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mercredi, 14 décembre 2011

Aventure

Voici la troisième version d'une œuvre qui m'habite depuis près de quinze ans et dont la réalisation finale m'a demandé plus de deux années. Version profondément modifiée dont la durée est presque doublée par rapport aux versions précédentes.

FRANCIS DHOMONT extr. de l'éclairage par l'auteur d'une composition acousmatique intitulée "Forêt profonde".

il y a une route.jpg

En cliquant sur l'image, vous entrerez dans l'univers sonore de Francis Dhomont pour écouter l'oeuvre "Forêt profonde".

La suite de l'éclairage :

Entreprise treize ans après "Sous le regard d'un soleil noir", "Forêt profonde", s'inspire, elle aussi, d'une réflexion psychanalytique, C'est une lecture adulte de contes pour enfants qui se balance entre le souvenir des émerveillements naïfs du compositeur et la découverte de leurs mécanismes secrets.

Peut-être cette hésitation entre deux âges présente-t-elle le risque de ne s'adresser ni à l'un, ni à l'autre ?  Mais il se peut néanmoins que l'intuition magique de l'enfance, qui en nous ne dort jamais que d'un œil, rappelle des révélations enfouies et que l'esprit rationnel prenne plaisir à déchiffrer, sous le contenu manifeste de cet inconscient universel, la logique de son contenu latent.

Il s'agit d'une écoute à trois niveaux — romanesque, symbolique, musical — plus déconcertante, sans doute, mais plus active que l'écoute unidimensionnelle.

La trajectoire humaine de Bruno Bettelheim, dont la réflexion est à l'origine de ce parcours étoilé interfère, pour des raisons évidentes, avec ces histoires de jadis qui nous questionnent encore sur notre époque.

Dans la "forêt profonde" de Francis Dhomont : cette visite guidée de l'âme enfantine n'est, à vrai dire, qu'un retour au monde initiatique — à la fois cruel et rassurant — des contes de fées. Ci dessous un extrait lumineux écrit par Bruno Bettelheim.

 

cf. "La psychanalyse des contes de fées" : (Extrait) 

Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d'abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts.

 

Remerciements à Francis Dhomont, au site Arts sonores et à l'INA.

Bonus à lire : ICI

Source-liens  : by Paul avec l'oreille bienveillante de Raidi pour.

Photo  : by frasby, Loin des regards, une forêt.

© P /Frb/ Rp 2011.

dimanche, 06 novembre 2011

La voix

Il me semble avoir, toute ma vie, entendu une certaine voix, étrangère à moi-même et pourtant très intime, qui me parle par intermittence et ne peut pas ou ne sait pas,  ou ne veut pas me dire tout ce qu’elle sait. Un guide quelquefois, parfois aussi un abîme, un conseil dangereux, mais toujours une vérité revenue de très loin, exigeante et irréfutable, une sorte de démon de la conscience, de la connaissance (ou plutôt de l’inconnaissance), m’imposant le devoir absolu de transcrire avec soin, ses injonctions, ses plaintes et même ses menaces.

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Lorsque à mon tour, c’est moi qui interroge et qui demande : "Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but ?", cette voix ne répond pas, mais elle a du moins le pouvoir de me communiquer une certitude obscure : c’est que (peut-être dans ce monde, peut-être hors de ce monde), il existe une région sereine et innocente où tout est su, compris et consommé d’avance. Où la rencontre d’un seul avec tous est non seulement possible mais attendue depuis toujours. Au-delà de toute vie et de tout déclin, de toute présence et de toute absence, de toute joie, de toute douleur, au-delà même de toute parole, une "réconciliation" avec ce qui nous dépasse et nous dévore. La fusion et le retour des êtres séparés qui se retrouvent dans l’unité, dans l’absence originelle.

JEAN TARDIEU : "Da Capo", éditions Gallimard, 1995 (P.35).

