mardi, 01 novembre 2016
Le voyageur
En secret nous glissons dans les ténèbres par le chas de l'aiguille.
REINER KUNZE in "Le poète Jan Skácel", (traduit de l’allemand et du tchèque par Gwenn Darras et Alena Meas), éditions Calligrammes, 2014
Un promeneur sans souvenirs, rentre chez lui, longtemps après, mené aux confluences lui prend soudain l'envie de changer de direction. Juste avant, il revient sur ses pas, revoir le paysage qu'il avait tant aimé. Il n'en reconnaît rien et ne s'y retrouve plus.
Il contemple une image qui a dû le représenter autrefois avec nous et tant d'autres, il a anticipé puis l'image s'est brouillée. Un glissement s'opérait qu'il se doit d'effacer. Il peut fouler du pied ce qu'il a recueilli, réfuter son histoire à l'instant où redevenu l'autre, il sait - et comme tant d'autres qui sont passés par là - il sait où il en est.
Pas de connotation pour encombrer la voie dont la réalité la plus inaccessible est cet état d'oubli ou d'anéantissement protecteur, garantie invincible de l'homme en sa peau neuve. Il est le voyageur qui ne cesse de renaître et revivre en perpétuel trip, perpétuel rôdeur, étranger à lui même, il est cet inconnu qui s'embarque sur des rives, se pavane en touriste curieux des petits mondes ; puis la seconde suivante il pourrait reconnaître un visage familier qui lui ressemblerait, s'il n'avait pas jeté sa vieille peau par la fenêtre, s'il n'était pas passé de l'autre côté du pont, en quête d'autres rivages, plus peuplés et si vastes.
L'homme entré en son cycle absolument nouveau a laissé au pays, le vieux garde du corps qui protège un trésor, des malles couvant les traces d'une tout autre personne. Il ne peut de si loin relier toutes les escales. Il est le voyageur tirant le casanier de son inhibition, il est le passager qui permet de garder ou jeter, d'exalter ou d'honnir. Il a vu les passeurs se noyer dans le fleuve. Il sera l'exilé, entré au coeur du monde se délestant du poids des anciens compagnons, des animaux fidèles, des bibelots, des carnets dispersés sur des pages aux angles repliés comme des petits bateaux. Il sera sans passé, sans mémoire, ni bagage, comme s'il avait été tout ce temps qui coulait, jouet d'apparitions, si bien qu'aucun, aucune, qu'il inventait gaiement dans le continuum ne pourraient être sûrs de se reconnaître à nouveau.
Photo : Le voyageur (hors cadre) entre dans la fiction de toutes nos promenades. Là, des strates - deux vitesses, deux niveaux dans un même et fragile équilibre - voyageur sur la berge juste au niveau du fleuve, et voyeur (photographe) aux aguets sur un pont, aucun des deux points de vue ne semblerait meilleur (qu'un autre) même si la vue du pont embrasse des perspectives lointaines époustouflantes, elle étreint le même air, fugue approximative, ou blue note, dissonnances que sifflait ce jour là, l'inconnu sur la rive (le même vent dans la gueule ou dans le dos, tout dépend), elle vise la même langueur, même ralentissement qu'un marcheur coutumier de la belle ville de Lyon remarquerait un jour, soudain saisi d'un charme, et d'un lent bercement peu commun aux grandes villes. Peut-être cela vient-il de cette omniprésence de l'élément liquide où le soir, les couleurs des façades de presqu'île, aux nuances florentines, se changent en gris tirant vers le bleu azurite parsemé des pigments "dark sea green", ou bien ce sont les ponts, les passerelles, les bateaux qui procurent l'impression aux marcheurs de glisser et flotter au milieu d'un tableau, mais chacun sait, au fond, - au fond de quoi ? Tout conte fait - que ce n'est qu'une impression...
"Et topantru, lis tolflent" (Galilée).
Sonothèque: (crin-crin remis à flots), loin, la voix de son maître, Guillaume Apollinaire récite "Le voyageur".
Sur les bords fleuve Rhône, en direction du parc.
© Frb 2015- remix 2016
dimanche, 17 juillet 2011
La plage
Nous nous hâtons, pour survivre, de confondre l'univers avec le tissu d'amitié dont nous sommes entourés, tant il est vrai que le plus difficile dans l'existence c'est de ne pas se laisser décourager par la solitude.
J'attendais sur la plage, le vent brouillait les personnages tout ce que nous avons cru voir ne pourrait exister ici. A nouveau, tu voyais la pluie inonder ton pays. La rue prit une couleur de cendres. Rien ne saurait prouver que c'était réellement la pluie de ton pays qui venait dans ma rue. La pluie retombait dans la pluie et la pluie balayait la pluie. Un fil enroulait le pays, la tristesse de Novembre se moquait de la plage, et nos joies ruisselantes furent lasses de se baigner dans l'eau de ces fontaines aux abords vert de gris.
Nous ne pouvions nous retenir de courir sous la pluie. Le chaud et le froid soufflaient l'ombre au milieu des reflets, je fondais pour eux mais je sens l'idiotie nous surprendre quand tu ouvres ton parapluie qu'il se tourne à l'envers sous le vent, tu le jettes à la rue, le reprends, puis pareil, tu fais tout pareil à nos vies. C'est l'idiot qui perd sa baleine paré d'un caban vert de gris c'est toute la nudité du ciel et c'est encore la pluie qui traîne, longtemps après la pluie, la longue pluie de Verhaeren, comme des fils sans fin [...]
La pluie et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
...
Photo : Reflets sur le bitume du cours Vitton, à Lyon, réflection et fragments d'une plage où les reflets inversent le pays, photographiés un jour de pluie en ce mois de Juillet deuxmille etc...
© Frb 2011.
06:57 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent