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vendredi, 30 janvier 2015

Schismes

Et tandis que le fleuve poursuit son cours, grondent les révoltes. Les standards Fifa sont à sens unique, les discours autoritaires ont le vent en poupe. Aux quatre coins du monde les populations se cabrent face à la mise à sac de la planète. Le temps presse...

YANN BEAUVAIS, 2014  / de la revue GRUPPEN

 

 

Nota 1 :  Schismes : du grec ancien σχισμός / skhismós, signifie "séparation", du verbe σχίζω / skhízô, "couper, fendre".

Nota 2 : Ce film, est le troisième de Yann Beauvais présenté par Gruppen en Juin dernier au Centre Pompidou lors de la soirée "Poésie(s) en Stéréo", les images sont signées Yann Beauvais portées par un texte magnifique et troublant de Laurent Jarfer, élément dynamique du multiple et excellent Gruppen. Yann Beauvais poursuit ses expérimentations  - montage-démontage - au scalpel, le texte porte en lui un salutaire saccage des prédations en cours, quand l'image entame par éclats, la violence des discours officiels, rien qui ne laisse indemne, surtout pas en ce moment. A noter deux discrets collaborateurs : Edson Barrus et Pierre-Ulysse Barranque. 

dimanche, 01 juin 2014

H/ombres (I)

Il faut parler de la création comme traçant son chemin entre des impossibilités... C’est Kafka qui expliquait l’impossibilité pour un écrivain juif de parler allemand, l’impossibilité de parler tchèque, l’impossibilité de ne pas parler. Pierre Perrault retrouve le problème : impossibilité de ne pas parler, de parler anglais, de parler français. La création se fait dans des goulots d’étranglement. Même dans une langue donnée, même en français par exemple, une nouvelle syntaxe est une langue étrangère dans la langue. Si un créateur n’est pas pris à la gorge par un ensemble d’impossibilités, ce n’est pas un créateur.

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Un créateur est quelqu’un qui crée ses propres impossibilités, et qui crée du possible en même temps. Comme Mac Enroe, c’est en se cognant la tête qu’on trouvera. Il faut limer le mur parce que, si l’on n’a pas un ensemble d’impossibilités, on n’aura pas cette ligne de fuite, cette sortie qui constitue la création, cette puissance du faux qui constitue la vérité. Il faut écrire liquide ou gazeux, justement parce que la perception et l’opinion ordinaires sont solides, géométriques. C’est ce que Bergson faisait pour la philosophie, Virginia Woolf ou James pour le roman, Renoir pour le cinéma (et le cinéma expérimental qui est allé très loin dans l’exploration des états de matière). Non pas du tout quitter la terre. Mais devenir d’autant plus terrestre qu’on invente des lois de liquide et de gaz dont la terre dépend.

Le style, alors, a besoin de beaucoup de silence et de travail pour faire un tourbillon sur place, puis s’élance comme une allumette que les enfants suivent dans l’eau du caniveau. Car certainement ce n’est pas en composant des mots, en combinant des phrases, en utilisant des idées qu’un style se fait. Il faut ouvrir les mots, fendre les choses, pour que se dégagent des vecteurs qui sont ceux de la terre. Tout écrivain, tout créateur est une ombre. Comment faire la biographie de Proust ou de Kafka ? Dès qu’on l’écrit, l’ombre est première par rapport au corps. La vérité c’est de la production d’existence. Ce n’est pas dans la tête, c’est quelque chose qui existe. L’écrivain envoie des corps réels. Dans le cas de Pessoa, ce sont des personnages imaginaires, imaginaires pas tellement, parce qu’il leur donne une écriture, une fonction. Mais il ne fait surtout pas, lui, ce que les personnages font. On ne peut pas aller loin dans la littérature avec le système "On a beaucoup vu, voyagé" où l’auteur fait d’abord les choses et relate ensuite. Le narcissisme des auteurs est odieux parce qu’il ne peut pas y avoir de narcissisme d’une ombre. Alors l’interview est finie. Ce qui est grave, ce n’est pas pour quelqu’un de traverser le désert, il en a l’âge et la patience, c’est pour les jeunes écrivains qui naissent dans le désert, parce qu’ils risquent de voir leur entreprise annulée avant même qu’elle ne se fasse. Et pourtant, et pourtant, il est impossible que ne naisse pas la nouvelle race d’écrivains qui sont déjà là pour des travaux et des styles.

