lundi, 17 janvier 2011
La grande route
Parfois le murmure se répand que nous sommes visités par des ombres transparentes.
Qui sait ? Qui sait ?
Comment retrouver leurs traces quand on a peine à se retrouver soi-même ?
HENRI MICHAUX, extr. "L'Espace aux ombres" in "Face aux verrous", éditions Gallimard, 1992.
pour connaître le début de cette histoire vous pouvez cliquer sur l'image
Les jours passèrent longs et stupides, nous étions moins joyeux. Nous avions laissé les chansons, fabriqué des chapelets. Ils ne servaient qu'à passer le temps. Nous nous bercions de prières, nous les récitions à voix haute en marchant. Elles portaient aussi d'autres chants, nous avions cessé, à force de répétition, d'en ressentir tous les bienfaits. Au mieux, cela nous fatiguait. Une lueur blanche émanait d'un sommet. C'était là, notre terre promise. Il semblait que là haut, les châteaux se multipliaient. Nous fûmes un instant en Espagne ou mieux, en Amérique. Les habitants semblaient agglomérés en un point lumineux qui se trouvait sur la lune mais ce n'étaient que les formes exagérées de la lune qui chaque nuit hantaient nos rêves de présences et de sons. Nous entendions les voix des créatures nous parler dans l'oreille ; ce langage, nous l'avions connu peut-être autrefois, il nous rappelait encore une langue disparue, celle des villes où nous avions vécu. Nous nous étions persuadés que ces voix étaient incarnées quelquepart en un lieu qu'il fallait découvrir avant que nos forces s'amenuisent. Un jour, on l'espérait, elles viendraient nous guider, elles pourraient même nous accueillir. Quelquepart il y aurait un point où nous pourrions cesser de marcher, enfin, vivre tranquilles ! nous avions fabriqué ces voix à force de croire que nos vies pouvaient être éclairantes pour d'autres vivant à l'opposé, sur d'autres rives. Nous avions tant de choses à nous apporter, entre étrangers, comme s'il était promis à ce faux semblant de hasard, l'avènement d'une forme charitable, attirée par la nouveauté qui pouvait entièrement combler un besoin de réenchantement mutuel, infini. Nous avions fabriqué ensemble, une légende à venir, envoûtés par une sorte de fièvre. Nous voulions des héros pour conjurer l'ennui. Croire en de nouveaux dieux, peut-être. Nous avions traqué jour et nuit, les manifestations des créatures. Nous cherchions dans le moindre craquement, les bruissements d'insectes, un contact serré avec les créatures, même une simple brindille nous faisait sursauter, il s'ensuivait un grand émoi, tout dans la démesure. Nous avions même appris à lire, peu à peu les variations émises par le vent, à tel point que nous aurions pu en écrire les rythmes sur une partition, cela aurait pu être joué dans nos anciennes villes par les plus grands orchestres symphoniques. Nous en rêvions. Nous étions restés à l'affût, jusqu'à cette obsession d'établir un dialogue avec les créatures. Il était impossible qu'une seule d'entre elles ne puisse pas nous comprendre et peupler rapidement le vide dans lequel nous vivions. C'était une intuition commune, une rêverie fraternelle, par laquelle, nous nous proposions de bouleverser nos existences. Les voix nous revenaient en songes, elles s'étaient indistinctement mêlées aux notres, plus ordinaires, ou presque aphones, nous avions hâte d'ajouter un choeur à nos chants, pour réanimer tous les souffles. Les voix en réalité demeuraient inaudibles, plus muettes que l'espace qui vibrait des sons pleins de ce vide intenable, et d'une solitude collective plus harcelante encore que si nous avions été seuls en réalité. Le jour où nous en fûmes conscients, notre vertige se transforma, en une sorte d'effroi, une chute qui porta le malheur et la confusion entre nous. Maintenant, quand la lune est visible, c'est pire. Dans ces nuits là, l'effroi revient à l'identique, et il n'en finit pas, jusqu'à la disparition de la lune au petit jour. Le ciel est vide. Cela nous fait apprécier les moments où nous ne sommes plus inquiets les uns des autres. Marcher devient notre principal soulagement, s'il n'y avait pas ce vide, par instant, il nous serait sans doute plaisant de contempler le paysage, tout en marchant même si jamais nous ne trouvons le lieu. Il faudrait oublier. Quitte à créer n'importe quoi, comme toutes ces statuettes en bois, des marionnettes, ou reculer, retrouver l'ignorance des débuts, quand chacun croyait que le pays que nous cherchions était tout près. Il suffisait de bien s'entendre, surtout d'être patients, d'imaginer que la grande