Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 16 avril 2013

La fleur bleue de Novalis

Je n’ai jamais rien éprouvé de pareil : c’est comme si j’avais vécu en songe jusqu’à présent, ou encore comme si j’étais passé en dormant dans un autre monde ; car dans celui où je vivais d’ordinaire, qui donc aurait prêté attention aux fleurs ? Quant à une passion aussi insolite pour une fleur particulière, je n’en avais jamais entendu parler auparavant.

NOVALIS : extr. Henri d’Ofterdingen, traduit de l’allemand par Marcel Camus, éd. GF Flammarion, Paris, 1992. 

myosotis.jpg

Tout commence ainsi :

le fils de baron Friedrich Von Hardenberg, alias Novalis nom de plume, décrit un rêve de jeune homme, dans son sommeil, il découvre un bassin aux ondes chatoyantes :

Aussitôt, un souffle intérieur le parcourut tout entier, le réconfortant et le désaltérant. Pris d’un irrésistible désir de se baigner, il se dévêtit et descendit dans le bassin. […] Une sensation céleste inonda son cœur […] Et chaque vague de l’adorable élément se pressait contre lui comme une gorge amoureuse.

Le jeune homme s'ouvrit à l'illumination et dans sa nuit rêveuse, eût une autre vision

Il se trouvait à présent étendu sur une molle pelouse au bord d’une source qui jaillissait dans les airs et semblait s’y consumer. Non loin de là, s’élevaient des roches bleuâtres aux veines diaprées. Le jour qui l’entourait lui parut plus clair, plus doux que de coutume ; le ciel, bleu noir, était d’une pureté absolue. Mais ce qui l’attira d’une manière irrésistible, ce fut, dressée au bord même de la source, une grande Fleur d’un bleu éthéré qui l’effleurait de ses hauts pétales éclatants ; autour d’elle se pressaient des milliers de fleurs de toutes les couleurs et dont les suaves parfums embaumaient l’air. Lui, ne voyait que la Fleur bleue, et longtemps il la contempla avec une indicible tendresse. Mais quand il voulut enfin s’approcher d’elle, elle se mit à frémir et à changer d’aspect. Les feuilles, de plus en plus brillantes, se serraient contre la tige qui croissait à vue d’œil ; la Fleur se pencha vers lui : parmi les pétales qui formaient une sorte de collerette bleue, flottait un tendre visage… Son émerveillement grandissait avec cette étrange métamorphose quand soudain la voix de sa mère le réveilla et il se retrouva dans la chambre familiale que dorait déjà le soleil du matin.

blue f j.jpg

Je me garderai de vous livrer les interprétations des métaphores sublimes nées dans l'esprit du rêveur Henri d’Ofterdingen, dont vous pourrez apprécier plus vastes scintillements ICI ; je n'étriperai pas d'analyse sigmundienne ou jungienne, ces passages de pure grâce afin de ne pas dévoyer ni trahir la beauté suggestive insufflée par l'auteur, et que vienne à chacun cette folle idée d'unir sa vie à ce printemps portant nos figures pâles dans la campagne fraîche. Puissions nous pressentir la puissance alchimique qui bouleverse les coeurs au point qu'il n'est plus d'autre façon d'imaginer vivre autrement que couché au milieu des fleurs, qui sont toutes bleues quoiqu'on dise, sauf peut-être le myosotis qui est rouge comme le sang offert au saccage pictural des chants surréalistes, ils vénéreront avec d'autres, bien plus tard, la grande modernité des romantiques allemands et les oeuvres visionnaires de Friedrich Von H. alias Novalis, du bleu de la fleur au bleu lumineux de la nuit dont nous nous parerons sans doute.

 

Nota : Les conditions impérieuses du petit monde du myosotis se devant toutes d'êtres remplies, par défaut d'entrer dans le rêve du vieux siècle romantique, nous pouvons prier pour la fleur afin qu'elle ne s'étiole pas trop tôt entre nos mains frondeuses, ou dans nos coeurs gros et avides. 

 

Photo : corolle ouverte, accueillants mais farouches et bizarrement difficiles à photographier, Les mini coquelicots de l'Himalaya ont aimablement posé sur ma pente (et pour vos cimes, en tout bien, tout honneur), si par chance là où qu'il soit, (avec des si), Novalis, feu poète nous faisait la fleur (qui tient notre malheur) de nous rêver au profond de ses nuits plus impérissables que nos jours... Je ne termine pas la phrase, le mystère a son charme.

 

Nabirosina : © Frb 2013

vendredi, 12 février 2010

Le miroir des simples âmes

"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"

MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.

simple28.JPG

Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.

A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.

L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui  par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.

l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.

Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.

A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...

Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.