 


 

 

Photo : Détail d'un tableau de Christophe Miralles, "Le souffle de vie", photographié au mois de Septembre 2011, à l'église St Polycarpe rue René Leynaud, lors d'une visite de l'exposition collective intitulée "Le souffle", inscrite dans le cadre de la 8eme biennale d'art sacré actuel de Lyon.

 

Lyon  © Frb 2011

vendredi, 04 novembre 2011

Sound of silence

Un claquement de doigt, un bruit de tonnerre :
et il ne reste du monde extérieur qu'un silence sans fond,
un silence qui ruisselle sur nous
comme un torrent vigoureux et bienfaiteur…

Jack KEROUAC

sound of nb.jpg

Tant que le particulier illustrera le thème du silence entendu par l'homme occidental, jouant contre lui même et contre un désarroi ; on ne pourra pas reconnaître, à ce point délicat, nos limites. Ou simplement les limites de nos capacités d'écoute, il est vrai qu'on ne nous a pas spécialement appris à considérer  le silence ou bien on l'aura fait sans trop de nuances, sous forme d'abord (ça commence à l'école) de discipline puis ensuite comme une chose assez floue n'étant au fond qu'un phénomène qui viendrait toujours s'opposer au bruit, au mieux un espace de relaxation, des choses du genre, etc...  L'abandon où le silence déplacerait la perception au delà, (ou dans l'intervalle d'une musique), c'est différent, nous jetterait, à peine plus loin et déjà nous nous sentirions menacés.

Depuis des siècles, nous devons nous contenter de cela, et bien après celui de Galilée, nous en éprouverons un vertige, c'est le même qu'autrefois. La contemplation du silence absolu de l'homme occidental, redoutant ses ténèbres, on le sait au moins depuis Pascal que le silence est négatif et toujours effrayant. La formule est indémodable :

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.

Ce genre de cri à peine audible apparût lorsque l'infinité de l'espace fût enfin révélée via le télescope de Galilée. Bien plus tard, par goût de la recherche, pour l'expérience, on enferma des êtres humains dans des pièces parfaitement insonorisées. Ceux qui entrèrent pour la première fois  en sont ressortis tellement effrayés, qu'ils crurent avoir été enfermés un court instant dans un cercueil. Cette hantise ancestrale revenait, ils ne pouvaient s'en alléger même en sachant, touchant la preuve qu'il ne s'agissait que d'un artifice, une expérience fort brève, ils savaient raisonnablement qu'une pièce isolée (cf. l'expérience du caisson d'isolation sensorielle) ne se refermerait jamais de la même manière qu'un cercueil. Malgré cela, d'instinct, ils pouvaient encore éprouver cette frayeur, de rester là, vivants en présence de la mort, "retenus" pour l'éternité, fermés à l'intérieur. Ce serait la pire mort, comme nous revient, parfois au milieu de la nuit, cette peur superstitieuse (l'enfant ne l'ignore pas), d'être enterrés vivants et de racler ses ongles contre le bois sans que jamais personne ne nous entende hurler. Le silence pourrait-il provoquer cela ? (Rassurez vous, je n'ai pas la réponse).

Ceux qui ont expérimenté les premiers, ces pièces insonorisées ont décrit leur sensation en sortant, (cela une fois au moins, leur traversa l'esprit qu'on pouvait les lâcher et les laisser mourir seuls, là dedans, comme jetés au néant d'où ils ne sortiraient jamais). Toujours pour l'expérience, on leur demanda de parler à l'intérieur de cet espace, il était question de savoir comment ils entendraient le son de leur propre voix, parfaitement isolée du reste du monde, comment tout cela s'écoutait. La plupart ont relaté que lorsqu'on parle dans cet espace, le son semble tomber directement des lèvres au sol, et les oreilles ont encore du mal à capter l'éventualité qu'il pourrait y avoir, au même moment autrepart toujours de la vie sur terre. Quelque chose bruisserait-il à l'extérieur de ce lieu isolé ? Tous ont eu quelques difficultés à l'admettre tant qu'ils n'étaient pas sortis de la pièce. Lorsque John Cage entra pour la première fois dans une pièce insonorisée, il entendit pourtant deux sons : l'un aigu, l'autre grave. Il relate :

Lorsque je le décrivis à l'ingénieur du son responsable, il m'expliqua que le son aigu était celui de la tension de mon système nerveux, le grave, celui de la circulation de mon sang.

