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mercredi, 27 octobre 2010

Nuit et jour (Part I)

Derrière le monde dans lequel nous vivons, loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde; leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre les deux scènes qu'on voit parfois au théâtre, l'une derrière l'autre.

SOREN KIERKEGAARD extr. "Le Journal du séducteur" (1843), éditions Folio 1990.

Pour lire la partie II de "Nuit et jour" vous pouvez cliquer sur l'imagboulange.JPGe

La nuit confond tous les langages. L'éloge et la pagaille qui vient après la fantaisie quand l'animal se rhabille en vitesse et va se consoler à la boulangerie, pour goûter dans la rue, le quignon d'une banette "Moissons". October précise l'avalanche. Toutes les villes grondent et je suis partout, à la fois, à Paris, à Brighton ou à Lyon, cherchant les brumes, je promène mon esprit sur un damier usé, beau comme un palimpseste. Je lis une lettre fauve ivre du grand secret, postée d'une tour endormie. 

 Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s’étonne, on s'étonne
Et on vous regarde ...

Je compte et je recompte, plus de mille et un jours, tant d'âmes se sont noircies. Les passions immobiles rendent leur brumes à l'aube ; sur elles les coucous pondent des théories issues des grandes industries. Les vrais professionnels ont horreur de la poésie. Un monstre habituel ouvre ce ventre et fouille dans nos petites horloges, piqué comme un monument de sottises, sucrant nos fraises juste après les émeutes. Plus haut sur la colline, un monde englouti de guimauve, butine un boulevard rongé de transes, on y croise parfois des vieillards, portant tous la même gabardine, assis sur des bancs, ils récitent avec des voix d'enfants l'alphabet à l'envers, disent cent fois le même souvenir. Les autres dans la maison du "quatrième âge", ("L'Hermitage" qu'elle s'appelle), ordonnent bien patiemment les syllabes d'un jeu, sur des tables disposées en rond et se gardent pour la bonne bouche le panier en osier, les violettes en papier crêpon. Le désordre des esprits est une splendeur à moudre, plus personne ne peut jouir tranquille, (même dans son coin), de toutes sortes de déréglements. Le monde est droit. On m'apprivoise. Plus personne ne pourrait trouver les rages du Cobra et des fauves au coeur de l'uniformité qui vient. Nous sommes codés mais pas encore détruits. En quête du dernier mot, nous tentons d'en sortir, tous-un-chacun conscients des ruines, et nul encore ne songe à recourir à l'alchimie : amalgame philosophique, aimant des sages, transmutation...

Le jour brûle et c'est un peu triste de penser à ce temps qui vient. Triste comme la jachère, nous nous appliquons à la tâche malgré tout et selon. Maintenir nos acquis puis dire "Je suis comme ça, il n'y a rien à y faire, pardi !", avec nos têtes de rats, nos têtes de chiens, d'oiseaux genre canaris ou vautours tapant du poing, beaux sur nos pattes, avec nos têtes de fouines, nos têtes de lapins blancs planqués dans des capuchons molletonnés, nos têtes de mort de ta race infidèle, nos têtes raides et fières, têtes d'eskimos glacés à la sortie du "Titanic" fondant bêtes comme chou pour une histoire d'amour qui finit mal ou bien, nos têtes à demi-notres sur des corps couverts de réclames. Nos bouches sont rouges de la colère, et du gloss des city-marchés, crachant des noyaux de cerise pour ces temps bousculés par les catastrophes présentes, par la tronche du Cribe et de la grosse Trischine qui s'en va déclarer à la télé sans le moindre sentiment de honte "je suis un être humain, j'ai un coeur comme tout le monde".

