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lundi, 08 novembre 2010

Reflection

Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.

DYLAN THOMAS (1914-1953) extrait du recueil : "Ce monde est mon partage et celui du démon", éditions Points. Ecouter le poète ICI

autist0078.pngA la fin tu sors épuisé de ces mondes mais quelque chose encore resplendit que tu ne sais pas. On dit que les autres voient cela quand ils te croisent. Ils ne voient qu'en deça. Tu as si longtemps fait figure d'exemple. Lassé de vivre parmi leurs compliments qui t'attachaient encore, tu as usé ton esprit à écouter, des heures entières, toutes leurs conversations, tu as fait semblant d'y participer, tu as tourné des pages de magazines de sport, de mode, ou d'actualité. Tu resservais dans les dîners, toutes les phrases que tu y lisais, "les apéritifs dinatoires" qu'ils disaient ! et puis, tu t'es lassé, tu as pris des trains, tu t'es perdu dans des villes sans jamais sortir du pays. Tu as croisé des foules enragées, des esclaves dans des défilés, ou dans des bars, tu as laissé des personnages t'arroser d'alcool fort, te renvoyer une sale image. Tu t'es fondu aux steppes, aux lacs tout bleus, tout gris, pris entre l'horreur de tes pensées et la profondeur adorable d'autres nuits. Pendant que les Dieux impuissants de tes anciennes vies essayaient de te consoler, tu as désaxé ta pensée jusqu'à t'empaler aux limites, tout raisonnable que tu étais. Tu as raccordé ton corps à ton âme. Tu as chinoisé sur quelques détails. La jalousie te revenait. Engrangeant des rixes et des drames, les beaux corps te rendaient malade. Tu as dû voyager partout, peut-être, assis sur une banquette de deuxième classe côté fenêtres, dans le dernier wagon fumeur qui existait sur terre. Tu as fumé cigarette sur cigarette, tu as rempli le cendrier, tu as traversé un domaine ni familier ni étranger, tu t'es retrouvé longtemps l'esprit entre deux paysages, des kilomètres interminables sur un viaduc qui s'effondrait, tu t'es penché par la fenêtre, la dernière fenêtre qui s'ouvrait, de ce train qui irait à la casse, après toi, après ton ultime traversée, c'était écrit d'avance, du moins à cet instant, il te fût bon de l'ignorer, ou bon d'ignorer que ce mal te serait ensuite profitable. Tu as pris la mesure des battements de ton coeur en te penchant sur les ruines du viaduc qui tremblait pendant que le train prenait de la vitesse, tu as pleuré comme un enfant submergé par l'angoisse dans une chambre sans lumière, tu as eu peur à cet instant que le viaduc ne puisse pas supporter le poids du train, ton propre poids, coupable de ce déséquilibre, tu as eu peur de regarder ta mort en face tu l'as vue et tu l'as ressentie dans ton corps pendant que ta vie entière défilait, te revenaient les images imbéciles de vacances à Romorantin, le souvenir du corsage à pois blancs d'une cousine que tu détestais. Pendant ce temps le train aura passé l'obstacle, le viaduc derrière toi sera loin, en l'oubliant il deviendra comme réparé, tu oublieras avec le temps, tu te retrouveras dans la neige, un paysage immaculé, recouvrant ta mémoire ancienne, tu rencontreras celle qui mène ta vie au degré le plus pur d'immaturité. Une source de rayonnement stellaire, un peu de sucre cristallisé semé en une infinités de manières, le grain fin de cet allègement te donnera un air souverain. Plus tard, tout seul, avec ta pelle, ton rateau, tes outils d'enfant, tu tenteras dans le sable aussi fin que la neige de construire un vrai château avec des oubliettes pour deux. Tu te dis que tous deux réfugiés dans un coin, il ne pourra rien t'arriver, elle ne saurait aisément t'échapper, tu auras jour et nuit l'oeil sur elle, et sans même savoir si elle consent à te suivre, tu iras la chercher, tu forceras sa porte, et l'emmèneras très loin. Loin de ses amis, loin de tes chaînes. Tu feras le vide autour d'elle. Tu seras épuisé peut être, mais c'est cela qui resplendit, comme si le déplacement de ces vies t'amenait à un certain flou, toi, unique au milieu de tes constructions, tu contempleras une figure, au contour estompé, marquée par un regard immense uni à ta propre terreur, aux créatures que tu inventes pour les glisser en elle, rêvées incessamment crayonnées dans la peine, comme si la netteté de toutes les expériences, la même expérience à chaque fois, devait se découper en milliers de petits lambeaux tous identiques, recousus à la perfection. Et ce don se reflète en toi, te dédouble ou te multiplie, tandis que l'autre, elle disparaît, couchée sur ta peau de chagrin.  Elle ne pourra jamais retourner d'où elle vient. Tu veilles au grain. C'est bien la seule histoire possible. Une création fabriquée  pour en rêver la vie entière qui exige en retour un très grand sacrifice humain afin d'apaiser la terreur de ce jour où tu te vis mort, englouti sous les pierres d'un viaduc, repoussé au dehors, glissant dans l'espace glissant éternellement, ton esprit dans l'espace et ton corps qu'on ramasse à la petite cuillère entre des rails, ton apaisement, tu lui donnes un autre nom, c'est l'amour, comme si tous ces souvenirs que tu couvres de fanfreluches avaient trop longtemps affamé cette histoire, plus floue dans le monde alentour, tu regardes tout cela comme un phénomène étranger à toi, un principe d'irréalité, ta vie entière est noyée d'encre, cette vague qui toujours te revient, désintègre ta réflexion ; à mesure que tu réalises  et mets à jour tes songes, tu vois grossir la peau de chagrin et tu ne peux plus arrêter cela, malgré ta volonté, ce cauchemar inversé qui condense ton amour en ce point minuscule, résumé, ou perdu au milieu d'un tapis, le dessin de plus en plus volumineux refermera l'espace, il suivra vaguement le trajet d'une ligne disparue, les arcs tendres, délabrés, d'un viaduc accroché au flanc de la montagne, mais tu as beau chercher, faire marche arrière, cela ne te rappelle rien de précis, rien que tu aies jamais connu.

 

 

 



Photo : Jeux de pluie entre deux mondes tout comme figés, le ciel à terre se transforme en peinture de fleuve ou d'autre chose. photographiés après l'ondée, dans une ruelle sinistre pas loin du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, début Novembre.© Frb 2010.