GILLES DELEUZE : extr. "Les intercesseurs" in "Pourparlers", éditions de Minuit (1990/2003).

 

Photo : Tout ce qu'on imagine a des chance d'être faux, restent les feuilles volantes, qui ressemblent vues de loin à des jets de cailloux, ou de plumes, (va savoir !) c'est peut-être les deux, peut-être pas grand chose, qui retomberaient très lents sur d'autres vérités nuancées, comme le vent qui tourne, claque des portes ou les ouvre comme les mots cachés à l'intérieur, ou des mots qui se frottent à d’autres, ici, des bris, en apparence...

 

Ciel de Lyon © Frb 2012. Lyon.

dimanche, 04 décembre 2011

Porté par la chose faite

Comment saturer ce qui est déjà saturé ?

danger.pngComment répondre ? Il y aurait soit trop à dire, (on aurait l'air embarrassé), ou rien, pas grand chose mais il se peut que ce "pas grand chose" prenne les dimensions de la montagne la plus inaccessible.

Il se peut, à l'exemple de Bram Van Velde, qu'il y ait une discipline assez serrée qui oeuvre par nécessité dans l'obsession de dépasser les limites de chaque ouvrage afin d'accéder à une forme de discernement, (un poète dirait illumination) qui s'atteint peut être, ou jamais, par des chemins simples ou sophistiqués, ces lieux communs, je vous les livre assez banals, ce sera encore exprès, tels que souvent on les entend un peu partout, on les surprend, pour signifier qu'il faut sans doute se noyer, se cogner longtemps (au delà, ça deviendrait informulable) et ne rien céder aux injonctions plus raisonnables qui rendraient à la vie sa tranquillité et glisserait la pensée dans un confort, mais cela c'est sur le papier qui n'est pas qu'en papier évidemment...

A la volée, dans un bazar urbain, (en vrai, au figuré) au milieu d'une file d'attente assez endurante, je tombe sur un journal qui reproduit un tableau de Bram Van Velde. Ce tableau me relie à un autre ouvrage remarquable, que l'on vient de me prêter, un texte publié chez Fata Morgana en 1978 réédité chez POL : une rencontre de Charles Juliet avec Bram Van Velde où l'écrivain demandait au peintre

- Pourquoi  peignez vous ?

La réponse dût tomber aussi claire pour le peintre qu'elle fût troublante pour l'écrivain

- Je peins pour tuer le mot.

C'était la même raison qui nous avait poussés à choisir la musique, d'un support à l'autre, me revient une autre phrase, un passage fulgurant où Bram Van Velde réfutant un pilier d'une philosophie enracinée se faisait affreusement lumineux, c'est par l'oxymore volontaire que je bouclerai la boucle tout en laissant la boucle ouverte, sans rien résoudre, ni espérer, ni enfermer après quoi toute messe ne pourra se dire, exactement comme on avait prévu de s'en persuader. Je cite :

 

Je pense donc je suis de Descartes est de la foutaise. Il faut dire  : Je pense donc je m'écroule.

 

Bram Van Velde entretien avec Charles Juliet 1979 by editions POL. Ecouter : un instant fulgurant, rarissime, une voix en état de grâce...


 

Text : by frasby, thème, livres et documents sonores proposés par Paul.

Remerciements : à "Raidi pour", présent, disponible, qui discrètement participe, déploie nos pistes de lectures et autres tentatives, insufflant aux thèmes choisis ici, (ou là bas), un mouvement, qui ne pourrait se contenter de débats et de livres.

Photo : Haute tension, début de décollage. Le danger inévitable ? Le danger en voie d'anéantissement ? A chacun sa lecture. 

© P./ frb/ Rp  2011.

mardi, 22 mars 2011

Court circuit

Toujours... Toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours quelqu'un derrière moi... C'est moi même... Et il me suit.

