Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 14 mars 2011

Dans l'épaisseur des images, on ne sait où. (part 1)

 Si l'on ne trouve pas surnaturel l'ordinaire, à quoi bon poursuivre ?

CHARLES ALBERT CINGRIA

image_0271.JPGCes derniers jours sont ralentis par des évènements incompréhensibles. Pour  tenter de m'en dessaisir, je traîne dans une bibliothèque qui ressemble à une salle de bain avec des serviettes en papiers impeccables, toutes reliées, rangées par ordre alphabétique de "Crime et Châtiment" à "l'Ombilic des limbes", pas une page de travers, pas même une trace de doigt, nul dépôt d'encre, ni bavure, ni poussière, ne troubleront ce papier blanc, jauni parfois, à peine, aux polices raffinées dissimulant par la grâce d'un travail consciencieux, la sueur ou les drames personnels des auteurs tous pareils alignés.

Ici, je traine encore des heures à l'entresol pas loin, dans une cafeteria qui ressemble encore à une salle de bain, conçue pour tous, d'un goût moyen, au décor sans  aspérité. Des familles, des collègues de bureau, ou des couples, du genre illégitimes s'y retrouvent et déjeunent ensemble. "Ensemble" est un mot impossible. Juste un éclat. Je poursuis mon vol à l'étal dans cet espace climatisé qui m'offre toutes sortes de livres, dont certains à jamais prisonniers du silo. "Les oiseaux" pas très loin des "Métamorphoses", au rayon étranger, près d'Ovide en exil, je suis enfin chez moi. Je pille et je repille les modernes, les classiques. L'image inspire autant les sons, les couleurs apocalyptiques des bruits de Russolo, et les troupeaux Dada qui vont jouer pas loin du rayon "bonne cuisine", les revers d'un naufrage passé à la postérité :

Buvez du lait d'oiseaux
Lavez vos chocolats 
Mangez du veau 

Cette chose finira bien par nous anéantir, comme Dada, au nez des artistes, n'avait cessé de l'espérer. Ailleurs, parodiant le décompte des passions impossibles, une trame lourde tient ces mondes à la botte de la correction. L'amour et le désert qui l'accompagne, les secrets bafoués et les exhibitions ; cette normalisation qui suit l'extase, c'est cela le désastre. Il n'effleure pas l'esprit des naufragés déclinés au carré, anguleux comme des tombes, où la poésie ne crache plus. Un minimum vital de poison, survit un peu, détaché des abus, une sève diluée dans une solution tiéde, étouffée de soupirs aux semblants soulagés comme nous pleurons l'absence, bercés sur des jonques colorées de flonflons qui plaisent à peu près à tout le monde. Ensuite vient aux index, un ajoût sérieux de notes appliquées, des numérotations interminables. L'abondance suffirait-elle à conjurer un manque qui en cache d'autres ?

Nous sommes nombreux, penchés religieusement sur les pages, dans les allées sournoises de ces caissons d'isolation. On entend un bruissement, un son rassurant d'effeuillage. Que cherchons nous ? Le processus s'enclenche, le domaine écope l'eau ; jaune et noir comme le Rhône qui draîne ses corps sous des bateaux où chaque soir on danse dans les reflets des ponts jusqu'au lever du jour. Chacun chorégraphié en dépit des mouvements de son être, happé par l'obsession d'une partie qui expliquerait le tout. Ce qu'il reste à savoir est un grand poème fleuve, assiégé de vers fous voués à l'irrévérence. On plongerait dans ce flux, la saleté des remous, un déferlement de phrases qui ne diront jamais assez tout le mal d'être au monde, l'oubli, et  les reflux, le déni, le re-flou. Là, des couleurs sépias au souvenir du Valois :

 Il parlait de celles de ce temps-là sans doute !  mais il m'avait raconté tant d'histoires de ses illusions, de ses déceptions, et montré tant de portraits sur ivoire, médaillons charmants qu'il utilisait depuis à parer des tabatières, tant de billets jaunis, tant de faveurs fanées, en m'en faisant l'histoire et le compte définitif, que je m'étais habitué à penser mal de toutes sans tenir compte de l'ordre des temps.

