Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 28 novembre 2012

Le loup dans mon oeil gauche

"Je suis riche de pauvreté"

CHOMO alias Roger Chomeaux propos recueillis par Laurent Danchin in "Chomo" éditions Claude Simoën, 1978.

automne.jpg

Parler du royaume de Chomo c'est pour l'heure, une figure de prétérition, une préface pour vous dire que nous ne l'évoquerons pas ce jour ou très peu, l'univers de Chomo servant à ouvrir une fenêtre sur une autre manifestation, mais je reviendrai aux oeuvres de Chomo, prochainement puisque nous en aurons le temps et qu'il me paraît plus pressé de parler d'un spectacle donné par la compagnie de l'Iris, (et son théâtre villeurbannais) aujourd'hui bien connu, dont nous soutenons sans réserve les créations et la démarche exigeante au fil du temps, pour que l'art vivant le reste et puisse encore se partager simplement. Le theâtre de l'Iris, on le sait, en plus des nombreux spectacles qu'il propose et crée depuis des années, reste une mine d'explorations surprenantes, d'échanges entre des disciplines scéniques très différentes, où la rencontre avec les acteurs, les créateurs, les auteurs, offre une approche généreuse autant qu'une interrogation constante de la vie au spectacle et réciproquement. L'Iris a résisté contre vents et marées et continue à chercher et triturer dans l'humain, des sources classiques à contemporaines jusqu'à celles oubliées ou encore incréees avec un soin scrupuleux de réflexion, de transmission, le tout très accueillant.

Pour ceux qui souhaiteraient se rendre à ce spectacle (je vous le recommande chaleureusement) il s'appelle: "Le loup dans mon oeil gauche" pour ceux qui ne connaissent pas, ils trouveront le théâtre de l'Iris au 331 rue Francis de pressenssé à Villeurbanne, l'endroit ne manque pas de charme puisque c'est en 1988 que la Compagnie s'est installée dans un des derniers petits cinémas de quartiers alors que le cinéma permanent par exemple le "Fantasio" (premier cinéma à s'équiper du parlant, non loin du coin des frères Lumière, ô capitale du cinéma !) a vu depuis des lustres sa mémoire effacée, contre l'avis des habitants pour grossir la cité dortoir, il n 'en reste quasi aucune trace, quant à la création, aujourd'hui dans la rue de nos ateliers, les derniers îlôts artistiques, lieux d'échanges officieux sont déjà sous les bulldozzers, les notres frappés de servitude, c'est dire (-dits graissons-), par les temps qui courent, combien le lieu où l'Iris a choisi de poursuivre ses créations demeure précieux et nécessaire, il colle parfaitement avec l'esprit de son theâtre où la création résiste en peaufinant son art et souvent le fait voyager. Le projet initial toujours en évolution, le théâtre de l'Iris reste aussi un "passage" (au sens imagé du passeur) pour rencontrer des oeuvres et des artistes rares.

C'est encore la compagnie de L'iris qui vient nous offrir aujourd'hui une traversée aussi profonde qu'époustouflante dans l'univers singulier de l'art brut. Trop rarement célébré, on ne sait pas exactement quelle place lui accorder, lui qui semble n'en vouloir aucune. Il y a dans l'art brut des attraits mystérieux, des sentiers qui s'évasent...

Chaque jour à notre insu, des gens, des anonymes et inconnus dits "ordinaires", après ou avant leur travail, créent, dessinent, découpent, peignent, bâtissent, inventent, sculptent ou écrivent. Rien que de banal, direz vous ? Rien de plus extraordinaire au contraire, lorsqu'il ne s’agit pas de leur métier et que ce qu’ils font là, ils le réinventent totalement, sans l’avoir jamais appris. Passion, visions, transcendance, mais aussi désespoir et quelque fois maladie. 