PETER LORRE dans "M le Maudit" de FRITZ LANG, 1931

ombres002.JPGIl est riche de ses actes, il écrit son nom il l'accole aux gens qu'il croise, et cela est sans conséquences, il ne va pas, il ne se contente pas du peu. Il ne prend pas la page blanche pour le début, c'est sa fin, il l'arrange, s'y rajoute, continue l'existence jusqu'à cette stabilité qui l'insupporte, un monde imaginé par tous ceux qui ont précédé, semblables à ceux qui suivent, des tas de gens, des têtes dont il n'a rien à dire. Un niveau machinal, des relations interchangeables à l'infini, il compose à ce jeu un grattage, il ne gratte pas, il se déchire.

Vu de loin, cela contraste avec la notion pour lui, incompréhensible de sympathie. Il élabore des figures qui de près ou de loin l'obsèdent par leur monotonie, il gratte et enterre tout dans son jardin, il rature des pages et des pages jusqu'à l'avènement d'une oeuvre d'art blanche, oeuvre purgée du sentiment, art de s'absorber dans l'espace, de recomposer le désordre avec les éléments. Il se met dans la peau d'un autre qui se trouve déjà dispersé. Le plus sûr de son initiative a déjà échoué. Il voit d'avance, une page qui manque juste au milieu du livre, une morsure au coeur de la toile, les fourches dans les cheveux des filles, un concentré déjà détruit qui contient à lui seul toute l'histoire du monde, celle des hommes et son destin à lui. Dans cette absence, il y a la voie lactée, la conquête de l'espace et l'embrassement d'une fusée avec une étoile filante, la réalité confondue dont il est pure trace,  reliant au ciel sa glaise, son fleuve et son métal, une situation de danger au terme d'un lent acharnement sans aucun but défini à l'avance.

Le cours du temps passe dans l'élasticité de journées indolentes. Aux aguets d'un langage détruit, entre les corps, des bêtes à grosse carapace ont promené sur leur dos, les dépouilles des hommes et des femmes, ceux qui n'ont pu survivre, le résultat grosso modo de toutes les guerres visibles ou invisibles, il ajoute un peu de son corps, qui meurt parfois petitement dans l'amour, se voudrait inspiré, goûtant une telle offrande, prêtant sa chair qui délivre du mal aux baisers de l'éphéméride. Il pourrait avoir honte à se faire aimer trop, sans pouvoir aimer trop lui même, ou aimant trop sa solitude qu'on dit incompatible avec l'amour. Ce on dit, est encore une foutaise. La petite idée se forme dans sa tête qui le taraude pour brûler ce qu'il reste d'obsession à oeuvrer, il voudrait contempler les petits matins, dans la joie de la course à pied, du basket ball, des descentes à vélo sans les mains, tout seul des jours entiers il joue entre des marques tracées sur le sol à la craie, et court sous un panier à essayer de réussir des doubles pas, à s'encourager dans le dribble, les mains apprenant la dextérité en compagnie de joueurs invincibles, qu'il imagine et qui n'existeront jamais. Chaque jour, lui vient de plus en plus d'adresse pour en finir avec le besoin de dextérité. Cela n'est qu'un mouvement dans l'espace juste pour oublier que la pensée peut fondre comme une savonnette. Il est cet enfant souple glissant sur une rampe d'escalier. Il parade le jour. La nuit, il pleure ce que le jour lui a volé.