John Cage arriva alors à la conclusion suivante, un manifeste qui ne manque pas de toupet :

Le silence n'existe pas.

Il y aura toujours quelque chose pour produire un son. Lorsque l'homme se place au centre de l'univers, le silence ne peut-être considéré que comme approximatif, jamais comme absolu. C'est à partir de cette révélation d'abord éprouvée in situ, que John Cage intitulera avec humour son excellent  livre  "SILENCE", désirant surtout attirer l'attention sur le fait que pour l'homme moderne, l'usage de ce terme se doit d'être encore ironique. Avant John Cage, on pourra trouver chez Edgar Allan Poe, déjà l'esquisse de cette idée dans "Al Aaraaf", il écrivait :

Le calme, nous l'appelons silence qui est le mot le plus simple de tous.

Il faudrait ajouter que la négativité du silence a fait de ce silence dans l'art occidental, l'élément le plus chargé de virtualité parfois obscurément/ confusément, tout dépend, (sujet peut-être à suivre). On pourra scruter ce silence et le revoir à l'avantage, l'enseigner autrement que par toutes sortes d'idées reçues (insignifiant , négatif, vide, absence, néant, négation, lâcheté, camouflage, fuite, discipline, etc...) quand on s'apercevra peut être que ce silence est en très grande partie, perdu : essayons de retrouver dans une ville par exemple, ce silence respectable et vital et l'on se heurtera d'évidence, à une sorte de peine elle aussi perdue. Cet art du silence ne semblant toujours s'envisager comme enseignement véritable qui pourrait considérer le silence comme une valeur équitable à toute forme de conversation ? C'est un regret, le silence contient sans doute hors du cadre, une liberté qui dépasse nos conversations (que cela soit dans la communication avec les autres ou dans nos tergiversations mentales, peu ou pas communicables). Le silence inapte à trouver un alphabet connu qui nous convienne, nous réunit pourtant, au moins autant que la parole aura le pouvoir de créer recréer des liens sans avoir forcément à se liguer contre le silence.

L'esprit peu formé par les sons, abordera d'une moindre écoute ce qui  est pourtant une invitation, ("sound of silence"), on vivra trop souvent le silence comme une agression et replets de notre éducation, il sera toujours préférable, (à notre entendement et par confort), de le couvrir de bruits. Sans toutefois l'affirmer avec certitude, il me semble que ce n'est pas le silence qui serait trop à craindre aujourd'hui, mais davantage la valeur positive qu'on accorde généralement aux bruits (plus souvent encore à l'importance de nos conversations) ; ou à cette pensée qui ne sait se retenir quand elle ne peut plus librement osciller (cf. Paul Valéry), entre le sens et le son, et vient imposer avec assurance une incessante réinjection de nappes taraudantes produisant un bruit de fond, enivré de lui même, cela pour parer, on le pense, à l'angoisse éternelle décrite en peu de mots par Pascal et bien d'autres.

On ne redoutera jamais assez la pensée qui ne se fiant qu'au pouvoir des mots, (réfutant le silence et croyant démasquer en lui un ennemi), ne fait que révéler les limites de sa perception. Tout cela, n'est pas condamnable car, presque rien à ce sujet ne nous aura été appris. Nos apprentissages se font avec l'image, l'image et les conditionnements reviendront toujours au galop (le bon sens près de chez vous) quant à prétendre qu'ils découleraient d'un "naturel" est une autre question. Les enfants évoluent au commencement de leur éducation avec les livres d'images, mais c'est assez idiot de rappeler qu'avant de regarder des images, l'enfant prit sa forme définitive dans un refuge à peu près silencieux (et à peu près sonore), paradis perdu bienheureux pour certains, mystère incommensurabe pour d'autres, bref, ce fût toujours un silence (comme l'entendait John Cage) qui prépara de longs mois le petit d'homme à être propulsé (bruyamment) dans un monde de bruits.