Ce spectacle vaut la peine d'un petit déplacement (même dans le froid) puisqu'il est encore facile aux lyonnais (et à ceux de passage) de s'y rendre, à métro par la ligne qui mène direct de presqu'île à Laurent Bonnevay, il suffira de descendre à la station Cusset, et filer au theâtre, pour le plaisir de se retrouver "embarqué...  

extraits:

 Le facteur Cheval ramasse des cailloux sur les chemins, perdant quelque fois le courrier, 

Aloïse institutrice contrariée dans sa vocation de cantatrice tombe éperdument amoureuse de Guillaume II, elle écrit et dessine depuis,

Jeannot a inventé une machine à tailler les vignes, mais se fait voler son invention et se réfugie dans un autre monde, 

Jeanne se voue au spiritisme et à la divination puis dessine, brode et écrit le restant de sa vie en devenant Jeanne d'Arc,

Un autre Jeannot de retour de la guerre d'Algérie s'enferme chez lui pour sculpter un texte halluciné dans le plancher de sa chambre,

Jean-Pierre, quant à lui, nous révèle les origines de l'espèce humaine et du langage dans un Evangile de mille pages qu'il fait tirer à son compte et distribue gratuitement. Il y dévoile la Grande Loi cachée dans la parole et nous démontre la prodigieuse évolution humaine : l'homme descend de la grenouille ! 

La pièce a été mise en scène par Caroline Boisson et Philippe Clément, conçue et écrite par Philippe Clément d'après les oeuvres de Jean-Pierre Brisset, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Henry Darger, Jules Doudin, Henri Besse, Zdenek Kosek, Lobanov, Marmor, Petit Pierre, Simon Rodia, Jeanne Tripier, Walla, George Widener, Scottie Wilson, Adolf Wölfli etc…

Elle est servie par quatre acteurs (performers) éblouissants: Hervé Daguin, Martine Guillaud, Serge Pillot, Didier Vidal, chorégraphiée par Maryann Perrone, les costumes pas piqués des hannetons sont de Eric Chambon, le son et les lumières, tout est beau, mais, allez voir, le spectacle est jubilatoire et pas seulement, c'est un écho, une émotion, une exploration, (préludienne ?) ramenée du "pays" de l'art brut, celui-ci fût défini par Jean Dubuffet

ici, un extrait du manifeste de 1949, à propos de l'art brut:

Nous entendons par là, des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique dont le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe."

ou plus simple:

Les artistes d'art brut oeuvrent en dehors, sans références et souvent sans démarche intellectuelle.

Certes, il y a des grincements, il faut les éprouver de front. 

Ces créateurs sont par définition des exilés, le chômage, le vieillissement, la maladie, parfois le handicap peuvent en faire des exclus. Certains malgré tout ont inventé leur chemin où il se tiennent, on pourrait dire "au bord du monde". 

Si d'entre eux, quelques uns s'effondrent, condamnés à errer mentalement avec leurs créations, incapables de communiquer à quiconque leur langage mystérieux, d'autres sont parvenus à se reconstruire en s'exprimant dans cette marge grâce à l'art et à la création, pour le créateur d'art brut, l'idée de se glisser dans les programmes des musées ou autres n'est pas le but, les artistes d'art brut disposent d'une gratuité à laquelle nous sommes (principe de réalité oblige) assez peu disposés (quoiqu'on dise), les artistes d'art brut balaient par leur inspiration, les moues des sceptiques qui se demanderaient encore "l'art brut est-ce de l'art pas de l'art ?". Cela n'est pas le souci des artistes d'art brut. Leur vie même étant d'inventer un langage radicalement inédit et totalement dénué d'emprunts, leurs oeuvres ont à voir avec la pulsion, mais cette expression personnelle touche encore à l'universel, sans le secours de références (histoires de l'art, courants d'ismes etc...) jusqu'à ce que nous en éprouvions quelque fois le vertige, une sensation qui hésite entre la peur d'y contempler un puit sans fond et l'émerveillement enfantin devant quelque paradis retrouvé. Entre les deux autant de royaumes ou d'abîmes... L'art brut naît d'un élan vital qui tente encore d'échapper à la destruction à l'anéantissement et fait un retour sur ce que nous avons en nous de plus profond. 

Bien sûr, on pourrait signaler certaines démarches d'art contemporain comparables ou très proches de l'art brut, certains artistes ont clairement revendiqué l'influence de l'art brut sur leurs oeuvres, d'autres sont à la "limite" mais quelque chose distingue le créateur d'art brut de l'artiste contemporain (prompt à se situer dans un courant): c'est ce point de "désintéressement" dont l'artiste contemporain déplore quelquefois qu'il se soit délité, voir perdu, mais les artistes contemporains ont besoin tôt ou tard de reconnaissance et peut-être (ça ne se dit pas trop) de louanges, même s'ils affectent un esprit "désintéressé", ce désintéressement de l'artiste (plus ou moins proclamé) peut sincèrement exister mais il ne sera jamais le même que celui du créateur d'art brut, en cela, l'artiste contemporain est assez éloigné de l'artiste d'art brut, qui se passe de reconnaissance pour créer, il ne cherche aucune approbation culturelle ou sociale. Peut-être est-il vestale de cette part angélique qui manque à l'homme plus ou moins "adapté"...  (c'est une vue romantique, j'y mets quelques guillemets, il y en a de plus sombres), ce dont on ne doute pas c'est que l'art brut interroge au plus près l'acte de créer, et celui d'être au monde. Comment peut-on créer pour rien ? Et pour personne ? C'est une des multiples questions avec parfois celle des affres de l'univers mental et des frontières de la folie, de la raison - où ça commence ou ça finit ? L'art brut dérange sans vouloir déranger. Il y a bien une sorte de démarche ou plutôt de ressort, mine de rien, très puissant, chez l'artiste d'art brut, c'est le défi solitaire obstiné, qui prend forme quelquefois de quête obsessionnelle: puisqu'on se désintéresse à ce que sont ses oeuvres, eh bien ! soit ! le créateur d'art brut prendra sans notre permission la liberté de "tout dire" et de toutes les façons, sans qu'on accorde une responsabilité à ce qu'il dit, à ce qu'il est puisque précisément, on ne manquera pas de compétences pour le traiter de fou, ou moins encore, d'irresponsable.

(en guise d'introduction de Chomo à la pièce de Philippe Clément , le sujet reste à suivre...)

  
source et  pistes d'exploration pour l'art brut, ci dessous:
 
 
 
A propos de la pièce, "Le loup dans mon oeil gauche":

Il ne reste qu'un jour à peine pour découvrir cette pièce (surtout ne pas se fier à notre horloge ici en mode "jours de traîne"), un regret cependant, j'aurais aimé chroniquer cette manifestation beaucoup plus tôt, le spectacle est une pure merveille, mais je ne l'ai appris qu'à mon retour puisqu'avant je n'étais pas à Lyon et  je n'ai pas de nid faune, mais il n'est pas trop tard :
 
"Le loup dans mon oeil gauche" se joue jusqu'au 2 Décembre 2012 (c'est donc le dernier jour, ce dimanche; attention, pour la der des der, le spectacle commencera à 16H00 pétantes, il est prudent de réserver.
 
Pour des infos complètes, le petit nécessaire du Theâtre de l'Iris est à cliquer ICI 
 
Le programme du theâtre pour cette année, peut se télécharger (en pdf) encore ICI
 
 
Et Chomo dans tout ça ? Chomo, on va en reparler, en attendant, pour illustrer le thème toujours irisé, Chomo vous récite un poème:
 
 
 
 
 
Remerciements à Serge Pillot, la compagnie de L'Iris, abcd art brut.net, Laurent Danchin, Raw vision, et Paul pour leurs invitations, le partage d'une précieuse documentation, et toutes les précisions, liens, éclairages qui ont largement nourri ce billet.
 
