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vendredi, 02 mars 2012

Impression de voyage

Nous vivons bien à l'aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l'existence d'une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes.

PAUL VALERY : extr. "Monsieur Teste", L'imaginaire/ Gallimard 1946.

flou train.JPG

Comme s'il fallait toujours s'éloigner de ce qui fût trop proche, comme s'il fallait ne se fier qu'à la captation d'un mouvement qui prend de la vitesse, pour s'imaginer autre, le mouvement devenu l'unique réalité étrangement saisissable, portant au plus haut point la curiosité et la capacité d'attention, abolirait progressivement les dimensions de l'existence personnelle, effaçant les événements à mesure que la mémoire s'appliquerait à les convoquer. Du moins, est-ce un souhait trop difficile à énoncer, tant il paraît aussi léger qu'un rêve. Un état où il serait en même temps possible d'accepter la destruction de sa propre histoire, et l'idée de n'en rien rejeter, se relier à l'inconcevable détachement né d'un attachement véritable autant qu'il deviendrait possible de regarder sans fureur les déflagrations qui ont entaché ce souvenir. Infiltrer en soi le présent plus entier qu'au coeur d'aucune autre conversation, bercé par le coton des voyages, entre une destination épuisée et le point d'ancrage encore vierge où l'on irait sans doute, tôt ou tard, s'attacher de la même façon qu'hier. On s'attacherait ailleurs, quoiqu'on dise, on recommence presque toujours la même histoire en tous lieux. Mais dans l'improbable lieu qui raccorde et répare, dans ce mouvement de dépossession lente, livré aux grincements étouffés, roulements rondement crissés des mécaniques, délivré de n'être à aucune place pour personne, on verrait un début de réconciliation exister entre-deux, rendu à l'anonymat idéal, parmi des issues entrevues, on se surprendrait approuvant le cours des évènements, et le voyage allégé des raisons même qui faisaient voyager pourrait enfin prendre son sens dans une parfaite vacuité, délesté du sang des regrets, des ressassements désastreux de l'intimité. A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. 

Photo : mouvement du 952861184 saisi entre deux gares.

© Frb 2012.

Commentaires

"chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau"
cette tête d'oeuf penseur pensant et repensant de Valery
n'a jamais dû de sa vie tenir en pogne une canne à pêche , au petit matin , au bord un peu embrouillardé d'une rivière (on dira la Grosne , par pur hasard) sinon il ne ferait pas une comparaison aussi stupide ! aucune peine pour "imaginer un poisson heureux" dans son eau qu'elle soit courante , stagnante , douce , salée etc etc Un poisson n'a aucune tache sisyphéenne à accomplir : il suit le cours de son eau (en amont ou en aval selon son humeur et les "opportunités" nutritives)
et jamais un poisson n'a eu l'idée saugrenue de "regarder passer les trains"

Écrit par : hozan kebo | lundi, 12 mars 2012

photo et texte collent bien ensemble c'est floutté pour ce voyage que tu dis allégé afin de découvrir ce que nous sommes

Écrit par : alex | lundi, 12 mars 2012

@Alex : Merci pour tes lectures ici, le flou allégeant, oui, voyage allégé, pas gagné, tout dépend pourquoi on s'en va, dans ce cas de figure, oui ; le flou est comme la forme du vêtement qui ne colle pas près du corps à tel point qu'on ne le sent pas, je ne sais si on vient à bout, un jour de ce que nous sommes mais une vie entre deux trains, au moins nous met en disponibilité, aussi dans le contact avec les autres, peut-être, est-ce cela découvrir ce qu'on est, en n'occupant aucun terrain précis. Peut-être ?

Écrit par : frasby | lundi, 12 mars 2012

@hozan kebo : Ah mais non ! objection, mon ami, en vous lisant je m'interroge : Qu'est ce que vous en savez, d'abord que les poissons rouges ne regardent pas passer les trains ? Qui vous l'a dit ? Je doute ; (pardonnez moi de douter à ce point) mais il m'étonnerait que Melle Lacarpe ait osé vous confier une telle chose car je sais de source sûre d'une libellule de la Grosnes que Dame Lacarpe bien en chair fort goûteuse, a toujours su garder un secret dans son jus :http://carpoblue58.centerblog.net/38-carpe-au-four-au-vin-blanc /
Le poisson à la tâche Sysiphéenne, est très rare, je vous l'accorde, quoique avec les nouveaux poissons rouges transgéniques, à pis de vaches, par exemple, la tâche du poisson sera demain prométhéenne, mais s'il faut recadrer sur Paul Valéry, c'est sûr qu'avec son copain Gide ils ne devaient pas aller à la pêche tous les jours, d'où le teint pâlichon du bonhomme et ses charmes (!:O),
ah, la la ! ma bonne dame ! n'est pas Jim Harrisson qui veut ...