Des guerres ravagent son écriture, cela engendre une sorte de poème héroïque, avec des idées monstrueuses qui chevauchent des idées sublimes, tous les mots il les plie à sa volonté dans le goût capiteux de répandre l'épuisement sur la terre, l'épuisement des êtres et des lieux jusqu'à qu'il n'en reste rien, ni dedans ni dehors, et la douceur va dans son regard, dans ses yeux bleus ou gris qui pleurent et cela fait comme une pluie de météorites plus loin, ailleurs, il verse l'alcool à brûler dans des fioles d'encre bleue ou grise, un petit feu court sur toute la surface d'une nappe, du genre toile cirée, juste au milieu, il y a un ilôt de cendre qui brille, il y voit une peau de chagrin grosse comme un pois cassé. "Pois cassé", les deux mots roulent entre ses doigts. Existe t-il encore une chose au monde qui ne puisse pas se casser? "Pois cassé", rien à faire, comment casser ce rien ? Les plus petits obstacles sont toujours les plus vains, il devra désormais lutter contre cette chose minuscule qui résiste, dont chaque jour il essaye de s'acquitter au mieux. Le combat à l'oeil nu paraît pourtant facile. Chaque jour il s'applique et chaque jour ayant échoué, après des heures passées, en bras de fer qui l'auront épuisé, il regardera le soleil se coucher, et se dira : "et merde !".

Photo: Une ombre demesurée qui précède ou qui suit on ne sait quoi, on ne sait qui, prise en flagrant délit sur les pavés aux alentours de la bibliothèque de la part-Dieu à Lyon. © Frb 2011.

mercredi, 26 août 2009

Autrement dit

Je suis gaucher. Vous vous en fichez ? Vous avez tort. Il y a là-dessus de quoi penser des pages et des pages. Je n'ai pas dit écrire, ce n'est pas mon jour de clavier, j'ai plutôt une envie de dessiner. Je n'aime pas ma main droite, celle qui écrit - en vieille contrariée qu'elle est - à la plume et tant moins bien que toujours mal. Je préfère "l'autre main", celle que les professeurs ont laissée intacte, qui de dextre à senestre dessine, peint et grave. Des deux mains en même temps, je peux sans effort d'attention particulier faire diverger une phrase à partir d'un point central. Dans le sens usuel avec la maladroite et dans le sens inverse avec l'instinctive - la gamme ascendante et descendante du pianiste - et je me demande : si mes bras s'allongeaient indéfiniment comme dans un rêve, où cela s'arrêterait-il ? à quels horizons ? Vers quelle jonction...

PIERRE ALECHINSKY in "Des deux mains". Editions Mercure de France, 2004

ALECH173AM.jpg

Pierre ALECHINSKY est né en 1927, l'année où le cinéma devînt parlant. Pierre ALECHINSKY eût envie de rester muet et de peindre. Ses peintures sont à notre guise ou musique ou silence :

"Nous travaillons à écrire des histoires muettes"

Pierre ALECHINSKY aima le jazz tout comme les membres de COBRA (groupe auquel il participa) parce qu'il y a dans le jazz, cette spontanéité que l'on appelle aussi improvisation.

Pierre ALECHINSKY déroule son trait noir "comme un long serpentin cobra", il n'appuie pas sur son pinceau pour ne pas l'abîmer, on dit de Pierre ALECHINSKY qu'il a un geste d'écrivain quand il peint on croirait qu'il écrit avec son pinceau comme les orientaux, d'ailleurs il utilise de vrais pinceaux chinois.

On dit aussi qu'il aime regarder l'écriture dans un miroir, c'est plus beau, plus étonnant quand on ne comprend plus ce qu'elle veut dire.

Pierre ALECHINSKY est un gaucher que l'on a obligé à écrire de la main droite, du coup quand il peint il part de la droite vers la gauche pour se venger...

Pierre ALECHINSKY peint souvent par terre, sur de grands papiers, il en a beaucoup mais préfère les vieux papiers imprimés, ceux qui ont déjà servi, les factures, les cartes routières, les cartes de géographie".

Son art ne saurait faire mentir cette phrase de Paul KLEE :

"Écrire et dessiner sont identiques en leur fond".

Voir lithographies : http://www.galerie-bordas.com/alechinsky2.html

Photos : premières figures d'automne, esquisses, ramifications, vues sur le chemin des acacias, pas très loin de la Chapelle st Avoye à La Clayette. Août 2009.© Frb

jeudi, 20 août 2009

Tracer

"Quand j'aurai cent dix ans, je tracerai une ligne et ce sera la vie."