Le jour brûle, embrase tout, portant au poème un cuivre érodé par l'automne, quelques feuilles sur les ponts au dessus des fleuves et le feu prend juste entre les deux, tout en haut des tours éveillées, endormies, selon les heures, jour et nuit enfin liés par la note pincée d'une gigue sur une corde de luth nommée "chanterelle". Et le hasard m'attache aux choses infimes, en elles, j'espère être annulée. Je me balade sans rien penser puis je tombe sous l'enseigne de monsieur Chr. Rodrigue (il a du coeur, vous le saurez), par cette minuscule ruelle, courte et droite qui part de la rue de Brest atterrit à Mercière, en perpendiculaire avec vue sur la Saône et ses baigneuses lascives (j'exagère ! qui pourrait croire une chose pareille ?). J'achète un petit pain viennois constellé de pépites, j'interroge la marchande sur la texture du pain. Je lui dis que les oeuvres de Rodrigue m'intéressent, et soudain je me trouve transportée devant un four à pain. J'écoute le poème de la commerçante (la mie de Rodrigue ?), qui me chante avec des mots simples comment ce pain est fabriqué, "blanc comme la peau d'un nouveau né, onctueux à merveille, et croustillant autour ". Combien de nuits à transpirer pour mettre au point la dite texture ? Elle le dit, la marchande : "ce pain est fabuleux !". Elle fait sonner les adjectifs dans sa bouche, les alanguit, forçant mon air blasé, jusqu'à ce que mon entendement s'y soumette, me voilà désarmée, prête à livrer combat pour la mie tendre, la croûte dorée à point de ce "pain fabuleux". J'opine et je dis "oui !". Enfin, la boulangère ne peut dissimuler sa joie, elle m'emballe avec des gestes tendres, le pain dans un beau papier blanc, où Rodrigue a écrit, on dirait, de sa main, en fines lettres dorées des bribes d'une fable de La Fontaine "par l'odeur alléchée", jouxtant l'histoire de la "Banette", et sur cette note guillerette en caractères gothiques on peut lire au sommet : "Artisan boulanger". Ainsi, ma journée se trouve embellie et dans mon imagination envoûtée par l'endroit, je me surprends à transposer la tendresse infinie de la marchande et de son boulanger à 6,793 milliards d'êtres humains ; ce qui produit sur moi un effet quasi hallucinatoire démésurément empathique. Je sais bien que c'est une niaiserie, mais cette niaiserie suffit à faire de moi un être différent, entièrement pétri d'amour, pour quelques heures au moins...

Photo : L'enseigne et son poème, plans de vies parallèles, la vitrine de la boulangerie de monsieur Rodrigue, et juste derrière un autre monde moulé dans celui-ci. Photographié fin Octobre, sur la presqu'île dans le 2em arrondissement de Lyon. © Frb 2010.

vendredi, 08 janvier 2010

Tronche de neige 1

Ou le ravissement de l'hiver


Le petit bonhomme d'hiver serait sans doute encore plus ravi avec Melle la pleine lune mais comme Melle la pleine lune prend son goûter, je vous invite à aller l'admirer "du bout des doigts" sur le beau blog à Luc.

mardi, 13 octobre 2009

Dendromancie

"Si un tamaris est triste, l’intérieur du pays ne sera pas heureux"

AROUMS P468.JPGLa dendromancie est une branche de la botanomancie : il s’agit d’une divination par les arbres. Tout dans un arbre peut être observé à des fins d’interprétations mantiques dit-on. Le feuillage et son mouvement sous le vent, l’aspect extérieur, le bois même qui peut être disséqué de la même manière qu’un corps animal.
 La vigueur des pousses nouvelles, les craquements du bois, les prodiges apparus dans le tronc ou les branches.

Ainsi peut on lire dans l'ouvrage du Docteur G. Contenau ("la divination chez les assyriens et les babyloniens") quelques exemples de préceptes très anciens :

"Si un palmier est triste, le coeur des gens ne sera pas bon".

"Si un arbre épineux est triste, la santé des gens ne sera pas bonne."