Écrit par : frasby | lundi, 12 mars 2012

L'entre-deux, "entre une destination épuisée et un ancrage encore vierge" :

Parvient-on à épuiser le sens de ce que nous faisons et sinon le sens, le souvenir ?
Connaissons-nous une seule seconde de virginité, une seule seconde où rien ne pèse, une seule seconde où nous avons le choix, où l'histoire nous appartient réellement ?

Le mouvement du 952861184 qui fraie son chemin au large de toute occupation humaine et nous là-dedans avec l'expérience comme seul lieu de la poésie.

Écrit par : Michèle | mardi, 13 mars 2012

@Michèle : J'espère, que ces questions ne seront jamais élucidées. Autant que nous n'épuiserons sans doute jamais l'inanité ni l'épuisement, qui nous permettent d'arrondir notre réalité à un niveau inférieur à nos aspirations (qui sait si ce sont les notres ?), Tout à l'économie c'est plus prudent, et vos questions terribles m'ont fait penser à ce passage d'un autre temps, certes la correspondance n'est pas directe et nos trains ne sont plus les mêmes :

"La longue plaque de métal vissée sur laquelle s’étale, vous le savez (puisque vous ne pouvez pas vraiment la lire, que vous pouvez seulement deviner à peu près une à une quelles sont ces lettres horizontales qui vous apparaissent si écrasées, si déformées par la perspective), l’inscription bilingue : "Il est dangereux de se pencher au-dehors - È pericoloso sporgersi" — (Michel Butor, La Modification)...

È pericoloso sporgersi" voilà le problème :)

Si au moins on pouvait se réjouir d'être limité, gourmandise des limites, n'être que flou, là dedans entre, au lieu de vouloir à tout prix se poser là, à vouloir tout embrasser,
au risque de ne pouvoir retrouver un semblant de virginité dans les bras (par exemple) de l'inconnu du 952861184
(cf ="qui trop embrasse manque le train),
un semblant qui ne pèse pas, y'a déjà un petit mieux, non ?
Bon, ma réponse est piteuse, pardon Michèle, mais faut dire que souv m'vaze turenorée ecmmo nue pêcre ecav sov quisnotes brampinuques § tuviergesensi :)

Écrit par : frasby | mardi, 13 mars 2012

"A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. "

Impossible de vous expliquer clairement mon adhésion totale à ce texte idéal et profond. Et c'est d'ailleurs beaucoup plus qu'une adhésion puisqu'il - comment dire ? - me colle à la peau autant qu'il est cette peau elle-même enveloppant l'être tout entier "plus présent que jamais" à lui-même.
Je dis l'être - tous les êtres réunis - tout entier, plutôt que parler à la première personne - comme précédemment : me colle - puisque devenu hors-sujet je m'oublie pour rejoindre l'essence générale...

C'est un peu alambiqué, j'en conviens, mais c'est au plus près du ressenti, et quand on ne peut le dire autrement disons-le comme il vient, non ?

:)

Écrit par : Jean | mercredi, 14 mars 2012

@Jean : "[...] Et quand on ne peut le dire autrement disons-le comme il vient, non ?"

- oui ! :)

Quant à ce qu'on ne peut exprimer tel qu'on le voudrait, pardon c'est pompeux (mais pas que :) je citerai Wittgenstein pour un mot, vous le trouverez et ce qu'il pourrait inspirer de musique quand les mots ne vont plus :
"What we cannot speak about we must pass over in silence"...

Je ne détaillerai pas ici, pourquoi, votre passage me fait un tel plaisir, je peux juste exprimer que ça me fait plaisir de vous retrouver. Restons simples, n'est ce pas ? :)
il y a une autre raison, vous l'ignorez, mais je vous lis encore, j'ai lu vos derniers textes, et si, cela avait été possible de vous commenter, nos intentions auraient pu se croiser en chemin, voire quelques mots se seraient accordés (alambiquée, itou, non, pas itou= votre com' est arrivé limpide) et je ne me risquerai pas à décrypter les "intentions", j'aime ce mot "adhésion", et je vous remercie, Jean, pour votre visite, aussi inespérée qu'espérée.

Écrit par : frasby | mercredi, 14 mars 2012

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