HOKUSAÏ KATSUSHIKA, (北斎), (1760, 1849)

trace301.jpg

Une écriture naît sur la route, quelques points de suspension, telle la mise en demeure de la ligne d'horizon. C'est tout en bas de la page que commencent les grands voyages. Ils se remontent comme les fleuves dit-on, et voilà que le voyageur se prend pour un saumon... Du labour viendra la métamorphose, ils ont tracé la route, ne reste plus qu'à suivre. Le mouvement envoûte. D'autres incisent encore la terre avec la lame bleue des faux, mais ils sont de plus en plus rares. Au mouvement précis du devoir régulier, tâchons bien et traçons. Abreuvons le sillon du sang de l'aventure. Et que le pas s'élève, et que s'inscrive un peu de sueur dans cette mûe. Le devoir de contradictions. Nous voilà à ce point, rendus et gratifiés. L'outil offrant la symétrie, nous travaillerons au salut de la ligne. Un grand nombre de traits reste à réaliser, plus nous irons à l'épaisseur, plus nos jours seront prévisibles. Nous joindrons par des ligatures, nos traces, et les organiserons. Tout cela formera des phrases vouées à la ligne de fuite, aussi fastes que des murailles, plus mouvantes que le marécage. Et nous peindrons par terre d'hallucinants messages, nous les coucherons sur la route. Nous apprendrons les signes qui vont apprivoiser. Nous occuperons tous les espaces, nous les refermeront. Un à un. Ailleurs, il y aura des calligrammes ouvragés, sur le marbre. Et une ligne horizontale, bel écheveau de nos destins, livrera aux oracles, les déliés, le trop plein, où ne se perçoivent plus les destinations idéales. Où serons nous demain ? Un champ vide ouvrira la page. (Page du latin "Pagus" = "Champ"). Une série inépuisable de combinaisons, entrera en ligne de compte. Des comptabilités, toute une paperasse. Comme à chaque fois, les signes s'en retourneront à la ligne et se déploieront d'un point à un autre. Etc...

A écouter : http://www.deezer.com/listen-2238985

Photo : La ligne blanche, sur la grande route du Nabirosina, celle qui mène aux villes, comme partout. Géométrie urbaine en milieu rural avec St Cyr en ligne de mire (hors champ). Vue en Aôut 2009 du côté de Vicelaire. © Frb

mercredi, 19 août 2009

Vermillon

Je décolle souvent et voyage toujours
pour voir si le lieu du leurre
ne se confond pas
avec celui de ma main

NICOLAS DE STAËL à René CHAR, lettre du 12 novembre 1953.

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NICOLAS de STAËL dédia cette phrase à René CHAR en 1953. Deux ans avant sa mort, deux ans après que René CHAR ne le solllicite pour illustrer un livre luxueux avec les textes du "poème pulvérisé". Les deux hommes se rencontrent en 1951 grâce à Georges DUTHUIT qui publie dans les "Cahiers d'art", un article sur N. de STAËL, et sait que celui ci souhaiterait illustrer le poète. Dès le départ, la relation est évidente. Les deux hommes sont entiers, à la fois larges d'idées et chatouilleux, cultivés et sauvages. L'art est pour eux, le combat d'une vie. Tous deux sont aussi chacun engagés dans leur oeuvre, à corps perdu, peut-on dire. Pour R. CHAR, N. de STAËL, (né à St Petersbourg en 1914) vient d'un autre monde, il est : "L'enfant de l'étoile polaire dont Orion s'est épris sur son parcours". Dans l'exergue du poème "Libera II", il compare même leur amitié à celle d'Achille et de Patrocle. Achille le poète s'extasie sur les sons qu'il tire de sa lyre, tandis Patrocle, le peintre l'écoute, silencieux. Le livre qu'ils envisagent de réaliser ensemble se composera de 12 pièces issues du "poème pulvérisé", de 14 bois en noir et d'une lithographie en couleurs. N. de STAËL s'attache à ce travail, avec fougue, il lui consacre les mois d'été 1951, conseillé discrètement par R. CHAR. Dans son atelier parisien, Nicolas DE STAËL choisit la technique du bois gravé et tente d'instaurer un dialogue dans ce rapport des gouges et du bois, avec les écrits de René CHAR. Ce travail commun intitulé "Poèmes" sera exposé le 12 décembre 1951 à la galerie Jacques Dubourg à Paris où seront présents tous les écrivains à la mode : A. CAMUS, M. LEIRIS, G. BATAILLE... N. de STAËL est fier de ce premier livre et s'enthousiasme à l'idée d'en publier d'autres. "Bois de Staël" est la première étude que R. CHAR consacre à la peinture de STAËL. Sa vision des gravures sur bois est celle "d'empreintes de l'homme des neiges"... Ecrira- t-il.

