Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 29 novembre 2009

Petit à petit, l'oisif ...

Johnson - L’oisiveté engendre l’ennui.

Boswell - Si fait, monsieur, parce que les autres sont occupés, de sorte que nous manquons de compagnie. Si au contraire nous étions tous oisifs, nous n’éprouverions nulle lassitude ; nous nous divertirions les uns les autres.

JAMES BOSWELL (1740-1795). Extr. "La vie de Samuel Johnson". Editions "L'âge d'homme", 2002.

tranquille.JPG

En juillet 1877, Robert Louis STEVENSON publia un essai philosophique tout autant qu'une critique (dans la revue Cornhill Magazine) sur la société et sa relation au travail : "Une apologie des oisifs" disponible en français aux éditions Allia, en langue originale sous le titre : "An apologize for idlers". Dans l'esprit magnifique de R. L. STEVENSON, (et l'on notera au passage que nos politiques actuelles dites "de civilisation" n'ont pas encore atteint ce seuil extra de modernité, de bienveillance ; pour ne pas dire qu'elles s'en éloignent...), oisif ne signifie pas "ne rien faire", mais plus exactement (et dans le flou le plus espéré) : "faire des choses intéressantes" qui bien sûr, "échapperont aux dogmes de la classe dominante" il faut bien que l'auteur le mentionne un peu. STEVENSON s'en donne à coeur joie pour critiquer les "besogneux" et cette sacro-sainte valeur-travail, qui n'enlèvera pas pour autant aux humains leur insignifiance. Bien sûr, à présenter comme ça, par ce sujet louant l'être oisif, et qui caresse assez le sens du poil des paresseux, on pourrait vite verser dans la facilité voire dans la complaisance, mais l'imagination solaire (et pas seulement), de STEVENSON, son style digressif, profondément talentueux nous embarquent comme rien. Jamais docte, ni futile, STEVENSON connaît son sujet, évitant les écueils d'une séduction truquée, il se pose en passeur et plus encore, en éclaireur. Ses petits textes gagnent en saveur, quand on les lit, tête en l'air (c'est ainsi que lisent les oisifs), parfois, au bord d'un fleuve drainant tous les lumbagos de sa ville, juste en dessous du tintamarre et du dernier soupir dominical déjà voué aux astreintes de maître lundi. Ainsi ai-je dévoré le livre, sans y penser ! près de la cabane du pêcheur Honoré, fine comme l'aile de l'Anax imperator, tendre comme les pilotis de la maison d' Alceste, que vous finirez bien un jour par entrevoir dans quelque frayage buissonnier, à cette improbable croisée des mondes quand l'oisiveté devient un lit presque amoureux.

Sans réserve, j'adorerai toute ma vie STEVENSON qui me prit par la main un jour d'été afin que je puisse échapper à d'autres sortes de lectures, par exemple, celles de ces organismes qui déjà sur l'enveloppe raccolent votre culpabilité. Celles de ces structures qui vous demandent de leur rappeler ce que vous faites dans la vie, cocher des cases, fournir des preuves, remplir encore, et puis signer avec la date, exactement là, où c'est dit. Le tout "accompagné" par le nom de quelqu'un qui "suit votre dossier" (votre dossier numero tant est suivi par Madame Claude Vairolle) tandis que nous, avant que le papier ne soit posté, nous sommes déjà pris dans la peur des conséquences. Le dossier doit être renvoyé avant la date prévue, notée en gros (en rouge parfois) sinon, gare ! s'ensuivront de sourdes menaces aussi lourdes en malentendus etc... Rien que du très banal, mais du très banal de survie.

Pour avoir subi deux fois le même entretien dans une pièce sans fenêtre, couleur papier kraft, avec je ne sais quel employé diplômé dans les ressources sociales (c'est pas comme ça qu'on dit ?) asservi à vous "reclasser", (parfois on peut très mal tomber)... Pour avoir, par le commerce avec monsieur le subordonné, éprouvé quelques temps la certitude, qu'il fallait urgemment que je sois reclassée, ou que je meurs à petit feu voire sur le champ ; à moins, que j'accepte obligatoirement un autre entretien avec une subordordonnée supérieure et plus spécialisée dans les cas plus ou moins "sensibles" comme ils disent... N °456, deux heures de chaises en plastique orange un gros tas d'épaves dans mon genre tous diplômés des écoles d'art, des comédiens postulant pour figurer (en figurants) dans un futur "Louis la Brocante", des plasticiens portant à bout de bras, des books monumentaux remplis de photos d'installations en plexiglass qui n'intéresseront pas. Tous, présentables pour la carrière, au rendez vous de la dite chef des subordonnés. Pas de quoi pavoiser. N° 456 ? -" Oui, le 456 c'est moi ! bonjour madame !'. Rampant et lèchant le pied de mon sauveur : "bonjour madame la subordonnée supérieure  etc etc...".  Pour avoir foulé un instant le bureau d'une haute responsable de l'ANPE (lisez encore pour la poilade =  de "l'ANPE des artistes", il y a des jours où on se demande qui a crée ces mondes...), qui regarda une demie-seconde mon piteux Curricoucou.V que j'avais tapé à la machine toute la nuit , recommencé cent fois ... Face à cette dame très importante qui, ne comprenant pas le genre de diplôme que j'avais obtenu, me dit (en secouant sa grosse tête de lionne, emmanchée d'un petit cou de serpent à tordre) : "Vous ne comptez tout de même pas trouver un travail avec ce genre de diplôme là ?". Que dire ? Répondre - Ben si !" serait d'une insolence... Donc écouter. Oui. "Chercher la solution ensemble", comme elle disait. "La solution, (ensemble ) c'est de vous envoyer au bureau de l'anpe normale pour un reclassement, voilà tout !". Que dire encore ? Répondre que j'en revenais tout juste, et que c'était même le subordonné, son inférieur de "la normale", qui m'avait envoyée ici ? C'aurait été d'une imprudence ! Ainsi, ai-je durant des jours (semaines ? mois ?) gaspillé ma jeunesse en cheminant, de l'anpe "normale" à l'anpe des "artistes", (c'était le temps où rien n'était regroupé, aujourd'hui ça a fusionné, l'idée est d'ailleurs formidable !!!) pour trouver (ah, j'ai oublié de le mentionner, pardonnez moi), pour trouver un travail. A la base c'était ça l'idée. Trouver un travail. Voilà.