Sommes-nous en train de perdre jusqu'à la notion de silence ? De perdre le silence tout court. C'est possible, ignorant au regard de notre savoir présent (et de nos sociétés recevant de plus en plus d'outils destinés à la perception) ce que le silence contient en informations. Tout semble prêt aujourd'hui pour encore plus le recouvrir. Mais je ne ferai pas de prosélytisme, quand déjà parler du silence est en soi une aberration, bien que ce billet ne traite pas de silence, exactement, (puisqu'il n'existe pas) mais d'un certain déséquilibre qui se crée à toujours construire sa pensée à partir d'une opposition.

Enfin, pour terminer, ("Sound of silence", étant un thème inépuisable), il pourrait y avoir tant de développements que l'embarras du choix dans ce désordre, me poussera paradoxalement encore vers la musique et puisqu'il faut choisir, j'aurais une pensée pour Anton Webern qui composa, (on pourrait le croire), avec une gomme, et mena dans sa création musicale, le silence à sa beauté la plus extrême, une recherche artistique patiente, on pourrait dire, jusqu'au bout du silence ? Peut être... Ironie encore, quand on sait que sa vie s'acheva dans la détonation d'un fusil. Est ce la détonation qui se donne d'ordinaire naturelle contre le silence ? Oui, et non. pour ce cas c'est une triste méprise. A quelques détails près, on dit qu'Anton Webern le soir du 15 Septembre 1945, sortit sur la terrasse de sa maison d'accueil pour fumer un cigare, et  apprécier la nuit. Oubliant le couvre-feu, il fût tué par une sentinelle américaine, par erreur, "Et pan !", il en fût fini de la belle écriture à la gomme. L'esthétique novatrice d'Anton Webern fut souvent comparée aux petits haïkus japonais dont certains auteurs devaient mourir plus volontiers d'ivresse et de noyade par inattention en désirant (c'est un exemple) toucher la lune dont le silence épousait les glougloutement d'un lac ou le reflet gourmand d'une rivière un peu (trop ?) profonde.

De Webern à Kerouac (en passant par le pont au dessus de l'eau où vont les objets flottants silencieux (poissons, algues, origamis, bref, ces haïkus qui ne l'ont pas encore ramenée) il n'y a qu'une passerelle qu'on franchira je l'espère, cette fois sans distorsions, ce blog s'adresse aussi, on ne l'oublie pas, aux lecteurs ou amis en majorité silencieux, qui manifestent sans qu'on en ait la "preuve" (a-t-on besoin de preuve ?), une présence et participent, en silence... Il se peut que parfois sans aucun point d'appui, (et sans flagornerie), on ressente étrangement les mutiples formes de cette participation, improbable enchantement d'un art pourtant réel, de la présence qui ne se dit... Le silence n'a rien d'une bonne planque, il n'a pas tant besoin de se trouver à l'étiquette, verrouillé de définitions, n'étant pas strictement ou ceci ou cela, il ne s'opposera pas non plus à la parole qui n'a jamais trop de difficultés à le réduire à néant ou à le déprécier (le contraire moins envisageable ne se ferait qu'au prix inestimable d'une certaine dépossession). Voici, après ces papotages, la perle tournoyant sur une goutte de pluie, fermant la boite à camembert de la petite crèmerie, les porte-voix et nos boudoirs se trouveront légérement balayés, (une seconde, c'est très peu), par l'oreille du grand voyageur.