Ce travail commun fût nourri d'une très belle correspondance entre les deux hommes, leur l'amitié fût infrangible. On sait que René CHAR accordait à l'amitié une place immense, il fût fidèle à d'autres très connus, sans démenti, tels BRAQUE, ELUARD, GIACOMETTI, A. CAMUS, mais cette amitié  envers N. de STAËL était exceptionnelle, un sommet, un grand signal qui toucha l'essentiel, non seulement humainement, mais aussi pour la compréhension de leurs oeuvres. Tout cela demeure encore dans ces nombreuses lettres échangées : besoin de rassurer, d'être rassurés, d'exprimer des saturations personnelles et des fragilités. L'échange est absolu, d'une sincérité absolue. N. de STAËL a réduit la peinture aux formes élémentaires comme René CHAR l'a fait pour la poésie, et ces traces font rêver car en proposant une lecture figurative des peinture de N. DE STAËL, René CHAR anticipera le virage que prendra son ami pour amplifier son oeuvre. Il est à noter que cette rencontre réunissait deux géants, tant par l'engagement artistique, que par la taille. Deux solitaires "En exil à la fois dans le ciel et sur la terre". R. CHAR parlait d'un "couple d'êtres", de "Deux passants des cimes". Ce texte sur N. de STAËL sera le point de départ d'une nouvelle entreprise, dans laquelle le peintre et le poète prennent encore engagement : la création d'un ballet dont R. CHAR écrit l'argument tandis que N. de STAËL ébauche des idées de costumes et de décors. Ce sera "L'abominable homme des neiges", un rêve irréalisé, faute de compositeurs. DALLAPICCOLA, STRAVINSKY et MESSIAEN se récusent. Le projet restera sans suite. En 1953, une revue de Montevideo ("Entregas de la licorne" où N. de STAËL a exposé en 1948), publie un texte de R. CHAR intitulé "Nicolas De Staël", il a été inséré dans "recherche de la base et du sommet", entre "bois de STAËL" et "Il nous a dotés...". Tandis que N. de STAËL s'éloigne de la réalité palpable, CHAR nous y ramène. Les pavés des tableaux redeviennent rochers, et les toiles, "des chemises qui claquent au vent". Mais ni le peintre ni le poète ne peindront ce qu'ils voient.

Autre collaboration de René CHAR avec les peintres → ICI

A suivre / ... Des extraits de la correspondance de Nicolas de STAEL et René CHAR. Dans un billet que vous trouverez exactement en dessous de celui-ci.

Photo : Un monde, précédant la palette, les cimes et les cimaises. Nous avons pressé tous les tubes, nous sommes sortis de l'atelier, une couleur approximative a pris le ciel par une fantaisie (fantasy ?) légèrement trafiquée. Après le vermillon, la rouille, et juste avant le bleu cassé, nous n'avons pas trouvé cette couleur idoine. Ce vermillon parfait. Un ciel trop rouge étant un leurre, nous l'avons donc désaturé . Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.

mardi, 03 mars 2009

Les mots mystérieux...

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Vu sur un tout petit mur près des arrêts de bus, le long du fleuve Rhône, côté presqu'île : un ruban. Un tourment...

Photo: Lyon, à quelques mètres du pont Morand. Mars 2009.© Frb.

mercredi, 05 novembre 2008

I can't get no satisfaction...

impuissant.jpgLà haut sur la colline, à deux pas du plateau de la Croix-Rousse à Lyon, au soit disant tournant de la grande Histoire, les non-dupes ont de gros crayons mais pas la gaieté de IONESCO...