route qui s'allongeait déjà, à mesure que nous la déroulions, n'était qu'un pont reliant une rive à une autre. Les créatures lunaires, profondes, au lieu de nous secourir, nous avaient éloignés les uns des autres. Aujourd'hui il y a non seulement la route, mais une autre route entre nous, invisible qui nous happe et nous coupe en morceaux. Aussitôt que parait la lune, notre ancienne hallucination nous clive, nous restons des heures allongés dans l'herbe, les yeux ouverts, sans trouver le moindre charme aux étoiles. Nous reprisons de vieilles pensées, en accusant secrètement ceux qui étaient autrefois les notres, comme nous, ensorcellés dans l'ombre roulés par une lueur, nous les haïssons de nous avoir aidés à croire à des choses impossibles. Le reste du temps, nous sommes presque muets, figés par ce qu'il nous vient de haine, elle pousse en nous, nous sommes tous dans le même état, impuissants à la repousser. Nous ne partageons plus que des banalités. Un jour nous deviendrons complètement sourds. Il ne restera que cela, la hantise dévorera nos figures, la laideur entre nous perceptible, jour après jour, creusera nos traits, assèchera ce peu d'enfance qui nous choyait avec ses créatures splendides. Ces lueurs répudiées diffuseront l'incendie, sous la chair et nos corps gentiment en apprivoiseront les débris. Nos yeux s'abîmeront à force de ne cotoyer que cela, toute la sécheresse et nos figures devenues suspicieuses n'auront plus la moindre expression amicale. Il n'y aura plus d'emportement facile, à mener nos chevaux de bois au festin de la lune. Tout ce manque nous abolira, quand la panique devenue coutumière, nous donnera enfin l'impression de solidité, nous continuerons sur la grande route, nous marcherons en file indienne, tout comme avant. Pas tout à fait. Nous marcherons, c'est tout. Nous dormirons dans les forêts. Rien ne sera changé. Apparemment.
Photo: La grande route (des Charpennes) dans tous ses états, photographiée de la fusée d'occasion Appolo 11 aimablement prêtée (et pilotée) par trois vieux copains cosmonautes (merci les gars !), afin de nourrir les fantaisies démesurées de certains jours. Villeurbanne. © Frb 2010.
14:11 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
Commentaires
Edgar Morin :
- "C'est toujours ce qui éclaire qui demeure dans l'ombre..."
Écrit par : JEA | dimanche, 30 janvier 2011
@JEA : Oui ! oui ! merci , j'aime beaucoup cette pensée, il y a un proverbe chinois qui dit à peu près la même chose en des termes inversés. Il faudra que je vous retrouve cela, en plus je crois qu'il est connu... Entre nous, JEA, je cache ma joie, votre retour est une chose magnifique, ça va au delà de la bonne surprise, (j'ai du retard, beaucoup, beaucoup, mais je pense à vous ;), et puis je me suis roulée voluptueusement dans vos "topo(nymie)" en un recoin de Condroz (voir "condruzien"), je viendrai vous le dire chez vous la topo c'est trop beau, je ne voudrais pas avoir l'air de congratuler, mais je suis fan de Mo(t)saïques (le 1 , le 2, de toutes ), ça fait trop longtemps que je guettais votre retour, il faut tout de même le dire, je vous relie et vous relis :). Je vous transmets toutes mes amitiés, et vous souhaite une belle journée.
ps:
Enfin, je me demande quel texte brouilli brouillon vous avez lu ce que vous avez pu lire ici, - quel charabia - mais je vous lève mon chapeau ! JEA ! (vous me découvrez toujours quand je me planque à l'ombre c'est vraiment pas croyable ! :) enfin à l'heure où est arrivé votre commentaire, je crains que vous ne soyez tombé sur un texte incompréhensible une sorte de torchon que j'ai eu du mal à décoder d'autant qu'il s'arrêtait en plein milieu d'une phrase, je viens de rétablir le texte normal, je suis vraiment désolée; comme quoi je vous aurai fourni la preuve irréfutable qu'on peut être dans l'ombre et ne rien éclairer du tout (!:O) Merci de votre visite. A plus tard...
Écrit par : Frasby | dimanche, 30 janvier 2011
Ah! Frasby comme je me sens au diapason!!!
Écrit par : catherine L | mardi, 01 février 2011
@Catherine L : "Diapason" ! ça c'est un beau mot, un mot beau, un beau beau mot ! merci :-)
ps : Je vais venir chez vous, j'ai un retard fou, je n'ai pas pu trop me promener pour l'instant, aujourd'hui il y a binz chez vous, la machine elle veut pas nous téléporter jusqu'à chez vous, méchante technique ! Faudra-il qu'on y aille à vélo ?
qu'on loue des chevaux ? (misères !)
Écrit par : Frasby | mardi, 01 février 2011
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