Ici la paysanne et la vierge "Aurélia" :

Puis les monstres changeaient de forme, dépouillant leurs premières peaux, se dressaient puissants sur des pattes gigantesques ; l'énorme de leurs corps brisait les branches et les herbages, dans le désordre de la nature, ils se livraient combats auxquels je prenais part moi-même, j'avais un corps aussi étrange que les leurs. Tout à coup une singulière harmonie résonna dans nos solitudes, et il semblait que les cris, les rugissements, les sifflements confus des êtres primitifs se modulassent désormais sur cet air divin. Les variations se succédaient à l'infini, la planète s'éclairait peu à peu, formes divines se dessinaient sur la verdure et sur les profondeurs des bocages, et, désormais domptés, les monstres que j'avais vus dépouillaient leurs formes bizarres et devenaient hommes et femmes ; d'autres revêtaient, dans leurs transformations, la figure des bêtes sauvages, des poissons et des oiseaux.

Ailleurs, des figures doubles dépourvues d'ombre, des femmes assoupies, des muses grimées en vouivre, traverseraient nos villes sur un nuages de cendre. Il se peut qu'on rêvasse et la nuit en pillant les archives glissées entre les pierres des monuments, il se peut que reviennent des pans de vies anciennes miraculeusement préservées, hâtant la joie sereine des affinités mystérieuses qui exigent l'anéantissement, peut-être... On se jetterait à distance vous et moi, d'un balcon à un autre en saluant les princes qui passent lentement dans des fiacres sous de vieux luminaires, vous et moi aspirant à cueillir quelques bourgeons de roses, dans la beauté du leurre, à confondre, les locataires qui vivent là où jadis habitaient les Dieux, avec les Dieux eux mêmes. On nouerait au passage, le souvenir d'un songe à des formes plus lointaines. Les monstres des bestiaires monteraient jusqu'à nos fronts y coller l'escarboucle, un troisième oeil étincelant légué par des visionnaires revenus déposer le ciel à nos pieds. La lumière se fait rare, nous resterons au piège d'un débit de conversation qui n'est plus à nous mêmes et qui revient sans cesse, déformé par l'image animant un rocher, sorti du ventre de la terre : une carcasse d'archéoptéryx qu'on n'aura même pas le droit de caresser.

"Je marchais péniblement à travers les ronces, comme pour saisir l’ombre agrandie qui m’échappait : mais je me heurtai à un pan de mur dégradé, au pied duquel gisait un buste de femme. En le relevant, j’eus la persuasion que c’était le sien... Je reconnus des traits chéris, et, portant les yeux autour de moi, je vis que le jardin avait pris l’aspect d’un cimetière. Des voix disaient : “L’Univers est dans la nuit !"

   CLAUDE LE JEUNE : "Que je porte d'envie" (pour 4 voix, 4 violes) 

podcast  

Lien : "dans l'épaisseur des images on ne sait où" (2) Lire ICI

Photo : Géante rouge traversant la Tupin en aveugle, dans l'apparente tranquillité d'un jour de Mars.

© Frb 2010.

jeudi, 23 octobre 2008

Immersion dans les pages

biblio.jpgQue faire d'autre, par ce froid, sinon d'aller se réfugier dans le silence feutré d'une bibliothèque de campagne...

Trois livres sont posés, on les feuillette par hasard:

André BRETON : "Les pas perdus". On ouvre sans y penser à la page 52: "Sommes nous un peu libres, irons nous seulement jusqu'au bout de ce chemin que nous voyons prendre à nos actes et qui est si beau quand on s'arrête pour le regarder, ce chemin n'est il pas en trompe l'oeil, pourquoi sommes nous faits et à quoi pouvons nous accepter de servir ? devons nous laisser là, toutes espérances ? "

(extr du chapitre "caractères de l'évolution moderne et ce qui en participe . Conférence de l'"Aténéo de Barcelone le 17 novembre 1922)

Jim HARRISSON :"Dalva". Page 249 , semaine du 22 mai 1866:" A mesure que je monte le long de la pente, je creuse des trous plus profonds pour examiner les strates du sol, lequel me semble peu indiqué pour les arbres fruitiers. Je continue une heure par jour, et j'ai creusé mon plus grand trou près d'un peuplier pour étudier sa racine maîtresse"

C.F.RAMUZ : "Vie de Samuel Belet. Page 103 : "Il y a un saut entre la ville et le rivage; c'est un talus pierreux, rocailleux, avec des buissons (autant du moins que je me rappelle); et curieusement, des yeux, j'allais à ces choses nouvelles, à ce pays nouveau pour moi"

L'immersion dans les pages a été fait de façon tout à fait aléatoire, ainsi que le choix des livres, presque les yeux fermés ... Vous pouvez essayer, l'expérience est étrange et il se trouve entre les hasards de ces pages quelques correspondances parfois troublantes. A vous de jouer...

Je dédie ce billet à la page 123 (comme promis) et au fair play de Léopold Revista...