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vendredi, 11 septembre 2009

Le dernier bal d'une fin d'été

"WILLY RONIS a le sens de l'honneur, oh, pas comme un officier de cavalerie, attendez un peu. Il a déclaré un jour :"Ma perception de l'organisation de l'espace est guidé par le canevas musical des maîtres de la musique que je vénère et qui sont mes anges gardiens". On ne peut mieux parler de l'harmonie. Celui qui est capable d'une telle déclaration ne peut être étroitement matérialiste. Et puis les anges prennent parfois l'aimable aspect de nus féminins. Là, cher WILLY, tu te découvres, en nous offrant tes images pudiques qui sont autant de câlineries visuelles. Ne proteste pas. Souviens toi New York, avec Barbara et Kathy. Nous étions trois au fond du taxi. Toi, tu étais assis à côté de la chauffeuse noire. A peine avions nous traversé deux rues que nous t'avons entendu dire "Vous avez une voix magnifique". Nous venions de découvrir ton système de recrutement des modèles. Le trajet était trop court, mais elle l'avait échappé belle, cette innocente !"

ROBERT DOISNEAU, extr. "A l'imparfait de l'objectif", (Souvenirs et portraits). Editions Actes Sud 1995.

Pour savoir où le vent portera la feuille, cliquer sur cette image:

w ronis.pngLes premiers pas foulés sur la colline en ce 11 septembre 2009, ne m'amenèrent pas, comme c'était prévisible sur un tapis de roux, mais à cette chose qui ne se voit presque jamais, à la fin de l'été, une feuille morte complètement noire que je vis tournoyer puis tomber à mes pieds. L'occasion d'essayer un nouvel appareil Pentax et ses nombreux mégapixels ? Pas vraiment. Pour la première mise en boîte, cette fois, j'hésitais. Une feuille noire, je n'aime pas ça. En cette date déjà étrange, croiser une feuille noire en chemin, ce n'est pas du meilleur présage. Non pas que j'attache une importance démesurée aux présages, mais je préfère les feuilles blanches, jaunies, roussies, même les feuilles sèches un peu rongées. Cette feuille me fît un drôle d'effet. Je passais mon chemin. Cherchant ça et là, quelquechose à photographier. Je ne trouvais rien. J'allais à quelque rendez vous du côté de St Nizier. J'oubliais. Sur le chemin du retour, malgré ce vent rembobinant les plus chauds après midis d'Août, je retrouvais devant ma porte, sur la chaussée, la feuille noire. Elle n'avait pas bougé d'un millimètre. Comme scellée au gris de la rue, elle inquiétait l'espace de son augure imperturbable. Je dûs me figurer qu'elle attendait peut-être, un oeil pour "l'immortaliser", dernier acte à tenter : fixer d'elle une trace pour qu'elle disparaisse à jamais. Je ne me risquerais pas, au delà d'un fait si étrange, à faire de l'anthropomorphisme à propos de tout ce qui se trouve caché dans l'esprit d'une feuille morte, surtout si elle est noire, ni à m'émouvoir quant aux signes, (du hasard ? ou pas du hasard ?), ceux-ci m'ayant parfois joué des tours tout aussi troublants que minables, je me refuse de prêter trop naïvement crédit au jeu systèmatique de cette foutue (dite) "poésie du quotidien" qui pose quelquefois du symbole sur chaque détail, asservit son promeneur aux oracles, qui une fois révélés, engloutissent tout dans une tache d'huile. Ainsi, je dissèque les signes, les désenchante, s'il le faut, avant de céder aux messages, si rarement, défiant les présages imbéciles que mon imagination tisserait. Je me méfie, autant que je peux. Mais cette feuille noire, tout de même ! à contre-coeur, je sortais mon Pentax, un boîtier noir (l'autre était argenté), et j'avalais du noir sur noir couché sur du presque anthracite étoilé ou piqueté. L'augure d'une triste journée une fois en boîte. Je laisserais décanter dans quelque purgatoire et livrerais aux lendemains radieux, le soin de balayer tout ça.

