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mardi, 24 novembre 2009

Les belles f(r)ictions

"Ceux qui n'ont pas exigé, un jour au moins, la virginité absolue des êtres et du monde, tremblé de nostalgie et d'impuissance devant son impossibilité, ceux qui, alors, sans cesse renvoyés à leur nostalgie d'absolu, ne se sont pas détruits à essayer d'aimer à mi-hauteur, ceux-là ne peuvent comprendre la réalité de la révolte et sa fureur de destruction."

ALBERT CAMUS. "L'homme révolté". Editions Folio 1995.

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Une nuit, au moins, en fouillant sous le ventre d'un caillou, vint une rumeur de vies anciennes, au cratère, des lamentations, et l'odeur encore fraîche de quelques corps calcinés après un combat révolu (disait-on) dont l'ultime précision, quelques détails réels, se délitaient à mesure que nous classions par ordre de grandeur chacune de nos révolutions. Une nuit, au moins, je sentis ces démons brûler méthodiquement la terre, rouler doucement sous les maisons, se rassasier des chairs que nous laissions tomber avec nos ombres. Vieilles canines de chiens, rêves lunaires, anciennes peaux...

Sous une pluie malodorante passaient les amours mortes. Et là, juste au dessus de ma tête, le crin crin d'un libre électron pris dans le tournis de son cercle remisait l'avenir de l'homme, avec sa femme. Tous deux, penchés sur la rambarde du balcon de la maison moderne, me regardaient tisonner les pierres, frictionner cette tombe d'où remontaient quelques aïeux entourés d'elfes noirs... Dans l'enclos de cette rue bordée comme un jardin, de cyclamens pâles et de géraniums sanguins, j'imaginais les grands espaces. Des musiques muettes inventant le feu à l'archet. De quoi griller la mémoire courte... De quoi remuer le vieux bois, de quoi inviter les revenants à se coucher dans le lit des vivants. Coeurs ignifuges à dégommer d'une caresse épouvantable, fine comme du papier argent. La nuit n'offrant pas d'autre spectacle, l'homme et la femme s'en contenteraient.

Photo : Rue de l'Auguste, la nuit. Au hasard d'un chantier, cinq pavés se réveillent au fond d'un gouffre immense, ou, sur la colline qui travaille (et qui crie aussi), les fantômes, (ces anciens soulevés), préparent l'ex-futur incendie. Vu à Lyon, Croix-Rousse. Novembre 2009.© Frb