I can't get no...  HERE... And I try  HERE ...

jeudi, 30 octobre 2008

Contre les poètes

oiseau au parc.jpgEn 1947 W. GOMBROWICZ se demande dans un texte curieux intitulé "Contre les poètes" si la poésie n'est pas, au fond, qu'une vaste supercherie. "La messe poétique a lieu dans le vide le plus complet" note-t-il. Il faut dire que W.GOMBROWICZ ne considère pas la littérature comme un refuge ou une rédemption. Pour lui la vie est une bagarre. Ses romans ne se considèrent pas au dessus de la bagarre. Ses personnages sont sur le ring. W. GOMBROWICZ refuse le "sérieux", paradoxalement son refus du sérieux n'aboutit pas à la légereté, n'aboutit pas à la négation de la douleur, ni de la souffrance. Le corps, le geste ont une importance majeure dans son oeuvre. Le corps est pour lui matière malléable: une pâte. Pour en revenir à nos poètes, W. GOMBROWICZ accepte alors l'idée que la messe poétique ait lieu dans le vide le plus complet. Ce "contre les poètes" d'abord paru dans la revue Kultura puis repris à la fin du tome I de son journal énonce la chose ainsi : " Ce qui lasse dans la poésie pure, c'est l'excès de poésie, oui, la pléthore de paroles poétiques, de métaphores, de sublimation -bref l'excès de condensation qui épurent ces textes de tout élément anti-poétique et dont l'accumulation fait finalement ressembler le poème à un produit chimique". C'est gonflé, mais il s'agit de ne pas oublier que c'est au nom d'une conception exigeante de la poésie comme l'écrit Constantin JELENSKI dans une lettre à son ami datée de 1959 et "contre les non-poètes faisant de la versification" que W.GOMBROWICZ s'emporte. Il défend une poésie qui saurait au contraire réconcilier la forme et les idées trop souvent délaissées par les artistes qui unirait le matériau brut fournit par la vie et l'exigence de la pensée. C'est déjà la grande affaire de ses romans " Ferdydurke" (le premier), "la pornographie", et l'impressionnant "Cosmos", ses pièces de théâtre vont aussi dans ce sens réconciliant l'allégorie et l'existence de l'homme concret. Il s'agit pour l'Homme de se former au contact avec d'autres Hommes . Ainsi l'ancien mode de fonctionnalité du monde "chacun sa place, chacun son rôle" est profondément subverti chez W. GOMBROWICZ. L'autorité divines et paternelles sonnent dans le vide et tournent à l'impuissance. Si tout sonne faux, si tout bégaye; c'est bien qu'il faut réinventer le langage; plonger les mots en cet état d'indistinction, de vide même -Ou de vide rationnel- comme les formules de ces rites anciens, les paroles qui servent à faire tomber la pluie...

Et la musique est par ICI

05:13 Publié dans A tribute to, Ciels, De visu | Lien permanent

jeudi, 23 octobre 2008

Perplexus

"À quel prix et pourquoi préserver le chant, lorsque la voix humaine rend un son de "cloche fêlée" (Baudelaire), semble tout près de se taire (Verlaine), fait entendre son dernier "couac"(Rimbaud), ou s’étrangle d’un spasme (Mallarmé) ? Comment se rapporter encore à l’Idéal, quand celui-ci n’est plus l’horizon vers lequel on court, mais un "instinct de ciel" désaffecté, lorsque s’estompent les arrière-mondes, cédant la place au creusement de "l’espace du dedans" (Michaux) ? Mais de quoi parlons-nous, lorsque nous écrivons ?"

Source notes de lecture: "Le poète perplexe" essai de critique de Jean-Michel MAULPOIX paru aux Editions José Corti, en février 2001anges porte.jpg

Perplexus, en latin, signifie "enlacé, enchevêtré, confondu", puis, au figuré, "embrouillé, embarrassé, obscur"

Photo: Au dessus des vieilles portes, trois sortes d'anges lascifs nous regardent passer, rue de la République à Lyon. Octobre 2008.