(Voir ci-dessus le triste tamaris), entre autres...
 Nous retrouvons le tamaris dans la divination grecque, à côté du laurier d'Apollon, et des chênes de Zeus, sur la croupe du mont Tamaros à Dodone.
 La divination par le laurier a pour petit nom savant la daphnomancie. Le laurier, consacré à Apollon, (Dieu des prophètes et des devins) était aussi considéré comme symbole par excellence de la divination. On pouvait mâcher des feuilles de laurier pour atteindre un état de transe. (Il ne vaut mieux pas re-tenter l'expérience aujourd'hui, car les feuilles de lauriers sont toxiques à très faible dose, et parfois même mortelles). On pouvait aussi le faire brûler et observer les flammes, y lire peut-être quelque présage dans la fumée ? Plus tard, on confectionna les dés avec le bois de laurier, (dont certains possèdaient le pouvoir d’abolir le hasard, ça c’est moi qui rajoute). On pensait aussi qu’en mettant une branche de laurier près de la tête d’un homme endormi, on faciliterait chez lui, les rêves divinatoires. Quant aux chênes (pour en revenir à la pure dendromancie), les prêtres de l’oracle de Zeus à Dodone considéraient comme une prophétie le bruissement de leurs feuilles agitées par le vent. Homère a évoqué ces oracles de chênes devins dans "l'Iliade" et dans "l'Odyssée" :

"Seigneur Zeus, dieu de Dodone, dieu des Pélasges, dieu au lointain logis, qui règne sur Dodone où sévit de mauvais temps - et les Selles habitent à l'entour, tes interprêtes, qui, les pieds non lavés, couchent sur le sol !" (HOMERE - l'Iliade, XVI - v.234)

"Celui-ci me dit qu'Ulysse s'en était allé à Dodone pour écouter, dans la haute chevelure du chêne divin, les conseils de Zeus sur la manière de revenir au gras pays d'Ithaque, dont il était depuis longtemps, déjà éloigné." (HOMERE - L'Odyssée XIV, v.327)

Si l'on sait aujourd'hui que Dodone était l'oracle de Zeus, on oublie que l'oracle était aussi dédié à Dioné qui était autrefois considérée comme une puissance agraire et comme une déesse du chêne, l'arbre tutélaire de ce bois sacré. L'oracle de Zeus et de Dioné fût donc l'un des plus renommés du monde hellénique. Dès l’époque romaine et jusqu’à nos jours, on a volontiers attribué un arbre à une famille noble et puissante : une branche abattue par la foudre, une maladie du bois, des feuilles tombant prématurément étaient autant de présages d’un accident ou d’un décès dans cette famille. Souvent, de la mort de l’arbre tout entier, on pronostiquait la ruine ou la disparition de la famille. De nombreuses lignées seigneuriales en Europe ont vu leur sort lié à celui de leur totem végétal. Elles ne suivaient en cela que l’exemple donné par la famille romaine de Jules dont le bosquet de lauriers plantés par Auguste se déssécha à la mort de Néron.

Il faut voir là, une conception de la magie sympathique entraînant secondairement des conséquences divinatoires. Une telle notion rejoint le principe des totems, des attributs mythologiques, des animaux compagnons des saints dans l’iconographie médiévale, des statuettes de cire des sorciers de village etc... La dendromancie est profondément enracinée dans l’esprit humain et qui sait ? En de nombreuses superstitions qui parfois nous hantent tout bas...

Souvent je songe à ce chêne rouge que mon père planta le jour de ma naissance, dont la racine tenait dans le creux d'une main. Durant toute mon enfance je le vis grandir et puis me dépasser. Le chêne ne tarda pas à me dominer d’un bon mètre, puis de deux... Tandis que je lisais mes premiers "Oui-Oui" dans son ombre. Lorsque je découvris le "bateau ivre", le chêne rouge était un géant, il aurait dû survivre à ma génération et à celles qui suivraient. Mon père veilla longtemps sur sa tranquille maturité. Tant que le chêne rouge allait, tout irait. Puis il y eût d'autres livres et des feuilles plus sombres. Une nuit, l’orage foudroya notre chêne, brisa en deux parties nettes le tronc. Quelques jours après, on vit arriver la faucheuse.

Photo : Crépuscule aux oracles d'un dieu brésar vu près de la dame et ses génies (dont certains de l'agriculture) dans la mythique forêt Morand. Photographié à Lyon rive gauche. Au début de l'hiver 2008. © Frb