Pour avoir vendu des espadrilles invendables dans une vague chausseria de la fosse aux ours (on en rit encore, moi pas vraiment), pour avoir classé des barboteuses par ordre alphabétique dans un magasin du genre Grobaby rue de la Barre, pour avoir emballé des éléphants imitation Ganesha en pseudo bois écolo-gaga (méfiez vous des imitations !) et des bougies idiotes aux vertus relaxantes à l'Hippopotashop du grand centre commercial la part-Dieu par la grâce du reclassement et de mes diplômes prestigieux... Pour tout cela, oui, sans réserve j'adorerai toute ma vie STEVENSON, qui, par ses beaux écrits me l'a en quelque sorte sauvée. La vie. Je veux dire la vraie. (Pardonnez la syntaxe), et par la grâce... (La vie, encore ! n'est pas si mal foutue, au final) de mon "supérieur hiérarchique" = oyez ce terme qui sonne diable ! comme une tautologie à en tartuffer les babouines et les babouins qui se disputent leurs Kinder bueno autour d'une machine à café ; mon patron, donc, (restons simples)  du magasin de la fosse aux ours, qui n'était pas un mauvais patron (j'adore le patronat !), juste un monsieur âgé, genre vieux singe fatigué par sa propre grimace, qui avait pris la peine (tout de même!) de lire en entier mon "parcours", me convoqua dans son bureau un jour d'été pour m'annoncer : "Enfin je ne comprends pas, vous n'avez rien à faire ici", j'ai répondu "ben oui je sais bien ! et puis de fil en aiguille, comme j'étais plus ou moins virée, nous bavardâmes un brin, le monsieur, m'avoua qu'il s'ennuyait assez dans son métier qu'il avait plus ou moins choisi et qu'il se préparait un départ avant l'âge, pour se retirer à tout jamais, dans les Cevennes afin de passer ses jours à se promener et lire ses auteurs préférés, drôle de destin pour un roi de l'espadrille.... De là il me parla du "Voyage avec âne dans les Cevennes" puis de fil en aiguille d'un autre petit livre... C'est un comble, mais grâce à cet homme admirable, je découvris les pensées de STEVENSON et par delà cette très fugitive apologie du patronat, celle des oisifs.

Ainsi effeuillant au plus loin, une biographie de chausseria, les affres de petite quotidienneté, j'aimerais, vous présenter monsieur STEVENSON (faites entrer !). Au grand luxe des flemmes, sous un soleil d'automne baillant dans un ciel doux un peu lacté, de l'heure du coq à l'heure du chien, sur des rives aquarellisées, quand chaque fraction de secondes, entrent toutes en béatitude et peignent la girafe aux frais de l'empereur. Monsieur STEVENSON en personne traverse la grande allée, pour nous montrer les beaux sentiers, en déchirant nonchalamment quelques dossiers, et autres pages un peu tâchées...

"Une apologie des oisifs". Extrait :

"[...] Je n'ai pas le temps de m'étendre sur ce formidable lieu d'instruction qui fût l'école préférée de Dickens, comme de Balzac, et d'où sortent chaque année bien des maîtres obscures dans la science des aspects de la vie. L'élève qui fait l'école buissonnière [...] peut tomber sur un bouquet de lilas au bord de la rivière et fumer d'innombrables pipes en écoutant le murmure de l'eau sur les pierres. Il entend un oiseau chanter dans les halliers et là, il se laisse aller à des pensées généreuses et voit les choses sous un jour nouveau. Qu'est ce donc si ce n'est de l'instruction ? [...]"

BRESAR_ 1.JPGNota 1 : Toute ressemblance avec des situations réelles, ou des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite et indépendante de ma volonté.

Photo 1 : Le pêcheur Honoré, au bord de son fleuve sacré, pêchant pour rien. Vu côté berges du Rhône, à l'heure du coq.

Photo 2 : Un autre petit coin de berge, et son brésar déplumé photographié par l'oisive même, juste après le départ d'Honoré, à l'heure du coq, s'acheminant cahin- caha, vers l'heure du chien. Lyon. Avant-  Dernière de Novembre 2009. © Frb.

Nota 2 : Pour des raisons bêtement techniques, je suis désolée de ne pouvoir actuellement, visiter, les blogs amis autant que je le souhaiterais. Je vous remercie ô commentateurs ! de venir ajouter un grain extra, au jour le jour, à  C.J. et j'ose espérer, être en mesure de reprendre à loisir, ces balades virtuelles, appréciées aux domaines kamarades.