Ces créateurs sont par définition des exilés, le chômage, le vieillissement, la maladie, parfois le handicap peuvent en faire des exclus. Certains malgré tout ont inventé leur chemin où il se tiennent, on pourrait dire "au bord du monde". 

Si d'entre eux, quelques uns s'effondrent, condamnés à errer mentalement avec leurs créations, incapables de communiquer à quiconque leur langage mystérieux, d'autres sont parvenus à se reconstruire en s'exprimant dans cette marge grâce à l'art et à la création, pour le créateur d'art brut, l'idée de se glisser dans les programmes des musées ou autres n'est pas le but, les artistes d'art brut disposent d'une gratuité à laquelle nous sommes (principe de réalité oblige) assez peu disposés (quoiqu'on dise), les artistes d'art brut balaient par leur inspiration, les moues des sceptiques qui se demanderaient encore "l'art brut est-ce de l'art pas de l'art ?". Cela n'est pas le souci des artistes d'art brut. Leur vie même étant d'inventer un langage radicalement inédit et totalement dénué d'emprunts, leurs oeuvres ont à voir avec la pulsion, mais cette expression personnelle touche encore à l'universel, sans le secours de références (histoires de l'art, courants d'ismes etc...) jusqu'à ce que nous en éprouvions quelque fois le vertige, une sensation qui hésite entre la peur d'y contempler un puit sans fond et l'émerveillement enfantin devant quelque paradis retrouvé. Entre les deux autant de royaumes ou d'abîmes... L'art brut naît d'un élan vital qui tente encore d'échapper à la destruction à l'anéantissement et fait un retour sur ce que nous avons en nous de plus profond. 

Bien sûr, on pourrait signaler certaines démarches d'art contemporain comparables ou très proches de l'art brut, certains artistes ont clairement revendiqué l'influence de l'art brut sur leurs oeuvres, d'autres sont à la "limite" mais quelque chose distingue le créateur d'art brut de l'artiste contemporain (prompt à se situer dans un courant): c'est ce point de "désintéressement" dont l'artiste contemporain déplore quelquefois qu'il se soit délité, voir perdu, mais les artistes contemporains ont besoin tôt ou tard de reconnaissance et peut-être (ça ne se dit pas trop) de louanges, même s'ils affectent un esprit "désintéressé", ce désintéressement de l'artiste (plus ou moins proclamé) peut sincèrement exister mais il ne sera jamais le même que celui du créateur d'art brut, en cela, l'artiste contemporain est assez éloigné de l'artiste d'art brut, qui se passe de reconnaissance pour créer, il ne cherche aucune approbation culturelle ou sociale. Peut-être est-il vestale de cette part angélique qui manque à l'homme plus ou moins "adapté"...  (c'est une vue romantique, j'y mets quelques guillemets, il y en a de plus sombres), ce dont on ne doute pas c'est que l'art brut interroge au plus près l'acte de créer, et celui d'être au monde. Comment peut-on créer pour rien ? Et pour personne ? C'est une des multiples questions avec parfois celle des affres de l'univers mental et des frontières de la folie, de la raison - où ça commence ou ça finit ? L'art brut dérange sans vouloir déranger. Il y a bien une sorte de démarche ou plutôt de ressort, mine de rien, très puissant, chez l'artiste d'art brut, c'est le défi solitaire obstiné, qui prend forme quelquefois de quête obsessionnelle: puisqu'on se désintéresse à ce que sont ses oeuvres, eh bien ! soit ! le créateur d'art brut prendra sans notre permission la liberté de "tout dire" et de toutes les façons, sans qu'on accorde une responsabilité à ce qu'il dit, à ce qu'il est puisque précisément, on ne manquera pas de compétences pour le traiter de fou, ou moins encore, d'irresponsable.

(en guise d'introduction de Chomo à la pièce de Philippe Clément , le sujet reste à suivre...)

  
source et  pistes d'exploration pour l'art brut, ci dessous:
 
 
 
A propos de la pièce, "Le loup dans mon oeil gauche":

Il ne reste qu'un jour à peine pour découvrir cette pièce (surtout ne pas se fier à notre horloge ici en mode "jours de traîne"), un regret cependant, j'aurais aimé chroniquer cette manifestation beaucoup plus tôt, le spectacle est une pure merveille, mais je ne l'ai appris qu'à mon retour puisqu'avant je n'étais pas à Lyon et  je n'ai pas de nid faune, mais il n'est pas trop tard :
 
"Le loup dans mon oeil gauche" se joue jusqu'au 2 Décembre 2012 (c'est donc le dernier jour, ce dimanche; attention, pour la der des der, le spectacle commencera à 16H00 pétantes, il est prudent de réserver.
 
Pour des infos complètes, le petit nécessaire du Theâtre de l'Iris est à cliquer ICI 
 
Le programme du theâtre pour cette année, peut se télécharger (en pdf) encore ICI
 
 
Et Chomo dans tout ça ? Chomo, on va en reparler, en attendant, pour illustrer le thème toujours irisé, Chomo vous récite un poème:
 
 
 
 
 
Remerciements à Serge Pillot, la compagnie de L'Iris, abcd art brut.net, Laurent Danchin, Raw vision, et Paul pour leurs invitations, le partage d'une précieuse documentation, et toutes les précisions, liens, éclairages qui ont largement nourri ce billet.
 
Photo : Mon quincailler est un étalagiste d'art brut mais il ne le sait pas, lorsqu'on lui dit, il s'en fiche. A chaque saison, sa façon bien à lui, d'agencer ses vitrines semble s'éloigner des tiroirs ordinaires de la quincaille contemporaine, chez lui, pour trouver par exemple, un clou, il faut d'abord croiser quelques biches qui nous observent comme si nous n'avions rien à faire ici (quelle idée me direz vous, d'aller acheter un clou dans une quincaillerie ?) - ça c'est la biche qui le dit - ainsi, à chaque saison un nouveau peuple d'animaux occupe les lieux avec une vraie légitimité saisonnière (ça reste dans une logique bien plus intéressante que celle des vitrines de la fête des lumières mais je m'égare, pardon). L'année dernière, dans la vitrine, c'était des écureuils qui sciaient des fagots avec des scies sans lame auxquelles il manquait le manche, (un peu comme le couteau quantique de Lichtenberg, qui n'est pas brut du tout mais ça reste une idée de cadeau), mon quincailler a aussi une façon formidable de faire la promotion de ses outils z'et matériaux, tant pis pour le castor, mon quincailler est fier de ses scies, cette année, on ne boude plus les plaisirs, avec des si t'avais peur du loup dans ton oeil gauche, t'aurais deux biches dans ton oeil droit, et le quincailler qui te donnerait à la place du clou, des champignons en mousse plus vrais que toi pour ton dîner que tu mettrais dans ta brouette afin te promener en ville avec ton ourson sur ta tête ou pour les manger quand tu rentrerais le soir dans ta maison en pain d'épice, en attendant, que des promoteurs du village préludien te la construisent, mais au lieu de lire ces fadaises cours dont vite à l'Iris, voir le loup, si tu ne veux pas te faire effacer par l'anprinte...
 
 
Villeurbanne © Frb 2012 (avec l'aimable participation de Paul)