 

 

Le son du silence
est toute l'instruction
Que tu recevras

 

 

Photo :  Vestiges (extrait) rencontrés à Cluny (fondée en 909 ou 910), une image simple perdue à la fin de l'été, où le silence roulant encore entre les pierres suggére les figures béates ou les grimaces des sculptures créees par les artisans anonymes du Moyen-âge. Leur parole se fige là, au secret, fidèle à celle des moines recopiant les prières. Ici la clarté et des ombres, le silence profond de l'édifice secoué aux heures ouvrables par les exclamations des touristes, et parfois du vieux rire de la révolution venant avec fracas presque tout démolir, (vingt cinq ans de démolition d'abord tonitruante puis étonnament silencieuse), le bruit et le silence tout entiers confondus, et plus loin, qui sait ? Le frémissement d'une plume d'oiseau ouvragerait les fleurs d'un chapiteau qui se dore au soleil, garde peut-être sous les pierres, la mémoire impossible des voix qui n'ont jamais pu revenir. Photographié, cet été de cette année là.

 

©Frb 2011.

dimanche, 27 mars 2011

Prélude aux secrets de la création

Je fais mon oeuvre comme je dois, comme je puis, voilà tout ce que je peux vous dire.

Claude DEBUSSY  (mais ceci n'est pas une oeuvre de Claude Debussy)


 

 

mardi, 26 octobre 2010

Une heure à la Manille

Une petite fantaisie me prend, de créer une nouvelle rubrique, qui consisterait à m'installer une heure ou plus, de temps en temps, (certains jours, donc !), dans un café de Lyon (ou d'autres villes) et d'y laisser trainer une oreille, avec ou sans dictaphone. Au hasard de balades je choisirai les cafés qui me semblent les plus accueillants ou les plus insolites, tout cela laissé à l'appréciation du moment. Le café de "La Manille", est un très vieux bistro de Lyon, et ce n'est certes pas un choix de hasard, je l'adore entre tous, et j'augure la rubrique par mon quasi préféré, il est situé rue Tupin, au niveau "Cordeliers", pas très loin du vacherin, sur la presqu'île de Lyon, la clientèle y est variée, très sympathique, elle va du d'jeun à demi-looké, au papy rutilant, en passant par tous styles d'âges et de gens. La déco depuis plus vingt ans n'a pas changé. L'accueil y est vraiment extra, on pourrait même dire carrément "bonne franquette". C'est un lieu ordinaire à vue de nez, et plutôt extraordinaire, mine de rien, quand on le connaît bien. Un endroit où il fait bon lire, écrire, vivre (et laisser vivre), enfin bref ...

manille0275.JPG

Situation :

La rue Tupin est calme, les gens assis à la terrasse  discutent des évènements, chacun semble assez détendu, l'ambiance générale est sereine malgré la gueule de bois de la ville toute cassée encore par endroits surtout dans le 2em arrondissement. Rien ne pourrait faire penser au voyageur tombé là par hasard, que la semaine dernière Lyon, fût à feu et à sang. Je lis le journal que Manille nous prête collé au bout d'un grand bâton presque aussi long qu'une canne à pêche. Deux femmes arrivent, s'installent, il s'agit d'un couple de femmes, l'une ressemble à Eva Joly, je me dis que c'est peut-être elle ?... L'autre plus pulpeuse a un côté variété 70, une sorte de Michèle Torr, en plus light, (donc ce n'est pas elle) elle a une belle voix grave et commande deux cafés. Dix minutes après la serveuse revient avec les cafés, elle s'excuse elle dit que le service a pris du retard. Les gens de la table à côté s'en vont, je reste seule, je regarde passer les Vélov' qui grincent et ralentissent devant la pizzeria d'en face et de longues minutes passent...

Mise en bouche :

 Deux hommes d'affaire discutent en sortant du café-restaurant : 

- Je serai fixé sur mon sort dans une heure.

Il serre la main à un autre monsieur plus vieux que lui mais qui lui ressemble (le même, donc, en plus étoffé)

- Et si ça ne marche pas, qu'est ce que tu vas faire ?
- Ce que je vais faire ? Oh ben tu sais ça j'en sais rien, je ferai comme tout le monde, j'irai à Pôle-Emploi. (Ils rient).