Photo : Mon quincailler est un étalagiste d'art brut mais il ne le sait pas, lorsqu'on lui dit, il s'en fiche. A chaque saison, sa façon bien à lui, d'agencer ses vitrines semble s'éloigner des tiroirs ordinaires de la quincaille contemporaine, chez lui, pour trouver par exemple, un clou, il faut d'abord croiser quelques biches qui nous observent comme si nous n'avions rien à faire ici (quelle idée me direz vous, d'aller acheter un clou dans une quincaillerie ?) - ça c'est la biche qui le dit - ainsi, à chaque saison un nouveau peuple d'animaux occupe les lieux avec une vraie légitimité saisonnière (ça reste dans une logique bien plus intéressante que celle des vitrines de la fête des lumières mais je m'égare, pardon). L'année dernière, dans la vitrine, c'était des écureuils qui sciaient des fagots avec des scies sans lame auxquelles il manquait le manche, (un peu comme le couteau quantique de Lichtenberg, qui n'est pas brut du tout mais ça reste une idée de cadeau), mon quincailler a aussi une façon formidable de faire la promotion de ses outils z'et matériaux, tant pis pour le castor, mon quincailler est fier de ses scies, cette année, on ne boude plus les plaisirs, avec des si t'avais peur du loup dans ton oeil gauche, t'aurais deux biches dans ton oeil droit, et le quincailler qui te donnerait à la place du clou, des champignons en mousse plus vrais que toi pour ton dîner que tu mettrais dans ta brouette afin te promener en ville avec ton ourson sur ta tête ou pour les manger quand tu rentrerais le soir dans ta maison en pain d'épice, en attendant, que des promoteurs du village préludien te la construisent, mais au lieu de lire ces fadaises cours dont vite à l'Iris, voir le loup, si tu ne veux pas te faire effacer par l'anprinte...
 
 
Villeurbanne © Frb 2012 (avec l'aimable participation de Paul)

samedi, 04 juin 2011

A tribute to Maurice Garrel

"Je pensais ne pas passer le cap de l’année 2000. Finalement, nous sommes en 2011 et je suis toujours là. Il faudra m’abattre à la carabine !"

MAURICE GARREL (24 Février 1923 - 4 Juin 2011), extr. des entretiens de l’émission "A voix nue", par Dominique Féret réalisée pour France Culture en Mai 2011.

a tribute to maurice garrel,mort,maurice garrel,cinéma,théâtre,acteur,mémoire,films,talent,la discrète,art,regrets,hommage,présence,voix,philippe garrel,parcours,admiration; actualité

Personne n'aurait vraiment souhaité abattre Maurice Garrel à la carabine, on aurait bien aimé, je crois, le voir encore jouer longtemps. L'acteur est mort, ce 4 Juin 2011 à l'âge de 88 ans, et bien que je ne sois jamais très à l'aise pour chroniquer les disparitions, je tenais à rendre un petit hommage à cet acteur que j'admire depuis que je l'ai vu pour la première fois dans ce vieux film extra, d'Alex Joffé, datant de 1960, intitulé "Fortunat", où Maurice Garrel y jouait le petit rôle d'un inspecteur de la milice, aux côté de Bourvil et de Michèle Morgan, et peu après je le revis en Monsieur Bontemps dans "La peau douce". Maurice Garrel était aussi le père du réalisateur (mythique), Philippe Garrel, ("J'entends plus la guitare" entre autres...), le grand père du beau Louis et de la belle Esther, (tous deux aujourd'hui acteurs également), il fût l'élève de Charles Dullin et de Tania Balachova, il devint pensionnaire de la comédie française de 1983 à 1985. On l'a remarqué chez Truffaut, Rivette, Costa Gavras, Chabrol, Doniol-Valcroze, Deray, Deville, Sautet, Cavalier, René Clément, Marcel Carné, Pierre Kast, Chéreau, Despleschin, Lelouch, dans les films de son fils ou dans ce film étrange, "Alors voilà" réalisé par Michel Piccoli. Et j'en oublie beaucoup... Le plus souvent, il a joué les seconds rôles, il a oeuvré pour des courts métrages, pour le théâtre, pour la télévision, il s'est aussi essayé à la mise en scène avec Laurent Terzieff (un autre "magnifique" disparu, l'été dernier). Il fût nominé deux fois pour les Molière en 1992 et 1994, et deux fois aux Césars pour le meilleur second rôle masculin dans le film (superbe), "Rois et reines" de Arnaud Desplechin, et surtout pour "La discrète" de Christian Vincent où son jeu adhère au personnage avec une classe d'un naturel époustouflant, chacune de ses apparitions se savoure et mène le film à l'excellence. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'extraits disponibles sur le net où l'on peut visionner des scènes significatives du fin travail d'acteur de Maurice Garrel, j'ai donc choisi parmi les rares qui nous sont actuellement accessibles et ça tombe plutôt bien, pour ce jeu, qui paraît flegmatique mais révèle un travail d'acteur précis (là où "le travail" justement ne se voit plus). Il y a un autre charme chez Maurice Garrel c'est sa voix au phrasé très particulier, cette élégance un peu maussade, très enveloppante, un je ne sais quoi de magnétique qu'on pourrait appeller plus simplement "une présence". Extrait choisi, entre deux scènes, ça passe trop vite, regarder ce jeu, écouter cette voix, est un pur régal.