Je rentrais donc chez moi avec deux projets terre à terre (si j'ose dire) : d'abord écouter le répondeur, puis ensuite, la radio (11 Septembre obligeait)...  Sur le répondeur un message, une très mauvaise nouvelle, A.G. qui tout l'été 2008, m'avait gentiment proposé de poursuivre ce blog à la campagne, en m'offrant l'hospitalité, son bureau, son ordinateur, en me prêtant ses livres, A.G. que j'avais revu cet été, plein de projets, qui ne montrait aucune inquiétude quant à la prochaine opération qu'il devait subir le 10 septembre 2009, A.G. qui m'avait longuement parlé cet été autour du meilleur Porto, de ce qu'il ferait après : mettre à jour les mémoires tirées d'un manuscrit retrouvé d'un soldat de la guerre de 39-40, il ne restait que quelques pages pour que cela, peut être se transforme en un livre, fabriquer des meubles de ses mains, les offrir aux copains, A.G.  chaleureux et fidèle, au plus près de l'humain, un ami, gentil, protecteur. Un vrai. "Du premier cercle", depuis longtemps. A.G. venait de se faire ouvrir le coeur. Il ne s'était pas réveillé.

Ayant peine à réaliser, je poussais du pied le répondeur et cherchais quelquechose pour ne pas trop penser. France Info, c'est parfait, et que toutes ces paroles mettent un peu de diversité au "faire part" que j'avais vu choir, un instant, sur un gris piqueté beaucoup plus qu'étoilé. La boite noire remontée aux étages, une feuille noire enfouie taraudait de sa planque, posée là, sur le marbre d'une vieille cheminée qui me sert aussi d'étagère. A la radio, on parlait de quelqu'un. Enfin c'était un homme qui témoignait, il parlait de son ami, d'un fils d'immigrés juifs, des rues peuplées, des toits de Bastille, du Vaucluse et de l'Isle sur la Sorgue... Un homme qui ne pouvait plus courir les rues, ni battre le pavé en quête d'images à attraper, mais qui continuait même sur une chaise roulante à raconter, et à transmettre ses idées, son amour à vif de l'humain et sa passion pour la photographie. Le témoignage se terminait sur la description d'une photo de bal, une de mes préférées et la journaliste rappela les titres dont le principal : "WILLY RONIS est mort".

WILLY RONIS est au plus loin, je ne l'ai jamais rencontré évidemment, mais au plus près de tout ce qui est le plus fin à saisir des personnes. Juste ce qu'il faut pour entrer dans la vie d'une photo, puis regarder tout autrement la vie tout court. Jamais ne se trouve chez WILLY RONIS, le moindre déséquilibre, la moindre malveillance, fond et forme, tout en harmonie. Il est pourtant facile avec un appareil photo de croquer les êtres et de les réduire. "Vous ne trouverez pas une seule photo méchante, je n'ai jamais voulu donner des gens une image ridicule" expliquait W.R au Monde en 2005. Bref, avec WILLY, on respirait. L'artiste était aussi un homme pudique, sachant comment l'impudeur, même par accident, en photographie, est aisée. Dans le plus populaire de ce qu'il nous croqua, y compris de la pauvreté, des quartiers tristes, du misérable, se trouve, toujours en note de fond, cette part d'élégance, une signature sur chaque photo. Pas étonnant, que R. DOISNEAU évoque, (insiste même), sur cet interêt porté au son. WILLY RONIS voulait être musicien, il apprit le violon, l'harmonie puis devint Photographe, mieux que cela, photographe à l'écoute de ce qu'il regardait. Ne dit-on pas de la musique qu'elle possède une couleur ? Et puis, fulgurants, tous ces noirs, ces blancs, cette composition. "Le bon moment des choses". L'engagement aussi. Et quelques compromis sans jamais de compromissions. Ce coeur à gauche qui ne céda jamais, irréductible intégrité au prix d'une vie plus difficile, un certain prix. Un leg, pour nous, inestimable.

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W.R. n'aimait pas les rues vides. Mon ami A.G, lui, n'aimait pas les maisons vides. L'un était connu, l'autre pas, mais tous deux se ressemblaient un peu, au fond. Incapables de méchanceté, empathiques par nature, non par devoir. Hommes sans grimaces, créant toujours. Avec cette autre qualité venant aux intelligences rares : une certaine simplicité. Des bienveillants, que Septembre (mois le plus tendre ?) troquera encore contre une feuille noire, poussée un peu plus loin emportant des secrets au plus près, pas si loin, qui se cueilleront peut-être un jour, à mille lieues du gloomy friday...

Liens utiles : WILLY RONIS, biographie et parcours : http://fr.wikipedia.org/wiki/Willy_Ronis

Photographies : http://monsieurphoto.free.fr/index.php?menu=1&Id=3&am...

Entretien illustré ("les nus secrets") : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090912/9338/revoir-les-nu...

Amour, enfance, révolte. (W.R. vu par ...) : http://solko.hautetfort.com/archive/2009/09/12/mort-de-wi...