Deux hommes s'installent à la table jusqu'à côté de moi (les tables se touchent presque ainsi puis je entendre parfaitement la conversation comme si j'étais attablée avec eux, j'enclenche le dictaphone, pour le plaisir de la lo-fi :

Conversation :

- 32000 tu te rends compte ! les charges c'est 10%, tu te rends compte ? Ca fait des sommes énormes, payables avant 30 jours, je prends ça comme une sommation
-  C'est pas possible, Patrick, il faut que tu les fasses patienter
- Tu rigoles ! avant c'était 4000 et comme c'était un gros dossier, j'ai déjà obtenu une ristourne...

(Silence)

- He ben ...

(Un homme qu'ils semblent bien connaitre passe rue Tupin, il hurle)

- Alors les deux jojos ! ils z'ont pas fini leur causerie et ils prennent leurs cafés dehors comme deux pachas !

celui qui disait "he ben!" répond et du tac au tac :

- Crie plus fort, Dominique, tant qu'à faire, prends un porte -voix ! tu veux t'asseoire ? Viens dont boire le jus avec nous  !
- Non, non ! je vous laisse j'ai rendez vous, je suis pas en avance ! (il s'en va)

Les deux hommes continuent la conversation :

- Tu te rends compte 32000 !
- Mouais ! à ce compte là vaut mieux travailler dans le bâtiment.
- Dans le bâtiment ? Mon pauv' vieux ! j'y crois pas moi au bâtiment !
- 32000 merde ! tu te rends compte les charges ! Pour St Rambert, tu te rends compte !
- Ouais, bon,  pour St Rambert c'est pas tellement quoique si tu payes que 20 euros ton appartement, ça vaut le coup de refaire le calcul...
- Ouais si je paye le loyer avec le budget de la communauté, mais ça va pas le faire, c'est trop risqué, je préfère aller à Ambérieu dans l'Ain, je gagnerai moins mais au moins je serai libre, et puis ce serait une tranquillité, rien ne passera sous la table, tu comprends Martin, il est sympa mais c'est un gros filou et moi j'ai des comptes à rendre au conseil régional, d'ailleurs Tournier a piqué une colère l'autre jour, une colère monstrueuse, parce que Martin c'est peut être un énarque mais il marche trop sur les plates bandes des autres, sans compter tout le fric qu'il pique dans les caisses de la collectivité
- Merde ! à ce point ?
- Tu parles ! il se démerde comme un politique, mais c'est un parfumeur
- Ah bon ? il est parfumeur ?
- Mais non ! c'est une métaphore, je veux dire qu'il embrume tous ses partenaires

(Silence) les deux hommes plongent chacun dans leur café et leurs pensées... Cela dure de longues minutes. L'autre reprend.

