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lundi, 04 janvier 2010

Appréciation du jour et des saisons

Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

CHARLES BAUDELAIRE : "Brumes et pluies" in "Les fleurs du mal", éditions Gallimard 2005.

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Le cycle saisonnier a obsédé le XVIIIem siècle. La fin du XVIIIem siècle et le début du XIXem se sont révélés décisifs. On commence à lire dans les journaux et les carnets, l'accord entre l'être intime, le sentiment du moi et les évènements météorologiques. "Les baromètres de l'âme" pour citer notre ami Jean Jacques qui s'appliquait à capter l'éphémère. Une correspondance s'établit entre la variabilité de l'être et celle de l'état du ciel. Le nuage, la brume ou la pluie affectent profondément l'être. Les carnets de JOUBERT sont un exemple parmi d'autres. Il  nous a légué des pages étonnantes de modernité sur les sentiments éprouvés par l'individu sous l'averse.

Lors d'une enquête réalisée à la fin des années 90 de notre siècle sur le brouillard par Lionnette Arnodin "A la poursuite du brouillard, énigmes et mystères", 275 individus furent interrogés, afin d'analyser la manière dont ils percevaient le brouillard. Pour beaucoup, le brouillard paraît coloré. Les personnes interrogées utilisent fréquemment le suffixe "âtre" (Blanchâtre, grisâtre, bleuâtre), il est perçu sans odeur, tout au plus il peut évoquer l'humus, odeur de terre que l'on croit respirer. Il constitue plutôt un moment pour les hommes et un lieu pour les femmes. Il est apprécié parce que doux, moelleux, ouaté mais aussi esthétique, poétique, silencieux. Il est "L'effaceur de ce que l'on ne veut pas voir". Il n'est pas apprécié, parce qu'il est froid, dangereux, hanté, évoquant les cimetières et la mort, porteur de signes mystérieux qui inspirent la crainte. Il semble plutôt lié au diable qu'à Dieu. On l'associe souvent à la fumée, à la ville de Londres, aux fantômes et aux labyrinthes. Il inspire une peur archaïque parce qu'il isole, masque, étouffe, absorbe. Les enfants détestent le brouillard, les hommes l'apprécient peu, les femmes l'apprécient davantage. Le plus intéressant, c'est qu'il n'existe guère de rapport entre la réalité du brouillard et sa représentation. Par exemple, il est moins fréquent en Bretagne que sur la côte d'azur, il n'est pas aussi présent qu'on le croit en Angleterre  bref ! (je vous épargne la carte du monde). De toute évidence nous nous sommes construits une géographie du brouillard, qui est en fait, une géographie imaginaire issue probablement de nos lectures. On s'imagine qu'il y a du brouillard dans les contes, alors qu'il y en a peu, mais par contre la forêt dans les contes est toujours présente or il nous plaît d'associer le brouillard à la forêt. On s'imagine qu'il y a brumes et brouillard dans les oeuvres de SHAKESPEARE, alors que l'auteur l'a rarement spécifié. Même chose dans les romans de CONAN DOYLE, "Le chien des Baskerville" (pour ne prendre qu'un exemple au hasard) ou pour "Le Grand Meaulnes". Peut être parce que notre esprit se représente toujours SHAKESPEARE avec des fumigènes ? Et que dans un "Grand Maulnes" (du genre vu à la télé, ou au ciné) il y a du brouillard, effectivement. L'appréciation dépend aussi beaucoup du vocabulaire. Celui qui définit les météores en différentes langues n'est pas si précisément transposable. Dans la "Divine Comédie", il est question de "fumi" que l'on traduit tantôt par fumée, tantôt par brume, ou encore par brouillard. Le brouillard est féminin dans certaines langues, masculin dans d'autres. Le brouillard a aussi longtemps été associé à la nuit, figurant le lieu des sorcières. Dans la littérature de HOMERE à nos jours, il symbolise une frontière entre le sacré et le profane. Il augure le passage dans l'au delà. Il sépare la terre du paradis. Il permet l'accès à un monde où se retrouvent ceux qui ont manqué à leur parole, ceux qui ont été infidèles en amour. Enfin, le brouillard nous signifie l'ensevelissement, la pénitence, le châtiment. Mais ce que je préfère dans le brouillard, c'est son aspect délimité sous formes de lambeaux ou nappes, son étrangeté peuplant notre imagination de créatures improbables. Cette béance de la croûte terrestre, ouvrant un monde où les génies, la dame blanche, les lavandières de la nuit... les vaisseaux fantômes,  ou les arbres gommés, quasi pantelants, quêtent un lent supplément à la nuit, et invitent insidieusement l'homme à vouer son âme au purgatoire.

Un certain jour (pas trop promis) je vous parlerai peut-être de la pluie, de l'ouragan, ou de la neige si la Dame blanche ne me mange pas.

Ces notes ont été largement tirées du livre d'Alain CORBIN "L'homme dans le paysage" paru aux éditions Textuels (2001), dont vous trouverez quelques extraits : ICI

Variation sur un même thème, à voir :

http://www.dailymotion.com/video/x24p1i_nuit-et-brouillar...

http://www.youtube.com/watch?v=1djGyCj1vCk

http://www.youtube.com/watch?v=26DRA09tTik

Et comme tout finit par des chansons, à écouter :

http://www.deezer.com/listen-288401

http://www.youtube.com/watch?v=NqlpymCyGu0

Photo: La naissance du brouillard photographiée au pied du mont St Cyr en Nabirosina. Le 04 Janvier 2010 .© Frb.