 

 

Autres liens pour découvrir plus en détail l'itinéraire de Maurice Garrel, à lire ci-dessous trois articles de presse parus juste après sa disparition  :

http://www.lexpress.fr/culture/cinema/petite-histoire-du-...

http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/05/l-acteur...

http://www.parismatch.com/Culture-Match/Cinema/Videos/Hom...

A écouter, une suite des entretiens de l'émission "A voix nue" consacrée à Maurice Garrel, ici le second entretien, il y en a cinq en tout, la page vous ménera à l'intégralité, selon votre désir.

http://www.franceculture.com/emission-a-voix-nue-maurice-...

Photo : tirée du film "La maison des bories, réalisé en 1969 par Jacques Doniol-Valcroze

dimanche, 23 mai 2010

Le livre tangue

"Je veux être un éléphant qui pisse dans le cirque quand tout n’est pas beau… "

BERTOLT BRECHT in "Baal". Edition Arche 1997.

alcools.JPG

RIMBAUD dit de l'ivresse qu'elle procure cette eau de vie verdâtre "Qu'elle est le plus délicat et le plus tremblant des habits". Affirmer que l'ivresse, est pour le poète un habit reviendrait à la classer parmi les accessoires qui lui sont nécessaires pour paraître en société. On sait que jadis, les bourgeois s'étaient fait un devoir de rompre avec les excentricités de l'aristocratie, et de porter les tenues les plus neutres possibles, des costumes de coupes sobres dans des tons éteints gris anthracite, chapeaux sombres, ensembles bleus marine ou noirs. Le vêtement bourgeois dissimulait la chair et renvoyait l'image sinon d'un homme utilitaire, au pire celle d'un automate fonctionnel.
Au contraire le corps ivre s'élance, erre à tâtons. Il commet toutes les maladresses et on ne peut le mettre à la chaîne, il est en quelque sorte perdu pour toute utilité sociale.

RIMBAUD dit encore que le poète doit "faire l'âme monstre" (cf. "La lettre du voyant"). Le poète doit apprendre à voir, à éprouver toutes les formes d'amour. "Etre voyant", c'est aussi refuser de passer inaperçu. Et "faire l'âme monstre" est la grande ambiton du dandy, dont l'extravagance  se trouve, (c'est sans doute préférable), très souvent incomprise. Si être écrivain et alcoolique n'a rien d'exceptionnel, le mélange parfois n'offre pas la compensation espérée. Et ces deux passions réunies dans une même personnalité comportent un risque d'entrave. On connaît ici et là des destins avortés, de talents, qui se sont lentement, inexorablement gâchés dans l'alcool, sans réussir à offrir une oeuvre disons, à la postérité, ni même une simple oeuvrette. Ces parcours fort nombreux, on les retrouve souvent dans le sillage des grands mouvements artistiques autour du Dadaïsme ou du Surréalisme, du Situationnisme etc... Dans l'entourage de personnalités fascinantes comme Francis BACON, Andy WARHOL, pour n'en citer que deux... Ainsi toujours dans ce sillage évoluaient des faunes d'artistes potentiels parmi lesquels très peu d'élus. Beaucoup se sont noyés, comme dans un bain voluptueux ainsi on ne compte plus le nombre de génies inconnus. Et il s'agit toujours de l'itinéraire très classique qui n'est pas à juger, de l'artiste qui boit son talent au lieu de mener à bien son oeuvre.