- Les vitriers vont faire fortune.
- C'est sûr, c'est fait ! tu as vu ce massacre, jeudi, rue Victor Hugo  ?
- Ouais mais Hortefeux a promis une enveloppe, il a donné 80 000 euros pour la bijouterie, le magasin de chaussures et le magasin vidéo, il va sûrement donner l'enveloppe au préfet
- Ouais, ouais ouais ! au préfet !
Ils se regardent et éclatent de rire
- Tu penses à ce que je pense ?
-  Ouais, ouais ! faudra qu'on en reparle dans deux mois de c'histoire là, tu paries un restau ?
- Ouais ! d'accord ! (ils se tapent dans la main)
- Je vais te dire que Jean-Jacques il va asticoter son gamin, il était parmi les casseurs
- Tu parles ! ah ! ah! un gosse de riche ! ah ! ah ! ah ! c'est trop marrant. C'est comme en 68 !
- De toute façon il n'y aura pas de nouveau 68, en 68, il y avait le pognon, on avait du boulot, y'avait tout, c'était juste un problème tout autre, on l'a fait à cause des mentalités, c'était d'un archaïque !
- Ouais (dubitatif) la France De Gaulle, c'était mortel !
- N'empêche que moi, je maintiens les quatre ans où je n'ai pas voté, je ne voulais pas voter pour des blaireaux et c'est tout !
- T'as peut être au raison, moi j'ai voté Ségolène par dépit, mais je pense que le PS a tout laissé passer et c'est inadmissible, et regarde maintenant où en on est !
- Des blaireaux j'te dis ! non mais t'as vu ? Après tu vois Nicolas Sarkozy, un mec comme ça qui se retrouve au pouvoir c'est quand même pas possible !
- Après les français, ils peuvent choisir Fillon, il sera plus large d'épaule...
- Tu déconnes ?  Fillon large d'épaule, ah ! ah ! ah! non, merde ! faut pas pousser ! il a pas le charisme ! Balladur n'avait pas assez d'ambition et Juppé il a trop de casseroles, Sarko je suis navré de te le dire comme ça mais il l'a lui, le charisme ! il est malin, il s'est servi de Balladur, il s'est fait propulser...
- Et y'avait l'autre là, tu sais le zigue à Chirac sorti de nulle-part, celui qu'a une tête d'oiseau...
- Ah ! Raffarin ! ouais bof ! bien placé, mais vraiment trop sorti de nulle part ! ce mec là c'est un prof il a donné des cours au Québec, c'est Juppé qui lui a passé le tuyau !
- Merde alors ! ces gars là c'est vraiment des polichinelles
- Ouais ! mais c'est des polichinelles qui tiennent la route. Ils resteront.
- Tu plaisantes ?
-  Mais oui, bien sûr que je plaisante ! ah ah ah, Ducon, je t'ai bien eu !

 (ils se lèvent et s'en vont en pouffant)

Fin du premier acte. La suite bientôt mais dans un autre café de Lyon (ou d'ailleurs) ...

Photo : L'enseigne, du beau café de 1860. "Cadre simple", dit-on "rétro" mais pas si "branché" que ça. On y boit et même qu'on y mange pas mal, pas cher, (plat du jour 8.70 €, formule déjeuner 11.70 €). "La Manille" est située au 32 rue Tupin dans le 2em à Lyon elle est ouverte du lundi au samedi de 7H00 à 20H30, avec terrasse et véranda chauffée en hiver. Que demande le peuple ? Aurait-il besoin d'autre chose ? Frb© 2010.

jeudi, 21 mai 2009

Voix et volutes

"J’appelle à moi les tornades et les ouragans
les tempêtes les typhons les cyclones
les raz de marée
les tremblements de terre
j’appelle à moi la fumée des volcans et celle des cigarettes
les ronds de fumée des cigares de luxe
j’appelle à moi les amours et les amoureux
j’appelle à moi les vivants et les morts ... "

ROBERT DESNOS. Extr. "La voix de Robert DESNOS" (14 dec 1926), in "Corps et biens". Editions Gallimard 1953.

vivants et les morts.JPG

Ros(s)er la vie en grises volutes. Les cigarettes de Robert D. ne connaîtront jamais, (on l'espère !), le sort de "la pipatati"... Desfois qu'il "leur" vienne à l'idée d'effacer carrément du poème, ces "ronds de fumée", et autres volutes Desnosiennes, pour livrer l'oeuvre enfin, nettoyée des scories, à nos chers têtes blondes. On enlèvera aussi peut-être des manuels, que Robert DESNOS était un mauvais élève, enfin, il n'aimait pas les cours, (ce n'est pas pareil), ni le patriotisme qui s'apprend dans les écoles, préférant lire des bandes dessinées, les revues "l'épatant", "l'intrépide" les feuilletons populaires, (dont Fantomas). Tout ce que les surréalistes nommeront plus tard : le merveilleux dans la naïveté populaire ou plus précisément encore je cite : "la poésie involontaire".