C'est un peu le schéma de "Baal "de Bertold BRECHT (dont GUILLEVIC a donné une merveilleuse version française). Le schéma de "Baal" est un cas limite. Nul ne pourra savoir si l'homme qui se détruit plutôt que de faire carrière est un minable ou bien encore une sorte d'artiste supérieur qui achève sa carrière non sur le plan pratique mais dans un élan mystique ou peut- être indéfinissable. C'est pourquoi décider de la valeur de l'existence de "Baal "est une absurdité car le fond de cette existence sera toujours inaccessible à un observateur extérieur. "Baal" chemine seul, il serait vain de vouloir l'accompagner, l'encourager ou le comprendre. D'autrepart "Baal" était la divinité tyrannique à laquelle les époux carthaginois sacrifiaient en des temps oubliés, l'aîné de leurs enfants, c'est à dire le meilleur de leur peuple.

Pour en revenir à l'histoire de "Baal" même, BRECHT raconte celle d'un poète qui se perd, une sorte d'"archirimbaud" dont aucun texte n'aurait été conservé. "Baal" chante ses compositions dans une taverne de charretiers située près d'une rivière. Il envoûte son public. Il ressemble à VERLAINE en plus indécent. Un riche négociant entend parler de lui et propose de l'éditer, un patron de presse veut le lancer. Mais "Baal" refuse avec orgueil, toutes propositions mercantiles. La seule chose qui l'intéresse est de boire, et puis boire et boire encore, (du schnapps), courir les filles, faire bonne pitance et dormir à la belle étoile. "Baal" est l'incarnation de la force poétique brute. Peu à peu tous ses bienfaiteurs se lassent, ses amis, irrités par son inconstance, l'abandonnent. "Baal" se brouille avec le tenancier de la taverne où il se produit et se met à errer misérablement. Il achèvera ses jours sur un grabas miteux dans une cabane au fond d'une forêt. Les bûcherons de passage le tournent en dérision et lui crachent dessus. A la veille de sa mort il a encore le ressort de leur lancer le reproche étrangement poignant :

"Vous n'aimeriez pas mourir seul, messieurs !".

Il est trop tard plus personne n'écoute le déchet humain qui s'exprime.

http://www.deezer.com/listen-3360225

Source : Les notes qui composent ce billet ont été largement inspirées par le livre d'Alexandre LACROIX : "Se noyer dans l'alcool ?". Dont le blog de Bartleby dit très justement qu'il donne envie de lire et qu'il donne soif. (lien ci-dessous)

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/10/boire-...

Nota : Le sujet des multiples relations entre l'art et l'alcool étant aussi inépuisable que fascinant, j'espère pouvoir très prochainement vous livrer quelques autres facettes, à travers d'autres auteurs, et d'autres manières toutes différentes de s'enivrer. A défaut de noyer son lecteur (adoré) je distillerai (tel l'alchimiste chaldéen, et allez donc !), les billets sur ce thème au compte goutte (ce qui est un comble) et dans le désordre le plus imprévisible (toujours des promesses !)

Photo: Nécessaire d'énivrés, photographié  à la terrasse du "Vin § Ko", (bientôt rebaptisé "Le Mondrian" à l'occasion de la reprise du café restaurant par le talentueux artiste cuisinier Michel Piet et son équipe d'adorables), un lieu situé au 1 quai Claude Bernard dans le 7em arrondissement à Lyon, et qui est déjà  vivement recommandé par la maison. De cela je reparlerai un certain jour, car l'endroit est si chaleureux et le mojito si extra qu'il serait bien dommage de passer l'été sans aller s'y lover et s'y prélasser des soirées entières sous les arbres. A suivre donc. photographié en Juin 2010 à Lyon (En juin ? alors que nous ne sommes que fin Mai ? pensera le lecteur plein de sagacité. Mais oui ! l'alcool nous f(i)loute, voguez voyants! ... Livrez l'ivresse !...)