Les poèmes de R. DESNOS, de la fin des années 20's et des années 30's se sont inspirés de cet imaginaire très enfantin. Héros grandiloquents, Far West, et autres invincibles fous d'aventures. Les surréalistes reprocheront à DESNOS certaines oeuvres, oubliant que DESNOS fût d'abord un autodidacte à la vaste culture mais jamais un lettré, ni un savant. Il est vrai que quand DESNOS se lance dans l'alexandrin, celui ci a parfois treize pieds. Quelle importance ? Le treizième n'est peut-être (qui sait ?) qu'un petit vers offert par la maison et jeté par dessus les fagots comme il l'écrira avec belle conscience :

"Je ne suis pas philosophe, je ne suis pas métaphysicien ... Et j'aime le vin pur".

Ah ! l'imprudent ! après la cigarette, les cigares de luxe, le vin pur !  Il faudrait coller un avertissement sur ses livres : "Lire DESNOS nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage". Juste par acquis de conscience. Pas interdire. Prévenir nos jeunes ;-)

DESNOS, L'enfant terrible, le fou de liberté, appelant par sa voix, à minuit triomphant, les breffrois et les peupliers pour les plier à son désir. DESNOS se laissant adorer par des femmes qu'il n'adore pas, qui viennent à lui et obéissent. DESNOS faisant rougir sur ses lèvres les ouragans, gronder à ses pieds les tempêtes...

(Voilà ce qui arrive quand on boit trop de vin pur, quand on fume trop. Plus de bon sens !)

DESNOS appelant les fossoyeurs, les assassins, les bourreaux, les pilotes, les maçons, les architectes. DESNOS invoquant même la chair. (de sa chère) :

J’appelle la chair
j’appelle celle que j’aime
j’appelle celle que j’aime
j’appelle celle que j’aime...

DESNOS invoquant les vieux cadavres, les jeunes chênes coupés, les lambeaux d'étoffes pourrissant, le linge sèchant aux alentours des fermes, DESNOS par sa voix ressucitant les vieux cadavres, DESNOS rendant la verdure aux jeunes chênes coupés, DESNOS recevant les baisers d'ivresse des cyclones, DESNOS revêtant les vapeurs des fumées des volcans...

"Et Les ronds de fumée des cigares me couronnent".

Toujours par le pouvoir presque invincible d'une voix.

Ainsi monte l'appel. Et dans la nuit, la ritournelle, triture son fil*. DESNOS sait pourtant où il va. ( "Yvonne"* !). Il en appelle à tout ce qui existe, existera, gronde ou subsiste. Jusqu'au chaos. La solitude la plus extrême. Ce qui est effrayant dans le chaos, ce n'est pas la menace même, mais l'absence de tout repère fixe. Il y en a un pourtant. Yvonne. La seule que sa voix n'atteint pas. Unique chère (de sa chaire). Cette unique qui n'entend pas :

"Les maçons ont le vertige en m’écoutant
les architectes partent pour le désert
les assassins me bénissent
la chair palpite à mon appel

celle que j’aime ne m’écoute pas
celle que j’aime ne m’entend pas
celle que j’aime ne me répond pas."

http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/05/2...

Photo : Les rôle s'inversent sur cette affiche qui fait un peu penser à certains graphismes fin 60's début 70's, (à certaines images situationnistes entre autres). Supposons que ce soit Yvonne...

"Attendre que quelqu'un veuille bien m'écouter, que quelqu'un veuille bien me comprendre... Ils ne peuvent accepter une idée qui ..."

Une idée qui... Quoi ?

Attendre. Ne pas entendre... A quelques lettres près. Mondes en instance. Irréciprocités. Loi de l'offre et de la demande. Quête incessante... Ici l'affiche épouse le grain du mur. Un visage toise le promeneur d'un sourire mitigé. Des questions sont posées. Essentielles. Vu rue de Crimée (la belle graffée) sur le plateau de la Croix-Rousse à Lyon. Mai 2009. © Frb.